Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, rapporteur :

Merci pour cette entrée en matière ! Vous teniez à préciser les choses ; moi, je commencerai par exprimer ma stupéfaction…

Dans votre exposé sommaire, Monsieur Perea, vous affirmez que cet article est rédigé de façon approximative ; il ferait mention d'une chasse « à cor » qui n'existe pas. Mais l'article L. 424-4 du code de l'environnement mentionne la chasse à courre, à cor et à cri, par opposition à la chasse dite à tir – les trois vont ensemble, c'est le terme juridique. Où avez-vous trouvé mention d'une chasse « à cor » ou d'une chasse « à cri » dans mon texte ? Nous parlons systématiquement de « chasse à courre, à cor et à cri » dans ce texte, en toute cohérence avec les dispositions du code de l'environnement.

Monsieur Corceiro, vous me montrerez aussi en quoi l'article 4 traite de la chasse en général. Il n'y est fait mention que de la chasse à courre, à cor et à cri, des modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels, et de la vénerie sous terre. L'article 4 a été rédigé précisément pour ne pas s'attaquer à la chasse dans son entièreté, mais pour isoler des pratiques qui relèvent de souffrances évitables ou de traditions qui, pour diverses raisons, ont fait leur temps.

Je vous remercie, Monsieur Perea, d'avoir bien insisté sur le fait que la question de la régulation ne se pose pas en la circonstance : on entend souvent cet argument dans la défense de la chasse à courre ou de la vénerie sous terre. Et pour revenir à l'imprécision, il m'a semblé voir passer récemment un argumentaire, envoyé aux députés, expliquant que cet article s'attaquerait à la pratique de la chasse aux chiens courants. Vous l'avez dit vous-même : l'article 4 ne fait nulle mention des chiens courants et ne change rien à l'usage du chien courant pour la chasse à tir.

Vous avez raison de dire que les chasses dont il est question représentent une toute petite partie des prélèvements – 5 à 7 %, au total, moins de 1 % pour la chasse à courre. Les arguments sont ailleurs, et d'abord dans la cruauté et la souffrance évitable. On ne saurait en douter en voyant les images de ce cerf acculé à Compiègne, que j'évoquais ce matin. L'animal a été traqué, longuement. À ceux qui soutiendraient que son état s'explique par les réflexes, une réaction physiologique normale, que l'animal est entraîné à résister à une telle poursuite, je réponds que l'état de ces animaux a été vérifié scientifiquement : on a fait des prélèvements sur une bête qui venait d'être abattue, on a dosé le cortisol, on a bien relevé des anomalies au niveau des globules blancs, on a bien vu qu'elle n'était pas du tout dans son état normal – le bon sens aurait suffi. A-t-on le droit, pour maintenir une tradition, une culture certes, d'agir ainsi aux dépens d'un animal, de le traquer et de le faire à l'évidence souffrir ?

La société a évolué sur ce point. Il fut un temps où l'on considérait cette pratique comme légitime et inscrite dans une démarche naturelle ; ce n'est plus le cas. Les sondages vont dans ce sens : depuis des années, 80 % des Français se disent opposés à la chasse à courre. Le chiffre est stable, et le même chez urbains et chez ruraux : ce n'est pas du tout une question de culture rurale.

S'agissant des pratiques qu'évoque M. Aubert, il n'est qu'à voir la démographie : quand on a perdu un tiers de nos oiseaux champêtres en une quinzaine d'années, encourager les chasses aux oiseaux est bien la dernière chose à faire… Qui plus est, ces chasses ne sont pas sélectives. Le petit piège, le petit filet, le lacet, qu'il s'appelle la matole, la pante, la tenderie ou le gluau, selon le territoire où vous vous trouvez, ne choisit pas de capturer une grive plutôt qu'un autre oiseau.

Enfin, cela fait quarante ans que l'Union européenne a banni ces pratiques, quarante ans que la France est dans l'illégalité, ou plutôt dans un régime dérogatoire : c'est culturel, c'est le fait de personnes âgées, cela finira par passer, continuons, continuons… Mais quarante ans, cela fait deux générations ! Voulons-nous être les derniers en Europe à maintenir ces usages, à une époque où l'harmonie avec la nature et la diminution des souffrances sont perçues par toute la société comme des principes fondamentaux ?

Nos voisins ont tous interdit la chasse à courre, y compris l'Angleterre, censée être la patrie de la chasse et des traditions, en 2005, il y a déjà quinze ans. Les temps, la société, l'empathie à l'égard les animaux, les attentes de la société changent. Nous avons besoin de nous concentrer sur des pratiques respectueuses des animaux comme de la culture, qui nous est si chère. Nous devons certes la mettre en valeur, mais pas au préjudice de la biodiversité ni d'un animal aux dépens duquel nous nous amusons.

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