Intervention de Yves Veyrier

Réunion du mercredi 3 juin 2020 à 9h30
Commission des affaires économiques

Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière :

J'aborderai les principaux points qui nous paraissent sensibles dans cette période, en commençant par l'objet même de la réunion, c'est-à-dire le dialogue social. Le fait que le législateur prenne le temps de consulter les organisations syndicales et les organisations patronales nous paraît important pour notre démocratie et notre République. Jean Jaurès ne séparait pas la République de l'idée de justice sociale. Depuis son origine, l'essence même du syndicalisme est d'œuvrer à la justice sociale.

Ces derniers temps, nous avons été sollicités à de multiples reprises par les pouvoirs publics. Ainsi, nous rencontrerons le Président de la République pour la troisième fois en deux mois, et avons eu l'occasion de nous entretenir très régulièrement avec le Premier ministre, le ministère du travail et les ministères concernés. Ces nombreuses réunions nous ont permis, de manière incontestable, d'attirer l'attention sur un certain nombre de sujets. Des réponses ont été apportées, dont quelques-unes allaient dans le bon sens. Nous avons en revanche dû constater qu'à plusieurs reprises sur des dossiers importants, nous étions mis devant le fait accompli d'une décision prise, sans avoir l'opportunité de faire connaître notre position et nos éventuelles suggestions. Récemment, après que le sujet a simplement été évoqué lors d'une réunion, nous avons été informés par voie de presse d'une évolution de la prise en charge de l'activité partielle, dans le sens d'une dégressivité progressive de l'indemnisation des entreprises. Je ne milite pas pour que les salaires soient ad vitam aeternam pris en charge par la collectivité, mais il nous semble nécessaire d'examiner cette question au-delà des secteurs qui en ont été exclus, et parallèlement que cette disposition soit accompagnée d'un contrôle strict des procédures de suppressions d'emplois. Cette situation nous a conduits à interroger le Premier ministre sur la justification du maintien de l'état d'urgence, qui autorise le pouvoir exécutif à agir de son propre chef sur les matières traditionnellement dévolues par le code du travail au dialogue social.

Bien entendu, nous ne mésestimons absolument pas la crise sanitaire et avons œuvré pour que toutes les dispositions de protection des salariés soient prises.

Par ailleurs, s'il est courant de n'évoquer les syndicats qu'en situation de crise, il ne faut pas omettre que chaque année, près de 40 000 accords sont négociés dans les entreprises. Dans notre pays, les confédérations syndicales représentent des dizaines de milliers d'implantations dans les entreprises, même s'il est plus difficile d'asseoir cette présence dans celles de petite taille. À cet égard, nous regrettons aussi la substitution du comité social et économique (CSE) au comité d'entreprise (CE) et aux délégués du personnel, qui n'a pas été sans conséquence sur la capacité de représentation collective des salariés. Nous déplorons en particulier la suppression des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

En tout état de cause, il importe d'évoquer le devenir de la protection sociale et de la Sécurité sociale, à l'occasion du transfert d'une partie de la dette sociale des hôpitaux sur la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). Nous considérons de longue date que la place du paritarisme de négociation et de gestion doit être rétablie, afin de sortir de visions essentiellement comptables. FO appelle à une tarification des responsabilités, donc à une distinction des financements qui relèvent de l'État et de la protection sociale solidaire.

S'agissant du dialogue social et de l'assurance chômage, en particulier de la bascule d'un grand nombre d'intérimaires et de salariés en contrat à durée déterminée (CDD) vers le chômage sans aucune activité, celui de la catégorie A de Pôle emploi, il est urgent de revenir sur la réforme de l'assurance chômage décidée contre l'avis des organisations syndicales en juin 2019. Nous souhaitons un retour à la convention négociée 2017, plus juste du point de vue de l'accès aux droits et du niveau de l'allocation chômage, et qui courait théoriquement jusqu'à la fin 2020. Notre revendication est partagée par la plupart, sinon toutes les confédérations syndicales de l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC).

Tout le monde n'a pas vécu la crise sanitaire de la même façon. Les personnes qui ont continué à travailler en présentiel, appartenant notamment au secteur de la santé et du médico-social, recevront des réponses adéquates et justes dans le cadre du « Ségur de la santé ».

La chaîne de l'approvisionnement a fait l'objet d'une attention inédite, de même que les entreprises de nettoyage et de propreté. Nous regrettons que la proposition de loi de M. François Ruffin sur les femmes de ménage n'ait pas abouti à cet égard. Finalement, se référant à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le Président de la République a fini par mentionner ces salariés, la plupart du temps invisibles et payés au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Ces catégories de salariés essentiels attendent à présent que les distinctions sociales soient fondées sur l'utilité commune.

Les salariés du secteur industriel et de celui des services ont subi en moyenne, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), une perte de salaire de 400 euros en situation d'activité partielle. Pendant près de deux mois, les salariés ont perçu 84 % de leur salaire net (soit environ 16 à 20 % de baisse de rémunération). De surcroît, les budgets des comités sociaux et économiques (CSE), qui jouent un rôle non négligeable du point de vue social, ont eux aussi été amputés pendant l'activité partielle.

Les salariés étaient confrontés au risque de contracter le virus et à celui de perte de salaire. Aujourd'hui, nous considérons qu'ils sont sur une ligne de crête entre le risque de perdre leur emploi et celui de ne pas préserver leur salaire. Cette situation vaut également pour les salariés renvoyés à leur domicile du jour au lendemain sans y être préparés, en faisant face à de nombreuses contraintes.

Nous considérons qu'opposer les salaires à l'emploi serait une erreur d'un point de vue macro-économique. Les négociations sont actuellement tendues dans un certain nombre d'entreprises, mettant en balance des accords de performance collective avec l'emploi. Les organisations syndicales n'ont pas été conçues pour négocier entre un recul et un autre, mais pour préserver et améliorer les droits des salariés. Si nous étions certains que la pandémie était dépassée, la reprise économique serait plus facilement acquise. C'est pourquoi la confiance est un paramètre important de cette reprise. Nous aurons besoin d'une relance car l'économie française, à la différence de l'Allemagne, est davantage tirée par la demande. La relocalisation de l'industrie et le regain de souveraineté dans un certain nombre de domaines essentiels sont des sujets d'actualité.

Sur le sujet de l'entrée dans l'emploi des jeunes et du dispositif en matière de formation, je serai disposé à vous communiquer nos analyses.

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