La commission des affaires économiques a poursuivi l'examen de la proposition de loi relative à de premières mesures d'interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrances chez les animaux et d'amélioration des conditions de vie de ces derniers (n° 3293) (M. Cédric Villani, rapporteur).
Article 4 (articles L. 424-4 et L. 428-3-1 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) : Interdiction de la chasse à courre, pratiques équivalentes et chasses dites traditionnelles
La commission examine les amendements identiques CE18 de M. Alain Perea, CE20 de M. Julien Aubert et CE30 de M. David Corceiro.
Monsieur le rapporteur, j'ai écouté ce matin avec beaucoup d'intérêt vos propos et leurs nombreuses références à la littérature et la statistique. Après toutes les théories que vous avez citées sur la chasse à courre, je m'étonne que vous n'ayez pas rappelé que la chasse est, avec la religion et l'amour, le thème qui depuis toujours a le plus inspiré les artistes…
À l'approche très théorique que vous avez de la chasse, pour donner le change, si vous m'autorisez cette expression issue de la chasse à courre, je voudrais opposer le travail que je mène depuis des années sur le terrain, avec les chasseurs, qu'ils chassent à courre ou autrement.
Les chasses que vous voulez interdire ont un point commun : elles n'ont pas d'incidence sur la régulation des populations animales. Mais lorsque l'on rencontre les chasseurs et que l'on connaît ce monde, on se rend compte que la chasse est avant tout un sujet culturel. Peu importe qu'elle ne concerne pas la majorité de la population française, urbaine ou rurale : notre pays se doit de s'occuper des cultures, qu'elles soient minoritaires ou majoritaires.
Cet article 4, outre qu'il manifeste un déni de la culture d'une partie de sa population, fourmille de contresens et d'erreurs. Vous proposez par exemple d'interdire la chasse à cor, qui n'existe pas. Vous ne posez pas la question de la chasse aux chiens courants, alors qu'il s'agit d'un enjeu important. Enfin, au motif d'interdire les pratiques cruelles à l'endroit des animaux, vous vous en prenez à des activités sans lien avec les animaux, comme la poursuite de leurres.
Pour toutes ces raisons, je ne propose par mon amendement CE18 de supprimer l'article 4.
Mon amendement CE20 a le même objet. Je crains que l'on applique ici la « technique du salami », bien connue de la dictature soviétique après 1945 : on commençait par éliminer les opposants de droite, puis du centre, puis les socialistes. À la fin, il ne restait plus que les communistes… Là, on s'attaque d'abord à la chasse à courre, puis à telle autre, puis à telle autre… Un jour, toutes les chasses finiront par être interdites.
Nous devons avoir un débat clair. N'étant pas chasseur, je peux comprendre ceux qui estiment que la chasse est une pratique barbare ; ce que je n'admets pas, c'est que, sous des prétextes fallacieux, on tente d'interdire la chasse en faisant mine de ne pas le vouloir, comme on le fait pour les chasses traditionnelles.
Parmi celles-ci, la chasse à la glu, pratiquée dans cinq départements de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, a fait les choux gras de la presse, avant d'être interdite tout récemment. Elle ne saurait être comparée à la chasse à courre ; ce n'est d'ailleurs pas une chasse à proprement parler, mais plutôt une technique de capture qui existe depuis les Grecs. Les oiseaux capturés servent ensuite d'appelants – nous ne sommes pas des barbares, nous ne les mangeons pas embrochés vivants… On ne les tue pas, on les garde. C'est pourquoi je souhaiterais que nous restions objectifs.
La question au cœur de notre débat est de savoir comment concilier le respect de traditions qui peuvent être minoritaires avec la règle démocratique, sans tomber dans l'intolérance. L'article 4 essaie de se saisir d'un sujet symbolique, mais sans réfléchir d'abord à la relation de l'homme à l'animal sauvage, notamment à la place de la chasse dans notre culture, nos traditions, et à son importance pour la vie du monde rural où elle reste en hiver la principale activité. C'est une réalité, peut-être méconnue par les urbains.
Vous excuserez ma naïveté de jeune parlementaire, mais la qualité de nos échanges de ce matin m'avait donné le sentiment que nous œuvrions tous pour le bien-être animal. Malheureusement, ce sentiment, je l'ai perdu en lisant l'article 4 et tout ce qu'il englobe : il n'aboutit qu'à diviser encore plus les Français, entre les pour et les contre la chasse. Même si le fondement du projet de loi est bienveillant, dans la période que nous traversons, il est crucial de ne pas prendre de mesures qui viendraient opposer, une fois de plus, les Français. Je le dis d'autant plus simplement que je ne suis pas chasseur. C'est pourquoi je demande, par mon amendement CE30, la suppression de cet article.
Merci pour cette entrée en matière ! Vous teniez à préciser les choses ; moi, je commencerai par exprimer ma stupéfaction…
Dans votre exposé sommaire, Monsieur Perea, vous affirmez que cet article est rédigé de façon approximative ; il ferait mention d'une chasse « à cor » qui n'existe pas. Mais l'article L. 424-4 du code de l'environnement mentionne la chasse à courre, à cor et à cri, par opposition à la chasse dite à tir – les trois vont ensemble, c'est le terme juridique. Où avez-vous trouvé mention d'une chasse « à cor » ou d'une chasse « à cri » dans mon texte ? Nous parlons systématiquement de « chasse à courre, à cor et à cri » dans ce texte, en toute cohérence avec les dispositions du code de l'environnement.
Monsieur Corceiro, vous me montrerez aussi en quoi l'article 4 traite de la chasse en général. Il n'y est fait mention que de la chasse à courre, à cor et à cri, des modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels, et de la vénerie sous terre. L'article 4 a été rédigé précisément pour ne pas s'attaquer à la chasse dans son entièreté, mais pour isoler des pratiques qui relèvent de souffrances évitables ou de traditions qui, pour diverses raisons, ont fait leur temps.
Je vous remercie, Monsieur Perea, d'avoir bien insisté sur le fait que la question de la régulation ne se pose pas en la circonstance : on entend souvent cet argument dans la défense de la chasse à courre ou de la vénerie sous terre. Et pour revenir à l'imprécision, il m'a semblé voir passer récemment un argumentaire, envoyé aux députés, expliquant que cet article s'attaquerait à la pratique de la chasse aux chiens courants. Vous l'avez dit vous-même : l'article 4 ne fait nulle mention des chiens courants et ne change rien à l'usage du chien courant pour la chasse à tir.
Vous avez raison de dire que les chasses dont il est question représentent une toute petite partie des prélèvements – 5 à 7 %, au total, moins de 1 % pour la chasse à courre. Les arguments sont ailleurs, et d'abord dans la cruauté et la souffrance évitable. On ne saurait en douter en voyant les images de ce cerf acculé à Compiègne, que j'évoquais ce matin. L'animal a été traqué, longuement. À ceux qui soutiendraient que son état s'explique par les réflexes, une réaction physiologique normale, que l'animal est entraîné à résister à une telle poursuite, je réponds que l'état de ces animaux a été vérifié scientifiquement : on a fait des prélèvements sur une bête qui venait d'être abattue, on a dosé le cortisol, on a bien relevé des anomalies au niveau des globules blancs, on a bien vu qu'elle n'était pas du tout dans son état normal – le bon sens aurait suffi. A-t-on le droit, pour maintenir une tradition, une culture certes, d'agir ainsi aux dépens d'un animal, de le traquer et de le faire à l'évidence souffrir ?
La société a évolué sur ce point. Il fut un temps où l'on considérait cette pratique comme légitime et inscrite dans une démarche naturelle ; ce n'est plus le cas. Les sondages vont dans ce sens : depuis des années, 80 % des Français se disent opposés à la chasse à courre. Le chiffre est stable, et le même chez urbains et chez ruraux : ce n'est pas du tout une question de culture rurale.
S'agissant des pratiques qu'évoque M. Aubert, il n'est qu'à voir la démographie : quand on a perdu un tiers de nos oiseaux champêtres en une quinzaine d'années, encourager les chasses aux oiseaux est bien la dernière chose à faire… Qui plus est, ces chasses ne sont pas sélectives. Le petit piège, le petit filet, le lacet, qu'il s'appelle la matole, la pante, la tenderie ou le gluau, selon le territoire où vous vous trouvez, ne choisit pas de capturer une grive plutôt qu'un autre oiseau.
Enfin, cela fait quarante ans que l'Union européenne a banni ces pratiques, quarante ans que la France est dans l'illégalité, ou plutôt dans un régime dérogatoire : c'est culturel, c'est le fait de personnes âgées, cela finira par passer, continuons, continuons… Mais quarante ans, cela fait deux générations ! Voulons-nous être les derniers en Europe à maintenir ces usages, à une époque où l'harmonie avec la nature et la diminution des souffrances sont perçues par toute la société comme des principes fondamentaux ?
Nos voisins ont tous interdit la chasse à courre, y compris l'Angleterre, censée être la patrie de la chasse et des traditions, en 2005, il y a déjà quinze ans. Les temps, la société, l'empathie à l'égard les animaux, les attentes de la société changent. Nous avons besoin de nous concentrer sur des pratiques respectueuses des animaux comme de la culture, qui nous est si chère. Nous devons certes la mettre en valeur, mais pas au préjudice de la biodiversité ni d'un animal aux dépens duquel nous nous amusons.
Chers collègues, n'entretenez pas la confusion par vos arguments. L'article 4 n'est pas anti-chasse : il va uniquement contre les pratiques dites traditionnelles, même si le mot est peu adapté. Puisque M. Perea nous invite à la précision – M. Cédric Villani en a fait preuve dans sa réponse –, débattons du contenu de l'article, travaillons dans le détail, par exemple sur la liste des pratiques concernées. Est-elle trop complète ou trop courte ? Faut-il autoriser certaines techniques alternatives comme la chasse au leurre, sans mise à mort d'un animal ? Nous ne pouvons pas rester aussi en retard. Des solutions alternatives existent, dont nous devons discuter – je l'ai fait avec les chasseurs à courre de ma circonscription. La France a quinze ans de retard, y compris sur l'Angleterre. Les Françaises et les Français sont choqués par les images qu'ils découvrent, comme celles de ce cerf acculé à Compiègne, ou de vénerie sous terre, en particulier de chasse aux blaireaux et aux renards.
Nous devons avancer sur ces sujets, tout en maintenant le débat sur ce dont il est réellement question dans cet article : la fin de certaines pratiques cruelles, improprement appelées « traditionnelles », qui ne respectent pas le bien-être animal.
Je ne crois pas qu'il faille légiférer contre ces pratiques au motif que nos voisins l'auraient fait, ni céder au sentimentalisme et à de grandes images qui suscitent l'émotion. À Compiègne, le responsable de la chasse s'est particulièrement mal comporté, et ce n'était pas la première fois qu'il faisait preuve d'un comportement déviant : il doit être sanctionné, mais la sanction ne doit viser qu'une seule personne. En tant que législateur, nous devons faire confiance aux acteurs, même si certains ont des comportements inadmissibles. Les chasseurs, avec lesquels j'ai longuement discuté, en ont parfaitement conscience.
Cet article laisse de côté certains sujets, notamment le statut des conducteurs de chiens de sang, qui varie en fonction des schémas cynégétiques départementaux. Leur métier consiste à traquer les animaux blessés dans les forêts, souvent à la suite d'un choc avec un véhicule automobile. Ces animaux souffrent et sont incapables de survivre dans les bois. Ce qui pose, là aussi, la question du bien-être animal.
Plus généralement, il faut prendre en compte le contexte économique, particulièrement préoccupant. Les conséquences de cet article en seront d'autant plus lourdes et bon nombre de personnes se retrouveront au chômage. Est-ce vraiment la priorité du moment ?
Chaque année, 75 millions d'oiseaux sont tués par des chats quand la chasse à la glu représente un quota de 35 000, en diminution d'année en année. Ne venez pas me dire, Monsieur le rapporteur, que la mort des oiseaux est liée à la chasse à la glu. Je pourrais vous suivre, à la limite, si les oiseaux capturés étaient tués ; on pourrait craindre une disparition d'espèces. Or il ne s'agit pas d'une chasse, mais d'une capture sélective : quelqu'un surveille les gluaux et libère les oiseaux qui ne l'intéressent pas – il faut une grive pour la chasse à la grive, capturer les autres oiseaux ne sert à rien.
Qui plus est, on oublie que les postes de surveillance de la chasse à la glu sont utiles, y compris pour la régulation, car les chasseurs à glu sont les seuls à venir dans ces espaces désolés, et à les débroussailler. Ils font par ailleurs d'excellentes vigies contre les incendies, et leur rôle ne s'arrête pas là.
Il ne faut donc pas vendre l'interdiction de la chasse à la glu comme la réponse à la mortalité des oiseaux. Effectivement, certains chasseurs ne respectent pas les règles. Ce sont eux qu'il faut sanctionner, et non interdire la pratique à tous à cause de la faute de quelques-uns.
Quant à l'argument de notre retard par rapport à nos voisins, sa logique m'échappe. Je n'appelle pas à une uniformisation de tous les modes, de toutes les cultures, de toutes les traditions : ce qui fait la richesse de l'Europe, c'est précisément le fait qu'elle est diverse ; ce qui tue l'Europe, c'est l'idée d'en faire un espace aseptisé où chaque pays ne parlerait plus que d'économie et s'efforcerait de ressembler aux autres. Je soutiens que la chasse à la glu n'a rien à voir avec la chasse à courre et que cette tradition ne tue pas les oiseaux.
Il interdit pourtant bien la chasse des oiseaux de passage par l'utilisation des modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels !
En 2008, les chasseurs avaient été exclus du Grenelle de l'environnement ; en 2012, ils ont été réintégrés dans le dialogue environnemental, en particulier sur la biodiversité. Il est regrettable que les évolutions récentes, particulièrement dans les choix du Gouvernement, nous ramènent des années en arrière et marquent un recul par rapport à tout ce qui commençait à bouger dans le discours et les actions des chasseurs sur la nécessaire protection de certains espaces protégés, ou leur rôle dans la protection des milieux et des habitats. Dans ma circonscription, essentiellement rurale, nous faisons un excellent travail avec la fédération de chasse pour planter des haies, et amener le monde agricole à abandonner des pratiques destructrices de la biodiversité.
Nous en reparlerons lundi, mais la loi de 2016 interdisant les néonicotinoïdes avait été adoptée ici même avec les voix de certains collègues très engagés dans la défense de la chasse : ils avaient compris que, sans les insectes, fondements de la biodiversité, l'ensemble des écosystèmes s'effondrent : sans insecte, il n'y a pas de petit gibier, disaient-ils.
Défendre systématiquement toutes les pratiques, y compris les plus cruelles ou celles qui choquent parce qu'elles ne sont pas sélectives, me paraît dangereux et conduit à une impasse. Car cette défense en bloc ne pourra que nourrir dans la société un rejet en bloc de la chasse, une incompréhension de ce qu'elle est historiquement en France depuis la Révolution française, et du rôle qu'elle pourrait jouer dans la reconstruction de certains écosystèmes, particulièrement dans les territoires ruraux.
Je vous mets donc en garde contre les conséquences du blocage que vous induisez face à des demandes incontestables de la société, qu'il s'agisse de la chasse à la glu ou de la chasse à courre.
L'article 4 aborde des sujets de société. Or notre société s'interroge sur son rapport à la chasse, notamment à la chasse à courre, qui a fait l'actualité. J'ai du mal à imaginer l'enfant des années 1980 que j'étais, et le père de famille que je suis, qui a vu ces images de chasse à courre, défendre auprès de ses propres enfants l'idée qu'un cerf puisse venir mourir de faiblesse devant des caméras. En tant que parlementaire, je ne peux m'exonérer d'une discussion dans l'hémicycle sur ce sujet, comme nous l'avons ouverte ici. J'ai du mal à m'expliquer comment on pourrait refermer ce débat en adoptant simplement des amendements de suppression. Pour ce qui me concerne, je ne les voterai pas.
Je souhaiterais interroger tout à la fois les auteurs de la proposition de loi et les défenseurs de la chasse à courre et de la chasse traditionnelle sur l'interdiction généralisée que prévoit l'article 4.
Les pratiques de chasse, l'idée de traquer un animal interpellent. Se pose également la question de sa mise à mort. Plutôt que d'en généraliser l'interdiction, ne devrions-nous pas interroger ces pratiques pour mieux les cerner et opérer une transition, par voie législative ou réglementaire ? En l'état, l'adoption de l'article 4 conduira à un arrêt brutal, dont on peut imaginer qu'il soulèvera bien des difficultés dans tous les territoires, notamment ruraux. Certains d'entre nous sont interpellés par celles et ceux qui pratiquent ce type de chasse.
Notre groupe, je l'ai dit dans la discussion générale, est plutôt favorable à une transition, terme que M. le rapporteur a utilisé à de nombreuses reprises. Je souhaite que nous puissions trouver les voies et moyens de cette transition, ce que ne permettra pas l'adoption de l'article 4.
Je reviens sur l'affaire de Compiègne. Il faut savoir que les cerfs et, plus globalement, tous les gibiers, suivent des chemins de fuite. Les premiers à les retracer étaient les chasseurs, non des écologistes. Depuis des générations, il est démontré que le gibier fuit toujours par le même chemin. Et là, comme par hasard, une maison était en train de se construire sur le chemin de fuite du cerf… Certes, ces images choquent, mais posons-nous aussi la question de l'urbanisation. Et demandons-nous pourquoi, dès qu'une chasse est organisée, une foule de gens arrivent avec des caméras, pour filmer en permanence et même pour frapper les chiens !
Je suis prêt à regarder ces images avec vous, à les analyser avec ma connaissance de la chasse à courre. Peut-être, cher collègue, parviendrez-vous alors à expliquer différemment cette culture et cette tradition à vos enfants. Nous sommes capables de défendre bec et ongles certaines cultures dans notre pays qui ont des conséquences autrement plus néfastes !
Quant à l'interdiction de la chasse à courre en Angleterre, rappelons qu'elle n'avait rien à voir avec la problématique de la cruauté animale : il s'agissait d'un acte politique fort, d'un vote qui sanctionnait un affrontement entre la gauche et la droite anglaises. Ne cherchons pas à le récupérer en faisant croire que les Anglais étaient en avance sur nous dans le domaine de la condition animale. Et puis, ils ont voté le Brexit…
En sens inverse, devons-nous interdire les élevages de visons – nous l'avons fait ce matin, et j'en suis d'accord – alors que d'autres pays européens en ont toujours ? Pourquoi ne fait-on pas comme eux ? Sur ces questions, comparaison n'est pas raison.
Enfin, s'il existe une chasse vraiment sélective, c'est bien la chasse à courre. Monsieur le rapporteur, vous avez défendu ce matin le droit pour les animaux sauvages de courir. Mais on chasse à courre de nombreux animaux, depuis le lièvre jusqu'au cerf – vous en parlez beaucoup, mais le cerf est finalement très peu chassé à courre. Vous défendez tout et son contraire.
Vous nous avez invités ce matin à ne pas bâtir de murs entre les hommes et les animaux. J'aimerais qu'on ne bâtisse pas des murs entre les hommes…
Mme Blin l'a dit, nous n'avons pas à imiter les pays européens qui ont interdit la chasse. Or la France a voté ces interdictions il y a déjà longtemps. Notre collègue Typhanie Degois, qui a récemment présenté un excellent rapport sur le sujet à la commission des affaires européennes, a remarqué que la France était championne des dérogations pour la chasse : elle en a obtenu deux fois plus que les autres pays, bien qu'elle ait voté les lois d'interdiction. Serons-nous le dernier pays d'Europe à défendre des pratiques particulièrement cruelles ?
M. Perea parle de culture. Mais la ruralité évolue, ce qui pose la question du vivre ensemble des chasseurs, des cultivateurs, des néoruraux, qui – heureusement – viennent à nouveau habiter dans les campagnes. Nous ne pouvons pas permettre à une catégorie de se livrer à des pratiques condamnées par l'Europe entière, quand d'autres n'en veulent pas. À un moment donné, il faudra bien nous pencher sur ces sujets, pour définir les chasses dont on veut, et celles dont on ne veut pas. Il y a des chasses respectueuses ; j'ai fait partie du groupe d'études parlementaire sur la chasse, mon mari et mes enfants sont chasseurs. J'ai habité vingt ans en Espagne, j'ai vu des corridas à ne plus savoir qu'en faire lorsque j'étais enfant : cela faisait partie de la culture. Mais aujourd'hui, je ne pourrais plus les voir de la même façon. J'ai également vu des chasses au blaireau ; mais comme le dit notre collègue Anthony Cellier, jamais je ne pourrai montrer cela à mes petits-enfants. Nous évoluons. La culture et la tradition, ce n'est pas fixe : c'est quelque chose qui évolue avec le temps et la sensibilité, et c'est bien pour cela que nous avons voté en 2015 une loi qui voit dans l'animal non plus une chose mais un être sensible.
Ne nous accrochons donc pas à une chasse que tous repoussent. Certains chasseurs sont respectueux des règles, d'autres moins – on a plusieurs fois tiré dans ma direction… Essayons de faire évoluer les pratiques vers une chasse respectueuse de la nature, des animaux et des règles.
De nombreux arguments ont été avancés, sur lesquels je peux parfois vous rejoindre. Mme Blin nous a ainsi invités à protéger les conducteurs de chiens de sang : je ne suis pas contre, il faut encourager les bonnes pratiques, surtout s'il s'agit de retrouver des animaux abîmés accidentellement par des voitures.
Ma collègue Yolaine de Courson l'a dit, on peut avoir une visée écologiste d'harmonie avec la nature sans forcément être contre la chasse. Dans son ouvrage des années 1960, Rachel Carson, pionnière de l'écologie, reconnaissait d'ailleurs qu'il était légitime que les chasseurs aient accès à un petit gibier, et invitait à lutter contre le pesticide DDT qui l'empoisonnait. Cela rejoint ce que disait Mme Batho sur l'analyse des députés chasseurs ayant voté, à juste titre, l'interdiction des néonicotinoïdes en 2016.
Il s'agit donc non pas de s'opposer en bloc à la chasse mais de travailler pratique par pratique, en commençant par la chasse à courre. Si j'ai bien compris ce que disait M. Perea, je devrais me réjouir que le cerf puisse courir lorsqu'il est poursuivi par les chasseurs, de la même façon que je déplorais ce matin que le lapin n'ait pas le droit de gambader… L'argument me paraît fragile ! Je ne suis pas certain de pouvoir l'expliquer à mes enfants…
Il semble aussi regretter que des caméras aient été présentes au mauvais moment à Compiègne. Ah oui, c'est dommage ! Il y a quelques jours, le président Willy Schraen donnait instruction aux chasseurs, via la fédération nationale des chasseurs, de ne pas diffuser d'images de tableaux de chasse par trop fournis. Il a raison : mieux vaut cacher les choses quand on ne veut pas qu'elles se sachent… Je ne suis pas sûr que l'argument soit très fort dans une société où tout se sait et où nous avons besoin de transparence. Et de la transparence sur la chasse à courre, il y en a eu : en 2010, l'association One Voice avait réalisé un reportage d'infiltration bien documenté sur ses pratiques ; on y voyait des faons dévorés vivants, des animaux noyés, assommés… Superbe ! Mais cela ne faisait pas très ami de la nature !
Du reste, les mêmes, autrement dit les représentants de la fédération nationale des chasseurs, ont assumé cette cruauté lors de leur audition, expliquant que la nature, elle aussi, est cruelle et que l'équipage de chiens de courre reproduit la meute de loups. Mais se prendre pour une meute de loups et partir à la chasse, est-ce un projet pour l'humanité, en 2020 ? Il y a bien d'autres moyens et d'autres façons d'apprécier la nature, de la parcourir, de l'aider, de faire tout le travail que décrivait M. Aubert, que de dresser une meute de chiens à attaquer sauvagement un animal sans défense.
Pour ce qui est de l'argument du chômage, certaines associations avancent que la chasse à courre représenterait environ un millier d'emplois ; mais à une époque où l'on a tant besoin de bras pour entretenir notre patrimoine, je ne suis pas sûr qu'ils soient forcément plus utiles d'aller tout bousculer, déranger les habitants des villes voisines ou les promeneurs dans les champs. Je le répète : 80 % des Français sont opposés à la chasse à courre, y compris dans les campagnes.
L'argumentation de M. Aubert est intéressante et, comme toujours, rigoureuse. Le volume des prélèvements n'est certes pas très important mais dans une situation d'effondrement, mieux vaut à mon sens s'en abstenir totalement : ce n'est pas parce que les chats sont très meurtriers pour les oiseaux que les humains doivent l'être aussi.
Les pratiques, quant à elles, sont variables : les appelants, explique-t-il, sont relâchés après la prise du gibier. C'est tout de même étrange : on va tuer tout un paquet d'oiseaux qu'on a attirés, et relâcher celui qu'on avait pris au départ… Mais il y a d'autres pratiques : dans les Ardennes, on pratique la tenderie, un mode de chasse qui consiste à capturer la grive au moyen de lacets qui étranglent les oiseaux, littéralement pendus. Nous nous situons là exactement dans le registre de la souffrance gratuite, sans finalité ni intérêt.
Quant à la vénerie sous terre, personne ne s'est levé pour la défendre… Le front de ceux qui prétendent que la chasse est un bloc s'effrite également dans le débat parlementaire. C'est vraiment une pratique d'un autre temps : on creuse, on envoie des chiens sous terre qui acculent le blaireau ou le renard…
Il se tue vingt fois plus de blaireaux et de renards par battues administratives que par vénerie sous terre, où le prélèvement est négligeable. Ce n'est donc pas un argument.
Selon les statistiques de l'Office national des forêts (ONF) et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), 2 000 blaireaux environ sont capturés par vénerie sous terre, pour 20 000 et quelques tués dans le cadre de la chasse à tir ou régulés lors de battues.
Sans compter que la régulation des renards n'est pas forcément une bonne idée : les renards régulent les campagnols et certains rongeurs porteurs de maladies, ce qui en fait les alliés de bien des agriculteurs. De plus, lorsqu'ils sont chassés, les renards ont tendance à devenir plus prolifiques et à se répandre un peu partout.
Là encore, la plupart de nos voisins – Espagne, Pays-Bas, Belgique, Grande-Bretagne, Suisse, Portugal – ont interdit la vénerie sous terre et ne s'en portent pas plus mal : leurs éleveurs et agriculteurs ne se voient pas spécialement assaillis par les blaireaux et les renards.
Enfin, nous avons vu les images : les animaux sont souvent assommés à coups de barre de fer, de pelles, de pinces. Comme M. Cellier, je suis incapable d'expliquer à mes enfants pourquoi, en tant que législateurs, nous ne pourrions pas mettre fin à ces pratiques.
Vous ne pourriez pas donner d'explication à vos enfants, Monsieur le rapporteur, mais n'y a-t-il rien d'autre, dans notre société, susceptible de les heurter ? Je ne pense pas que ce soit la pratique de la chasse qui les choquera le plus !
M. Cellier a-t-il déjà participé à une chasse, sait-il quel en est le public, qu'il s'y trouve des familles et des enfants ? Je ne suis pas chasseur moi-même mais j'en ai rencontré beaucoup : je sais que la chasse est aussi un vecteur de lien social dans nos villages.
Enfin, sans lancer un grand débat sur l'urbanisation, peut-on se demander si les points de vue et les comportements des zones urbaines doivent forcément influer sur la vie de nos villages ? Certaines traditions sont peut-être étrangères aux citadins, mais appartient-il au législateur de les interdire ? Au-delà de la question de la chasse, nos décisions ont une portée générale. Or on interdit tout ! Nous devons sanctionner, durement s'il le faut, les comportements déviants, mais sans coller pour autant la même étiquette à tout le monde. La maltraitance animale doit être combattue, mais les traditions doivent perdurer.
Nous ne respectons pas la loi européenne, ai-je entendu. Mais il n'y a pas de loi européenne : il y a une loi nationale, votée par le Parlement français, détenteur de la souveraineté nationale. Ce n'est pas parce qu'une directive européenne approuvée par des exécutifs se retrouve, dans la hiérarchie des normes, supérieure à la loi, grâce à une Constitution votée par le peuple, que cela en fait une loi.
M. Cellier dit ne pas savoir comment expliquer tout cela à ses enfants. Il n'a qu'à allumer sa télévision pour voir la violence du monde… Ce n'est pas en niant la violence de la nature et en essayant de couper les sociétés urbanisées de ce qu'est le monde que nous aiderons nos enfants à le comprendre.
Monsieur le rapporteur, je ne parle pas des lacets des Ardennes mais des gluaux. On ne capture pas des oiseaux à la glu pour le plaisir de tuer, mais pour chasser. Ceux qui tuent pour le plaisir, nous les appelons chez nous les « viandards ». Et les chasseurs sont les premiers à les combattre.
Enfin, au lieu de chercher à faire la loi en graduant les sensibilités – ma sensibilité est plus grande que la tienne, et comme on est plus nombreux, on va te l'imposer –, restons-en à ce vieux principe : la liberté des uns s'arrête où commence celle des autres, car le principe d'égalité s'applique entre êtres humains. La chasse doit s'arrêter là où débutent la propriété privée et la liberté de ceux qui veulent se promener en toute quiétude. La chasse n'a pas à être pratiquée sans limite. En revanche, les propos que j'ai entendus sur la corrida illustrent parfaitement ce que j'ai appelé la « technique du salami ». Nous arriverons sans doute un jour à ce type de débat sur ce qui, en l'occurrence, ne relève pas d'une tradition, mais d'une culture.
Vos propos sur les caméras et sur ce qui devrait rester caché, Monsieur le rapporteur, montrent que vous n'avez pas compris ce qu'a dit M. Perea, à moins que vous n'ayez fait semblant de ne pas le comprendre.
Vous savez fort bien qu'il y a dans le lobby – parce que c'en est un – anti-chasse une forme d'agressivité et d'hostilité à toute forme d'exploitation des animaux. Politiquement, j'estime qu'il faut se battre contre ces formes de militantisme, qui instrumentalisent le particulier pour faire croire que c'est une généralité. C'est dans ce sens que M. Perea a relevé la présence de caméras au moment opportun, dans le seul but de faire du buzz à partir d'un fait isolé, certes objectivement choquant.
Je suis très heureux que l'on se saisisse de ce débat de société : nous sommes dans notre rôle. Je voterai en faveur de cette proposition de loi, mais je voterai aussi pour la suppression cet article car nous avons encore besoin de nous parler et j'entends trop de préjugés et d' a priori. Il n'y a pas, d'un côté, les vertueux, sensibles à la cruauté à l'endroit des animaux, et, de l'autre, les ringards nostalgiques du passé.
La notion même de cruauté renvoie à deux choses bien différentes : le plaisir à faire du mal – en l'occurrence, il n'en est question ici –, et la violence faite à celui qui est sans défense ; mais cela, c'est la malédiction de tous les animaux. Et vous qui êtes un scientifique, Monsieur le rapporteur, vous le savez : le règne animal est régi par l'hétérotrophie, autrement dit les animaux ne peuvent pas se nourrir par eux-mêmes, contrairement aux plantes. On peut même considérer que la locomotion est une compensation du handicap, du point de vue de l'évolution. Mettre à mort, c'est cruel ; et cette cruauté-là, il ne faut pas la nier. C'est en cela nous avons encore besoin de parler de ces sujets.
Je suis en total désaccord, mais il faut mettre ce débat sur la place publique et ne rien cacher.
Mme Blin laisse entendre que l'on voudrait opposer l'urbain au rural. Surtout pas ! Ce serait un enfermement, un grand malentendu. Chasse et lien social, cela ne veut absolument rien dire. Théodore Monod qui, depuis ma jeunesse, m'a beaucoup inspiré, se demandait si nous étions capables de sortir de nos instincts ancestraux, car ce ne sont pas les bons instincts. Je me souviens de mes cours d'histoire : la justice médiévale autorisait la torture pour trouver la preuve. Mais, depuis, nous avons progressé en humanité : c'est ce qu'on appelle l'humanisation. Pour moi, interdire la chasse à courre ou la vénerie sous terre, c'est-à-dire des formes cruelles de chasse, c'est faire progresser notre humanisation.
La vraie question est la suivante : sommes-nous capables de dépasser la sensiblerie pour aller vers quelque chose qui soit plus juste, autrement dit le respect des autres êtres vivants ? Sommes-nous capables de reconnaître que l'homme n'est pas un être supérieur qui aurait le droit de vie et de mort sur tout le monde, et de repenser ces jeux sanglants ? Les animaux ne demandent pas qu'on les aime, mais simplement qu'on leur foute la paix… Sommes-nous capables, tous ensemble, de tendre vers « un idéal d'active sympathie et de respect pour les autres êtres vivants » ? Tout est dit dans cette phrase de Théodore Monod.
Ai-je participé à des chasses ? Oui. Et des chasseurs dans le Gard, on en a, j'en compte dans ma famille. Nous avons aussi des sangliers à ne plus savoir qu'en faire. J'ai envoyé à M. Perea des vidéos de mon gazon qu'ils ont totalement défoncé ! Les chasseurs sont-ils utiles ? Oui. En avons-nous besoin ? Oui. Le problème n'est pas celui de la chasse en général mais de chasses traditionnelles particulières. C'est parfaitement explicité dans l'exposé des motifs,
Pour ce qui est de ma sensibilité, expliquer à mes enfants ce que l'homme est capable de faire au XXIe siècle, c'est mon affaire personnelle en tant que père ; en tant que père député, j'ai la possibilité d'en débattre, de peser sur le débat et je ne m'en priverai pas.
Je remercie M. Descrozaille pour ses propos. Les miens avaient été déformés mais sûrement me suis-je mal exprimé, ce dont je vous prie de m'excuser.
Je voulais simplement dire que nous sommes confrontés en permanence à des personnes qui filment avec une intention précise – que je ne qualifierai pas. Je regrette, Monsieur le rapporteur, que depuis ce matin vous ne parliez que d'images vues et de livres lus. Toutes les chasses, y compris la vénerie souterraine, sont des pratiques qu'il faut vivre si on veut les comprendre. Libre à vous ensuite de les apprécier ou pas, de les défendre ou de les combattre ; mais appeler à leur interdiction pure et simple seulement après avoir regardé des images et lu des livres, jamais vous ne vous y autoriseriez dans aucun autre domaine !
Qu'il faille progresser sur certains dossiers, soit, mais donnons-nous le temps d'apprendre les cultures de certains collègues ; ce ne sont pas celles de toute la ruralité, Mme de Courson a raison, mais elles en font partie, comme elles font partie de notre pays. S'il faut légiférer un jour, faisons-le tous ensemble et non en mettant des barrières entre les gens !
Si certains ne se sentent pas liés par une directive européenne et assument de ne pas accorder d'importance à l'Europe, qu'ils écoutent au moins les Français : le rejet de la chasse à courre est massif, y compris dans le monde rural.
Certes, la nature est violente, les espèces se mangent les unes les autres : mais il en est une, à l'échelle planétaire, plus violente que toutes les autres réunies, et c'est l'espèce humaine. Et tout ce qui pourra nous faire évoluer vers cet « idéal d'active sympathie et de respect pour les autres vivants », pour reprendre la belle formule de Théodore Monod, en dépassant certains réflexes qui nous poussent à partir chasser et à faire souffrir, sera bon à prendre.
Monsieur Perea, vous m'invitez à participer à une vénerie sous terre pour voir de quoi il retourne… Pour le coup, je ne vous suivrai pas, pas plus que je ne mettrai une orque dans un petit bassin dans mon jardin pendant des années pour regarder la dose de souffrance qu'il va subir ! Il faut être cohérent : ce n'est pas la culture qui je conteste, ni l'aspect social, c'est la souffrance de ces animaux – inutile, en l'occurrence.
Madame Blin, votre argument selon lequel d'autres choses que la chasse heurteraient bien davantage notre sensibilité n'est pas très heureux. En tant que législateur, vous ne pouvez pas refuser de répondre à une question au motif qu'une autre vous semblerait plus importante : ce qui vous est demandé aujourd'hui, c'est de vous prononcer pour ou contre cet article visant à interdire la chasse à courre, des chasses traditionnelles particulières et la vénerie sous terre. Demain, ce sera une autre question, on parlera d'autres choses. Mais pour l'heure, restons-en à ce débat, d'autant plus nécessaire qu'il est resté trop longtemps souterrain.
Enfin, M. Aubert a raison : la liberté des uns s'arrête où commence celle des autres. Croyez-vous que les équipages de chasse à courre ne sont pas gênants, à la ville ou à la campagne ? Un équipage au complet qui passe, cela n'a rien d'anodin, et c'est bien pour cela que les ruraux rejettent en masse la chasse à courre.
Vous l'aurez compris : j'émets un avis défavorable à ces amendements de suppression.
On ne gouverne pas à partir de sondages : on sait que sur certains sujets, les sondages vont dans un sens bien différent de ce qui est finalement voté.
Vous ne pouvez pas laisser penser que, parce que nous défendons la chasse, nous serions favorables à la maltraitance animale ! C'est là une position parfaitement dogmatique. J'ai explicitement dénoncé le comportement déviant de certains chasseurs et les chasseurs eux-mêmes, comme l'a dit M. Aubert, les sanctionnent au sein de leurs équipages. Vous vous trompez de débat : nous ne soutenons pas la maltraitance animale.
Enfin, l'objet de cet article est effectivement clair et limité, dites-vous ; mais justement, le sujet nécessiterait un débat bien plus large qu'un simple article d'une proposition de loi discutée dans le cadre d'une « niche » parlementaire, dans la mesure où cela met en cause des projets de société qui, effectivement, nous dépassent. Je voterai donc ces amendements de suppression.
La commission adopte les amendements CE18, CE 20 et CE30.
En conséquence, l'article 4 est supprimé et les autres amendements qui s'y rapportent tombent.
Article 5 (articles L. 214-11, L.214-11-1 [nouveau], et L. 214-3-1 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) : Interdiction progressive de l'élevage sans accès au plein air
La commission examine l'amendement de suppression CE29 de M. Jean‑Baptiste Moreau.
L'article 5 soulève un certain nombre de questions quant à la faisabilité des mesures proposées et à leurs conséquences économiques, sociales, sanitaires et environnementales, mais il n'y répond pas.
Les éleveurs sont en effet les premiers concernés par le problème du bien-être animal. Au-delà des aspects réglementaires, les évolutions des techniques d'élevage et des installations ont constamment amélioré depuis de nombreuses années le confort et l'atmosphère des bâtiments.
Depuis la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite loi ÉGALIM), les filières se sont résolument engagées dans la recherche et développement sur l'hygiène, la sécurité des bâtiments et l'amélioration du bien-être animal, comme en attestent les exemples qui ont été pris ce matin.
En 2016, 69 % des poules pondeuses étaient élevées en cage ; en 2019, 53 % d'entre elles le sont dans d'autres systèmes alors que la filière s'était engagée sur un seuil de 50 % à l'horizon 2020. Même s'il reste une marge de progression, cela montre que, lorsqu'on fait confiance aux filières et qu'on refuse une fixation de dates au doigt mouillé, cela fonctionne. C'est ce que nous avions fait avec le ministre Stéphane Travert dans le cadre de la loi ÉGALIM, dont j'étais le rapporteur. Les filières n'ont pas besoin d'une loi imposée par le haut pour agir.
Je suis né au milieu des animaux et, à entendre certains propos, je me demande franchement si j'ai ou non rêvé depuis ma naissance, tant j'ai du mal à me retrouver dans les descriptions que l'on nous fait du règne animal. Les agriculteurs veulent vivre de leur métier, et non pas de primes qui les accompagneraient vers un modèle dont ils savent d'ores et déjà qu'il ne sera pas rentable. Mais si on les oblige à sortir les animaux, les coûts de production augmenteront, et donc le prix à payer par le consommateur ; mécaniquement, des produits d'importation entreront sur le marché, y compris en provenance des autres pays de l'Union européenne, puisqu'aucun d'entre eux n'oblige à sortir les animaux. On risque ainsi de créer un système à deux vitesses avec, d'un côté, des Français qui auront les moyens de se nourrir avec des animaux français de qualité « premium » et, de l'autre, des Français plus modestes, contraints d'acheter des produits low cost d'importation qui ne satisferont à aucune norme du bien-être animal ou, pire, de la viande artificielle fabriquée par multiplication de cellules.
Les éleveurs sont les premiers concernés, nous en sommes d'accord. Nous l'avons déjà dit ce matin : c'est à eux qu'il faut donner les moyens de monter en gamme. Le bien-être animal, inutile de tergiverser, suppose de l'argent et des investissements. C'est bien la raison pour laquelle l'article 1er prévoyait la création d'un fonds, avec des moyens bien plus élevés que ceux qui sont aujourd'hui mis sur la table.
Vous évoquez une baisse de 22 %, en trois ans, de la production d'œuf en cage. Cela tombe bien : si vous rajoutez deux fois trois ans, vous arrivez quasiment à zéro en 2025, autrement dit à la date que nous proposons. À ceci près que nous ne nous contentons pas de suivre à peu près la pente naturelle que vous décrivez : nous fixons un objectif, et qui plus est à la date que propose le groupe Avril, acteur majeur du secteur.
Vous ne voulez pas d'une société à deux vitesses, dans laquelle certains pourraient se payer des produits de qualité, et les autres se contenter d'aliments à bas coût ; moi non plus. Mon projet est de faire bénéficier tout le monde d'une nourriture de qualité et précisément garantir qu'un produit labellisé en France est issu de conditions d'élevage dignes.
Et quand je parle de conditions dignes, je reviens sur le cas du cochon, encore et toujours… Des cochons, vous en avez fréquenté (Sourires), moi aussi. Sans doute en avez-vous vu et caressé bien plus que moi – cela dit sans aucune intention péjorative : c'est un animal que j'adore. Mais vous ne pouvez pas me soutenir que le cochon sur caillebotis vit dans des conditions qui lui permettent de satisfaire les besoins physiologiques propres à son espèce. Sinon, il n'y aurait pas besoin de lui couper la queue, ni de lui meuler les dents, comme cela s'est fait pendant très longtemps, ni de maintenir les truies couchées la moitié du temps.
Nous avons interrogé les responsables de la filière : 95 % des cochons sont élevés sur caillebottis. L'accès généralisé au plein air supposerait, selon eux, un investissement estimé entre 6 et 13 milliards d'euros. Quand bien même il s'agirait de 10 milliards sur vingt ans, cela représenterait 1 euro par mois et par Français… Êtes-vous disposés à consacrer trois centimes par jour afin de garantir que chaque cochon sacrifié pour être transformé en jambon dans votre sandwich, ou en tout autre chose, aura eu un accès au plein air, conformément à ses besoins physiologiques ? Posez la question autour de vous : vous me direz la réponse.
Nous parlons de transformations longues, de projets de société pour lesquels il faut se donner des moyens, faire preuve d'ambition, voir loin. Dès lors que nous fixons des objectifs environnementaux et éthiques, la société se débrouillera pour les atteindre. Prenons un exemple : l'objectif zéro carbone en 2050 que nous nous sommes fixé, et le plan qui va avec. Imaginez que nous ayons laissé les filières décarboner seules… L'objectif de décarbonation complète en 2050 oblige les différents acteurs à se positionner et à adopter des trajectoires ambitieuses. C'est bien de cela qu'il est aussi question aujourd'hui.
J'ai encore entendu cet argument de la viande végétale… Y a-t-il dans cette salle une seule personne qui y ait goûté ? Ce n'est pas dans mes plans, ni dans ceux des gens qui ont élevé la voix en faveur des animaux ces derniers temps. Et pourtant on le ressort, encore et encore…
On me parle de visées abolitionnistes : où, qui, qu'est-ce ? L'acteur associatif qui s'est montré le plus coopératif pour nous donner des informations, des plans, des estimations du nombre de centimes à ajouter par animal pour obtenir des améliorations significatives, c'est le CIWF, Compassion in world farming. Ce ne sont pas des abolitionnistes, ni des gens de la Silicon Valley, ni des adeptes de la viande végétale ; c'est une association fondée par des agriculteurs il y a cinquante ans dans le but de promouvoir les meilleures pratiques pour les êtres humains et pour les animaux. Et c'est bien cela, notre projet de société. Mais reconnaissons que, pour mener à bien une entreprise aussi ambitieuse, qui touche à l'essentiel – notre relation avec le vivant et notre alimentation –, nous pouvons et devons mettre sur la table les moyens qui s'imposent.
J'entends parfaitement qu'il faille se fixer des objectifs réalistes, à même de dégager des tendances ; il me semble que c'est ce que nous avons fait dans la loi ÉGALIM. C'est aussi ce que font nos éleveurs : de nombreux exemples montrent à quel point ils ont su s'adapter. Le cas des œufs est assez significatif : nous voulions ramener la part des œufs issus d'élevages en cage à moins de 50 % d'ici à 2022 ; nous sommes déjà à 53 %. Où en est-on dans les pays qui les ont purement de simplement interdits, comme l'Allemagne ? Ils importent 30 % de leurs œufs, et des produits bien moins respectueux des normes que nous nous sommes imposées. Même chose pour le lapin : depuis 2010, l'utilisation d'antibiotiques dans les élevages de lapins de chair a diminué de 70 %.
De nombreux exemples démontrent l'engagement très clair et très concret des filières. Je ne vois pas en quoi les contraindre davantage leur faciliterait le travail. Quand on légifère, il faut aussi savoir faire confiance, en reconnaissant les efforts déjà déployés, en leur montrant qu'on sait les évaluer, les accompagner et financer cette transition.
Il faut aussi prendre en considération l'enjeu de marché. Force est de constater que le marché du porc français ne se développe pas suffisamment. Pourquoi, malgré le Label rouge et le bio, une telle lenteur ? Parce que le prix est forcément plus élevé et que les consommateurs français ne sont pas forcément prêts à payer plus cher, ou n'en ont pas toujours les moyens. Ce n'est pas seulement une question d'accompagnement des filières : il y a aussi un enjeu de marché.
Oui, certaines situations sont intolérables et doivent être dénoncées. Et elles le sont : les filières y sont très attentives, et c'est tout l'enjeu de la trajectoire 2021‑2025 en faveur du bien-être animal, mais il faut aussi faire confiance à nos éleveurs et à nos agriculteurs. Il faut le leur dire, et pas de cette manière-là.
Vous avez évoqué un point important en répondant à M. Moreau, Monsieur le rapporteur. L'argument de la fierté nationale, c'est très bien, à ceci près qu'il laisse de côté la dimension européenne. Dans le marché unique, vous avez le droit de dire : « Il est frais mon poisson », ou encore : « Il est français mon poisson ». Mais vous n'avez pas le droit de dire : « Il est frais parce qu'il est français, mon poisson »… Aucune entreprise n'a le droit de faire de la publicité sur la réglementation à laquelle elle est soumise. Vous ne pouvez donc pas faire de la pub en disant que vous respectez la loi : ce serait sous-entendre que d'autres ne la respectent pas.
Au motif d'améliorer la qualité, nous n'avons de cesse de légiférer et de réglementer sur la qualité des bâtiments d'élevage – M. Moreau en sait quelque chose. Du coup, les éleveurs n'ont pas eu le temps d'amortir leurs investissements pour les mettre aux normes que les normes ont déjà changé, et qu'ils doivent investir un peu plus… Et qui plus est dans un marché européen où il est interdit de se vanter de sa propre réglementation !
Au Parlement européen, le groupe Renaissance soutient la possibilité de réserver 20 % à 30 % de la commande publique, en volume, à des produits locaux, ce que nous n'avons pas pu écrire dans la loi ÉGALIM alors que nous en avions envie. En attendant que l'on puisse communiquer sur notre réglementation, ne nous pressons donc pas pour définir ce qu'est la qualité dans la loi. La qualité, elle est payée par le marché, sinon, c'est une charge.
Dieu sait si les filières viandent doivent faire des efforts pour s'adapter aux attentes des consommateurs. Je suis le premier à le leur dire : elles doivent penser « usage » et non « carcasse ». Mais les Français devront en effet payer leur alimentation un peu plus cher, je le dis également haut et fort – c'est d'ailleurs la tendance depuis trois ou quatre ans. Méfions-nous enfin de la différence entre la déclaration et le comportement. Il y a vingt ans, les Français juraient être prêts à payer leur alimentation plus cher si les produits venaient de France, s'ils étaient sûrs de la provenance, etc. C'était purement déclaratif, cela ne s'est pas vérifié dans le caddie ; c'est seulement depuis trois ou quatre ans que les prix ont cessé de baisser. Il faut aussi accompagner la mise en marché, donc les entreprises et les filières.
Je suis désolé, Monsieur le rapporteur : vous êtes nostalgique d'une agriculture qui n'a jamais existé. On voudrait revenir à l'agriculture de nos grands-pères : chez le mien, les cochons étaient enfermés dans la cave, à côté de la réserve à patates ! Les vaches passaient tout l'hiver entravées par des chaînes qui leur blessaient souvent le cou, et cela durait quatre ou cinq mois ; elles vivent maintenant dans des stabulations libres, où elles peuvent marcher, courir et aller vers leurs veaux, qui ne sont plus attachés derrière elles.
L'agriculture à laquelle vous souhaitez revenir, c'est aussi celle qui a usé mon père et mon grand-père. Les conditions étaient indignes également pour les hommes – j'ai sorti du fumier à la brouette, et je n'ai pas envie de le refaire. Et le bien-être animal n'y gagnait rien : ce n'est pas parce que les fermes n'avaient que trente vaches qu'elles s'y sentaient mieux que dans un cheptel de cent vaches aujourd'hui. « Small is beautiful », ce n'est pas du tout la réalité scientifique de l'élevage et de l'agriculture.
Nous avons fait confiance aux filières pour la loi ÉGALIM, et nous avons eu raison, puisqu'elles ont progressé. La surface nécessaire pour élever en plein air la totalité des porcs que nous consommons est de 500 000 hectares, soit l'équivalent d'un département français. Où les trouver alors que les surfaces agricoles sont rognées tous les ans à cause de l'urbanisation ?
Certaines de ces propositions sont totalement incohérentes, c'est pourquoi je souhaite la suppression de cet article 5.
Chers collègues, certains de vos propos rejoignent parfaitement mes analyses, que vous retrouverez dans mon rapport.
Oui, la construction européenne doit avancer sur ce sujet. Cela dit, dans de nombreux cas en matière d'élevage, les améliorations ont été obtenues grâce à l'action européenne, en particulier pour l'élevage des veaux. Vous trouverez d'autres exemples dans l'excellent livre de Pascal Durand et Christophe Marie, L'Europe des animaux. Sur ce sujet, les échelons nationaux ne sont pas les plus en avance.
Des pays se lancent néanmoins. Vous parlez de la France, mais pourquoi l'Allemagne décide d'une montée en gamme et d'un grand plan pour l'amélioration du bien-être de ses porcs, et pas la France ? Pourquoi fixe-t-elle des objectifs précis de réduction du nombre de jours que les truies passent en cage, en y consacrant des moyens importants, et pas la France ?
Vous dites que je suis nostalgique d'une agriculture qui n'a jamais existé ; je suis moins expert que vous, mais il y avait des cochons à l'air libre là où j'ai vécu tout petit. Et depuis, nous avons progressé de manière très importante. Une agriculture respectueuse, qui utilise un minimum de produits phytosanitaires et un maximum de biodiversité et d'auxiliaires des cultures, qui respecte le plus possible les animaux dans leur diversité et leur individualité, n'a rien d'archaïque. Les progrès en éthologie ont été considérables, ainsi que les améliorations des rendements offerts par les méthodes respectueuses. L'INRAe collabore au programme TYFA ( Ten years for agroecology), que certains d'entre vous ont pu découvrir lors des séminaires organisés par notre collègue Dominique Potier sur les travaux de l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). Ce programme façonne à l'échelle européenne une agriculture respectueuse des animaux, des végétaux et des humains. C'est le genre de projets de société que nous avons le devoir de nous donner.
Le small is beautiful est un mythe, dites-vous. Mais dans certains élevages de poulets, la population atteint le million d'animaux… Mme Bergé a parlé des lapins et de la réduction de la dose d'antibiotiques, et c'est une bonne chose ; reste que dans les élevages industriels, ces lapins passent pour la plupart toute leur vie dans leur petite cage, sans pouvoir faire un bond de toute leur vie de lapin ! Évidemment on peut se dire que ce ne sont que des lapins, on n'y pense pas et on les consomme… Mais on peut aussi choisir une approche plus respectueuse.
Le député européen Pascal Durand, du groupe Renaissance, parlait de la cohorte de toutes celles et ceux qui sont d'accord pour changer, mais pas maintenant, pas ici, pas comme cela. En supprimant cet article, mes chers collègues, vous irez rejoindre cette cohorte…
Nous avons débattu de ces questions de manière approfondie lors des États généraux de l'alimentation et du vote de la loi ÉGALIM qui a suivi. Je suis ces questions à l'Assemblée nationale depuis un certain nombre d'années, et j'observe que de M. Michel Barnier à M. Julien Denormandie, en passant par MM. Bruno Le Maire, Stéphane Le Foll, Stéphane Travert et Didier Guillaume, la France suit une trajectoire de montée en gamme et de recherche d'un meilleur partage de la valeur ajoutée, des producteurs aux consommateurs, de la terre à l'assiette. La France s'inscrit dans une démarche de haute valeur environnementale, de haute valeur nutritionnelle, et de haute valeur sociale, pour que notre agriculture respecte l'environnement, le bien-être animal, et nourrisse son homme, autrement dit permette aux agriculteurs de vivre de leur métier.
Il y a quelques années, les veaux de boucherie passaient trois ou quatre mois en cases individuelles. Ils sont maintenant élevés pendant six mois dans des cases collectives. C'est la filière qui, bien avant les États généraux de l'alimentation, s'est prise en main pour améliorer le bien-être animal, comme elle l'a fait dans le secteur des œufs. Les plans de filière engagés par M. Stéphane Travert ne répondent pas totalement aux attentes que vous exprimez, mais reconnaissons qu'un véritable effort est fait.
On ne peut pas imposer tous les deux ou trois ans un ajustement législatif aux agriculteurs, avec toutes les conséquences financières que cela emporte. L'agriculture française est sur la bonne trajectoire, il faut l'encourager et faire confiance aux acteurs des filières.
L'objectif de la filière du lapin était que 25 % des animaux soient en élevage alternatif en 2022, mais les lapins sont des animaux peureux, sensibles au stress. En 2017, un rapport de FranceAgriMer a revu cet objectif d'élevage en plein air en se fondant sur l'exemple de l'Allemagne ou de l'Autriche, où la mortalité était beaucoup plus importante dans les élevages en semi-plein air qu'en cage. Et un animal qui meurt n'est pas en meilleure situation de bien-être qu'un animal vivant…
L'agriculture ne vous a pas attendu pour changer, Monsieur le rapporteur ; elle s'adapte depuis des années à la demande du consommateur, car c'est lui qui décide en dernier ressort.
Les Allemands sont obligés de déclasser leur porc label rouge faute de trouver preneur au prix auquel il faudrait le vendre. Ils vendent en dessous de leurs prix de production et laissent le secteur industriel, qui embauche de manière conséquente, recycler la main-d'œuvre jusqu'alors employée par leur filière porcine. Autrement dit, ils acceptent l'idée d'une réduction de leur production de porc, ce qui n'est pas mon souhait pour l'agriculture française.
Certes, les choses s'améliorent en France, mais s'agissant du partage de la valeur ajoutée, sur 100 euros dépensés dans le secteur agroalimentaire, seuls 6 ou 7 euros reviennent à l'agriculteur ou à l'éleveur. Les choses bougent peut-être, mais que c'est lent ! Dans ma circonscription, un éleveur de vaches depuis plusieurs générations m'a expliqué que le veau se vend toujours au même prix, mais que l'inflation est passée par là. La valeur faciale de l'acte reste la même, mais avec l'inflation, le revenu par acte a diminué. En conséquence, il faut augmenter la production, donc le nombre de bêtes, donc la densité.
Cette surproduction se retrouve dans d'autres secteurs de notre économie, elle nous renvoie par certains côtés à nos débats sur les néonicotinoïdes et la surproduction de betteraves sucrières. Nous ne pouvons évidemment pas dissocier ces questions du modèle économique ; mais vient un moment où il faut prendre les choses en main et voir plus grand.
Je vous invite à poser la question autour de vous, à propos des trois centimes par jour et par Français nécessaires pour améliorer les conditions d'élevage des porcs. Les investissements à faire semblent importants lorsque nous évoquons des milliards, mais il ne s'agit pas de changements à faire tous les deux ou trois ans : l'article principal de cette proposition de loi prévoit un délai de vingt ans. Pour la décarbonation, nous nous sommes fixé un objectif à plus de trente ans. Vingt ans, c'est une génération, nous nous fixons un objectif en tant que société pour que les choses aient radicalement changé au terme d'une génération, y compris le statut de l'agriculteur.
J'espère bien que la situation de nos agriculteurs et de nos éleveurs va s'améliorer radicalement, car nous avons besoin de bras dans l'élevage et dans l'agriculture. Cette profession souffre, elle n'a pas été gâtée au cours des dernières années et je n'ai pas l'impression qu'ÉGALIM ait été une révolution en la matière.
Monsieur Moreau, vous me parlez de la fragilité des lapins ; j'en sais quelque chose car j'ai eu mon petit élevage de lapins dans mon jardin à une certaine époque, pour ma consommation…
Moi aussi j'ai fait des mathématiques au collège, mais ça ne fait pas de moi un mathématicien ! (Rires).
Je vous concède le point ! (Sourires.) Je reconnais là votre sens de la repartie !
Ce débat sur les lapins pourrait être résumé par cette planche de Quino, le dessinateur argentin décédé hier : un passant voit un petit oiseau exposé aux dangers de la pollution et des chats errants, et décide de le mettre dans une cage où il sera sûr que rien ne peut lui faire de mal. Le petit oiseau y meurt, ce que le propriétaire trouve complètement ingrat… Que l'on soit un animal ou un humain, il vaut mieux vivre avec certains risques que passer toute sa vie en cage. D'autant que, pour un lapin destiné à la consommation, elle a toutes chances d'être courte…
La commission adopte l'amendement ; en conséquence, l'article 5 est supprimé et tous les autres amendements qui s'y rapportent tombent.
Après l'article 5
La commission examine l'amendement CE37 de M. Damien Adam.
Le temps de transport des animaux vivants est une autre atteinte au bien-être animal. Les durées de transport excessives sont sources de stress, de blessures, douleurs et souffrances, qu'il convient de limiter. La ministre Barbara Pompili a rappelé hier au sujet des animaux de cirque transportés de ville en ville que ce traitement n'était pas compatible avec leurs besoins physiologiques. Cette préoccupation vaut pour les animaux d'élevage. Nous proposons d'encadrer les temps de transport des animaux domestiques : huit heures pour les espèces bovines, ovines, caprines, porcines et les équidés ; quatre heures pour les volailles et les lapins. Une possibilité de dérogation est ouverte si un vétérinaire atteste de la capacité des animaux à réaliser des voyages plus long.
Les contraintes du droit limitent la portée de cet amendement aux seuls déplacements en France ; j'ai conscience que ce n'est pas entièrement satisfaisant, mais ce sujet est trop important pour ne pas être évoqué.
La commission rejette l'amendement.
Article 6 : Gage
La commission adopte l'article 6, sans modification.
Elle adopte enfin l'ensemble de la proposition de loi, modifiée.
Puis la commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi instaurant un moratoire sur l'implantation de nouveaux entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce en ligne et portant mesures d'urgence pour protéger le commerce de proximité d'une concurrence déloyale (n° 3040) (Mme Delphine Batho, rapporteure).
Mes chers collègues, nous en venons à l'examen de la proposition de loi de Mme Delphine Batho instaurant un moratoire sur l'implantation de nouveaux entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce en ligne et portant mesures d'urgence pour protéger le commerce de proximité d'une concurrence déloyale.
Je vous indique que quatre amendements avaient été déposés sur cette proposition de loi par Mme Panot et M. Potier, mais j'ai dû les déclarer irrecevables car il s'agissait de cavaliers législatifs.
Cette proposition de loi transpartisane est présentée par plus de quarante députés issus de presque tous les groupes de l'Assemblée nationale : le groupe Écologie, Démocratie Solidarité, auquel j'appartiens, ainsi que les groupes le Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés (Dem), La République en Marche (LaREM), la France Insoumise (FI), Libertés et Territoires (LT), Les Républiques (LR), Socialistes et apparentés (SOC), et la Gauche démocrate et républicaine (GDR).
Elle a pour objet d'instaurer un moratoire sur l'implantation de nouveaux entrepôts destinés aux grands opérateurs internationaux du commerce en ligne, et de mettre en place des mesures d'urgence pour protéger les commerces de proximité d'une concurrence déloyale.
Ce texte a été inspiré par des mobilisations importantes de la société civile dans les territoires et des échanges avec la Confédération des commerçants de France et l'association « Les Amis de la Terre ». Je remercie notre collègue Annaïg Le Meur d'avoir assisté avec moi aux auditions menées pour préparer cette proposition de loi.
Cette proposition de loi montre que les combats pour l'écologie et pour l'emploi et l'économie locale se rejoignent. Elle tend d'abord à protéger le commerce de proximité et à relocaliser l'économie. Le commerce de proximité regroupe 600 000 entreprises – dont 95 % de très petites entreprises – qui réalisent 20 % du produit intérieur brut français, occupent 3 millions d'actifs et emploient 1,2 million de salariés.
Déjà fragilisé depuis des années, le commerce de proximité est durement affecté par la pandémie et les dispositions prises pendant le confinement. L'État a décidé d'un certain nombre de mesures de soutien importantes, mais de très nombreuses faillites sont encore redoutées.
À ce contexte économique dramatique s'ajoute une menace structurelle. Elle n'est pas liée au développement du commerce en ligne en soi, mais à la captation de l'essentiel des activités qui s'y rapportent par de grandes multinationales, au détriment du commerce et de l'emploi local. Il n'est pas question ici du commerce en ligne de manière générale, ou des start-up innovantes du Made in France qui permettent, grâce aux outils numériques, de rapprocher le consommateur du producteur, de mettre en avant les circuits courts, l'origine des productions, le choix de consommer local. Ces dynamiques positives et ces réussites doivent être encouragées sans aucune ambiguïté. Mais ces exemples ne doivent pas nous conduire à faire preuve d'une sorte d'aveuglement à l'égard des grands opérateurs internationaux, en particulier Amazon, qui occupe la première place du e -commerce en France, avec 17 % du segment des biens manufacturés selon les chiffres de 2018. En comparaison, Cdiscount n'occupe que 7 % du segment, le groupe FNAC-Darty 5,5 %, et aucun de ces deux acteurs ne représente une réelle menace concurrentielle pour Amazon, alors qu'ils emploient deux fois plus de personnes.
La position dominante d'Amazon repose sur une stratégie agressive : la vente à perte pour éliminer la concurrence. Cette entreprise est engagée dans une stratégie visant à asseoir une position monopolistique sur le marché français du commerce en ligne, d'où l'urgence d'adopter cette proposition de loi.
L'entreprise compte une vingtaine d'entrepôts de stockage en France, représentant environ 560 700 mètres carrés de surface, et compte doubler ses capacités d'ici 2021. Un certain nombre de projets sont d'ores et déjà autorisés ou en voie de l'être, faisant souvent l'objet de contentieux, et d'autres sont annoncés tous les jours : nous avons appris hier l'existence d'un projet à Montbert, en Loire‑Atlantique, et il y a quelques jours, à Ensisheim dans le Bas-Rhin.
Au moment où tout le monde évoque une relocalisation de l'économie, cette augmentation extrêmement rapide de la domination d'Amazon sur le commerce en ligne en France représente un risque majeur pour l'emploi et le commerce de proximité.
Le modèle d'Amazon est d'abord destructeur pour le tissu économique et social du commerce de proximité et de la ruralité, alors même que la puissance publique investit 5 milliards d'euros (Md€) sur cinq ans dans le programme « Action Cœur de ville » pour préserver les commerces dont les fermetures ont de graves conséquences sur la vitalité des centres‑villes, le lien social, les services de proximité, et plus globalement l'attractivité des territoires.
Il est destructeur pour l'emploi, comme l'a démontré notre collègue Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d'État chargé du numérique, dans un rapport de novembre 2019. À chiffre d'affaires équivalent, les entrepôts Amazon embauchent 2,2 fois moins de salariés que les commerces traditionnels. Les chiffres de cette étude datent de 2019 ; ils devraient, hélas ! être révisés puisqu'une étude plus récente montre qu'aux États-Unis, un emploi créé par Amazon entraîne la destruction de 4,5 emplois.
Il est destructeur pour les droits des salariés. La condamnation d'Amazon par le tribunal judiciaire de Nanterre dans une ordonnance du 14 avril 2020 a montré que l'entreprise a méconnu des obligations fondamentales de sécurité et de prévention pour la santé des salariés durant le confinement lié à la crise de la Covid-19.
Il est destructeur pour les finances publiques, du fait de l'enregistrement des ventes dans des paradis fiscaux et des fraudes massives à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les ventes des produits partenaires. L'inspection générale des finances avait déjà alerté en 2019 : seulement 10 millions d'euros (M€) de TVA ont été collectés par Amazon France en 2018, pour un chiffre d'affaires sur le territoire estimé à 6,5 Md€.
Il est contraire aux impératifs de l'urgence écologique et va à rebours de l'histoire, dans la mesure où les grands opérateurs du commerce en ligne proposent principalement à la vente aux particuliers des articles importés à bas prix, qui représentent 57 % de l'empreinte carbone de la France. Les nouveaux entrepôts en projet signifieraient 960 millions de produits supplémentaires par an. Ce modèle est basé sur la culture du consumérisme et le gaspillage de produits vite commandés, vite jetés, bien loin des principes de sobriété, de réemploi et de réparation qu'a souhaité récemment favoriser le législateur par la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.
Le bilan carbone de l'entreprise Amazon est de 44,8 millions de tonnes d'équivalent CO2 en 2018, sans prendre en compte les émissions résultant de la fabrication des produits vendus sur ses sites internet – majoritairement des produits électroniques et textiles fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Chaque entrepôt induit l'activité de 1 500 à 2 000 poids lourds et 4 000 utilitaires supplémentaires par jour, ainsi qu'une augmentation du trafic aérien pour la livraison par fret en vingt-quatre heures.
Nous avons auditionné les grands acteurs du commerce en ligne et de la logistique. Tous reconnaissent qu'il n'existe pas de schéma d'aménagement pour développer le commerce en ligne dans une logique de sobriété, et au bénéfice de l'économie locale.
Qui plus est, Amazon bénéficie d'une distorsion de concurrence abyssale. Les grands entrepôts logistiques du commerce en ligne échappent complètement à l'ensemble des règles qui s'appliquent à la grande distribution comme au commerce de proximité, qu'il s'agisse des autorisations d'exploitation commerciale ou de fiscalité. Aucune autorisation n'est à demander, et aucune fiscalité spécifique n'est à acquitter.
Par conséquent, nous estimons que la Représentation nationale doit faire un choix : laisser faire une « amazonisation » de la France et accepter une destruction fatale du tissu du commerce de proximité et de tous les liens sociaux qui font la vie quotidienne des bourgs et des centres‑villes, ou stopper cette logique mortifère de concurrence déloyale et prendre des décisions d'intérêt général bonnes pour l'emploi, pour l'activité économique des très petites entreprises, pour l'aménagement du territoire, pour l'environnement et pour un développement du commerce numérique vertueux au regard de l'objectif de relocalisation de l'économie.
L'article 1er de la proposition de loi instaure un moratoire de deux ans sur la délivrance des permis de construire et d'aménager un entrepôt logistique à destination du commerce électronique d'une surface supérieure à 1 000 mètres carrés.
À l'issue du moratoire de deux ans, l'article 2 soumet les projets de construction de tels entrepôts à la procédure de concertation préalable prévue par le code de l'environnement. Notre collègue Annie Chapelier pourra témoigner qu'il règne une grande opacité sur les projets de ce type au niveau local, qui ne font pas l'objet de débats citoyens.
L'article 3 modifie différentes dispositions du code de commerce pour créer une catégorie nouvelle : l'entrepôt logistique à destination du e -commerce – rappelons que la proposition de loi ne porte absolument pas sur tous les entrepôts logistiques. Il propose également d'appliquer à ces entrepôts destinés au commerce en ligne l'ensemble des dispositions qui s'appliquent actuellement aux grandes surfaces.
L'article 4 modifie la loi du 13 juillet 1972 pour assujettir ces entrepôts logistiques du e -commerce à la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) à laquelle sont soumises l'ensemble des grandes installations commerciales de notre pays.
Cette proposition de loi, en instaurant un moratoire sur la construction et l'extension des entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce en ligne, suspendrait les projets en cours pour une durée de deux ans. Ce délai permettrait de mettre en place une concertation préalable sur les projets de construction et d'aligner les règles d'implantation des entrepôts sur celles applicables aux commerces physiques. Il est enfin proposé d'assujettir ces entrepôts à la TASCOM.
Disons-le d'entrée, cette proposition vise de manière exclusive à lutter contre l'implantation d'Amazon en France. À titre personnel, je suis très circonspecte sur le modèle de cette entreprise. Mais si cette entreprise est le premier acteur du commerce en ligne en France, elle est loin d'occuper une position dominante sur le segment des pure players. En 2018, le chiffre d'affaires d'Amazon en France était estimé à 6,6 Md€, sur un marché valorisé à 100 Md€. Les chiffres varient selon les interlocuteurs, mais Amazon occupe a priori une part de marché de l'ordre de 17 % du e -commerce. Amazon est en croissance en France, mais comme l'ensemble du secteur du commerce en ligne, qui a connu une augmentation des ventes à la faveur du confinement. Nous avons nos propres entreprises bien implantées dans ce secteur : Cdiscount ou FNAC Darty. Sur les quinze sites de commerce en ligne les plus visités en France, sept sont français, sans compter toutes les enseignes qui mêlent commerce physique et commerce en ligne.
La proposition de notre collègue Delphine Batho est animée de bonnes intentions, mais elle n'apporte pas les bonnes solutions. Un moratoire pour deux ans serait aussi inefficace que dangereux pour réguler le secteur du e -commerce. Un entrepôt de logistique est souvent omni-canal : il sert à la fois des points de vente physiques et la vente en ligne. Distinguer les deux ne serait pas aisé, et rien n'empêcherait Amazon de s'adapter à ce nouveau cadre législatif en accueillant les stocks d'autres entreprises dans ses entrepôts.
Amazon dispose de l'expertise et des finances nécessaires pour continuer à livrer depuis l'étranger. L'épisode du confinement l'a prouvé : alors qu'Amazon France a dû interrompre ses livraisons sur décision de justice, ses filiales en Espagne ou en Allemagne ont continué à livrer sur le territoire national. Je ne souhaite pas que les logisticiens français interrompent leurs projets d'implantations, importants pour l'économie, et soient réduits à regarder passer les camions d'Amazon sous leurs yeux. Ces poids lourds en provenance de l'étranger seraient enfin une aberration écologique.
Le e -commerce est une réelle opportunité, y compris pour le commerce physique. On estime que 60 % des petites et moyennes entreprises (PME) ont constaté une hausse de plus de 10 % de leur chiffre d'affaires en magasin après le lancement de leur site en ligne. Les gens comparent sur internet, puis viennent acheter dans les magasins. Les commerces physiques utilisent également les services de pure players, dont Amazon. Ainsi Armor-Lux, dans ma circonscription, réalise une grande part de son chiffre d'affaires en ligne en passant par Amazon.
Dans l'immédiat, le plan de relance prévoit de consacrer 61 M€ pour accompagner la numérisation des très petites entreprises (TPE) et des PME, ce qui pourra les aider à créer d'autres plateformes qu'Amazon. Nous aurons d'autres débats à ce sujet dans les mois à venir.
Néanmoins, cette proposition de loi soulève de vraies questions, et je partage certaines positions de la rapporteure. Il n'existe pas de plan national consacré aux flux logistiques en France. Chaque entreprise s'implante individuellement en fonction de ses besoins, au détriment d'un ensemble global. Une cartographie des implantations d'entrepôts à l'échelle régionale serait pertinente. Pourquoi ne pas instaurer un agrément comparable à celui qui existe en région Ȋle-de-France ?
De même, les données sur l'emploi restent parcellaires. Nous avons une idée assez vague des conséquences, positives ou négatives, du e -commerce sur l'emploi. La rapporteure a cité la note de notre collègue Mounir Mahjoubi, selon laquelle Amazon emploie 2,2 fois moins de salariés que le commerce de détail. Sans faire injure à notre collègue, ces données restent lacunaires et ne prennent pas en compte les emplois indirects et saisonniers créés par Amazon. Je préfère attendre les résultats de la mission intergouvernementale lancée en septembre par Bercy pour disposer d'un état des lieux précis de la logistique du commerce en ligne avant de prendre une décision en ce sens.
Les questions fiscales devront également être traitées. La proposition de loi assujettit les entrepôts au paiement de la TASCOM. Nous ne souhaitons pas ouvrir ce débat : il s'agit d'une demande ancienne sur laquelle aucun arbitrage n'est arrêté. Les collectivités ont d'ores et déjà la possibilité de taxer les entrepôts en tant que local industriel, et ne doivent pas se priver de le faire. Sur ce sujet également, attendons le résultat de la mission gouvernementale avant de prendre une décision.
Le sujet de l'artificialisation des sols a été évoqué par les citoyens lors de la Convention citoyenne pour le climat. D'après les chiffres, la logistique n'est pas le secteur qui artificialise le plus : il est à l'origine de seulement 1 % des nouvelles artificialisations. Cette question sera également abordée par la mission gouvernementale, et dans le projet de loi issu des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, qui viendra prochainement.
Je fais confiance à M. Bruno Le Maire pour appliquer la taxe sur les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) dans les années à venir, il lui faut réaliser un tour de force avec les États-Unis pour améliorer le commerce en ligne en France et favoriser un commerce national offrant de réelles garanties sociales.
Le groupe du Mouvement démocrate et Démocrates apparentés est très sensible à cette proposition de loi, dont il partage les objectifs de préservation du foncier, de la biodiversité et du tissu économique local. Nous défendons depuis de nombreuses années la revitalisation des centres-bourgs, menacés par la multiplication des grands entrepôts construits à l'extérieur des villes, comme celui qu'Amazon envisage de construire à Fournès, dans le Gard.
Si cette proposition de loi semble juste sur le fond, elle paraît toutefois incomplète. Vous proposez un moratoire de deux ans sur la délivrance des permis de construire ayant pour objet la construction, l'extension ou la transformation d'un bâtiment existant en un entrepôt logistique d'une surface supérieure à 1 000 mètres carrés. Mais ce moratoire n'empêchera pas Amazon de continuer à effectuer des livraisons dans l'hexagone à partir d'entrepôts situés hors de France. Les émissions de gaz à effet de serre ne feront qu'augmenter, puisque les camions viendront désormais de Belgique, d'Espagne, d'Italie ou d'Allemagne. Méfions-nous des conséquences indirectes que cette proposition de loi pourrait avoir ! L'idée de soumettre les entrepôts logistiques à la taxe sur les surfaces commerciales pourrait avoir les mêmes effets : elle pourrait pousser Amazon à délocaliser ses entrepôts dans des pays limitrophes, ce qui déboucherait sur les mêmes augmentations de trafic aérien ou routier. Cette mesure, partielle, mérite selon nous d'être retravaillée. Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons voter votre texte en l'état – et c'est une « non-amazoniste » qui vous parle !
L'impact de ces entrepôts sur l'artificialisation des sols et l'étalement urbain est néanmoins indiscutable. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a d'ailleurs appelé de ses vœux une réflexion sur l'installation de nouveaux centres commerciaux dans les zones périurbaines. Nous sommes donc favorables à cette proposition de loi sur le principe, mais nous pensons qu'il serait utile que des groupes de travail se penchent sur la question d'une manière plus globale, afin d'en analyser tous les aspects et toutes les conséquences. Il faut organiser une large concertation sur la question du commerce en ligne, qui est aussi une menace pour le commerce de proximité et qui contribue à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre.
Durant le confinement, les petits commerces ont subi la concurrence déloyale de certains géants du e -commerce, qui ont bénéficié d'une forte demande des entreprises pour leurs services de cloud, ainsi que des achats en ligne de consommateurs confinés, avides de divertissements à domicile. Ces géants du numérique ont d'ailleurs très peu participé à l'effort de solidarité nationale. Attendons les résultats des réflexions en cours – la concertation lancée pour préparer le projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat, et le rapport de la mission de l'inspection générale des finances (IGF), notamment. Nous nous emploierons à donner au plus vite suite à leurs préconisations, qui auront le mérite d'avoir anticipé les conséquences de l'ensemble des décisions proposées.
Madame la rapporteure, je vous remercie, au nom du groupe Agir ensemble, de nous donner l'occasion de débattre du développement du e -commerce et de la défense du commerce de proximité. C'est un sujet dont on débat trop rarement alors qu'il est très important, puisqu'il concerne la société de consommation dans laquelle nous vivons, une société caractérisée par la volonté de pouvoir acheter tout et n'importe quoi à tout moment, d'avoir accès à un vaste catalogue de services et de pouvoir se dépanner facilement en se procurant, par exemple, des outils ou des éléments de bricolage assez complexes sans avoir à parcourir des kilomètres, surtout lorsqu'on vit à la campagne. C'est aussi l'avenir de nos centres-bourgs qui est en jeu, lorsque nos commerces de proximité disparaissent et qu'il ne reste plus qu'un boulanger, parfois un boucher.
Vous dites que le modèle économique d'Amazon est destructeur pour l'emploi. C'est vrai, globalement, mais on pourrait dire la même chose d'un grand nombre des évolutions qui marquent nos sociétés : nombre d'entre elles détruisent des emplois, mais elles en recréent d'autres à côté. Autrement dit, le bilan global mérite d'être examiné avec un peu plus de recul.
Vous dites que ce modèle est destructeur pour les droits des salariés. Il est vrai que les conditions de travail chez Amazon ont suscité des débats, mais le même droit du travail s'applique, en France, pour Amazon et pour le commerce de proximité. Et, au bout du compte, le droit du travail est souvent plus efficacement appliqué dans les grands groupes, du fait de l'intervention des syndicats ou de l'implication de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), même si je n'ignore pas qu'il a pu se produire des scandales, notamment celui qui a été jugé par le tribunal judiciaire de Nanterre.
On ne peut donc en rester, sur le e -commerce, à un jugement à charge.
J'en viens maintenant au moratoire, mesure phare de votre proposition de loi. Je crois sincèrement que cela va tomber « à côté de la plaque ». Pour commencer, c'est une interdiction de plus, qui va encore entraver le développement des activités en France : d'une façon générale, je n'y suis pas favorable. Avec un moratoire, les grands entrepôts vont continuer de se construire, mais à nos frontières : nous aurons donc plus de camions sur nos routes. Peut-être aurait-on pu l'instaurer plus tôt, mais maintenant que nous sommes entrés dans la société du e -commerce, c'est trop tard : les gens vont continuer à acheter en ligne, ils vont continuer à acheter sur Amazon et Alibaba, que l'on vote ou non cette proposition de loi. Il y aura davantage de camions sur nos routes et moins de protection pour les salariés qui travailleront dans ces entrepôts à l'étranger. Et cela n'aura finalement aucun effet positif sur le commerce de proximité.
Votre proposition de loi ne prévoit aucune mesure pour accompagner le commerce de proximité et l'aider à répondre aux attentes de la société d'aujourd'hui. On a assisté, pendant le confinement, à un phénomène particulièrement intéressant : certains des commerces de proximité qui ont dû fermer à cause de l'épidémie de covid-19 ont instauré d'eux-mêmes un système de « click and drive » qui leur a permis à la fois de garder un lien à distance avec leurs clients et de se créer un nouveau marché. Ils ont adopté une nouvelle logique, proposé de nouveaux services et recréé un lien de proximité différent. Voilà une piste pour le développement d'un commerce de proximité durable, qu'il faut encourager. Comment ? Votre proposition de loi n'en dit rien.
Vous posez une vraie question, celle de l'avenir du commerce en France. Il faut effectivement réfléchir aux moyens de défendre nos centres-bourgs et nos commerces de proximité, aux façons de les accompagner dans la révolution du e -commerce. Mais les mesures que vous proposez ne répondent pas à ces enjeux.
Dans la période de crise sanitaire et économique que nous vivons, le numérique s'est révélé utile à bien des égards. Il a permis à de nombreuses entreprises de poursuivre leur activité grâce à la vente en ligne, au développement du drive ou à l'optimisation logistique. Pourtant, nous assistons aujourd'hui à la montée en puissance sur notre territoire d'un modèle qui tue toute concurrence économique avec nos entreprises de vente en direct. Depuis des années, des dizaines d'immenses entrepôts de e -commerce pullulent dans nos territoires, où ils bénéficient d'un environnement économique qui leur est extrêmement favorable, au détriment de tous nos autres commerces. Il est évident qu'une meilleure régulation de ces implantations est nécessaire et urgente.
C'est donc avec force et satisfaction que le groupe Écologie Démocratie Solidarité soutiendra cette proposition de loi. La Convention citoyenne pour le climat a fait de ce sujet une priorité et il est urgent de se demander quel commerce nous voulons. Nous nous réjouissons donc que ce sujet puisse être débattu aujourd'hui.
Il s'agit avant tout de rétablir une justice économique et fiscale, comme nous avons commencé à le faire avec la taxe sur les services numériques, pour laquelle je me suis battue à l'Assemblée nationale. Notre groupe le répète : la vente en ligne n'est pas un problème. Ce qui est problématique, c'est le modèle des grandes sociétés, comme Amazon, qui misent sur l'implantation d'entrepôts gigantesques, qui cassent les prix et qui entrent dans une logique de concurrence déloyale, puisqu'elles gagnent des parts de marché en vendant à perte. Soutenir ce modèle sans condition revient à faire mourir nos cœurs de ville. Alors que l'inspection générale des finances a constaté des fraudes à la TVA en 2019, il nous paraît inconcevable que ces entrepôts gigantesques échappent, en plus, à la taxe sur les surfaces commerciales. Est-il logique que les grandes surfaces y soient assujetties et que les usines logistiques d'Amazon en soient exemptées ? À cela s'ajoute l'optimisation fiscale de masse pratiquée sur l'imposition des résultats.
Je sais que le Gouvernement est prêt à travailler sur ces questions, il l'a promis à de nombreuses reprises, et j'entends des collègues dire que l'on va lancer des groupes de travail… Croyez-moi : cela fait dix ans que je me bats sur ce sujet et nous avons déjà eu des groupes de travail à tous les échelons, national, international, multilatéral… La taxe sur les services numériques a fait bouger les choses, alors qu'on l'a votée dans un cadre franco-français. Faisons de même cette fois-ci !
Il n'est plus temps d'attendre : il faut avoir le courage politique de faire face aux GAFAM sur cette question de la distorsion de concurrence. Dans une période où la priorité de l'État est de maintenir les emplois et de relocaliser notre économie, nous ne pouvons accepter ce modèle de e -commerce. L'entreprise Amazon ne crée pas d'emplois, elle en détruit. Les chiffres sont connus : pour un emploi créé dans le e -commerce, plus de deux emplois disparaissent dans le commerce de proximité.
Ce qui est en jeu, c'est aussi la vitalité des centres-villes, qui sont en train de mourir à petit feu, particulièrement dans le monde rural. Notre rôle de parlementaires est de maintenir les liens humains partout dans nos territoires : l'emploi local et l'activité de proximité doivent être préservés.
Enfin et surtout, la nécessité de réguler ces implantations d'usines est un enjeu fondamental pour le climat et la préservation de la nature. Cette proposition de loi a le mérite de s'attaquer aux effets néfastes de l'implantation de tels entrepôts sur notre environnement. L'emprise d'une nouvelle installation contribue largement à l'artificialisation des sols et constitue une attaque immédiate contre la biodiversité dans nos paysages. Pour chaque usine de logistique de e -commerce, on fait rouler sur nos routes jusqu'à 2 000 poids lourds et 4 000 utilitaires supplémentaires chaque jour. À cela s'ajoute l'augmentation du trafic aérien de transport de marchandises. Cette proposition de loi a pour ambition de faire progresser tout à la fois justice économique et fiscale, justice sociale et justice environnementale.
J'espère que nos débats permettront d'aboutir à une position claire et transpartisane sur le commerce que nous voulons dans nos territoires. Chers collègues, ayons le courage de soutenir nos commerces locaux face aux géants internationaux, qui rêvent d'un hyper-monopole sur nos territoires et qui détruisent nos emplois et notre environnement. Le groupe EDS soutient pleinement cette proposition de loi.
Le groupe Socialistes et apparentés est évidemment favorable à cette proposition de loi, qui vise à la fois à limiter l'artificialisation galopante des sols et à réguler un modèle économique globalisant fondé sur un accroissement continu des ventes et l'utilisation massive d'avions et de cargos, qui font plusieurs fois le tour du monde. Chacun sait que ce modèle est contraire au développement humain et néfaste pour l'environnement.
D'un point de vue économique, les opérateurs de commerce en ligne mènent des politiques commerciales agressives qui reposent, bien souvent, sur une optimisation fiscale à outrance. Au nom de la compétitivité, ils instaurent une concurrence déloyale avec les commerces physiques de proximité, qui ne sont évidemment pas dans les mêmes dispositions. Cette concurrence déloyale était très visible durant le confinement : on pouvait se faire livrer des produits venant du bout du monde, alors que les commerces de proximité étaient fermés ou soumis à des restrictions très contraignantes. Par ailleurs, les conditions salariales et de travail qui ont cours dans ces sociétés ne sont pas celles que nous pouvons souhaiter pour nos concitoyens : des emplois peu qualifiés et peu qualifiants.
Cette proposition de loi ne pointe pas seulement les conséquences désastreuses de ce modèle économique et social sur nos emplois et nos salariés ; les entrepôts qu'elle vise ont également des conséquences néfastes sur l'environnement. Il ne s'agit pas de remettre en cause les entrepôts qui se trouvent à côté des usines de production, mais de s'interroger sur la pertinence de ces bâtiments gigantesques posés au milieu de nulle part, souvent en pleine campagne. L'exposé des motifs le rappelle : une entreprise a artificialisé à elle seule 560 000 mètres carrés. Si nous ne faisons rien, c'est un million de mètres carrés qui auront été pris par l'homme sur la nature en 2021 : ce n'est pas acceptable !
Le groupe Socialistes et apparentés soutient largement les mesures proposées. Nous regrettons cependant que tous les amendements déposés par notre collègue Dominique Potier au nom du groupe aient été jugés irrecevables : ils auraient permis d'enrichir le texte. L'un d'eux proposait que les donneurs d'ordres paient une redevance en fonction du volume de dioxyde de carbone qu'ils rejettent, en vertu du principe pollueur-payeur. Il proposait également d'autoriser, à titre expérimental, les communes de plus de 10 000 habitants à désigner un opérateur unique pour le dernier kilomètre de livraison lorsque celui-ci est réalisé par véhicule ou cyclomoteur, afin de réduire l'empreinte carbone la plus forte. Un autre amendement, enfin, qui nous avait été soumis par France Nature Environnement, rendait possible la saisine par toute personne intéressée de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC). Malgré cela, nous voterons cette proposition de loi.
Le Président de la République a déclaré cet été : « Arrêter la bétonisation, c'est un projet pour rendre notre pays plus humain, au fond plus beau », en évoquant l'idée d'un moratoire sur l'aménagement de zones commerciales.
On peine à comprendre la différence que fait la majorité entre les « zones commerciales » et les entrepôts logistiques du géant du e -commerce, Amazon, qui envisage d'en implanter huit autres en France, par exemple à Belfort, à Saint‑Sulpice-la-Pointe ou encore en Alsace, où les riverains se mobilisent : ce sont des terres agricoles, parfois même des zones humides, qui vont être bétonnées au profit du géant du e -commerce. Pourquoi nos collègues de la majorité font-ils délibérément une exception pour Amazon ? Pourquoi faire une différence entre les entrepôts et les zones commerciales ? Pourquoi attendre ? Que pouvez-vous bien trouver à Amazon ?
Faites-vous une exception pour Amazon parce qu'il détruit deux fois plus d'emplois qu'il n'en crée ? Aux États-Unis, il en a détruit 270 000, avec sa stratégie de concurrence déloyale. En France, pendant que les petits commerces ferment les uns après les autres, alors que Camaïeu, La Halle et d'autres enseignes ont déposé le bilan, Amazon a empoché 89 milliards de dollars (Md$) pendant la pandémie !
N'est-ce pas plutôt parce qu'Amazon est un champion de la surproduction ? En 2018, ses ventes représentaient l'équivalent de deux produits par habitant de la planète. Ou bien est-ce que parce que la surproduction textile représente 10 % de nos émissions de CO2 en France ?
Est-ce parce que les livraisons d'Amazon font exploser le trafic aérien, ou bien parce que les entrepôts de cette entreprise vont entraîner le passage quotidien de 1 000 à 1 500 camions à toute heure du jour et de la nuit ? Ah, je sais ! C'est sans doute parce qu'Amazon dissimule son chiffre d'affaires au Luxembourg et ne paie pas ses impôts en France ! À moins que ce ne soit, dernière option, parce que les conditions de travail y sont particulièrement terrifiantes et dégradantes ! Nous avons notamment appris, il y a deux semaines, qu'Amazon cherchait à recruter des spécialistes du renseignement pour espionner les potentiels syndicalistes à l'intérieur de ses propres entrepôts. Aux États-Unis, les salariés sont obligés d'uriner dans des bouteilles pour ne pas être sanctionnés !
Je me demande ce que vous trouvez à cette entreprise, à moins que vous ne soyez attachés à la destruction créatrice, que, pour vous, la surproduction soit synonyme d'abondance, que le trafic aérien vous enchante, que le son des camions sur l'autoroute vous berce et que vous aimiez jouer à cache-cache avec les fraudeurs fiscaux ! À part cela, je ne vois pas !
Amazon est un désastre écologique, social, économique et fiscal. C'est une entreprise voyou qui pollue massivement, ne paie pas ses impôts, pratique le dumping sur les prix, écrase les petits commerçants, détruit des emplois et met en danger ses salariés. Rappelons que cette société n'a pas fourni de masques à ses salariés durant le confinement ; elle a dû limiter son activité aux produits essentiels sur décision de justice, mais elle a quand même essayé de faire du chantage à l'emploi, en menaçant de fermer ses entrepôts, plutôt que d'en limiter l'activité. Voilà à quoi mène la politique du « laisser-faire » vis-à-vis des entreprises : à l'arrogance la plus crasse !
Mais ni cette décision de justice, ni le confinement n'ont empêché Amazon de se gaver de profits. En 1916, on appelait les entreprises qui s'étaient engraissées pendant la période de malheur national des profiteurs de guerre. L'État a ensuite récupéré le surplus de bénéfices généré pendant la guerre. Aujourd'hui, Amazon est un profiteur de crise, pour qui le coronavirus a été une aubaine. Mais pas de taxe en vue : les temps ont bien changé !
Incompatible avec la lutte contre le changement climatique, incompatible avec le respect des salariés, incompatible avec nos lois qui imposent aux entreprises de payer leurs impôts en France, l'empire Amazon doit voir son expansion freinée sur notre territoire : non aux huit nouveaux entrepôts, non à l' « amazonisation » de la France ! Le groupe de La France insoumise votera cette proposition de loi et sait gré à notre collègue Delphine Batho de nous l'avoir présentée.
Je vous remercie de vos interventions. Je précise à nos collègues du groupe Socialistes et apparentés et de La France insoumise que je ne suis évidemment pour rien dans le fait que leurs amendements aient été déclarés irrecevables : c'est l'application du règlement. Je leur aurais d'ailleurs donné un avis favorable.
Le e -commerce est une évolution technologique et sociétale qui répond aux attentes des consommateurs, qui cherchent la simplicité et la commodité. Toute la question est de savoir ce que nous voulons faire de cette évolution structurelle. Devons-nous laisser certaines entreprises en faire un levier pour capter une part substantielle de notre activité économique nationale et la délocaliser ? Ou bien entendons-nous mettre cette évolution technologique au service d'une relocalisation de l'économie ? Mme Laure de la Raudière a évoqué les établissements qui ont su articuler de manière féconde le commerce physique et le commerce en ligne. Je pourrais de mon côté prendre l'exemple de la société coopérative et participative PliM, à Melle, dans les Deux-Sèvres, qui a fabriqué le masque en coton bio made in France que je porte aujourd'hui : l'essentiel de son activité passe par une plateforme numérique. La consommation responsable, orientée vers des projets vertueux et des produits dont on connaît l'origine, fait appel au numérique. Mais j'insiste sur le fait que ce genre d'initiative ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt : on ne peut pas fermer les yeux sur la prise de position dominante, voire oligopolistique, ou monopolistique, du grand acteur de la vente en ligne qu'est Amazon.
Par ailleurs, tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés reconnaissent que le développement anarchique du e -commerce pose problème. Tous les secteurs d'activité qui ont des besoins logistiques liés au e -commerce développent leurs propres projets, sans aucun schéma d'aménagement, alors qu'on pourrait envisager une mutualisation à l'échelle locale, par exemple pour assurer la livraison au dernier kilomètre, pour lutter contre l'artificialisation des sols ou pour réduire le bilan carbone. On a besoin, en France, d'un schéma directeur de développement du e -commerce, qui aujourd'hui nous fait défaut. L'instauration d'un moratoire doit précisément nous donner le temps d'y travailler. C'est ce que demandent les représentants du commerce de proximité : ils veulent du temps pour parachever l'offre cohérente à laquelle ils travaillent ; ils réfléchissent à des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) de centre-ville, qui permettraient d'articuler le commerce physique avec une offre locale de livraisons et de commandes en ligne ; ils étudient avec plusieurs opérateurs les moyens de développer ce genre de solutions. Ce qu'ils demandent, c'est qu'on mette fin au fait accompli et à la concurrence déloyale.
J'observe que toutes vos interventions ont porté exclusivement sur le moratoire, et non sur les autres dispositions de la proposition de loi, pourtant extrêmement importantes. J'aimerais qu'on m'explique pourquoi une grande surface commerciale doit demander une autorisation d'exploiter, pourquoi elle est assujettie au moratoire sur l'artificialisation des sols et pourquoi elle doit payer la TASCOM, alors qu'un grand entrepôt d'Amazon n'est soumis à aucune de ces obligations. Cette situation ne saurait perdurer.
Je regrette que certains d'entre vous aient rejeté toutes mes propositions en bloc : vous auriez pu repousser l'idée du moratoire mais accepter les dispositions de l'article 3, qui proposent de créer un nouveau statut pour les entrepôts logistiques du e -commerce en les assujettissant à une autorisation administrative, ce qui suppose d'entrer dans une logique d'aménagement du territoire, de faire une étude d'impact sur l'économie locale et de prendre en compte des critères environnementaux.
Certains me disent que cette proposition de loi va renforcer le flux des livraisons depuis l'étranger. Si vous regardez la carte des projets dont il est question aujourd'hui, vous verrez que c'est tout l'inverse qui va se passer : nombre d'entre eux se situent sur la frontière Est de la France, ce qui signifie que notre pays va devenir le centre de livraison de l'Europe. C'est depuis la France qu'Amazon est en train d'organiser la livraison d'une bonne partie des pays européens.
J'ajoute que le chantage n'est pas acceptable. M. Bruno Le Maire a refusé à juste titre d'y céder, à propos de la taxe GAFA : il a prévenu que la France l'adopterait seule s'il le fallait. De même, sur la question des entrepôts, ce n'est pas parce que nous sommes dans une économie ouverte que nous devons nous aligner sur ce que font nos voisins. Un tel raisonnement conduit toujours à s'aligner sur le moins-disant, sur le plan social comme sur le plan environnemental : c'est une logique sans fin. Céder au chantage, c'est s'aligner sur ce qui se fait de moins bien ailleurs : je ne peux pas souscrire à ce raisonnement.
Je rappelle que 670 000 emplois ont été détruits aux États-Unis et que beaucoup d'autres l'ont été au Royaume-Uni. L'histoire des révolutions industrielles et des évolutions technologiques est faite de destructions créatrices : des pertes d'emploi d'un côté sont compensées par des créations d'emploi d'un autre côté. Mais on a aujourd'hui la preuve que le modèle d'Amazon n'est pas celui de la destruction créatrice : c'est une destruction pure et simple, et délocalisante.
S'agissant de l'artificialisation des sols, les représentants de la Convention citoyenne pour le climat que nous avons auditionnés ont précisé que le moratoire qu'ils souhaitent instaurer concerne aussi bien les grandes surfaces que les entrepôts du e‑ commerce. D'autre part, un certain nombre d'interlocuteurs ont souligné à quel point il était facile d'obtenir une autorisation pour artificialiser des sols et, a contrario, combien il était difficile d'être vertueux lorsqu'il s'agissait, par exemple, de reconvertir certaines friches industrielles ou certaines friches urbaines pour ne pas gaspiller d'espace. Les projets de ce type se heurtent souvent à des obstacles administratifs.
Une situation de fait accompli est en train de s'imposer, jour après jour. Cette semaine encore, un nouveau projet a été autorisé par l'État. Chaque jour qui passe est un jour de perdu. On nous parle de créer des groupes de travail et de voir plus tard ; mais plus tard, ce sera trop tard. Nous sommes déjà très en retard. Face au fait accompli, une intervention immédiate du législateur s'impose.
J'aimerais apporter un modeste témoignage sur ce qui se passe à Fournès, dans le département du Gard, où Amazon projette de créer un nouvel entrepôt.
Sur la question de l'emploi, je m'étonne que certaines aient remis en cause la rigueur et la précision du rapport de notre collègue Mounir Mahjoubi : ses chiffres sont éloquents et concordent parfaitement tant avec ceux qui ont pu être produits dans d'autres pays qu'avec ce que j'ai moi-même pu constater dans le Gard.
Lorsque le projet d'entrepôt a été présenté aux élus locaux, on leur a parlé de 600 emplois, ce qui a suscité beaucoup d'espoir dans une zone où l'emploi est sinistré. Les élus ont donc montré une grande appétence pour ce projet mais, une fois celui-ci accepté, on n'a plus parlé que de 150 emplois, pour la plupart précaires ou à temps partiel. Cela montre qu'Amazon est prêt à mentir pour faire accepter ses projets localement. Aucune étude d'impact n'a été réalisée pour mesurer les effets d'une telle implantation sur les villes voisines, notamment Bagnols-sur-Cèze, qui fait partie des programmes « Action Cœur de ville » et « Petites villes de demain », où l'on cherche à relancer l'activité économique. Aucune concertation publique n'a été organisée ; des collectifs de riverains se sont organisés, avec le soutien d'associations dont ce n'était absolument pas l'objet, mais qui ont été révoltées par la manière sournoise dont tout cela s'est passé et par la proximité de ce chantier avec le pont du Gard.
Amazon s'implante effectivement à proximité de nos frontières pour organiser son service de distribution à l'étranger. Si la France a été choisie pour être au cœur du dispositif, c'est aussi parce que dans les pays limitrophes, l'installation des entrepôts d'Amazon suscite une bronca au sein de la société civile. Nos voisins sont très contents que cela se passe en France, plutôt que chez eux. N'oublions pas que la France est la championne d'Europe des surfaces commerciales !
La commission passe à l'examen des articles.
Puisqu'il n'y a pas d'amendements sur ce texte, je laisserai à Mme la rapporteure le soin de présenter les articles, si elle le souhaite.
Article 1er : Moratoire de deux ans sur la délivrance de permis de construire d'entrepôts logistiques à destination du commerce électronique d'une surface supérieure à 1 000 mètres carrés
Je regrette que ma proposition de loi fasse l'objet d'un rejet en bloc et qu'il ne nous soit pas possible de débattre plus précisément de chacun des articles.
L'article 1er propose d'instituer un moratoire de deux ans sur la délivrance des permis de construire et d'aménager d'un entrepôt logistique à destination du commerce électronique d'une surface supérieure à 1 000 mètres carrés.
Nous avons déjà débattu de cette disposition et le groupe La République en Marche votera contre cet article. Nous sommes tout à fait ouverts à la discussion et nous sommes actifs pour traiter de ce problème : il existe une lettre de mission à l'inspection générale des finances et nous avons lancé plusieurs projets pour faciliter l'installation d'entrepôts sur des friches industrielles. Tout cela nous rend optimistes pour l'avenir.
On nous dit qu'il faut prendre du temps et réfléchir, mais il est urgent d'agir, car nous sommes face à une entreprise qui évolue à une vitesse extraordinaire. Les résultats économiques d'Amazon sont proprement fascinants : créée au milieu des années 1990, cette entreprise a longtemps été très déficitaire. La puissance extraordinaire de ce modèle économique est venue avec la taille et ses résultats sont maintenant phénoménaux. L'an dernier, son chiffre d'affaires a atteint 280 Md$ et l'entreprise devrait battre absolument tous les records en 2020. Il est nécessaire de protéger nos acteurs et notre économie contre cette entreprise, certes née du coup de génie d'un acteur génial, mais qui risque, si on la laisse faire, de tout manger.
Je souscris à ce qui vient d'être dit. Je vous rappelle que notre pays avait l'un des réseaux les plus denses au monde d'entrepôts logistiques, grâce à la force de notre grande distribution – les géants de la grande distribution française se sont d'ailleurs implantés sur tous les continents. Or un acteur est parvenu, en dix ans seulement, à les supplanter sur le e -commerce. Pourquoi nos acteurs commerciaux n'ont-ils pas réalisé cette transition numérique plus rapidement ? Pourquoi ne se sont-ils pas lancés plus tôt dans la livraison ? Pourquoi ont-ils tardé à créer des sites internet à l'ergonomie plus attractive ? Le problème, c'est que dans les administrations comme dans les grandes entreprises françaises, les gouvernances n'ont pas pris conscience suffisamment tôt de l'importance de ce virage numérique. Cela fait seulement cinq ans qu'elles s'y sont mises sérieusement et qu'elles investissent. Dans l'hôtellerie, on a eu exactement le même problème avec l'entreprise Booking, qui a réussi à prendre le leadership dans un secteur qui était, a priori, à l'abri des délocalisations.
En tant que politiques, nous devons protéger la France, mais aussi l'Europe, face à cette concurrence déloyale. Je vous rappelle que nous parlons d'entreprises qui ne paient pas d'impôt sur les sociétés et qui sont fondées sur un modèle d'optimisation fiscale agressive. Le moratoire permettrait de créer un petit espace, tout comme la fiscalité qu'il est question d'introduire à l'article 4 : elle ne serait pas très élevée, bien loin de ce qui est envisagé à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) depuis 2012. Mme Delphine Batho et moi-même sommes lessivées d'attendre que des décisions soient prises sur ces questions. Face à un acteur aussi puissant, comme face à Google, il faut absolument fixer des limites, sinon les choses vont très mal se passer pour tous nos acteurs économiques.
Mme Émilie Cariou vient de tenir des propos très justes : il est vrai que notre commerce de proximité et nos grandes surfaces étaient l'un des points forts de la France. Mais il est vrai aussi que le réveil numérique de la France, dans tous les secteurs, n'a eu lieu que très récemment, en 2014. Cela étant, je maintiens que le moratoire n'est pas la bonne solution. Les entrepôts vont s'installer de l'autre côté de nos frontières, on verra passer des camions, mais ce n'est pas cela qui va permettre à nos petits commerces ou à nos grandes surfaces de reprendre le dessus. Les mesures fiscales, même si elles sont assez limitées, auraient le mérite d'introduire un peu d'équité, ce qui serait une bonne chose. En revanche, le moratoire sur les entrepôts est, je le dis comme je le pense, une très mauvaise disposition. Je le dis d'autant plus franchement que j'ai reçu de nombreux messages me demandant de soutenir cette proposition de loi.
Cette mesure me paraît tout aussi néfaste que celle qu'avait proposée l'un de mes collègues du groupe Les Républicains, à l'époque où j'en faisais partie, et qui interdisait la livraison gratuite des livres. Je ne sais même pas comment nous avons pu voter une chose pareille ! C'était complètement débile : Amazon a fait payer la livraison cinquante centimes et l'affaire était réglée…
Ce débat est vraiment important, car il touche à la cohésion de nos territoires. Ce qui me semble vraiment incohérent, c'est de mener une politique d' open bar avec Amazon et, dans le même temps, d'investir énormément d'argent dans les initiatives « Action Cœur de ville », « Petites villes de demain » et dans l'agenda rural. Un moratoire permettrait de prendre le temps de la réflexion et de trouver une solution plus juste et solidaire. Si nous continuons à laisser faire Amazon, nous investissons dans des projets à fonds perdus.
Mme Laure de La Raudière nous dit que le moratoire aura pour effet de repousser les entrepôts d'Amazon dans les pays d'à côté, puisque nous sommes dans une économie globalisée. Mais je ne suis pas sûr qu'Amazon soit tellement populaire chez nos voisins. La France pourrait donner l'exemple, et elle serait peut-être suivie ! Sur bien des sujets, l'Europe est pour nous une sorte de barrière psychologique : on se dit que si nous repoussons certaines activités, elles iront s'installer ailleurs. Or, bien souvent, l'Europe attend de la France qu'elle prenne l'initiative et qu'elle montre la voie.
Il est vrai que les acteurs français ont globalement pris du retard, mais certains d'entre eux ont une offre en ligne satisfaisante – parfois articulée à de la vente physique. Ce qui est certain, en tout cas, c'est qu'aucun d'entre eux ne sera en position de concurrencer Amazon. Je les invite donc à arrêter d'être solidaires d'Amazon, parce qu'ils se font voler des parts de marché et que jamais ils ne seront compétitifs face à un modèle fondé sur l'optimisation fiscale et la vente à perte.
On me dit que mes propositions ne sont pas les bonnes. Et vous, que proposez-vous ? Le groupe Écologie Démocratie Solidarité a inscrit plusieurs propositions de loi à l'ordre du jour de sa journée d'initiative parlementaire du 8 octobre : sur ces textes, des collègues des différents groupes politiques ont déposé des amendements, qui ont permis d'apporter des modifications. Je regrette, une fois encore, que ma proposition de loi soit rejetée en bloc. Avec vous, c'est non à tout… Vous dites non à ce que demande un pan entier de l'économie française, qui se sent menacé : mettre fin à la concurrence déloyale dont il est victime, et que le confinement a encore été aggravée. Il est urgent d'agir.
Une excellente proposition a été faite au cours des auditions, qui consisterait à définir un schéma directeur pour avoir une stratégie logistique à l'échelle nationale. Nous pourrions introduire un tel schéma dans le projet de loi dit « 3D » relative à la décentralisation, la différenciation et la déconcentration. Éviter les développements anarchiques en instaurant des règles serait une très bonne chose. Faut-il agir au niveau régional – c'était mon idée –, au niveau national ou au niveau européen ? Il faut déterminer l'échelon le plus pertinent et agir dans ce sens. Ce sera aussi une façon de calmer le jeu sur le terrain, car l'installation de ces entrepôts crée aussi de la concurrence entre les collectivités. Le besoin de logistique ne fait que croître, mais il faut l'anticiper grâce à un schéma directeur, plutôt que de subir l'installation anarchique de certaines entreprises qui font ce qu'elles veulent.
La commission rejette l'article 1er.
Article 2 : Soumission de tout projet de construction, d'extension ou de transformation d'un entrepôt logistique à destination du commerce électronique d'une surface supérieure à 1 000 mètres carrés à concertation préalable à l'issue du moratoire de deux ans
L'article 2 porte sur l'application du principe de concertation préalable, inscrit dans le code de l'environnement, à la délivrance des permis de construire et d'aménager d'un entrepôt logistique, pour remédier à l'opacité qui caractérise la situation dans les territoires, s'agissant notamment du destinataire final de certains projets. Il manque en particulier une étude d'impact sur l'économie et les commerces locaux, qui prendrait en compte les aspects environnementaux et logistiques.
Établir un schéma directeur de la logistique est intéressant, mais, dès le début de son développement et la création de centrales d'achat, la grande distribution a évolué dans un contexte ultraconcurrentiel où s'affrontaient des acteurs franco-français. Nous l'avons vu lors des débats sur la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine, durable et accessible à tous dite « loi ÉGALIM », cette concurrence avait des effets néfastes sur les agriculteurs mais restait concentrée sur des acteurs français. L'acteur Amazon, lui, ne respecte pas les règles du jeu équitables, le level playing field français, en vendant à perte et en mettant en place toutes les pratiques d'optimisation fiscale possibles. C'est ce que dénonce Mme Delphine Batho.
Mme Vestager, actuelle vice-présidente exécutive de la Commission européenne, a commencé à attaquer ces pratiques sous l'angle du droit de la concurrence, mais la procédure a abouti à une condamnation par la Cour de justice de l'Union européenne. Tant que l'Europe n'aura pas réalisé l'harmonisation fiscale en son sein, le problème du droit fiscal ne sera pas réglé.
S'agissant du droit de la concurrence, des procédures devraient être menées car il n'est pas possible de laisser des acteurs vendre à perdre dans les territoires.
La commission rejette l'article 2.
Article 3 : (articles L. 752-1, L. 752-3, L. 752-5, L. 725-16-1 [nouveau] et L. 752-23 du code de commerce) : Définition des entrepôts logistiques à destination du commerce électronique et soumission à autorisation d'exploitation commerciale
J'espérais que cet article de bon sens ferait consensus. La loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », a assujetti les drive à l'obligation de solliciter une autorisation d'exploitation commerciale. Au contraire, les grands entrepôts de e -commerce ne doivent effectuer aucune démarche de cet ordre auprès de la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC), puis de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), ni subir les contrôles de l'Autorité de la concurrence.
L'article 3 définit l'entrepôt logistique destiné au e -commerce – nous étions ouverts pour débattre de sa taille minimale – et l'assujettit à toutes les règles valables pour les grandes surfaces commerciales en France.
Le e -commerce, c'est du commerce. Les règles du commerce doivent s'y appliquer.
Plus encore que les autres, l'article 3 est de bons sens. Nous ne voyons pas pour quelles raisons les entrepôts du e -commerce ne seraient pas soumis aux mêmes conditions d'implantation que les grandes surfaces. Nous ne sommes plus, comme il y a dix ans, dans la nécessité d'aider au démarrage de l'économie en ligne. C'est désormais le contraire : le numérique est devenu tellement efficace qu'il écrase le reste.
Quant à l'estimation de M. Mahjoubi, de deux emplois détruits pour un emploi créé, elle paraît plutôt basse selon les études parues. Nous commençons à avoir du recul sur ces questions. Le modèle d'Amazon présente une telle efficacité de l'instantanéité, jointe à une extraordinaire concentration, qu'il en est tout simplement redoutable. On ne comprend pas pourquoi la France accorderait cette faveur à un commerce qui se porte très bien sans qu'elle ait besoin de le protéger.
La commission rejette l'article 3.
Article 4 (art. 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés) : Soumission des surfaces de stockage des entrepôts logistiques à destination du commerce électronique à la taxe sur les surfaces commerciales
L'article 4 assujettit les entrepôts du e‑ commerce à la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM). Mes collègues du groupe EDS avaient lancé un débat sur cette proposition de bon sens lors du projet de loi de finances rectificative ; ils n'avaient pas reçu de non définitif. C'est pourquoi nous proposons à nouveau cette mesure, même si elle ne règle pas tous les sujets fiscaux évoqués notamment dans le rapport de l'inspection générale des finances sur les fraudes à la TVA et l'optimisation fiscale.
Nous avons suivi ce débat lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative. La question de la fiscalité du e -commerce se pose à l'évidence : c'est la raison pour laquelle une lettre de mission a été confiée à l'inspection générale des finances. Je vous propose donc d'en attendre les préconisations, afin d'être assurés de la réelle application de la TASCOM, faute de quoi ces sociétés n'auront aucun mal à contourner la loi. Nous devons vraiment travailler le sujet.
Chers collègues, je vous comprends : il est urgent d'attendre, il faut réfléchir, il faut étudier, travailler, bien choisir la position… Le malheur veut qu'en face, un acteur rapide, intelligent, très efficace, aux effectifs nombreux, s'adapte très vite et continuera sa progression pendant que nous réfléchissons.
La commission rejette l'article 4.
L'ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, la proposition de loi est considérée comme rejetée.
Je regrette le rejet en bloc de la proposition de loi. Les problèmes qu'elle soulève correspondent à une attente de nombreux acteurs économiques du pays, essentiels au lien social ainsi qu'à la qualité de vie dans les territoires. Nous sommes face à une menace urgente, qui emporte des conséquences lourdes, tant sur le plan écologique que dans leur dimension sociale et pour l'emploi, et qui plus est dans un contexte de récession : nous n'avons pas besoin d'aggraver les problèmes des petites entreprises.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 15 heures
Présents. – M. Damien Adam, Mme Delphine Batho, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, Mme Aurore Bergé, Mme Anne-Laure Blin, M. Éric Bothorel, Mme Pascale Boyer, M. Anthony Cellier, M. David Corceiro, Mme Marguerite Deprez‑Audebert, M. Frédéric Descrozaille, Mme Laurence Gayte, Mme Laure de La Raudière, Mme Annaïg Le Meur, M. Roland Lescure, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Alain Perea, Mme Anne-Laurence Petel, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Huguette Tiegna, Mme Corinne Vignon, M. Cédric Villani
Excusés. – Mme Edith Audibert, M. Grégory Besson-Moreau, M. José Evrard, M. Antoine Herth, M. Jean-Luc Lagleize, M. Serge Letchimy, M. Max Mathiasin
Assistaient également à la réunion. – M. Julien Aubert, Mme Sophie Auconie, M. Bruno Bonnell, Mme Émilie Cariou, Mme Annie Chapelier, M. Charles de Courson, Mme Albane Gaillot, M. Vincent Ledoux, M. Matthieu Orphelin, Mme Mathilde Panot