Intervention de Jean-Dominique Senard

Réunion du jeudi 11 juin 2020 à 10h00
Commission des affaires économiques

Jean-Dominique Senard, président-directeur général du groupe Renault :

Renault est attendu dans de nombreux domaines. S'agissant du dialogue social, vous ne serez pas déçus car, dans ma vie d'industriel, je n'ai pas eu l'habitude de négliger cet aspect.

Si les véhicules électriques restent chers, c'est à cause du coût des batteries : d'ici quelques années, leur prix de revient sera acceptable. L'ADN de Renault est de produire de la mobilité pour tous et nous produisons déjà de petits véhicules électriques urbains, comme la Twizy. Mais ce n'est pas ce genre de véhicules électriques que nous comptons produire le plus à l'avenir. Nous n'avons qu'un objectif, celui de réduire le coût de nos véhicules électriques, pour qu'ils soient abordables.

S'agissant de l'usine de Sunderland, Nissan prendra des décisions le moment venu, selon la façon dont se déroulera le Brexit. Il est trop tôt pour évoquer le sort de ses lignes de production, qui ont déjà été réduites.

Renault est intéressé par l'Airbus de la batterie. La dépendance à l'égard de fournisseurs exclusivement asiatiques est une des faiblesses de notre industrie. L'Europe, qui a perdu la bataille de la batterie classique, doit être à la pointe de la recherche sur la batterie du futur. Il faut qu'elle rattrape son retard sur les pays qui ont lancé des programmes dans ce domaine, afin de retrouver une partie de sa souveraineté.

En Espagne, nos usines sont très compétitives et bien chargées. Les relations avec les partenaires sont excellentes et les relations sociales, de très haut niveau. La situation espagnole constitue une forme de modèle.

L'objectif d'1 million de véhicules électriques annoncé par le Gouvernement me paraît réaliste, à condition de disposer de conditions de compétitivité satisfaisantes. Cette notion est un point central du programme que j'ai présenté pour nos sites français. La démarche patriotique m'apparaît évidente : nous ferons tout pour que les fournisseurs français soient prospères à l'avenir, mais nous ne pourrons pas tout faire seuls. La concurrence étrangère reste un défi majeur.

Toute la politique d'achat du groupe, notamment la notion de partenariat étendu, vise à rendre nos fournisseurs compétitifs et à les aider à le rester. Je l'ai encouragée pendant toutes les années où j'étais président du groupe Michelin. Les partenariats de long terme sont une réalité vitale sur le terrain. Renault réalise 6 milliards d'euros d'achats en France, soit 20 % de son volume mondial. Si la part des véhicules croît, celle des fournisseurs augmentera forcément en valeur absolue. Déjà importante, elle doit se maintenir, mais la faiblesse structurelle de nombre de nos fournisseurs est un sujet que nous n'avons pas suffisamment traité collectivement dans le passé.

Maintenir des structures industrielles sans grand avenir était une erreur, dont nous sommes collectivement coupables. Certaines activités de la fonderie d'acier réalisaient des pertes majeures, que Renault renflouait régulièrement. Nous aurions dû anticiper davantage et investir ces sommes vertigineuses pour former les personnes qui travaillent sur ces sites, afin qu'elles puissent retrouver un avenir professionnel à la hauteur de leurs ambitions. Anticiper et former les personnes est la clé. Sur la question de l'abandon du diesel, par exemple, nous avons été trop vite : si nous avions fait une analyse d'impact, nous aurions pu éviter des difficultés sociales majeures.

Vis-à-vis des Fonderies du Poitou, Renault a tenu ses engagements financiers : il a déjà versé 8 des 11 millions d'euros prévus. Je ne suis pas sûr qu'il faille continuer à subventionner ainsi la production d'acier. L'activité aluminium semble en revanche plus prometteuse, l'allégement des véhicules allant dans le sens de l'histoire.

Quant à l'hydrogène, j'en suis depuis de longues années un grand fana. Renault a été un précurseur en la matière et mène une veille très active. Je prends le pari que dans quinze ou vingt ans, il constituera une part aussi importante que l'électricité dans la motricité. Si sa combustion ne produit que de l'eau, il a encore une origine fossile, le craquage du méthane : espérons que les recherches, sur l'électrolyse notamment, permettront de réduire les coûts d'un mode de production plus respectueux de l'environnement. Les soutenir massivement serait un bon moyen de reconquérir une forme de souveraineté européenne face aux milliards investis par les pays d'Asie.

Anticiper les problèmes grâce au dialogue social et à l'intelligence du terrain, fondamentale pour l'adhésion de tous, est le seul moyen de garantir la compétitivité de notre industrie et d'éviter d'avoir à régler au dernier moment des situations inextricables. Je ne vous raconte pas d'histoires. J'ai pris suffisamment de risques pour sauver des sites, notamment au regard du délit d'entrave, singularité française qui paralyse encore bien des processus, permettez-moi de vous le dire, Mesdames, Messieurs les députés.

Pour l'utilisation du prêt garanti par l'État, mes engagements devraient vous rassurer. Le rapport que j'ai rédigé avec Mme Nicole Notat est un hymne à la responsabilité de l'entreprise, en matière sociale et environnementale notamment – vous avez eu la gentillesse de vous en inspirer dans la loi PACTE en modifiant le code civil en ce sens. Il est improbable que je m'écarte de cette ligne, je ne pourrais plus me regarder dans une glace sinon. Ajoutons que la représentation des salariés au sein du conseil d'administration de Renault est importante. Toutefois, si je considère que le but d'une entreprise ne se limite pas à réaliser des profits pour ses associés, il faut aussi penser à faire des résultats si l'on ne veut pas qu'elle disparaisse.

Ce prêt sera-t-il suffisant ? Il n'aurait pas été nécessaire sans la pandémie. Celle-ci a eu un impact majeur sur notre trésorerie puisque nous avons décidé de payer tous nos fournisseurs alors même que nous ne vendions presque plus de véhicules. Je tiens à faire cette précision car le fait qu'un plan de redressement de 2 milliards d'euros ait été annoncé peu de temps avant, le 15 février, a créé de la confusion dans les esprits. Si la reprise observée en juin se confirmait, nous le rembourserions très vite. L'été sera une étape décisive. Ce serait pour nous une honte d'avoir à utiliser l'argent du contribuable français car cela signifierait que nous ne sommes pas parvenus à puiser dans nos forces internes.

Pour les véhicules électriques, nous tiendrons notre engagement d'investir 1 milliard d'euros en France. J'avoue que j'ai du mal à comprendre la diabolisation des SUV : en dehors du fait qu'ils correspondent à une demande forte de la part de nos clients, il faut savoir que leur motorisation peut être électrique ou hybride. Attention aussi à ne pas se tromper de combat : une prise en compte plus poussée du poids des véhicules dans les malus écologiques, souvent réclamée, risquerait de nuire aux véhicules électriques car leur batterie est lourde.

Le prêt ne sera pas utilisé pour régler les problèmes structurels de nos usines en France. Celles-ci sont globalement sous-utilisées, ce qui n'est pas soutenable dans la durée. Comment, dans ces conditions, faire face à la concurrence féroce qui fera rage dans le monde de l'après‑covid ? Il est temps de se préparer au tsunami des véhicules électriques chinois en Europe. Pour que nos sites soient compétitifs, ils doivent être pleins comme des œufs. Trouvons ensemble les moyens de nous organiser : les compétences sont là. Nous pouvons le faire de la façon la plus sereine possible socialement. Ne ratons pas cette occasion car nous n'aurons sans doute pas droit à beaucoup d'autres chances. Il est irresponsable de maintenir un statu quo pour se faire plaisir à court terme.

Le problème de Choisy est lié non pas aux personnes qui y travaillent, dont je suis le premier à louer les talents et les compétences, mais à son enclavement. L'usine a été une vitrine de ce que nous savons faire de mieux en termes d'économie circulaire, mais nous devons maintenant donner de l'espace à cette activité pour lui permettre de se déployer dans un écosystème plus large, à Flins, qui serait un centre d'excellence de l'automobile française. Anticipons pour ne pas exposer ce site au risque d'une attrition naturelle.

S'agissant de la marque Alpine, il nous faut réfléchir ensemble à son avenir. Vous conviendrez avec moi qu'il n'est pas satisfaisant qu'une usine produise sept voitures par jour alors qu'elle pourrait en produire trente-deux. Avec M. Luca de Meo, futur directeur général, nous allons travailler à des solutions. Je serais désolé que nous n'en trouvions pas.

Nul « coronawashing » chez Renault : le prêt bancaire est conjoncturel et non pas structurel, je le répète, il n'aurait pas été nécessaire en l'absence de pandémie. J'ai déjà dit les engagements que nous avions pris en matière de dialogue social.

Quant à la participation de l'État, je n'ai jamais milité contre, j'ai simplement dit qu'elle n'était pas à l'ordre du jour. Pour une entreprise du secteur marchand il n'est jamais idéal d'être intégralement sous perfusion de fonds de l'État. Je serais désolé que l'argent public, si précieux et rare, soit investi dans le capital du groupe car cela signifierait soit que l'économie s'est effondrée, soit que notre plan de redressement n'a pu être mis en œuvre. Nous devons compter sur nos propres forces pour générer notre trésorerie. Je n'ose vous dire de combien de milliards nous avons besoin pour accompagner la transition vers les nouvelles technologies et occuper les premiers rangs. Heureusement que nous pouvons compter sur l'Alliance pour partager la charge de ces investissements. Rappelons, par ailleurs, qu'après l'entrée de l'État dans le capital de PSA, le groupe a dû passer par une réorganisation massive pour assurer son avenir. Renault n'en est pas là.

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