La commission des affaires économiques a auditionné M. Jean-Dominique Senard, président-directeur général du groupe Renault.
Le secteur automobile est dans une situation extrêmement difficile et le Président de la République a présenté un plan de 8 milliards pour le soutenir et l'aider à accélérer la transition écologique. Les difficultés du groupe Renault n'ont pas commencé avec la crise du covid-19 et d'ailleurs, Monsieur le président Senard, lors de votre dernière audition devant notre commission, le 25 septembre 2019, vous nous aviez alerté sur les difficultés que pourraient rencontrer plusieurs sites industriels de nos territoires, causées par la transition du diesel vers l'électrique et l'hybride. Je vous laisse la parole et vous invite à nous présenter vos perspectives pour l'avenir.
Afin de redresser le groupe Renault, ainsi que l'alliance internationale dont il fait partie, nous avons pris des décisions complexes, dans le respect des personnes et des organisations : il n'y aura aucun licenciement sec, ni aucune souffrance sociale.
Pour faire face à la crise du covid-19, nous avons conclu avec un pool de cinq banques une convention d'ouverture de crédits d'un montant maximum de 5 milliards d'euros, dont 4,5 garantis par l'État. Elle a vocation à financer les besoins de liquidités du groupe. Je veux être clair : il s'agit d'un prêt bancaire, que Renault entend rembourser sans utiliser un euro des contribuables français. En contrepartie de la garantie de l'État, nous avons pris trois engagements : le non‑versement des dividendes à nos actionnaires, le paiement de nos fournisseurs en temps et en heure et le maintien de nos engagements CO2 pour 2020.
Au mois de février, avant le début de la pandémie, nous avions par ailleurs construit un plan d'économie qui est vital pour la pérennité de l'entreprise. Il pose les bases de l'industrie de demain, une industrie compétitive et innovante, qui contribuera au rayonnement de la France et au déploiement d'une mobilité durable pour tous.
Le groupe hérite d'une situation dégradée. Sa stratégie, fondée sur la course aux parts de marché – donc aux volumes – pariait sur une forte augmentation du marché mondial, qui n'a pas eu lieu, si bien que nous avons une surcapacité de production structurelle, que l'effondrement des ventes dû à la crise du covid-19 a aggravée. L'entreprise ne supporte plus le poids de ses frais fixes. Sans plan d'économie, c'est l'avenir du groupe, celui des hommes et des femmes qui y travaillent, qui est en jeu.
Nous avons donc défini un plan de réduction de nos coûts fixes de plus de 2 milliards d'euros sur trois ans, auquel toutes les régions et toutes les fonctions du groupe vont contribuer. Hors de France, nous avons suspendu plusieurs projets d'extension de capacités. Nous devons aussi réduire les coûts de l'énergie et de l'ingénierie et redimensionner nos capacités industrielles. Ces évolutions se feront dans le cadre du dialogue social, entre les représentants des salariés et les équipes de la direction de Renault.
Notre stratégie est cohérente avec les objectifs du plan de soutien du Gouvernement car elle repose, depuis longtemps, sur trois grands piliers : la transition écologique, la valorisation du site France et l'alliance avec Nissan et Mitsubishi.
S'agissant, premièrement, de la transition écologique, Renault est pionnier et leader dans le véhicule électrique : ZOE reste la référence et nous produisons de nouveaux modèles. Malgré l'ampleur de la crise, nous maintenons nos objectifs CO2 pour 2020 et nous prévoyons de quadrupler la production de véhicules électriques d'ici 2024. Renault est aussi le leader du recyclage des véhicules. Nous allons faire de Flins, dont le site est très favorable, un écosystème de l'économie circulaire en y transférant les activités du site de Choisy-le-Roi. Le leadership de Renault dans ce domaine n'est pas assez connu : nous allons le valoriser.
Le deuxième pilier, c'est le site France. La France est depuis toujours le cœur d'expertise et de savoir-faire industriel du groupe : 75 % de nos dépenses de recherche et développement y sont réalisées et nous achetons pour 6 milliards d'euros à nos fournisseurs français. Nous avons un projet offensif et pérenne, organisé autour de pôles d'activité stratégiques : l'électrique, l'utilitaire, l'innovation à forte valeur ajoutée et l'économie circulaire. Pour améliorer la compétitivité du site France, nous prévoyons de localiser le maximum de productions en France. Le moteur de 100 kW qui devait être produit en Chine sera par exemple rapatrié à Cléon. Nous allons créer un pôle d'excellence du véhicule électrique et utilitaire dans le Nord, autour des sites de Douai et Maubeuge. Le premier se prépare à accueillir la nouvelle plateforme électrique de l'alliance en 2021. Maubeuge, qui a une expertise dans la fabrication de véhicules utilitaires légers, produit la Kangoo électrique. Le technocentre de Guyancourt, enfin, restera une forteresse technologique et concentrera les activités de recherche et développement sur les technologies à plus forte valeur ajoutée : électrification, transport intelligent, connectivité, 4G et 5G.
Le troisième pilier, c'est l'Alliance, qui est au cœur de la stratégie du groupe depuis vingt ans, même si elle a connu des hauts et des bas. Depuis mon arrivée, nous avons renoué un lien de confiance avec nos partenaires japonais. Nous nous sommes adaptés pour passer d'une stratégie de volume à une stratégie d'efficacité, qui nous permettra de redresser notre profitabilité. Nous avons identifié des leaders dans chaque pays et dans chaque technologie : c'est le modèle « leader follower ». Il s'agit de renforcer la standardisation pour réduire les coûts, de développer les technologies d'avenir et de définir des régions de référence pour améliorer la complémentarité de nos groupes.
Renault est un groupe mondial mais son cœur et ses racines sont français : il sera un acteur majeur, comme acheteur et comme employeur, pour la filière automobile française. Malgré la crise, je suis très confiant pour l'avenir du groupe. Si les conditions sont réunies, la consommation peut reprendre rapidement. L'échange entre l'État, les entreprises et les partenaires sociaux sera une clé majeure pour sortir de cette crise.
L'entreprise Renault est attendue sur le plan économique, sur le plan social et sur le plan environnemental. Que pensez-vous de la Citroën AMI, un véhicule électrique ultra-urbain vendu à moins de 10 000 euros ? Renault développe‑t‑il ce genre de production ? En cas de Brexit dur, une partie de la production de l'usine Nissan de Sunderland pourrait-elle être rapatriée en France ? Quelle est l'implication de Renault dans l' « Airbus des batteries » ? Enfin, plusieurs modèles Renault sont actuellement fabriqués en Espagne. Prévoyez-vous de développer en France la production des voitures les plus haut de gamme ou des voitures électriques ?
Les sous-traitants de la filière automobile font vivre des régions entières. L'État doit soutenir davantage le secteur automobile mais le groupe Renault doit aussi avoir une démarche patriotique pour aider le pays à remonter la pente : ne devrait-il pas privilégier davantage les sous-traitants de notre pays ?
La stratégie de Renault vis-à-vis de ses fournisseurs est très critiquable. Je pense aux Fonderies du Poitou, qui font l'objet d'un désinvestissement majeur. L'entreprise a été reprise par le groupe Liberty House en mai dernier. Aujourd'hui, sa production a chuté de 70 % en volume et ce n'est pas la faute du covid-19 : elle avait déjà chuté de 40 % en juin dernier. Comment l'expliquer ? Vous dites que le prêt garanti par l'État ne coûtera pas un euro aux contribuables français, mais cette garantie a elle-même un coût ! Votre attitude vis-à-vis de vos fournisseurs devrait être exemplaire : si les fonderies doivent faire évoluer leur activité, Renault doit les y aider.
Renault mène-t-il des recherches sur l'hydrogène ? Sera‑t-il au rendez-vous des énergies du futur ?
La puissance publique s'est portée volontaire pour accompagner la mutation du groupe. Persuadés que les garanties démocratiques données sont insuffisantes, nous sommes nombreux à souhaiter les améliorer.
La qualité de la gouvernance interne de Renault sera également déterminante. Dans le rapport que vous avez signé avec Mme Nicole Notat et qui a inspiré des dispositions de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, vous avez mis en avant la codétermination, la responsabilité sociale et environnementale, et la réduction des écarts de salaires : ces sujets sont-ils toujours au cœur de votre action ? Avez-vous des propositions originales pour accompagner une authentique mutation des métiers et pour garantir des formations et des emplois ?
Le prêt de 5 milliards d'euros permettra‑t-il à Renault de survivre à l'effondrement de ses ventes, tout en accélérant sa transformation pour répondre à l'enjeu climatique et en maintenant les emplois en France ? S'il s'avère insuffisant, l'entreprise dispose-t-elle des fonds propres suffisants pour investir en vue d'une relance ?
Comment la stratégie « leader follower » se traduira-t-elle en termes d'emplois et de production en France ? Alors que la suppression de 4 600 postes a été annoncée, où en sont les négociations avec les partenaires sociaux ? Quels sont les dispositifs d'accompagnement et les garanties pour limiter l'incidence de ces décisions sur nos territoires ?
La part des véhicules électriques sur le marché mondial est dix fois moindre que celle prévue en 2010. Comment expliquer ce retard et le rattraper ? Disposez-vous de moyens suffisants pour financer de nouveaux outils de production tournés vers l'électrique ? Quel est l'impact d'une telle transformation sur le savoir-faire des salariés ? Des plans de formation sont-ils prévus ? Que pensez-vous du plan gouvernemental de soutien au secteur automobile, notamment de la revalorisation des bonus à l'achat de véhicules propres ? En termes d'émissions carbone, quel serait l'impact du remplacement de modèles peu rentables par des crossover ou des SUV, plus lourds et plus polluants ?
Le prêt de 5 milliards d'euros permettra-t-il de maintenir la capacité d'investissement à long terme du secteur automobile en France, notamment dans les véhicules électriques et hybrides ? Le plan d'économie est-il suffisant pour remettre le groupe d'aplomb et lui permettre de sortir de la crise ? Comment repositionner Renault dans le paysage automobile mondial ? N'est-il pas paradoxal que le groupe souhaite conserver le cœur de son ingénierie en France, tout en cherchant à y dégager 800 millions d'économies ?
Les élus du Nord suivront avec beaucoup d'attention l'évolution de l'activité sur les sites de Maubeuge et de Douai, ainsi que la création du pôle d'excellence.
Pour ne causer aucune « souffrance sociale » ni aucun « licenciement sec », vous proposez aux 263 salariés du site de Choisy-le-Roi d'accepter des postes à Flins, à 60 kilomètres de là. Les salariés ne sont pas des marchandises que l'on ballotte d'une ville à l'autre !
Après avoir reçu un prêt de 5 milliards d'euros, garanti par un État irresponsable qui ne conditionne ses aides ni au maintien de l'emploi, ni à la non-fermeture de sites, ni à des conditions écologiques, vous annoncez un plan d'économie de 2 milliards, soit le montant versé aux actionnaires ces deux dernières années. Pourquoi fermer le site rentable de Choisy, vieux de soixante-dix ans, votre vitrine écologique, à la pointe en matière d'économie circulaire ? Pourquoi détruire ce savoir-faire et bouleverser des vies ?
Certains syndicats considèrent que Renault fait du coronawashing, alors que ses difficultés sont essentiellement structurelles. Le plan annoncé était d'ailleurs prévu depuis février. Quelles conditions l'État a-t-il posées pour apporter sa garantie au prêt de 5 milliards d'euros, qui semble destiné à gérer la situation à court terme ? Pourquoi refusez-vous une montée au capital de l'État, alors que son implication dans PSA en 2010 a produit des résultats ?
Au-delà des réductions de coûts, pouvez-vous préciser la stratégie du groupe à moyen et long terme ? Elle semble fondée sur une reprise du marché alors qu'on note une aspiration à la « démobilité » ou à une mobilité zéro émission. Le pari de l'industrie automobile n'est-il pas dangereux ? Le secteur ne doit-il pas développer beaucoup plus vite les véhicules zéro émission Origine France garantie ? Pourquoi Renault continue-t-il de refuser de tels véhicules, contrairement à ses concurrents ? À l'instar de l'aéronautique, la filière automobile ne doit-elle pas réfléchir à des stratégies de diversification ?
Vous voulez multiplier par quatre la production de véhicules électriques, mais ça ne fera toujours pas grand-chose en volume. Quid de la voiture autonome, cheval de bataille de votre prédécesseur ?
La crise du covid-19 semble une opportunité pour dérouler plus vite que prévu votre plan de restructuration. En France, le dialogue entre l'industrie et l'État paraît moins coordonné qu'en Allemagne. Quelle réorientation de la politique industrielle préconiseriez-vous si vous étiez ministre de l'industrie ? Comment feriez-vous pour que les Français puissent acheter des voitures électriques sans que l'État ne les subventionne à hauteur de 7 000 euros pièce ?
Enfin, pouvez-vous préciser les relations de l'Alliance avec le groupe Daimler ?
Derrière la stratégie industrielle, il y a des hommes et des femmes, et une intelligence ouvrière. Vous avez réaffirmé votre attachement au dialogue social. Pouvez-vous prendre l'engagement d'examiner les projets que les organisations syndicales défendent pour relocaliser la production ou consolider notre savoir-faire en ingénierie ?
À Dieppe, vous avez consenti un sursis à l'usine emblématique Alpine, afin que le site diversifie sa production et devienne un fleuron pour le véhicule de demain. L'enjeu est déterminant pour la Seine-Maritime et la France.
Renault est attendu dans de nombreux domaines. S'agissant du dialogue social, vous ne serez pas déçus car, dans ma vie d'industriel, je n'ai pas eu l'habitude de négliger cet aspect.
Si les véhicules électriques restent chers, c'est à cause du coût des batteries : d'ici quelques années, leur prix de revient sera acceptable. L'ADN de Renault est de produire de la mobilité pour tous et nous produisons déjà de petits véhicules électriques urbains, comme la Twizy. Mais ce n'est pas ce genre de véhicules électriques que nous comptons produire le plus à l'avenir. Nous n'avons qu'un objectif, celui de réduire le coût de nos véhicules électriques, pour qu'ils soient abordables.
S'agissant de l'usine de Sunderland, Nissan prendra des décisions le moment venu, selon la façon dont se déroulera le Brexit. Il est trop tôt pour évoquer le sort de ses lignes de production, qui ont déjà été réduites.
Renault est intéressé par l'Airbus de la batterie. La dépendance à l'égard de fournisseurs exclusivement asiatiques est une des faiblesses de notre industrie. L'Europe, qui a perdu la bataille de la batterie classique, doit être à la pointe de la recherche sur la batterie du futur. Il faut qu'elle rattrape son retard sur les pays qui ont lancé des programmes dans ce domaine, afin de retrouver une partie de sa souveraineté.
En Espagne, nos usines sont très compétitives et bien chargées. Les relations avec les partenaires sont excellentes et les relations sociales, de très haut niveau. La situation espagnole constitue une forme de modèle.
L'objectif d'1 million de véhicules électriques annoncé par le Gouvernement me paraît réaliste, à condition de disposer de conditions de compétitivité satisfaisantes. Cette notion est un point central du programme que j'ai présenté pour nos sites français. La démarche patriotique m'apparaît évidente : nous ferons tout pour que les fournisseurs français soient prospères à l'avenir, mais nous ne pourrons pas tout faire seuls. La concurrence étrangère reste un défi majeur.
Toute la politique d'achat du groupe, notamment la notion de partenariat étendu, vise à rendre nos fournisseurs compétitifs et à les aider à le rester. Je l'ai encouragée pendant toutes les années où j'étais président du groupe Michelin. Les partenariats de long terme sont une réalité vitale sur le terrain. Renault réalise 6 milliards d'euros d'achats en France, soit 20 % de son volume mondial. Si la part des véhicules croît, celle des fournisseurs augmentera forcément en valeur absolue. Déjà importante, elle doit se maintenir, mais la faiblesse structurelle de nombre de nos fournisseurs est un sujet que nous n'avons pas suffisamment traité collectivement dans le passé.
Maintenir des structures industrielles sans grand avenir était une erreur, dont nous sommes collectivement coupables. Certaines activités de la fonderie d'acier réalisaient des pertes majeures, que Renault renflouait régulièrement. Nous aurions dû anticiper davantage et investir ces sommes vertigineuses pour former les personnes qui travaillent sur ces sites, afin qu'elles puissent retrouver un avenir professionnel à la hauteur de leurs ambitions. Anticiper et former les personnes est la clé. Sur la question de l'abandon du diesel, par exemple, nous avons été trop vite : si nous avions fait une analyse d'impact, nous aurions pu éviter des difficultés sociales majeures.
Vis-à-vis des Fonderies du Poitou, Renault a tenu ses engagements financiers : il a déjà versé 8 des 11 millions d'euros prévus. Je ne suis pas sûr qu'il faille continuer à subventionner ainsi la production d'acier. L'activité aluminium semble en revanche plus prometteuse, l'allégement des véhicules allant dans le sens de l'histoire.
Quant à l'hydrogène, j'en suis depuis de longues années un grand fana. Renault a été un précurseur en la matière et mène une veille très active. Je prends le pari que dans quinze ou vingt ans, il constituera une part aussi importante que l'électricité dans la motricité. Si sa combustion ne produit que de l'eau, il a encore une origine fossile, le craquage du méthane : espérons que les recherches, sur l'électrolyse notamment, permettront de réduire les coûts d'un mode de production plus respectueux de l'environnement. Les soutenir massivement serait un bon moyen de reconquérir une forme de souveraineté européenne face aux milliards investis par les pays d'Asie.
Anticiper les problèmes grâce au dialogue social et à l'intelligence du terrain, fondamentale pour l'adhésion de tous, est le seul moyen de garantir la compétitivité de notre industrie et d'éviter d'avoir à régler au dernier moment des situations inextricables. Je ne vous raconte pas d'histoires. J'ai pris suffisamment de risques pour sauver des sites, notamment au regard du délit d'entrave, singularité française qui paralyse encore bien des processus, permettez-moi de vous le dire, Mesdames, Messieurs les députés.
Pour l'utilisation du prêt garanti par l'État, mes engagements devraient vous rassurer. Le rapport que j'ai rédigé avec Mme Nicole Notat est un hymne à la responsabilité de l'entreprise, en matière sociale et environnementale notamment – vous avez eu la gentillesse de vous en inspirer dans la loi PACTE en modifiant le code civil en ce sens. Il est improbable que je m'écarte de cette ligne, je ne pourrais plus me regarder dans une glace sinon. Ajoutons que la représentation des salariés au sein du conseil d'administration de Renault est importante. Toutefois, si je considère que le but d'une entreprise ne se limite pas à réaliser des profits pour ses associés, il faut aussi penser à faire des résultats si l'on ne veut pas qu'elle disparaisse.
Ce prêt sera-t-il suffisant ? Il n'aurait pas été nécessaire sans la pandémie. Celle-ci a eu un impact majeur sur notre trésorerie puisque nous avons décidé de payer tous nos fournisseurs alors même que nous ne vendions presque plus de véhicules. Je tiens à faire cette précision car le fait qu'un plan de redressement de 2 milliards d'euros ait été annoncé peu de temps avant, le 15 février, a créé de la confusion dans les esprits. Si la reprise observée en juin se confirmait, nous le rembourserions très vite. L'été sera une étape décisive. Ce serait pour nous une honte d'avoir à utiliser l'argent du contribuable français car cela signifierait que nous ne sommes pas parvenus à puiser dans nos forces internes.
Pour les véhicules électriques, nous tiendrons notre engagement d'investir 1 milliard d'euros en France. J'avoue que j'ai du mal à comprendre la diabolisation des SUV : en dehors du fait qu'ils correspondent à une demande forte de la part de nos clients, il faut savoir que leur motorisation peut être électrique ou hybride. Attention aussi à ne pas se tromper de combat : une prise en compte plus poussée du poids des véhicules dans les malus écologiques, souvent réclamée, risquerait de nuire aux véhicules électriques car leur batterie est lourde.
Le prêt ne sera pas utilisé pour régler les problèmes structurels de nos usines en France. Celles-ci sont globalement sous-utilisées, ce qui n'est pas soutenable dans la durée. Comment, dans ces conditions, faire face à la concurrence féroce qui fera rage dans le monde de l'après‑covid ? Il est temps de se préparer au tsunami des véhicules électriques chinois en Europe. Pour que nos sites soient compétitifs, ils doivent être pleins comme des œufs. Trouvons ensemble les moyens de nous organiser : les compétences sont là. Nous pouvons le faire de la façon la plus sereine possible socialement. Ne ratons pas cette occasion car nous n'aurons sans doute pas droit à beaucoup d'autres chances. Il est irresponsable de maintenir un statu quo pour se faire plaisir à court terme.
Le problème de Choisy est lié non pas aux personnes qui y travaillent, dont je suis le premier à louer les talents et les compétences, mais à son enclavement. L'usine a été une vitrine de ce que nous savons faire de mieux en termes d'économie circulaire, mais nous devons maintenant donner de l'espace à cette activité pour lui permettre de se déployer dans un écosystème plus large, à Flins, qui serait un centre d'excellence de l'automobile française. Anticipons pour ne pas exposer ce site au risque d'une attrition naturelle.
S'agissant de la marque Alpine, il nous faut réfléchir ensemble à son avenir. Vous conviendrez avec moi qu'il n'est pas satisfaisant qu'une usine produise sept voitures par jour alors qu'elle pourrait en produire trente-deux. Avec M. Luca de Meo, futur directeur général, nous allons travailler à des solutions. Je serais désolé que nous n'en trouvions pas.
Nul « coronawashing » chez Renault : le prêt bancaire est conjoncturel et non pas structurel, je le répète, il n'aurait pas été nécessaire en l'absence de pandémie. J'ai déjà dit les engagements que nous avions pris en matière de dialogue social.
Quant à la participation de l'État, je n'ai jamais milité contre, j'ai simplement dit qu'elle n'était pas à l'ordre du jour. Pour une entreprise du secteur marchand il n'est jamais idéal d'être intégralement sous perfusion de fonds de l'État. Je serais désolé que l'argent public, si précieux et rare, soit investi dans le capital du groupe car cela signifierait soit que l'économie s'est effondrée, soit que notre plan de redressement n'a pu être mis en œuvre. Nous devons compter sur nos propres forces pour générer notre trésorerie. Je n'ose vous dire de combien de milliards nous avons besoin pour accompagner la transition vers les nouvelles technologies et occuper les premiers rangs. Heureusement que nous pouvons compter sur l'Alliance pour partager la charge de ces investissements. Rappelons, par ailleurs, qu'après l'entrée de l'État dans le capital de PSA, le groupe a dû passer par une réorganisation massive pour assurer son avenir. Renault n'en est pas là.
L'exemple du diesel montre que plus on tarde à prendre en compte une demande sociétale, comme la lutte contre la pollution de l'air, plus les conséquences industrielles et sociales sont lourdes.
La clef, au-delà de l'industrie automobile, est effectivement l'anticipation. Aidez-nous à la faciliter. Les conditions du délit d'entrave pourraient être aménagées pour permettre d'anticiper davantage, et avec moins de craintes, sur des sujets qui peuvent avoir des conséquences sociales.
Multiplier par quatre la production des véhicules électriques, ce n'est quand même pas rien. Mon rêve serait de le faire en France dans des usines pleines comme des œufs…
Je suis un fervent partisan du partenariat public-privé. Certains États, comme l'Allemagne, ont donné depuis longtemps des exemples extrêmement fructueux de solidarité sur ce plan. La France, elle, a un peu tardé. J'ai beaucoup travaillé sur ces questions lorsque je coprésidais l'agence de développement économique Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises.
Des réunions doivent avoir lieu à huis clos avec les représentants des salariés, car c'est dans ce cadre que l'intelligence collective se manifeste. Les réunions publiques suscitent une surenchère dans les postures qui est totalement contre-productive. Les négociations sociales visant à coconstruire le projet du groupe Renault doivent se tenir entre la direction de l'entreprise et les représentants des salariés.
Nous avons une relation tout à fait positive et utile avec Daimler. Nous travaillons sur les moyens de développer notre partenariat, comme le souhaite aussi M. Källenius.
Comment voyez-vous l'avenir des sociétés sous‑traitantes, envers lesquelles les grandes entreprises de l'automobile ont clairement une responsabilité sociale et qui sont essentielles pour la vie de nos territoires ?
Vous avez déclaré récemment que la Fonderie de Bretagne n'avait pas vocation à rester dans le groupe Renault, en contradiction avec ce qu'avait annoncé son directeur. Quelles précisions pouvez-vous nous apporter ?
Une partie des 5 milliards d'euros du prêt garanti par l'État ira-t-elle à des investissements ? Par ailleurs, dans combien de temps pensez-vous arriver à redresser le groupe ?
La France doit être en pointe sur les technologies innovantes, par exemple le véhicule V2G ( vehicle-to-grid ). Quelles mesures faudrait-il prendre pour convaincre les constructeurs automobiles d'installer en série des technologies de ce type ? J'aimerais aussi que vous reveniez sur l'« Airbus des batteries ».
L'aide de l'État est soumise à une contrepartie en matière de responsabilité sociale, sociétale et environnementale. Le groupe Renault est-il prêt à associer des entreprises d'ingénierie innovantes dans sa démarche verte et compétitive ?
Nous sommes nombreux à estimer que des rapatriements seraient souhaitables dans certains secteurs stratégiques, dont celui de l'automobile. Aujourd'hui, 82 % de la production de Renault est réalisée hors de France. Qu'envisagez-vous ?
Les fournisseurs et les sous-traitants devront se transformer. Comment votre groupe pourrait-il les accompagner ? Je pense en particulier au développement de la voiture électrique et au label Origine France garantie.
On a trop laissé traîner la question des sous-traitants. La clef, à court terme, est un partenariat aussi approfondi que possible, qui est déjà largement en cours – je regarde très attentivement la politique d'achat du groupe. Il existe un déficit majeur de compétitivité chez nos fournisseurs français. En acceptant cette situation, le donneur d'ordres transpose le problème chez lui… On pourrait réaliser un travail sur les impôts de production, même si c'est délicat, notamment pour les élus locaux. Par ailleurs, la taille des fournisseurs est souvent insuffisante pour assurer leur compétitivité – vous connaissez la question, classique, de la couverture des frais fixes par les volumes. Il va falloir traiter ce problème, comme d'autres pays l'ont fait, en particulier l'Allemagne. C'est compliqué car on a affaire à des personnes, à des familles, qui ont leur entreprise dans leur cœur et dans leurs tripes. Malgré le travail extraordinaire qui est réalisé, les entreprises n'ont pas toujours la taille ni les ressources nécessaires : il faut donc faciliter les regroupements. Cela peut être une solution, y compris dans les domaines les plus sensibles. Il ne sert à rien, sinon à causer du malheur, d'engloutir de l'argent pour maintenir le statu quo.
Vous avez évoqué la Fonderie de Bretagne. Si j'avais des réponses à tout, je serais content de vous en faire part, mais on ne peut pas demander une coconstruction et souhaiter que le patron ait des solutions toutes faites : permettez-moi de m'en tenir à la logique du dialogue social. Cette société n'a pas vocation à rester dans le groupe Renault, mais nous ferons tout notre possible pour aider les équipes concernées à trouver un avenir professionnel positif.
J'aimerais pouvoir vous dire quand le groupe Renault parviendra à se redresser. Nous faisons ce qu'il faut pour aller dans le bon sens – il y a une certaine urgence à agir… Le plan que j'ai exposé est assez offensif, mais ce n'est pas le futur plan stratégique de Renault, qui sera probablement publié à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. Nous y travaillerons avec le nouveau directeur général, M. Luca de Meo. Il s'agira notamment d'établir notre stratégie en ce qui concerne les marques et les projets d'avenir dans le cadre de l'Alliance. Nous y verrons alors plus clair sur le moment où Renault pourra reprendre le dessus. Nous allons tout faire pour y parvenir le plus vite possible.
Des start-up travaillent déjà avec le groupe, notamment sur les technologies innovantes, et nous allons continuer à associer, voire à intégrer, des entreprises qui peuvent nous apporter une force supplémentaire.
En ce qui concerne la production de Renault hors de France, j'ai la responsabilité de faire évoluer la situation, mais ce n'est pas une raison pour abandonner le monde extérieur. Une de nos forces est d'avoir le groupe Dacia ou le groupe Avtovaz, en Russie, où nous avons des parts de marchés considérables. Je ne vais certainement pas remettre en cause notre dimension internationale. Pour autant, un mouvement de fond a été engagé, puisque nous avons pris la décision de suspendre tous les projets d'extension de capacités au Maroc et en Roumanie et d'organiser des rapatriements, notamment des boîtes de vitesse depuis la Slovénie. Par ailleurs, nous réfléchissons à une réorganisation de nos lignes de production en Russie afin de les rendre plus efficientes. Tout a été passé au peigne fin.
Nous émettons le signal, très fort, que l'objectif est de rendre l'ensemble de nos sites compétitifs, y compris en France. Rapatrier à Cléon le projet de moteur électrique que nous devions réaliser en Chine n'est pas qu'un symbole. Je défends avec passion la création de deux grands pôles d'excellence à Flins et dans les usines du Nord. En rendant nos sites compétitifs en France, nous allons y attirer des véhicules supplémentaires. Il n'est pas possible que nos sites soient à ce point sous-utilisés : aucun industriel au monde ne pourrait rester sans réagir face à une telle situation. Nous pouvons gagner si nous nous y mettons tous. Il n'est pas très facile de faire bouger un bateau de la taille de Renault, surtout dans le cadre d'une alliance telle que la nôtre, mais nous sommes en train d'y arriver.
S'agissant du label Origine France garantie, je ne suis pas capable de vous répondre pour le moment. Il faudrait regarder les conditions prévues, mais je ne pense pas qu'il y aurait de grandes difficultés.
Voilà ce que je pouvais vous dire. Je l'ai fait, je vous prie de me croire, avec une sincérité absolue, sans rien vous cacher.
Merci. Nous vous souhaitons bon courage dans cette période difficile. Je pense, personnellement, que nous avons un bon capitaine pour affronter la tempête qui va se poursuivre.