Intervention de Laurent Berger

Réunion du jeudi 28 mai 2020 à 15h00
Commission des affaires économiques

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT :

La crise sanitaire a nécessité un soutien massif aux entreprises et aux travailleurs par l'intermédiaire du chômage partiel et de dispositifs de soutien à des populations spécifiques.

Nous faisons maintenant face à une augmentation massive du chômage et à des difficultés économiques dans les entreprises. Il y aura ensuite ce que nous serons capables de construire.

Nous entrons dans une période où nous devrons gérer de grosses difficultés. Les choix qui seront faits devront rechercher un nouvel équilibre entre les dimensions économique, sociale et écologique.

La situation des métiers du grand âge me rappelle janvier 2018 et les rassemblements des salariés que nous avions organisés. Aucune solution ne pourra être trouvée sans un investissement massif. Dans un contexte de difficultés d'emploi, il faut rappeler que plusieurs dizaines de milliers d'emplois sont nécessaires dans les métiers du grand âge. Cela implique néanmoins une professionnalisation, une reconnaissance et un financement.

L'idée d'une cinquième branche de la Sécurité sociale est bonne, mais les moyens restent insuffisants. Il faudra donc les augmenter, ce qui imposera des choix collectifs. La CFDT valide cette cinquième branche de la Sécurité sociale qu'elle revendiquait. Cependant, sa mise en œuvre doit être plus rapide et intervenir avant 2024.

Quant au télétravail, il a été bien vécu par certains, beaucoup plus durement par d'autres. Les enfants étaient parfois présents, l'équipement informatique et les conditions de travail n'étaient pas toujours adaptés. Cette période doit nous enseigner que le télétravail est un mode d'organisation du travail qui ne saurait cependant être exclusif. Nous avons besoin de relations sociales qui nourrissent le goût du travail. Si le télétravail a aussi pu apparaître comme un moyen d'articuler différemment son temps, il s'est parfois accompagné d'une perte de repères et d'une charge de travail excessive. Il doit être régulé. Pour être bien vécu, le télétravail doit faire l'objet de négociations dans les entreprises. Il devra aussi respecter certaines conditions, notamment en termes de relation hiérarchique. Le rôle du manager n'est pas identique selon qu'il s'exerce en présentiel ou à distance. Des garde-fous devront aussi être instaurés pour articuler les temps sociaux. Il faudra néanmoins veiller à ce que le télétravail ne soit pas motivé par la réduction des coûts. Nous devrons être vigilants car je crains que la question de la qualité du travail disparaisse derrière les problématiques d'emploi.

Par ailleurs, lors des reprises d'activité, il faudra éviter que des tensions ne naissent entre ceux qui ont télétravaillé et ceux qui ont été obligés d'être présents. Je ne vous cache pas que des travailleurs en présentiel n'ont pas toujours bien vécu d'être managés à distance par des cadres se trouvant dans leur résidence secondaire.

Je suis moi aussi très inquiet pour les 750 000 jeunes qui arrivent sur le marché du travail. La solution miracle n'existe pas et nous devrons être intelligents et innovants. De nombreux jeunes arriveront sans ressources ni droits en termes d'indemnisation. La question d'un revenu de solidarité active (RSA) jeune couplé avec un accompagnement très fort vers l'insertion dans la vie professionnelle doit donc être posée. Des aides aux entreprises pour qu'elles poursuivent leurs efforts en matière d'apprentissage ne sont pas non plus à écarter. Je n'ai aucun tabou, sauf celui d'une insertion qui passerait par une baisse de droits. Il faut réagir très vite, c'est la raison pour laquelle nous avons appelé à cette mobilisation pour l'emploi.

Concernant l'Europe, le socle européen des droits sociaux fait partie du programme de la Commission européenne. Je m'en réjouis, mais un travail de persuasion est encore nécessaire pour que cette orientation constitue un nouvel élan.

Par ailleurs, en tant qu'Européen et syndicaliste convaincu, je ne peux que me féliciter de la mise en avant de la solidarité intra-européenne. La mutualisation et l'investissement collectif sont des mesures appropriées dans la situation actuelle. Rien n'est cependant acquis.

Vous m'avez interrogé sur les propositions originales du mouvement syndical. Je n'en connais qu'une, c'est la capacité à s'engager dans la négociation collective. Je regrette d'ailleurs qu'en France, comparativement aux pays qui nous entourent, il soit si difficile d'obtenir un engagement des acteurs. La verticalité n'est pas toujours une qualité.

Concernant le Pacte pour le pouvoir de vivre, nous proposons notamment une conférence de transformation économique, sociale et environnementale. Ces trois enjeux doivent être réarticulés. Aucune réponse ne nous a été apportée pour l'instant sur la tenue de cette conférence, mais nous l'espérons d'ici l'été. Il est indispensable de s'engager dans une logique de transformation de notre modèle.

Sur le temps de travail, il n'y a pas besoin de toucher à la durée légale du travail. Ce serait une grave erreur. Si vous voulez modifier le code du travail, renforcez plutôt les moyens des représentants du personnel. Nous pensons néanmoins qu'il est possible d'innover sur le temps de travail. C'est ainsi que nous prônons un compte épargne temps universel qui permettrait de gérer différemment son temps tout au long de sa carrière.

Nous ne devons par ailleurs pas être naïfs. L'ajustement du temps de travail sera discuté dans les entreprises, à la hausse comme à la baisse. Dès lors que ces accords seront majoritaires, ils devront s'imposer. Il n'appartient pas au législateur de décider du bonheur de tout le monde partout et tout le temps. Je ne crois pas que le « monde d'après » se décide à Paris et en petit comité. Il dépendra de la capacité d'initiative de tous, éventuellement accompagnée d'impulsions données au niveau national.

Une vraie rénovation thermique des logements, telle que nous la demandons depuis des années, aurait un coût élevé, mais représenterait un véritable gisement d'emplois. La rénovation thermique des logements privés contribuerait également à réduire les inégalités. Cette rénovation thermique que nous appelons de nos vœux nécessite une impulsion nationale, mais ne peut être mise en œuvre de manière centralisée. Elle doit être déployée par les acteurs locaux. C'est un choix politique.

Je me suis battu pour que la prise en charge du chômage partiel par l'État et l'UNEDIC ne soit pas réduite. Je souhaite par ailleurs que ce chômage partiel soit conditionné à la conclusion d'accords de proximité de l'emploi. J'ajoute que si les partenaires sociaux ont été consultés sur ce sujet, la concertation sociale mérite elle aussi d'être déconfinée.

La protection de la santé des salariés lors de la reprise d'activité a pu être assurée correctement dans beaucoup d'entreprises, mais dans d'autres, les employeurs ont cru qu'ils pouvaient décider seuls de l'adaptation des postes de travail. Je rappelle que ceux qui connaissent le mieux un travail sont ceux qui l'exercent à leur poste de travail. Les craintes des salariés restent fortes, mais elles varient beaucoup d'une entreprise à une autre.

Concernant la formation des salariés, il existe des opérateurs qui sont prêts à relever le défi de la formation massive. J'en citerai deux, l'AFPA et le CNAM. Ce ne sera néanmoins possible qu'à condition d'y consacrer les moyens et les financements nécessaires.

Évidemment, l'économie ne pourra se redresser sans les acteurs de l'entreprise que sont les travailleurs. Je crois que cette crise offre l'opportunité de mieux partager le pouvoir dans les entreprises et d'associer plus significativement les travailleurs au choix de l'entreprise.

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