Cette proposition de loi, en instaurant un moratoire sur la construction et l'extension des entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce en ligne, suspendrait les projets en cours pour une durée de deux ans. Ce délai permettrait de mettre en place une concertation préalable sur les projets de construction et d'aligner les règles d'implantation des entrepôts sur celles applicables aux commerces physiques. Il est enfin proposé d'assujettir ces entrepôts à la TASCOM.
Disons-le d'entrée, cette proposition vise de manière exclusive à lutter contre l'implantation d'Amazon en France. À titre personnel, je suis très circonspecte sur le modèle de cette entreprise. Mais si cette entreprise est le premier acteur du commerce en ligne en France, elle est loin d'occuper une position dominante sur le segment des pure players. En 2018, le chiffre d'affaires d'Amazon en France était estimé à 6,6 Md€, sur un marché valorisé à 100 Md€. Les chiffres varient selon les interlocuteurs, mais Amazon occupe a priori une part de marché de l'ordre de 17 % du e -commerce. Amazon est en croissance en France, mais comme l'ensemble du secteur du commerce en ligne, qui a connu une augmentation des ventes à la faveur du confinement. Nous avons nos propres entreprises bien implantées dans ce secteur : Cdiscount ou FNAC Darty. Sur les quinze sites de commerce en ligne les plus visités en France, sept sont français, sans compter toutes les enseignes qui mêlent commerce physique et commerce en ligne.
La proposition de notre collègue Delphine Batho est animée de bonnes intentions, mais elle n'apporte pas les bonnes solutions. Un moratoire pour deux ans serait aussi inefficace que dangereux pour réguler le secteur du e -commerce. Un entrepôt de logistique est souvent omni-canal : il sert à la fois des points de vente physiques et la vente en ligne. Distinguer les deux ne serait pas aisé, et rien n'empêcherait Amazon de s'adapter à ce nouveau cadre législatif en accueillant les stocks d'autres entreprises dans ses entrepôts.
Amazon dispose de l'expertise et des finances nécessaires pour continuer à livrer depuis l'étranger. L'épisode du confinement l'a prouvé : alors qu'Amazon France a dû interrompre ses livraisons sur décision de justice, ses filiales en Espagne ou en Allemagne ont continué à livrer sur le territoire national. Je ne souhaite pas que les logisticiens français interrompent leurs projets d'implantations, importants pour l'économie, et soient réduits à regarder passer les camions d'Amazon sous leurs yeux. Ces poids lourds en provenance de l'étranger seraient enfin une aberration écologique.
Le e -commerce est une réelle opportunité, y compris pour le commerce physique. On estime que 60 % des petites et moyennes entreprises (PME) ont constaté une hausse de plus de 10 % de leur chiffre d'affaires en magasin après le lancement de leur site en ligne. Les gens comparent sur internet, puis viennent acheter dans les magasins. Les commerces physiques utilisent également les services de pure players, dont Amazon. Ainsi Armor-Lux, dans ma circonscription, réalise une grande part de son chiffre d'affaires en ligne en passant par Amazon.
Dans l'immédiat, le plan de relance prévoit de consacrer 61 M€ pour accompagner la numérisation des très petites entreprises (TPE) et des PME, ce qui pourra les aider à créer d'autres plateformes qu'Amazon. Nous aurons d'autres débats à ce sujet dans les mois à venir.
Néanmoins, cette proposition de loi soulève de vraies questions, et je partage certaines positions de la rapporteure. Il n'existe pas de plan national consacré aux flux logistiques en France. Chaque entreprise s'implante individuellement en fonction de ses besoins, au détriment d'un ensemble global. Une cartographie des implantations d'entrepôts à l'échelle régionale serait pertinente. Pourquoi ne pas instaurer un agrément comparable à celui qui existe en région Ȋle-de-France ?
De même, les données sur l'emploi restent parcellaires. Nous avons une idée assez vague des conséquences, positives ou négatives, du e -commerce sur l'emploi. La rapporteure a cité la note de notre collègue Mounir Mahjoubi, selon laquelle Amazon emploie 2,2 fois moins de salariés que le commerce de détail. Sans faire injure à notre collègue, ces données restent lacunaires et ne prennent pas en compte les emplois indirects et saisonniers créés par Amazon. Je préfère attendre les résultats de la mission intergouvernementale lancée en septembre par Bercy pour disposer d'un état des lieux précis de la logistique du commerce en ligne avant de prendre une décision en ce sens.
Les questions fiscales devront également être traitées. La proposition de loi assujettit les entrepôts au paiement de la TASCOM. Nous ne souhaitons pas ouvrir ce débat : il s'agit d'une demande ancienne sur laquelle aucun arbitrage n'est arrêté. Les collectivités ont d'ores et déjà la possibilité de taxer les entrepôts en tant que local industriel, et ne doivent pas se priver de le faire. Sur ce sujet également, attendons le résultat de la mission gouvernementale avant de prendre une décision.
Le sujet de l'artificialisation des sols a été évoqué par les citoyens lors de la Convention citoyenne pour le climat. D'après les chiffres, la logistique n'est pas le secteur qui artificialise le plus : il est à l'origine de seulement 1 % des nouvelles artificialisations. Cette question sera également abordée par la mission gouvernementale, et dans le projet de loi issu des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, qui viendra prochainement.
Je fais confiance à M. Bruno Le Maire pour appliquer la taxe sur les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) dans les années à venir, il lui faut réaliser un tour de force avec les États-Unis pour améliorer le commerce en ligne en France et favoriser un commerce national offrant de réelles garanties sociales.