Monsieur le rapporteur, cher Max Mathiasin, j'ai particulièrement apprécié votre analyse du budget de la mission « Outre-mer ». Au-delà de la lecture comptable, budgétaire, il faut aussi avoir une lecture politique et économique, et je me situerai plutôt dans ce deuxième temps. Car si l'on peut se satisfaire de la hausse de crédits, plusieurs points me paraissent très inquiétants.
Premièrement, ce budget s'inscrit dans un budget global consacré à l'Outre-mer, dont le montant est de l'ordre de 22 milliards d'euros. Et si l'on persiste à s'en tenir aux seuls mécanismes budgétaires ciblés vers l'Outre-mer, on se prive de l'indispensable vision transversale de la politique globale que l'on y mène. Il faut traduire l'exécution budgétaire en projets, et pas seulement en actions ; faute de quoi, en restant dans une analyse purement comptable, on ne permet pas à chaque département, chaque région, chaque collectivité de disposer de l'espace nécessaire pour construire un projet.
Deuxièmement, je suis très inquiet du volume des crédits non consommés. Crédits de paiement et autorisations d'engagement confondus, près de 200 millions d'euros n'auraient pas été consommés en 2019. Ce n'est pas une petite somme ! L'exécution de l'année 2019, telle qu'elle ressort de la loi du 30 juillet 2020, fait apparaître que 38 % des autorisations d'engagement et des crédits de paiement du programme 123 n'ont pas été consommées.
On attribue communément cet état de fait à une ingénierie insuffisante. Notre collègue Justine Benin vient de formuler une proposition très intéressante à ce sujet. Toutefois, le problème essentiel tient au fait que les collectivités locales sont incapables, structurellement, budgétairement et financièrement, de mener à bien les opérations de façon efficace en raison de leurs difficultés budgétaires elles-mêmes dues à la désharmonisation entre les recettes et les dépenses, dans un contexte de chômage particulièrement violent – 23 % en Martinique – et de sous-développement chronique.
Troisièmement, il faut agir en faveur des jeunes. Hormis le recours à LADOM pour faire venir des gens, je ne vois aucune proposition concrète, aucune politique globale permettant de sortir les jeunes du marasme. Je rappelle que 57 % des ultramarins de moins de vingt-sept ans sont au chômage. Ce n'est pas un petit chiffre !
Une piste me semble intéressante, dès lors que les emplois aidés ont été plus ou moins supprimés : compléter, par le biais de l'expérimentation, le revenu de solidarité active – RSA – par un RSA jeune, destiné aux jeunes d'Outre-mer. Cette mesure pourrait aussi être appliquée dans certaines banlieues et certaines régions de France métropolitaine dès lors que le chômage dépasse un certain seuil.
Je ne vois rien non plus pour enrayer la chute de la démographie à la Martinique et en Guadeloupe, dont les populations seront bientôt les plus vieilles de France… Nous perdons environ 3 000 à 4 000 personnes par an. En dix ans, la Martinique est passée de 400 000 habitants à 370 000. Il faut agir.
Enfin, j'évoquerai la question du chlordécone. Le rapport de la commission d'enquête sur l'utilisation du chlordécone a formulé 49 propositions ; aucune ne fait l'objet d'une traduction claire sur le plan financier et budgétaire alors que nous avons impérativement besoin d'un appui annuel substantiel.
En conclusion, la question de la différenciation dans l'égalité me semble essentielle. Nos programmes de développement sont trop dépendants de décisions centralisées à l'échelon national, au Parlement ou au sein du pouvoir exécutif. Je plaide en faveur d'une différenciation adaptée aux réalités de l'Outre-mer.