Les crises agissent toujours comme un révélateur des failles préexistantes des modèles économiques ou de société. La pandémie actuelle expose la faillite du modèle agricole et alimentaire résultant de décennies de politiques libérales qui ont fait reculer l'État.
La proposition de loi vise à rompre avec ce modèle en rendant à l'État son rôle de planification et de régulation afin de garantir notre indépendance alimentaire, la transition vers un modèle agricole respectueux des équilibres écologiques et le bien-être des producteurs et des consommateurs – en un mot : l'intérêt général.
Il a été sacrifié sur l'autel du libre-échange depuis trop longtemps, et la souveraineté alimentaire de notre patrie – sa capacité à s'assurer un approvisionnement indépendant – a été détruite en son nom. Les équilibres écologiques ont été rompus par un productivisme forcené, ce qui a provoqué la diffusion du covid-19. Le droit des agriculteurs à vivre dignement de leur travail a été bafoué : 20 % d'entre eux se trouvent sous le seuil de pauvreté. Le droit des consommateurs à une alimentation de qualité à des prix abordables a été abandonné : le nombre de bénéficiaires de l'aide alimentaire a doublé en dix ans. Tout cela pour accroître le profit de quelques spéculateurs et géants de la grande distribution.
Ces maux, que nous dénonçons depuis des années, ont été aggravés par la crise sanitaire. La fermeture des frontières, le confinement de la moitié de la population mondiale et la contraction de l'économie ont montré au grand jour la fragilité d'un modèle prêt à s'effondrer au premier choc. La rupture des chaînes d'approvisionnement à flux tendus, étirées sur la planète, a provoqué la pénurie de certains produits et révélé notre dépendance stratégique. La hausse des prix a transformé la précarité alimentaire en une véritable crise de la faim : des dizaines de milliers de personnes, dont des enfants, en souffrent, notamment en Seine-Saint-Denis, aux portes de Paris.
Les prix payés aux producteurs n'ont pas augmenté. Ils ont même baissé dans certaines filières tant les spéculateurs y règnent en maîtres, exerçant leur tyrannie sur les agriculteurs réduits au rang de variable d'ajustement. Nul ne peut nier que l'agro-industrie globalisée et financiarisée nous a menés à une impasse.
Face à l'ampleur des défis, la politique du Gouvernement actuel – les 39 millions d'euros débloqués pour l'aide alimentaire et les « mesurettes » de la loi ÉGALIM – fait figure de pansement sur une jambe de bois. Pire encore : le 28 avril dernier, en pleine crise, l'Union européenne et le Mexique ont conclu un nouvel accord de libre-échange dont ils discutaient depuis 2016, ouvrant ainsi un peu plus notre marché aux importations agricoles. Le Président de la République et le Gouvernement, qui avaient multiplié les paroles mielleuses au sujet de la souveraineté alimentaire, sont restés silencieux, car ils approuvent. Ils n'ont rien appris.
C'est un modèle entier que l'on doit refonder. Notre proposition de loi garantit durablement l'accès des plus précaires à l'alimentation et aux produits de première nécessité par la création d'un chèque mensuel et pérenne. La juste rémunération des producteurs sera assurée grâce à une conférence interprofessionnelle annuelle qui permettra au ministre de l'agriculture de fixer des prix planchers. Pour prévenir la spéculation et répondre à l'urgence sociale en temps de crise, les pouvoirs publics pourront assurer provisoirement un encadrement des prix.
Beaucoup restera à faire, mais ces mesures poseront les bases d'un changement de philosophie. En matière d'agriculture et d'alimentation, comme ailleurs, on doit en finir avec la fable selon laquelle la concurrence libre et non faussée des intérêts privés produirait le bien commun. L'État doit reprendre sa place de garant de l'intérêt général. Nous pourrons alors engager la grande transformation dont notre agriculture et notre pays ont besoin, à savoir la relocalisation des productions et le passage à un modèle de production et de consommation durable, sain et vertueux, dont tous bénéficieront. Les leçons de la crise seront ainsi retenues et nous ne répéterons pas les erreurs du monde d'hier.