Intervention de Delphine Batho

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, rapporteure :

Je vous remercie de vos interventions. Je précise à nos collègues du groupe Socialistes et apparentés et de La France insoumise que je ne suis évidemment pour rien dans le fait que leurs amendements aient été déclarés irrecevables : c'est l'application du règlement. Je leur aurais d'ailleurs donné un avis favorable.

Le e -commerce est une évolution technologique et sociétale qui répond aux attentes des consommateurs, qui cherchent la simplicité et la commodité. Toute la question est de savoir ce que nous voulons faire de cette évolution structurelle. Devons-nous laisser certaines entreprises en faire un levier pour capter une part substantielle de notre activité économique nationale et la délocaliser ? Ou bien entendons-nous mettre cette évolution technologique au service d'une relocalisation de l'économie ? Mme Laure de la Raudière a évoqué les établissements qui ont su articuler de manière féconde le commerce physique et le commerce en ligne. Je pourrais de mon côté prendre l'exemple de la société coopérative et participative PliM, à Melle, dans les Deux-Sèvres, qui a fabriqué le masque en coton bio made in France que je porte aujourd'hui : l'essentiel de son activité passe par une plateforme numérique. La consommation responsable, orientée vers des projets vertueux et des produits dont on connaît l'origine, fait appel au numérique. Mais j'insiste sur le fait que ce genre d'initiative ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt : on ne peut pas fermer les yeux sur la prise de position dominante, voire oligopolistique, ou monopolistique, du grand acteur de la vente en ligne qu'est Amazon.

Par ailleurs, tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés reconnaissent que le développement anarchique du e -commerce pose problème. Tous les secteurs d'activité qui ont des besoins logistiques liés au e -commerce développent leurs propres projets, sans aucun schéma d'aménagement, alors qu'on pourrait envisager une mutualisation à l'échelle locale, par exemple pour assurer la livraison au dernier kilomètre, pour lutter contre l'artificialisation des sols ou pour réduire le bilan carbone. On a besoin, en France, d'un schéma directeur de développement du e -commerce, qui aujourd'hui nous fait défaut. L'instauration d'un moratoire doit précisément nous donner le temps d'y travailler. C'est ce que demandent les représentants du commerce de proximité : ils veulent du temps pour parachever l'offre cohérente à laquelle ils travaillent ; ils réfléchissent à des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) de centre-ville, qui permettraient d'articuler le commerce physique avec une offre locale de livraisons et de commandes en ligne ; ils étudient avec plusieurs opérateurs les moyens de développer ce genre de solutions. Ce qu'ils demandent, c'est qu'on mette fin au fait accompli et à la concurrence déloyale.

J'observe que toutes vos interventions ont porté exclusivement sur le moratoire, et non sur les autres dispositions de la proposition de loi, pourtant extrêmement importantes. J'aimerais qu'on m'explique pourquoi une grande surface commerciale doit demander une autorisation d'exploiter, pourquoi elle est assujettie au moratoire sur l'artificialisation des sols et pourquoi elle doit payer la TASCOM, alors qu'un grand entrepôt d'Amazon n'est soumis à aucune de ces obligations. Cette situation ne saurait perdurer.

Je regrette que certains d'entre vous aient rejeté toutes mes propositions en bloc : vous auriez pu repousser l'idée du moratoire mais accepter les dispositions de l'article 3, qui proposent de créer un nouveau statut pour les entrepôts logistiques du e -commerce en les assujettissant à une autorisation administrative, ce qui suppose d'entrer dans une logique d'aménagement du territoire, de faire une étude d'impact sur l'économie locale et de prendre en compte des critères environnementaux.

Certains me disent que cette proposition de loi va renforcer le flux des livraisons depuis l'étranger. Si vous regardez la carte des projets dont il est question aujourd'hui, vous verrez que c'est tout l'inverse qui va se passer : nombre d'entre eux se situent sur la frontière Est de la France, ce qui signifie que notre pays va devenir le centre de livraison de l'Europe. C'est depuis la France qu'Amazon est en train d'organiser la livraison d'une bonne partie des pays européens.

J'ajoute que le chantage n'est pas acceptable. M. Bruno Le Maire a refusé à juste titre d'y céder, à propos de la taxe GAFA : il a prévenu que la France l'adopterait seule s'il le fallait. De même, sur la question des entrepôts, ce n'est pas parce que nous sommes dans une économie ouverte que nous devons nous aligner sur ce que font nos voisins. Un tel raisonnement conduit toujours à s'aligner sur le moins-disant, sur le plan social comme sur le plan environnemental : c'est une logique sans fin. Céder au chantage, c'est s'aligner sur ce qui se fait de moins bien ailleurs : je ne peux pas souscrire à ce raisonnement.

Je rappelle que 670 000 emplois ont été détruits aux États-Unis et que beaucoup d'autres l'ont été au Royaume-Uni. L'histoire des révolutions industrielles et des évolutions technologiques est faite de destructions créatrices : des pertes d'emploi d'un côté sont compensées par des créations d'emploi d'un autre côté. Mais on a aujourd'hui la preuve que le modèle d'Amazon n'est pas celui de la destruction créatrice : c'est une destruction pure et simple, et délocalisante.

S'agissant de l'artificialisation des sols, les représentants de la Convention citoyenne pour le climat que nous avons auditionnés ont précisé que le moratoire qu'ils souhaitent instaurer concerne aussi bien les grandes surfaces que les entrepôts du e‑ commerce. D'autre part, un certain nombre d'interlocuteurs ont souligné à quel point il était facile d'obtenir une autorisation pour artificialiser des sols et, a contrario, combien il était difficile d'être vertueux lorsqu'il s'agissait, par exemple, de reconvertir certaines friches industrielles ou certaines friches urbaines pour ne pas gaspiller d'espace. Les projets de ce type se heurtent souvent à des obstacles administratifs.

Une situation de fait accompli est en train de s'imposer, jour après jour. Cette semaine encore, un nouveau projet a été autorisé par l'État. Chaque jour qui passe est un jour de perdu. On nous parle de créer des groupes de travail et de voir plus tard ; mais plus tard, ce sera trop tard. Nous sommes déjà très en retard. Face au fait accompli, une intervention immédiate du législateur s'impose.

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