La commission a entendu M. Denis Sommer au titre du groupe de travail sur le plan de sauvegarde proposé par General Electric.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, conformément à la décision de la conférence des présidents, la règle dite de la jauge s'impose de nouveau en commission, afin de limiter le nombre de présents. Je ne peux donc, en principe, accepter plus de trente-sept députés dans la salle. Si la juge devait être atteinte, j'inviterais le ou les groupes ayant plus de la moitié de leur effectif présent à faire sortir certains de leurs membres. Pour le moment, j'engage vivement chacun d'entre vous à laisser une chaise libre à côté de lui et à éviter de s'asseoir face à un collègue. Je vous incite à être exemplaires, nos réunions étant publiques, et disciplinés, dans la mesure où c'est aussi la discipline individuelle qui nous aidera à surmonter cette épreuve collective. Je vous rappelle également que les présences en commission ne sont plus publiées en annexe au compte rendu et au Journal officiel et que, en conséquence, les sanctions prévues à l'article 42 du règlement ne sont pas applicables.
Nous commençons la matinée par un sujet important. À la suite de la demande de M. Denis Sommer, un groupe de travail a été créé il y a quelques semaines pour étudier le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) proposé par General Electric (GE). La commission des affaires économiques n'a pas vocation à créer un groupe de travail pour tous les PSE qui ne manqueront pas d'apparaître, malheureusement, dans les mois à venir ; mais nous avons considéré, avec M. Sommer, que celui-ci, du fait de l'identité de l'entreprise, de son histoire récente et de l'opération qui avait mené à la situation actuelle, était suffisamment important en soi et emblématique, s'agissant des questions qui se posent sur la relation entre donneurs d'ordre et fournisseurs, pour mériter une communication publique devant notre commission.
Par ailleurs, vous vous souvenez certainement que, l'été dernier, nous avions voté, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution, sur la désignation de M. Philippe Mauguin au poste de président-directeur général de l'Institut national de recherche sur l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAe). Pour ce type de nomination, la règle veut que le dépouillement soit fait simultanément dans les deux assemblées une fois qu'elles ont procédé toutes deux à l'audition. L'audition de M. Mauguin ayant lieu en ce moment même au Sénat, nous procéderons au dépouillement après la communication de M. Sommer.
Monsieur le président, je vous remercie d'avoir accepté le principe du groupe de travail et de cette communication. Derrière le nouveau plan social annoncé par General Electric, se pose la question de l'avenir de notre politique énergétique et, partant, de notre stratégie industrielle, les choix opérés par General Electric modifiant considérablement notre capacité à intervenir sur le marché mondial.
General Electric a annoncé son intention de supprimer 1 125 emplois en Europe, dont 764 en France, avec une restructuration des activités renouvelables : hydroélectricité et équipements de réseaux électriques – autrement dit sa division Grid solutions. Le PSE s'inscrit dans une opération de restructuration en chaîne, qui a débuté avec le rachat d'Alstom et celui du groupe parapétrolier Baker Hughes. Je remercie M. Hugh Bailey, le directeur général de GE France, d'avoir répondu à notre demande d'audition, ainsi que les organisations syndicales qui se sont déplacées en nombre pour nous faire part de leur analyse de la situation.
La direction nous a expliqué que GE avait connu des difficultés financières à partir de 2018, du fait d'un ralentissement de l'activité concernant les énergies thermiques et le gaz, qui avait été néanmoins compensé par la croissance des énergies renouvelables. Ces difficultés ont été renforcées par la crise sanitaire, qui a affecté le rythme des investissements clients, et par la pression très forte des clients pour faire baisser les prix. La réponse de GE a été de réduire massivement la structure et la masse salariale. Ce discours de la direction pourrait donner le sentiment qu'elle doit faire face à une conjoncture particulièrement compliquée, et donc ajuster les effectifs.
En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes. Un grand nombre de délocalisations et de transferts de compétences, du reste totalement assumés par la direction de GE, principalement en Hongrie et en Inde, concernent, pour l'essentiel, des activités d'ingénierie. Les fonctions support sont également délocalisées – ressources humaines, services comptables et de facturation –, notamment vers la Hongrie. Tout cela pose question. Ayant déjà eu l'occasion de rédiger un rapport sur les relations entre les grands donneurs d'ordre et les sous‑traitants dans les filières industrielles, j'ai pu constater combien les grands groupes étaient en train d'externaliser ce type de fonctions pour s'extraire du droit français, ce qui met en difficulté nombre de PME, de PMI et de sous‑traitants travaillant pour eux.
Les organisations syndicales, de leur côté, nous ont alertés : c'est l'avenir industriel d'un secteur qui est en cause, à un moment où la question de la transition écologique et énergétique se pose très largement. Du fait de la stratégie de GE, nous sommes en train de perdre le rôle d'intégrateur de nos équipes et des différents secteurs. GE ou Alstom étaient capables de répondre à l'appel d'offres d'un pays, de construire une centrale hydraulique ou nucléaire, de concevoir l'ensemble du produit tout en fabriquant en interne des turbines, des alternateurs ou des pièces connexes. Ils étaient capables de concevoir, de chiffrer, de livrer et de suivre une installation. Or GE paraît décidé à mettre une croix sur sa vocation d'ensemblier pour proposer non plus un service global sur des systèmes complexes, mais de la vente sur étagère. Une telle stratégie ne peut garantir notre leadership industriel, ni celui de la France dans le monde, sur ces questions énergétiques.
Pour développer les énergies renouvelables et les associer à l'hydrogène, notamment, grâce à l'hydrolyse, nous devons créer des systèmes complexes. Or nous allons nous retrouver en panne de compétences si nous continuons à accepter la stratégie de General Electric. Nous avons besoin de faire le point sur ce qu'est notre outil industriel, sur ce que nous voulons en faire et sur ce que la France aura à dire en Europe et dans le monde. La dimension d'ensemblier est stratégique. À ne plus fabriquer que des éléments, on court le risque de les voir se fabriquer ailleurs un jour ou l'autre, car d'autres pays investissent massivement dans ces domaines.
Ce qui m'a frappé, lors de nos auditions, outre le sérieux des organisations syndicales, c'est la perte de confiance des cadres dirigeants et leur découragement. Je connais un peu le monde de l'entreprise : quand un plan social est décidé à l'échelle d'un groupe, les cadres dirigeants des différents services portent habituellement la parole de la direction auprès de leurs salariés. Chez General Electric, cela ne se passe plus ainsi : nombre de cadres dirigeants remettent fondamentalement en cause les orientations prises par leur direction. Ce déficit de confiance est lourd de conséquences. Petit à petit, c'est l'entreprise qui se délite, d'autant que les plans sociaux arrivent les uns après les autres : on évoque, à Belfort, le déplacement de vingt-deux personnes vers Grenoble ; mais le bruit circule que l'objectif serait de ramener les effectifs de Grenoble, qui étaient à huit cents, à deux cents personnes. Un nouveau PSE se prépare pour les services informatiques : cent sept suppressions de postes sur les cent cinquante actuels, principalement à Boulogne‑Billancourt et à Belfort. Nous sommes en train de perdre des compétences indispensables au développement global de l'entreprise. L'activité « Steam power », à Belfort, concernait jusqu'alors les centrales à charbon, un marché destiné à s'éteindre, et le nucléaire, dont le marché se compose de grosses centrales mais aussi de plus petites – secteur lequel General Electric n'est absolument pas présent. Cela veut dire que, dans les deux prochaines années, notre potentiel industriel risque de s'affaiblir encore à Belfort.
La question de notre souveraineté industrielle et énergétique se pose, ainsi que celle de la sécurité de nos équipements. Par exemple, pour l'entretien des barrages hydroélectriques, avons-nous intérêt à garder des compétences chez nous ou pas ? Ce sont des sujets très importants. Alors que nous avons besoin de plus d'éolien, de plus de solaire, de plus d'hydrogène et que 30 milliards d'euros ont été inscrits dans le plan de relance à destination de la transition écologique et énergétique, nous sommes en train de perdre une partie de notre puissance industrielle dont nous avons besoin pour répondre à ces objectifs.
Nous devons définir une stratégie globale de développement énergétique, non seulement pour nous, mais en regardant aussi ce que seront les marchés mondiaux et les technologies autour desquelles ils vont se développer. On entend souvent, y compris dans les préfectures, que tout va bien parce que nous avons des start-ups dotées d'une grande capacité d'innovation dans tel ou tel domaine, particulièrement dans celui de l'hydrogène ; à ceci près que ces start-ups, en général, n'ont absolument pas la capacité financière d'industrialiser leurs systèmes et d'occuper le marché. Il sera aisé pour des investisseurs étrangers de prendre le contrôle de ces start-ups qui travaillent sur des technologies d'avenir présentes demain sur les marchés porteurs et créateurs d'emplois. En matière de politique énergétique, nous avons besoin de travailler avec les grands groupes, EDF, Framatome et autres, pour déterminer les axes de progrès et de production dans lesquels il faut investir massivement, sans quoi nous n'aurons pas de politique énergétique digne de ce nom. Si on laisse filer la situation, je crains fort que la France, qui faisait partie des leaders mondiaux, ne soit renvoyée à une position subalterne dans les années à venir.
Je remercie M. Denis Sommer pour sa communication et son alerte. La restructuration, qui intervient après de multiples réorganisations d'activités, concerne quelque 764 postes localisés principalement dans la région lyonnaise, le Territoire de Belfort et à La Défense. General Electric ne doit pas utiliser la crise sanitaire comme un effet d'aubaine pour régler des problèmes de long terme liés à la recomposition de la filière énergie en Europe. Si le PSE est circonstancié à la conjoncture sanitaire, des mécanismes existent, comme le passage à l'activité partielle de longue durée. En réalité, cette restructuration ne concerne pas seulement General Electric, mais tout l'écosystème de donneurs d'ordre et de sous‑traitants organisés autour des lieux de fabrication. Pour la région lyonnaise, à Villeurbanne ou à Saint‑Priest, les suppressions de postes sont à multiplier par trois en comptant les emplois induits. J'aimerais savoir, Monsieur Sommer, quelles sont vos propositions pour appréhender ces écosystèmes dans leur ensemble.
L'État stratège vient de nommer un Haut-Commissaire au plan : il devra travailler à définir une vision d'ensemble sur la politique énergétique. La fermeture de ces usines, c'est autant de pertes pour la France et pour l'Europe, dans la fabrication des turbines à vapeur et à gaz, dans le nucléaire ou encore la production d'énergies durables comme l'éolien ou l'hydraulique. À la suite du premier PSE, un comité paritaire avait été créé pour la diversification du site de Belfort, l'un des axes envisagés étant l'utilisation de l'hydrogène. Où en est ce projet ? Nous pourrions peut-être aborder la question prochainement avec nos collègues allemands, lors d'une réunion en visioconférence programmée pour le 4 novembre. La loi PACTE nous avait conduits vers un capitalisme responsable : ne lâchons pas cet objectif.
Si le PSE venait répondre à une difficulté passagère, je pourrais le comprendre : cela arrive… Mais on connaît General Electric ! Année après année, GE multiplie les opérations et les belles promesses, pour obtenir plein de choses de l'État ou des collectivités. Mais, à chaque fois, cela se finit pareil. Cela fait bien longtemps que ces gens ne sont plus des industriels, mais des financiers qui ne pensent qu'à faire des profits. À peine en font-ils un peu à Belfort qu'ils créent une passerelle entre leurs différentes structures pour que ces profits soient fiscalisés en Suisse ou ailleurs. Ils ne réinjectent jamais ce qu'ils récupèrent dans nos territoires.
Lors du rachat d'Alstom également, il y avait eu de belles promesses. Mille emplois, c'était merveilleux, on allait faire des centres européens… Rien de tout cela n'a été respecté. La pénalité de 50 millions d'euros ? Pas respectée ! Et voilà un nouveau PSE ! Pourtant, les organisations syndicales sont particulièrement responsables, ce qui n'est pas toujours le cas : elles ne cherchent pas à détruire mais à construire, sauf qu'elles n'ont pas d'interlocuteur… La question va au-delà même de General Electric. Allons‑nous accepter encore longtemps que de grands groupes mondialisés se servent de l'État et des collectivités territoriales pour faire du bénéfice, sans tenir compte ni des gens qui travaillent, ni du savoir‑faire, et massacrer des territoires ? Même si je suis plutôt libéral dans l'âme, à un moment, ça suffit ! Ce ne sont plus des libéraux, mais des financiers et des capitalistes.
M. Denis Sommer a fait un bon travail. Mais, depuis que je suis élu, j'ai fait plein de réunions de ce genre : je sais qu'on ne peut plus discuter avec ces gens. L'État devrait fixer des conditions fermes. Mais on ne sait pas le faire, trop naïfs que nous sommes face à des financiers de ce genre. Et du côté des Américains, avec M. Trump, cela ne s'est pas arrangé : il n'y a plus de décisions locales. Nous devons agir pour préserver notre industrie, sans quoi notre avenir sera assez terrible. Et nous nous sentons un peu démunis.
L'alerte concernant General Electric n'est pas nouvelle. Étape après étape se dessine une logique de démantèlement qui n'est que le prolongement de l'opération de rachat d'Alstom. Certains d'entre nous avaient été pris pour des Cassandre lorsqu'ils annonçaient ce qui allait se produire : l'État a été victime d'un marché de dupes. Alors que l'actualité est bouillante, avec l'opération en cours entre Suez et Veolia, il faut tirer les leçons de l'histoire et ne pas reproduire ce qui s'est déjà passé. Dans un tel cadre, Monsieur le président, je trouverais normal que notre commission puisse auditionner M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Monsieur Sommer, lors de la préparation de votre rapport, avez-vous eu des échanges avec l'État ? Je me souviens de M. Bruno Le Maire, au début du mois de septembre, qui disait son opposition au PSE. Par ailleurs, je souhaite rappeler que General Electric a bénéficié en 2007 de plus de 250 millions d'euros d'aides d'État à l'export sur l'hydro et le gaz, supposément en contrepartie d'investissements et du maintien d'un certain nombre d'activités à Belfort – rappelons que ces aides à l'export font l'objet d'une enquête préliminaire du parquet visant M. Hugh Bailey pour prise illégale d'intérêts. Cet élément du dossier fait-il partie des leviers évoqués aujourd'hui dans le rapport de force entre l'État et General Electric ?
Cher collègue, je reconnais l'objectivité de votre rapport et sa clarté. Vous venez de nous expliquer que nous sommes dans une situation de catastrophe sans avoir les moyens de la conjurer. La libre circulation des hommes, des capitaux et des marchés, en Europe, nous empêche de nous opposer à cette situation, entretenue volontairement. J'en prendrai un exemple local, dans le bassin minier : Bridgestone. Comparaison vaut parfois raison… L'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdit de l'empêcher de vendre ses pneus en France ; et avec les subventions qui lui ont été accordées, Bridgestone a installé des usines technologiquement performantes en Pologne et en Hongrie, qui vont damer le pion au site français. C'est la catastrophe imminente sans les moyens de la conjurer, puisque c'était la dernière usine de reconversion dans le bassin minier.
Vous venez de nous expliquer que General Electric utilisait les subsides de l'État pour définir des plans de restructuration atelier par atelier, avant de décider de délocaliser telle ou telle fonction selon sa rentabilité. Mulliez a transféré tous ses services informatiques en Pologne : les salaires sont mis en concurrence directe au niveau européen. On est en train de vendre la France à la découpe. Il faut savoir que 46 % de nos industries sont dans des mains étrangères. Sans une stratégie ni un plan de relance avec des perspectives de développement, la situation deviendra rapidement critique. Preuve que nous ne sommes pas dans le coup : la dernière prix Nobel de chimie a dû s'exiler en Allemagne pour bénéficier des moyens nécessaires à ses recherches, que nous ne sommes pas foutus de lui donner en France.
Nous avons malheureusement vu ces dernières années les projets de restructuration et les plans sociaux s'accumuler, et celui-ci n'est sans doute pas le dernier. General Electric s'est engagé à créer plus de 1 400 emplois dans l'éolien offshore. De quelle manière pouvons‑nous garantir fermement la création de ces emplois ? Comment faire pour retenir les aides publiques accompagnant ces nouveaux projets de développement en cas de manquement, sur une période assez longue, aux différents accords ?
Je vous félicite, cher Denis Sommer, pour votre travail. Vos questions incitent à se recentrer sur l'essentiel. Vous avez montré que les technologies du futur représentaient un enjeu capital pour la souveraineté de l'Europe, tandis que le Monopoly capitalistique à l'œuvre nous faisait perdre nos repères et risquait de détruire de la valeur et les conditions mêmes de notre liberté. Je ne suis pas du tout protectionniste et encore moins souverainiste : sans un « nous » universel, sans un « nous » européen, qui apporte son éthique propre, il n'y aura pas de solution pour la planète. La solution passe par l'Europe et par l'affirmation d'une puissance publique et privée européenne. Telle est bien la question que vous posez : celle d'une perte complète de contrôle qui nous donne le vertige.
L'histoire de General Electric et d'Alstom me fait penser à celle de Pont‑à‑Mousson et de Saint‑Gobain. Depuis six générations, nous sommes en avance dans la technologie de la fonte ductile pour les réseaux d'eau. Or ce précieux savoir‑faire risque de devenir l'objet d'une opération de Monopoly, dans un jeu capitalistique et une recherche de performance à court terme, qui ferait perdre à la société un bien commun stratégique.
Je vois à cela trois solutions. La première, en matière de recherche et de prospective, c'est le Green New Deal européen, ancré dans des technologies industrielles centrales. La deuxième, c'est l'activation de nos armatures juridiques françaises et européennes : clause de réciprocité commerciale ; lutte contre le dumping fiscal ; protection des actifs ; taxe carbone. La troisième, ce serait une alliance des capitaux publics et privés, afin de reconstituer un capitalisme au long cours garantissant nos intérêts sur plusieurs générations. Les voies que nous avons à peine explorées dans la loi PACTE, autour de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), des sociétés à mission et de la codétermination, sont des voix heureuses pour ancrer profondément le monde du travail dans nos territoires et notre Europe.
Je salue à mon tour le travail de notre collègue. Depuis le rachat d'Alstom par General Electric, on constate une succession de non‑respects des engagements, qui nous ont conduits à cette restructuration des divisions, notamment celles concernant les équipements pour les barrages hydroélectriques et les lignes à haute tension. L'activité hydro est vouée à la fermeture, alors que nous avons la responsabilité de réussir la transition énergétique où elle a un rôle majeur à jouer. Quand allons-nous enfin tirer les leçons des expériences désastreuses de démantèlement et de la perte du savoir‑faire français ? Avez-vous des pistes pour que nous ouvrions enfin les yeux ?
Je réponds à Mme Batho sur sa demande d'audition du ministre. J'ai souhaité que nous lancions un groupe de travail sur les conséquences d'un éventuel rapprochement de Veolia et de Suez commun avec la commission des finances. MM. Bruno Bonnell et Jérôme Nury, qui sont les membres de notre commission au sein de ce groupe de travail, auditionnent toutes les personnes qui doivent l'être, puis feront une communication publique devant les deux commissions. Si, à l'issue de ce travail, certains parlementaires considèrent qu'il faut aller plus loin et auditionner le ministre, j'y serai prêt. Mais faisons les choses dans l'ordre et commençons par débroussailler le sujet. Des représentants du ministère des finances ont déjà été auditionnés, notamment le patron de l'Agence des participations de l'État (APE). L'objectif est de faire le tour de la question en trois semaines, avant de revenir devant la commission.
Pour ce qui est de l'engagement de GE dans l'éolien, avant toute chose, la France doit clarifier sa politique énergétique : nous devons savoir vers où nous voulons aller, quelles sont les priorités que nous nous fixons et surtout mettre en place les dispositifs appropriés. Nous devons avoir une vision claire de ce que nous voulons produire en France et de ce que nous voulons réaliser sur notre territoire, sachant qu'une telle réflexion vaut aussi pour l'Europe et d'autres régions. Entre les orientations que nous nous fixons et leur réalisation, les délais peuvent être longs et ne correspondent pas aux conditions de développement du marché. Cela exige de mettre en synergie certains acteurs.
Prenons l'exemple de l'hydrogène. J'ai appris hier que Hyundai allait livrer 1 500 camions à hydrogène. Bonne nouvelle : c'est Faurecia qui livre les réservoirs ! Cela étant, bien des pays concurrents existent dans le monde, qui ont le mis le paquet. L'hydrogène en stationnaire se développe en Suisse ou dans d'autres pays ; nous sommes en retard. Quels industriels sont capables de travailler sur ces sujets ? Comment les fonds publics et privés sont‑ils capables de s'associer pour atteindre ces objectifs ? Voilà ce sur quoi nous devons travailler. Une politique énergétique, ce n'est pas seulement des start-ups éparpillées sur le territoire qui développent des trucs géniaux, grâce à des ingénieurs particulièrement brillants ; encore faut-il à un moment donné mettre tout cela en musique. Comment favoriser la mise en industrialisation des systèmes ? C'est là le vrai sujet, sans quoi nous serons capables d'inventer mais incapables de produire.
Encore une fois, nous devons clarifier notre politique énergétique pour la mettre en mouvement. Il faut mettre les grands groupes autour de la table. Prenons l'entreprise McPhy, spécialiste de l'hydrogène, dont le principal actionnaire est EDF, qui a fait une levée de fonds de 150 millions d'euros. L'essentiel de leur production d'hydrolyseurs est en Italie… Elle est pourtant stratégique ! Nous ne pouvons pas nous cantonner à l'innovation. C'est toute la chaîne de valeur qui doit se développer.
Il faut effectivement tirer les leçons de ce que nous avons vécu : le problème n'est pas de distribuer les bons et les mauvais points sur les décisions prises il y a plusieurs années. D'autant qu'à l'époque, Michel Zumkeller peut en témoigner, tous les élus du nord de la Franche-Comté faisaient pression sur le Président François Hollande et son ministre de l'économie et des finances pour défendre la solution GE plutôt que la solution Siemens ! Des pétitions avaient même été organisées sur le territoire… On peut maintenant se le renvoyer à la figure, cela ne changera rien. La question est de savoir si nous sommes en mesure de créer les conglomérats capables de produire de la valeur dans notre pays.
S'agissant de la sous-traitance, j'ai plaidé, dans le rapport d'information sur les relations entre les grands donneurs d'ordre et les sous-traitants dans les filières industrielles, pour que la question des relations entre donneurs d'ordre et sous-traitant soit intégrée dans les contrats de filière, et surtout assortie de procédures et d'objectifs précis. Pour l'instant, on en reste à des contrats de filière, et à côté, on met en place ce qu'on appelle des règles de bonne conduite, des chartes d'engagement moral ou autres. Mais quand ce n'est pas dans le contrat, ce n'est pas dans le contrat, et les mauvaises pratiques perdurent. Il faut continuer à faire pression, y compris au niveau du Conseil national de l'industrie, pour que cet aspect des choses soit traité.
Sur la question de l'État stratège, une décision importante a été prise : M. François Bayrou a été nommé Haut-Commissaire au plan, c'est une excellente chose.
Au-delà des hommes, cette réflexion est indispensable. Reste à donner du rythme : dans le domaine de l'hydrogène notamment, les technologies sont désormais totalement maîtrisées et la mise sur le marché suivra très vite. Il faut donc prendre des décisions très rapidement, tout en tirant les leçons du passé.
Dans le cadre de l'élaboration du rapport d'information sur les relations entre donneurs d'ordre et sous-traitants, nous avions auditionné les acteurs de la fédération de l'énergie. Les organisations syndicales nous ont expliqué qu'EDF n'est plus le grand ensemblier de jadis, que le plus souvent, la maintenance des centrales était assurée par des entreprises venant de très loin, ce qui pouvait poser des problèmes de sécurité, que nous ne maîtrisions plus complètement la chaîne de création de valeur, bref, qu'il y avait danger dans ce domaine. On a laissé filer les choses ces dernières années. Les responsabilités sont très largement partagées : cela vient de très loin. Il faut mettre un terme à tout cela, faute de quoi notre industrie, qui pèse 10,5 ou 11 % du produit intérieur brut (PIB), n'en pèsera peut-être plus que 9 % dans quelques années. Voulons-nous vraiment une grande industrie pour notre pays ? Cela suppose que la puissance publique et les grands groupes, en particulier ceux où l'État est présent, s'allient pour bâtir la grande France industrielle dont nous avons besoin.
En guise de conclusion, je formulerai deux observations.
Le plan de relance aborde de nombreux aspects autour de ce sujet. Je vous engage donc à participer aux débats en séance publique qui y seront consacrés : l'objectif de réindustrialiser la France est explicitement mentionné. Que l'on soit d'accord ou non, il s'agit d'une bonne occasion de débattre de façon générale de cet enjeu majeur.
Par ailleurs, nous allons prendre langue avec le Haut-Commissaire au Plan pour l'inviter à une audition, qui sera certainement très intéressante.
Nous allons maintenant procéder au dépouillement du vote sur la désignation de M. Philippe Mauguin au poste de président-directeur général de l'INRAe.
La réunion, suspendue à dix heures vingt, est reprise à dix heures vingt-cinq.
Le dépouillement est terminé, mais nous attendons les résultats de celui qui est en cours au Sénat afin d'agréger les votes des deux assemblées, comme le prévoit la procédure.
Puis la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de M. Max Mathiasin, les crédits de la mission « Outre-mer ».
La crise sanitaire frappe douloureusement les territoires ultramarins, déjà fragilisés par de profonds déséquilibres structurels : une balance des paiements déficitaire, une insularité et un éloignement géographique de l'Hexagone, qui favorisent la vie chère, des délais de paiement très allongés, un taux de chômage deux à trois fois plus élevé que celui de l'Hexagone. Les effets de la crise qui a fortement réduit le nombre de liaisons maritimes et aériennes avec l'Hexagone et le reste du monde, et par voie de conséquence les échanges extérieurs, pourraient donc y être encore plus dévastateurs.
Dans ce contexte, les crédits de la mission « Outre-mer » doivent plus que jamais être mobilisés au service du développement économique, social et environnemental du territoire ultramarin. D'après le ministère des Outre-mer, ces crédits représentent près de 12 % de l'effort budgétaire de l'État en faveur de l'Outre-mer. Ils sont en légère hausse dans le projet de loi de finances pour 2021 : les autorisations d'engagement progressent de 160 millions d'euros pour atteindre près de 2,679 milliards au total. Votre rapporteur pour avis prend acte de cette augmentation.
La structure de la mission, composée de deux programmes – « Emploi Outre-mer » et « Conditions de vie Outre-mer » –, demeure inchangée. Le programme 138 « Emploi Outre-mer » concentre l'essentiel des augmentations des crédits : +106,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et +94,1 millions d'euros en crédits de paiement. Cette progression traduit un effort supplémentaire en faveur des entreprises ultramarines : pour la première fois depuis sa refonte en 2019, l'exonération de cotisations sociales patronales atteindra en 2021 son régime de croisière. Pour rappel, 93 % des crédits du programme 138 sont concentrés dans l'action n° 01 « Soutien aux entreprises », ce qui reflète la compensation des exonérations de charges. Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit une augmentation de 6,6 % de ses crédits.
L'action n° 02 « Aide à l'insertion et à la qualification professionnelle » bénéficie également d'une hausse des autorisations d'engagement de 3,91 % par rapport à la loi de finances pour 2020. Ses crédits financent le service militaire adapté, dispositif d'insertion professionnelle destiné aux jeunes ultramarins les plus éloignés de l'emploi, ainsi que les actions de l'agence de l'Outre-mer pour la mobilité – LADOM –, dont les moyens sont consolidés.
S'agissant du programme 123 « Conditions de vie Outre-mer », les autorisations d'engagement sont en hausse de 7 %. L'action n° 01 « Logement » bénéficie de 18 millions d'euros supplémentaires en faveur des établissements publics fonciers d'aménagement de Guyane et de Mayotte. Dans le domaine de l'éducation, 14 millions d'euros supplémentaires sont destinés aux établissements du premier degré de Mayotte ; la rénovation du lycée de Wallis-et-Futuna fera l'objet d'un financement particulier, à hauteur de 17 millions d'euros.
Aucune mesure de périmètre n'est prévue dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. En revanche, plusieurs mesures de transfert affecteront le programme 123, pour des montants de crédits inférieurs à 50 millions d'euros. Un point de vigilance demeure : la sous-exécution chronique des crédits du programme 123, que la crise sanitaire risque d'accentuer, en dépit des efforts des responsables du programme pour en améliorer l'exécution en cours d'exercice.
Votre rapporteur pour avis prend acte de l'augmentation générale des moyens de la mission, mais regrette qu'elle soit modérée au regard de l'urgence économique dans les outremers.
Examinons à présent les conséquences de la crise sur l'activité des TPE-PME ultramarins, notamment dans un secteur essentiel pour nous, le tourisme. Le tissu économique ultramarin est composé à 95 % de très petites entreprises (TPE). Leurs taux de rentabilité sont faibles et leurs fonds propres limités, ce qui diminue leur résistance aux chocs conjoncturels.
Dans ce contexte de déséquilibre structurel permanent, le monde économique ultramarin est atteint par une profonde crise de confiance. À titre d'exemple, l'indicateur guadeloupéen du climat des affaires s'inscrit à douze points en dessous du niveau atteint lors de la crise de 2009…
Les effets de la crise se font particulièrement ressentir dans le secteur du tourisme, qui représente en moyenne 18 % du PIB des Outre-mer, donc de nombreux emplois directs et indirects. D'après une étude commandée par l'association des chambres de commerce et d'industrie des Outre-mer, le secteur touristique devrait perdre 60 % de son chiffre d'affaires en 2020, par rapport à celui réalisé en 2019, soit plus de 700 millions d'euros.
La saison dite estivale a permis, dans une certaine mesure, d'amortir le choc des pertes financières, mais le bilan est contrasté. À La Réunion, par exemple, le nombre de touristes accueillis au mois de juillet 2020 représentait seulement 11 % de celui du mois de juillet 2019 ; à Saint-Barthélemy, les chiffres de l'été sont relativement bons ; le taux d'occupation des résidences touristiques n'a chuté que de 20 % à 30 % par rapport à la même période l'an dernier. Alors que les conditions sanitaires continuent de se dégrader, les chances de reprise du secteur semblent d'ores et déjà compromises : traditionnellement, la haute saison touristique ultramarine commence à l'hiver.
Les acteurs économiques que nous avons auditionnés ont salué les mesures d'urgence mises en œuvre par le Gouvernement pendant le confinement. Toutefois, certains d'entre eux ont déploré de grandes difficultés d'accès à ces dispositifs. Ainsi, les TPE ont très peu bénéficié des prêts garantis par l'État (PGE). La multiplicité des interlocuteurs selon les aides demandées, la complexité des dossiers, les lourdeurs administratives et la fracture numérique ont été signalées comme autant de freins pour les TPE-PME. Qui plus est, l'association des chambres de commerce et d'industrie des Outre-mer estime qu'un tiers des entreprises de Guyane et de Mayotte ignorent l'existence des dispositifs instaurés par le Gouvernement au mois de mai, en raison d'un accès à internet limité dans ces territoires. Par ailleurs, les Outre-mer n'ont que faiblement bénéficié, cet été, de la promotion du tourisme local.
En conséquence, votre rapporteur plaide pour une réelle adaptation des dispositions d'urgence aux territoires ultramarins, ainsi que pour une prolongation des aides exceptionnelles jusqu'à la fin du premier semestre 2021. Il y va de la survie même des entreprises et des emplois.
Il plaide également pour une extension à tous les territoires ultramarins des règles relatives au Fonds de solidarité applicables en Guyane et à Mayotte depuis le 14 août 2020 : doublement de l'aide versée dans le cadre du premier volet du Fonds de solidarité, portée à 3 000 euros par mois du 1er juillet au 30 octobre 2020, et éligibilité aux aides pour les entreprises unipersonnelles. Votre rapporteur relaie enfin l'inquiétude croissante des acteurs économiques ultramarins au sujet de leur capacité à rembourser les PGE, et plaide en conséquence pour un allongement de leur durée d'amortissement, actuellement limitée à six ans.
En parallèle, votre rapporteur plaide pour un soutien clair du Gouvernement au profit de la destination Outre-mer : nécessité d'un abondement rapide, par le ministère des Outre-mer, des plans de promotion touristique automnaux et hivernaux des collectivités ultramarines ; renforcement progressif des vols aériens vers les Outre-mer au départ de Paris ; rationalisation des conditions d'accès aux tests PCR et la réduction du délai d'obtention des résultats.
À plus long terme, votre rapporteur pour avis défend la poursuite des efforts entrepris pour promouvoir un tourisme durable et de qualité Outre-mer, ce qui suppose un renforcement significatif des investissements dans les infrastructures touristiques, afin de faire de la destination Outre-mer une destination écoresponsable.
Compte tenu de ces observations, de l'effort global du Gouvernement et de tous ceux qu'il reste à accomplir, ainsi que des spécificités rappelées en introduction, j'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».
Je salue la qualité des propos tenus par M. le rapporteur pour avis.
L'Outre-mer regroupe une pluralité de territoires, répartis sur plusieurs océans et continents. Si chacun d'entre eux – la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française – est différent des autres, les défis auxquels ils sont confrontés sont de même nature. La France d'au-delà des mers fait face à des aléas bien connus : une vie chère en raison de l'insularité, un taux de chômage plus élevé qu'en métropole, une balance commerciale très déficitaire et une dépendance importante à l'économie touristique, sans oublier les catastrophes environnementales liées au réchauffement climatique.
La crise de la Covid-19 est une crise d'une autre forme. Elle a frappé très durement l'Outre-mer : en Guyane et à Mayotte, l'état d'urgence sanitaire n'a été levé que le 16 septembre dernier. Depuis le mois de mars dernier, les liaisons aériennes et maritimes avec l'Outre-mer ont été fortement perturbées, voire interrompues. Le tourisme a été frappé de plein fouet, en raison d'une forte diminution de la fréquentation et de l'absence de visiteurs internationaux. Le tissu économique, composé à 95 % de PME, a eu besoin de financements significatifs. Autant d'éléments qui ont amené l'État à intervenir massivement pour enrayer les effets du confinement.
L'engagement total de l'État, par le biais des dispositifs que nous connaissons, a permis de limiter les dégâts causés par la crise sanitaire. À La Réunion, au plus fort de la crise, près des trois quarts des salariés du secteur privé ont été placés en chômage partiel. Le montant total des PGE en Outre-mer s'élève à 2,6 milliards d'euros. Les plus petites entreprises connues de très fortes difficultés ; je veux souligner à ce propos la montée en puissance du Fonds de solidarité à Mayotte et en Guyane, où le montant de la subvention forfaitaire a été porté à 3 000 euros, sans condition de nombre minimum de salariés.
Nous devons désormais nous tourner vers l'avenir, même s'il s'annonce difficile : c'est tout le sens des crédits que nous examinons aujourd'hui. Les budgets rassemblés dans la mission « Outre-mer » sont soit en hausse, soit sanctuarisés. Ils représentent 2,68 milliards d'euros en autorisations d'engagement, soit une hausse de plus de 6 %. Rappelons qu'il ne s'agit là que d'une faible part du budget total consacré par l'État à la France non métropolitaine – en tout, 26 milliards d'euros sont fléchés vers l'Outre-mer.
Nous examinons aujourd'hui les crédits répartis entre deux programmes budgétaires, le programme 138 « Emploi Outre-mer » et le programme 123 « Conditions de vie Outre-mer ». Dans ces deux programmes, les autorisations d'engagement présentent une hausse de l'ordre de 6 % à 7 %. Ils constituent un angle prioritaire du soutien de l'État aux collectivités d'Outre-mer.
Par le biais du programme 138, le Gouvernement soutient massivement l'emploi, en augmentant le champ de l'exonération des cotisations patronales. Ce dispositif mobilise 1,57 milliard d'euros, soit 66 % du budget de la mission « Outre-mer ».
Un autre volet de cette mission concerne l'insertion et les mobilités. Le dispositif du service militaire adapté (SMA), qui offre aux jeunes les moins bien insérés dans la vie professionnelle un encadrement assuré par des professionnels de l'armée, a fait ses preuves ; il sera conforté par la création de trente-cinq nouveaux postes et par l'achat d'équipements supplémentaires. Le passeport pour la mobilité de la formation professionnelle, qui facilite l'accès de nos jeunes à des formations en métropole, est également conforté.
Au sein du programme 123, la priorité est donnée au soutien à l'équipement et aux infrastructures. Le logement, notamment le logement social, bénéficie d'une hausse de crédits de près de 9 %, en vue de financer les opérations foncières. L'objectif est à saluer : les difficultés pour se loger demeurent importantes dans les Outre-mer. Les infrastructures scolaires sont également soutenues, grâce aux financements accordés pour la construction d'écoles du premier degré à Mayotte et pour la rénovation du lycée de Wallis-et-Futuna.
J'arrête là cet aperçu trop bref de la mission budgétaire « Outre-mer », non sans appeler l'attention sur le risque de sous-utilisation des crédits de paiement, problème récurrent de cette mission, et sur la nécessité pour l'État d'apporter dès à présent un soutien massif à la relance du tourisme ultramarin, notamment dans la perspective de la saison d'hiver.
Monsieur le rapporteur pour avis, je salue la qualité de votre rapport sur la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2021.
Je me félicite de la hausse de 8,7 % de la ligne budgétaire unique consacrée au logement Outre-mer, ce qui la porte à 224 millions d'euros en autorisations d'engagement. Il s'agit d'un signal positif envoyé aux Outre-mer en matière de lutte contre l'habitat indigne et d'accès au logement. Toutefois, nous devrons être vigilants, afin que ces crédits soient pleinement exécutés. Nos concitoyens des territoires concernés attendent de l'État et des collectivités une action forte en la matière.
Je salue également l'effort consenti en faveur des collectivités locales, notamment le maintien des autorisations d'engagement de l'action « Fonds exceptionnel d'investissement » à 110 millions d'euros et la forte hausse, à hauteur de 11,6 %, de ses crédits de paiement. Cette année, des dispositions majeures sont prévues pour soutenir nos collectivités locales, notamment la compensation des recettes non perçues, telles que celles issues de l'octroi de mer et de la taxe spéciale sur la consommation, à hauteur de 200 millions d'euros. La péréquation entre les régions progresse également.
Je me félicite de l'augmentation du budget consacré à la continuité territoriale. L'an dernier, nous avions alerté le Gouvernement sur ce sujet, essentiel pour nos concitoyens. Je me réjouis que nous ayons été entendus. Ces 3 millions d'euros supplémentaires financeront de nouvelles mesures en faveur de la mobilité des citoyens ultramarins.
Monsieur le rapporteur pour avis, vous soulevez dans votre rapport deux problèmes qui me semblent fondamentaux.
La crise sanitaire a eu des conséquences sur le tissu économique de nos territoires, notamment sur les très petites entreprises (TPE) et le secteur touristique. Depuis le début de la pandémie, nos territoires et nos entreprises souffrent de profondes difficultés, de raison notamment des handicaps spécifiques qui caractérisent nos économies.
Vous rappelez l'inadaptation aux outremers des mesures de soutien à l'activité économique et la nécessité de territorialiser la réponse à la crise. Je souscris pleinement à votre analyse ; j'avais moi-même eu l'occasion d'alerter le Gouvernement et le Président de la République à ce sujet. Nous devons travailler à un déploiement de la relance territoire par territoire, avec les territoires, pour les territoires, en co-construction avec tous les acteurs du terrain, élus locaux, entreprises, associations et bien sûr parlementaires.
J'appelle également l'attention sur la nécessité de faire mieux en matière de solidarité et de cohésion sociale. Il faut faire preuve d'une très grande vigilance en matière de politique d'accompagnement des plus vulnérables dans les outremers. La crise économique aggrave les inégalités sociales et la précarité, voire la pauvreté. Vous déplorez la sous-exécution récurrente des crédits votés en loi de finances initiale ; pour le seul programme 123, elle s'élevait à 61,7 millions d'euros en 2019. Nos difficultés structurelles nous handicapent.
La territorialisation du plan de relance Outre-mer doit prévoir un volet consacré à l'accompagnement du développement des projets, particulièrement durant les phases d'étude et d'ingénierie. S'il n'est pas déployé sur le terrain, s'il ne consomme pas la totalité des crédits mis sur la table, il ne produira pas les effets escomptés. Avez-vous réfléchi, dans le cadre de votre rapport, à des propositions susceptibles d'améliorer l'accompagnement des collectivités et l'aide en matière d'ingénierie, afin que la relance se déploie pleinement dans nos territoires ? Nous pourrions nous inspirer de ce qui se fait en Guyane et à Mayotte, où des pools d'ingénierie sont en cours de déploiement. Que pensez-vous de l'idée d'insérer une nouvelle ligne budgétaire au sein de la mission « Outre-mer », affectée à l'accompagnement, à l'ingénierie et au développement des projets ? Quelle forme – j'ai cité la Guyane et Mayotte en exemple – pourrait prendre une telle action ? Surtout, de quelle dotation budgétaire devrait-elle disposer ?
Monsieur le rapporteur, cher Max Mathiasin, j'ai particulièrement apprécié votre analyse du budget de la mission « Outre-mer ». Au-delà de la lecture comptable, budgétaire, il faut aussi avoir une lecture politique et économique, et je me situerai plutôt dans ce deuxième temps. Car si l'on peut se satisfaire de la hausse de crédits, plusieurs points me paraissent très inquiétants.
Premièrement, ce budget s'inscrit dans un budget global consacré à l'Outre-mer, dont le montant est de l'ordre de 22 milliards d'euros. Et si l'on persiste à s'en tenir aux seuls mécanismes budgétaires ciblés vers l'Outre-mer, on se prive de l'indispensable vision transversale de la politique globale que l'on y mène. Il faut traduire l'exécution budgétaire en projets, et pas seulement en actions ; faute de quoi, en restant dans une analyse purement comptable, on ne permet pas à chaque département, chaque région, chaque collectivité de disposer de l'espace nécessaire pour construire un projet.
Deuxièmement, je suis très inquiet du volume des crédits non consommés. Crédits de paiement et autorisations d'engagement confondus, près de 200 millions d'euros n'auraient pas été consommés en 2019. Ce n'est pas une petite somme ! L'exécution de l'année 2019, telle qu'elle ressort de la loi du 30 juillet 2020, fait apparaître que 38 % des autorisations d'engagement et des crédits de paiement du programme 123 n'ont pas été consommées.
On attribue communément cet état de fait à une ingénierie insuffisante. Notre collègue Justine Benin vient de formuler une proposition très intéressante à ce sujet. Toutefois, le problème essentiel tient au fait que les collectivités locales sont incapables, structurellement, budgétairement et financièrement, de mener à bien les opérations de façon efficace en raison de leurs difficultés budgétaires elles-mêmes dues à la désharmonisation entre les recettes et les dépenses, dans un contexte de chômage particulièrement violent – 23 % en Martinique – et de sous-développement chronique.
Troisièmement, il faut agir en faveur des jeunes. Hormis le recours à LADOM pour faire venir des gens, je ne vois aucune proposition concrète, aucune politique globale permettant de sortir les jeunes du marasme. Je rappelle que 57 % des ultramarins de moins de vingt-sept ans sont au chômage. Ce n'est pas un petit chiffre !
Une piste me semble intéressante, dès lors que les emplois aidés ont été plus ou moins supprimés : compléter, par le biais de l'expérimentation, le revenu de solidarité active – RSA – par un RSA jeune, destiné aux jeunes d'Outre-mer. Cette mesure pourrait aussi être appliquée dans certaines banlieues et certaines régions de France métropolitaine dès lors que le chômage dépasse un certain seuil.
Je ne vois rien non plus pour enrayer la chute de la démographie à la Martinique et en Guadeloupe, dont les populations seront bientôt les plus vieilles de France… Nous perdons environ 3 000 à 4 000 personnes par an. En dix ans, la Martinique est passée de 400 000 habitants à 370 000. Il faut agir.
Enfin, j'évoquerai la question du chlordécone. Le rapport de la commission d'enquête sur l'utilisation du chlordécone a formulé 49 propositions ; aucune ne fait l'objet d'une traduction claire sur le plan financier et budgétaire alors que nous avons impérativement besoin d'un appui annuel substantiel.
En conclusion, la question de la différenciation dans l'égalité me semble essentielle. Nos programmes de développement sont trop dépendants de décisions centralisées à l'échelon national, au Parlement ou au sein du pouvoir exécutif. Je plaide en faveur d'une différenciation adaptée aux réalités de l'Outre-mer.
L'année dernière, ici même, dans le cadre de l'examen du budget de cette mission, j'évoquais le décalage entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement, qui se traduisait par des retards dans la réalisation des projets : routes, infrastructures, systèmes de télécommunication. Cet état de fait était dû à un défaut d'ingénierie des acteurs publics territoriaux et aux difficultés des collectivités territoriales à apporter les cofinancements prévus.
Aussi le groupe Libertés et territoires se réjouit-il de la consolidation de l'accompagnement des collectivités territoriales, par le biais d'une hausse des crédits destinés aux contrats de convergence et de transformation. La mise en œuvre des projets est maintenue et renforcée par des crédits destinés à financer les interventions d'appui technique de l'Agence française de développement, les plateformes d'ingénierie territoriale déployées en Guyane et à Mayotte, et l'intervention de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. Autant d'excellentes mesures.
Toutefois, la mission « Outre-mer », à l'instar de la mission « Cohésion des territoires », se caractérise par son manque d'ambition dans le domaine du logement social. En 2019, la ligne budgétaire unique consacrait 226 millions d'euros à la construction et à la rénovation des logements ; ce montant ne permettait pas de tenir l'objectif de 10 000 logements rénovés ou construits par an dans les Outre-mer. Pourtant, le Gouvernement a décidé de le réduire en 2020, en consacrant seulement 215 millions d'euros à l'action « Logement ». Ainsi, ce budget laisse craindre de nouvelles difficultés pour atteindre les objectifs fixés d'accession au logement et de résorption de l'insalubrité des logements Outre-mer.
Enfin, au-delà les crédits de cette mission, certaines dispositions du projet de loi de finances pour 2021 nous posent question, notamment l'écotaxe sur les billets d'avion, pour les vols au départ de la France, à l'exception de ceux à destination de la Corse ou de l'Outre-mer. En séance publique, le Gouvernement a précisé que ce dispositif entrera en vigueur seulement un mois après avoir reçu l'avis de la Commission européenne qui permettra de le considérer comme conforme au droit de l'Union européenne.
Dès lors, deux situations peuvent se présenter : en cas d'avis non conforme de la Commission européenne, nos concitoyens corses et ultramarins devront-ils s'acquitter de cette taxe, alors même qu'il n'existe aucune solution de transport alternative ? En cas d'avis conforme, qu'a prévu le Gouvernement pour offrir une compensation aux Corses et aux ultramarins, pour lesquels le coût du billet aura inévitablement augmenté, le temps que l'Union européenne statue ?
Je conclurai en me réjouissant de la rénovation complète du lycée de Wallis-et-Futuna, qui fait l'objet d'un financement dédié à hauteur de 17 millions d'euros. C'est l'occasion pour moi et pour le groupe Libertés et territoires d'adresser un salut amical et fraternel à notre collègue Sylvain Brial.
J'aimerais poser à notre rapporteur pour avis trois questions au sujet du budget de l'Outre-mer, toujours très particulier dans la mesure où cette appellation renvoie à des réalités, des collectivités et des situations socio-économiques très différentes.
Ma première question porte sur le logement. Au fil des années et des évolutions budgétaires, cette politique, conduite de façon uniforme dans les Outre-mer, a-t-elle montré partout la même efficacité ?
Deuxièmement, la situation de l'agriculture suscite de fortes inquiétudes. Elle est déjà compliquée au niveau national ; en outre, les évolutions de la politique agricole commune (PAC) annoncées au cours des derniers jours menacent davantage encore certains dispositifs de soutien dans les Outre-mer, dans la mesure où ce qui vaut pour nos territoires locaux, dans nos régions métropolitaines, pour promouvoir le consommer local, vaut plus encore dans les Outre-mer, les échanges avec la métropole nécessitant souvent des transports aériens à forte empreinte carbone. Comment appréhendez-vous l'évolution du budget dans ce domaine ?
Troisièmement, le meilleur moyen pour un territoire de retrouver le chemin du développement, c'est d'y garder sa jeunesse. En matière de formation secondaire et supérieure, un décalage énorme subsiste entre la métropole et l'Outre-mer. Depuis les dernières réformes, de nombreux étudiants sont contraints de se déraciner et de venir en métropole pour réaliser leurs ambitions. J'aimerais vous entendre à ce sujet.
Notre collègue Annaïg Le Meur, élue du Finistère, a tracé un panorama des crédits des programmes de la mission « Outre-mer » et de leur évolution. Nous prenons acte de l'effort consenti.
M. Serge Letchimy l'a rappelé : notre taux de chômage atteint 25 % en Guadeloupe, 23 % à la Martinique. Nous prenons acte du déploiement de la solidarité nationale lors de la crise de la Covid-19. Reste que le problème du déséquilibre structurel de nos économies perdure depuis des années. Lorsque la loi sur l'égalité réelle a été adoptée, je n'étais pas encore député, mais j'avais fait observer que d'ajouter le mot « réelle » montrait bien qu'il y avait déjà un problème : dans la République, l'égalité, c'est l'égalité… Il peut y avoir des disparités, comme le remarquait notre collègue Fabien Di Filippo, des différences en fonction des territoires, qui tiennent à des parcours contrastés ; reste qu'en dépit de leur éloignement, La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe ont une histoire commune, et particulièrement douloureuse. Les retards dont souffraient ces territoires lors de la départementalisation de 1946 n'ont pas été résorbés : pendant longtemps, l'article 72 de la Constitution, en laissant la possibilité d'adapter les lois de la République avant leur application Outre-mer, a pendant longtemps contribué à maintenir ces décalages structurels.
Nous sommes conscients que des mesures de soutien sont prises pour tâcher de résoudre le problème. Toutefois, alors même que 95 % de notre tissu économique est composé de TPE travaillant dans un marché restreint, les lois de la République continuent à s'appliquer avec une certaine uniformité. Et c'est là que le bât blesse : ainsi, une pharmacie installée près de la gare de Lyon ou de la gare Montparnasse se retrouve à bénéficier d'une zone de chalandise potentielle de 66 millions d'habitants, car chaque Français est susceptible de passer un jour par cette gare ; mais si elle est installée à Pointe-à-Pitre, sa zone de chalandise ne dépassera guère 340 000 habitants. Et dans ces économies où le taux de chômage est de 25 %, les collectivités locales ne peuvent pas jouer un rôle d'amortisseur. Les gens tentent de monter des petites entreprises, souvent unipersonnelles, créant un emploi pour un fils ou une fille ; quand on leur demande de produire tel ou tel document pour bénéficier de telle ou telle aide, cela leur est impossible. Leur activité avait connu un frémissement juste avant la crise ; or il faut avoir perdu 50 % de son chiffre d'affaires pour toucher l'aide de 1 500 euros.
Le vrai problème, c'est que nos TPE sont en train de mourir. C'est le cas des agences de voyages, mais aussi, par exemple, du zoo de la Guadeloupe : même s'il n'y a plus de touristes, il faut bien continuer à payer le personnel et à nourrir les animaux. Comme je l'ai expliqué hier, au ministère des Outre-mer, on ne peut pas traiter cette question de manière globale : il faut le faire territoire par territoire. Le préfet est dans son rôle quand il prend des dispositions en fonction de ce qu'il observe sur place. Malgré les difficultés, nous ne demandons pas à être traités différemment. Nous sommes d'accord sur la nécessité de structurer l'économie, de mener des projets de développement. Les collectivités – qui, à la Martinique ou ailleurs, sont chargées de mettre en musique le développement économique – doivent en être parties prenantes, et l'Europe doit apporter son concours. Il y a, pour les ultramarins, une cohérence à trouver dans la conduite de la politique de développement des territoires, à l'image de la politique énergétique.
Je sais, cher Serge Letchimy, que vous vous battez sur la question du chlordécone. Alors que le plan chlordécone IV est en cours d'application, Guadeloupéens et Martiniquais doivent rester vigilants : la lutte contre la Covid ne doit pas nous faire oublier ce problème. Je comprends que l'on puisse juger les crédits insuffisants. Vous avez présidé la commission d'enquête sur l'utilisation du chlordécone et du paraquat, dont Mme Justine Benin était la rapporteure. Cette question cruciale ne pourra être résolue qu'au long cours. Tous les ultramarins – comme, me semble-t-il, tous ceux de l'Hexagone – sont déterminés à la régler.
En revanche, je suis résolument opposé à l'extension du RSA jeune à l'ensemble des jeunes d'Outre-mer. Tout revenu doit être associé à un travail. Il faut trouver les moyens d'aider les jeunes, mais pour suivre une formation en bonne et due forme et pour travailler. Dans le cadre des projets de développement, nous avons beaucoup parlé de la transition énergétique, de l'économie bleue et de l'économie verte : il y a là des gisements d'emplois dans les domaines de la transformation de nos économies fragiles et de la préservation de nos écosystèmes. Le RSA que vous appelez de vos vœux pourrait alors devenir un revenu issu d'activités réelles, qu'il s'agisse d'une formation ou d'un emploi de transformation de l'économie ou de protection de l'écosystème.
Madame Justine Benin, le PLF prévoit l'augmentation des crédits attribués à l'aide à l'ingénierie Outre-mer, par le canal de l'Agence française de développement (AFD). Il faut s'assurer que ces crédits sont suffisants et voir comment nos entreprises et nos collectivités territoriales pourront accéder à ces aides, éventuellement pour déployer des plateformes d'ingénierie.
Enfin, on relève une augmentation de 18 millions d'euros de l'enveloppe consacrée au logement. C'est un problème complexe, car les crédits ne proviennent pas uniquement du budget de l'Outre-mer. Le rythme de construction actuel est de 2 300 logements par an, ce qui est très insuffisant, puisqu'il manque, à l'heure actuelle, 10 000 logements. On se heurte souvent à des problèmes fonciers, qui doivent être réglés. Là encore, il faut intervenir secteur par secteur, tout en donnant de la cohérence à l'ensemble.
Ainsi que l'y a invité son rapporteur, la commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».
Je suis en mesure de vous annoncer que les scrutins concernant la désignation du président-directeur-général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAe) ont donné les résultats suivants : 30 pour et 1 abstention au sein de notre commission ; 33 voix pour et 2 votes blancs au sein de la commission des affaires économiques du Sénat. Le Parlement ne s'est donc pas opposé à la nomination de M. Philippe Mauguin.
Puis la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de M. Vincent Rolland (Tourisme), les crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».
Après avoir examiné les crédits de la mission « Relance », hier, et de la mission « Outre-mer » à l'instant, nous portons notre attention, à présent, sur les crédits de la mission « Action extérieure de l'État », pour ce qui concerne le tourisme. On le sait, l'année 2020 sera extrêmement difficile pour le secteur du tourisme. Alors qu'on attendait 94 millions de visiteurs internationaux, ils ne seront probablement que 36 millions et peut-être moins ; alors qu'on prévoyait des recettes touristiques issues du tourisme international de 60 milliards d'euros (Md€), elles ne seront que de 24 Md€. Si le tourisme domestique a permis de sauver la saison d'été, il ne suffira pas à compenser les pertes enregistrées au niveau international. Les recettes touristiques locales issues du tourisme domestique et international devraient diminuer de 30 à 35 % sur l'année 2020. Les prévisions pour 2021 sont légèrement meilleures, bien que tous s'accordent à dire que la consommation touristique ne retrouvera pas son niveau d'avant-crise avant 2023 au plus tôt. Pour 2021, 59 millions de visiteurs internationaux sont attendus, pour 38 Md€ de recettes, dans un scénario pessimiste, et 72 millions de visiteurs, pour des recettes estimées à 47 Md€, dans une version optimiste. Pour les 313 000 entreprises du secteur et les 2 millions d'emplois directs et indirects concernés, le coup est dur.
Alors qu'on aurait pu attendre un budget ambitieux pour le tourisme, destiné à assurer sa reconstruction et sa transformation, les crédits présentés dans le projet de loi de finances pour 2021 laissent une impression mitigée. La subvention pour charges de service public allouée à Atout France baisse de 2,2 millions d'euros (M€), soit de plus de 7 %, en application du programme Action publique 2022 de réduction des dépenses des réseaux de l'État à l'étranger. C'est d'autant plus dommageable que les recettes complémentaires de l'opérateur tirées des prestations vendues, des partenariats avec les entreprises privées ou encore des droits de visa diminuent également sous l'effet de la crise. Les missions d'Atout France ont, pourtant, été étendues pendant la crise à la promotion de la France sur le marché domestique, ce qui est une très bonne chose, et cette extension des missions pourrait être prolongée en 2021. Toutefois, de manière peu cohérente, la stabilité de la dotation d'Atout France n'est qu'apparente, puisqu'elle résulte de l'attribution d'une enveloppe complémentaire de 2,2 M€ destinée à financer la contribution de la France à l'Exposition universelle de Dubaï et au Paris Food Forum. Par ailleurs, les crédits consacrés au tourisme dans la mission « Économie », que nous n'étudions pas ce matin, se réduisent comme peau de chagrin.
Alors que le tourisme international est amené, au moins temporairement, à se tarir, et que nous devons concentrer notre attention sur les vacanciers potentiels français et le soutien aux entreprises du tourisme, il me paraît plus que regrettable que le programme 134 ne comporte que des crédits d'intervention résiduels et voie sa dimension touristique limitée à quatre dépenses fiscales. Aussi émettrai-je un avis défavorable sur les crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».
Au-delà de la dimension budgétaire, j'ai souhaité porter mon étude sur la nécessaire transformation du tourisme français. Le tourisme durable apparaît comme seule voie de nature à pérenniser nos activités touristiques dans le respect de l'environnement, des aspirations des territoires et de celles des populations. Cela permettrait de répondre à une demande croissante – comme nous l'avons vu pendant les auditions et comme nous le constatons au quotidien – qui devrait s'amplifier avec la crise sanitaire. Les Français, mais également les Européens sont de plus en plus sensibles à l'empreinte écologique et sociale de leur consommation, y compris pour leurs vacances. Si nous ne disposons pas encore – ce qui est regrettable – de données actualisées et précises, c'est un constat qui est cependant partagé.
Pourtant, comme nous l'avons aussi entendu, cette aspiration croissante peine encore à se concrétiser, pour plusieurs raisons. Premièrement, bien qu'une offre existe déjà en France, elle est peu structurée et difficile à identifier. Les labels sont nombreux, mais leurs niveaux d'exigence sont variables. En outre, comme ils ne figurent pas encore parmi les filtres de recherche sur les plateformes de réservation, ils ne permettent pas au consommateur de trouver facilement l'offre qui correspond à ses attentes écologiques ou sociales, ni de donner un avantage concurrentiel au professionnel qui en fait la démarche. Il faut rationaliser l'écosystème des labels pour le rendre plus efficace.
Deuxièmement, les professionnels peinent à trouver les moyens de financer la transition durable. Certes, le plan de relance a créé un fonds dédié au tourisme durable de 50 M€. C'est un bon début, mais ça demeure très largement insuffisant face aux enjeux et au regard de l'ensemble des sommes engagées dans le plan de relance. Les professionnels nous l'ont dit : l'heure est à la reconstruction, mais le soutien à l'investissement devra être au rendez-vous. Les initiatives de Bpifrance et de la Banque des territoires sont significatives et doivent être soulignées, mais elles sont parfois difficiles à identifier ou soumises à des cahiers des charges complexes pour des professionnels dont le métier est l'hôtellerie ou la restauration, et non la banque ou l'administration. Il convient de rendre plus accessible et plus simple le recours aux aides destinées à la transition vers un tourisme durable, et de s'assurer que ces aides soient suffisantes en volume.
Troisièmement, ce sujet ne fait pas l'objet d'un soutien politique suffisamment fort et clair. Certes, plusieurs initiatives ont été prises au cours des dernières années, et le sujet n'est ignoré à aucun des échelons concernés, mais cela ne suffit pas. Il importe aujourd'hui que le pouvoir politique prenne la parole d'une voix ferme pour dire que l'avenir du tourisme en France passe par le tourisme durable : notre offre touristique sera durable ou ne sera pas. Il est indispensable de promouvoir la France dans son ensemble comme la destination touristique durable par excellence, en développant une campagne de promotion claire et forte.
Il en découle plusieurs corollaires. D'abord, il faut refuser de soutenir les pratiques qui s'écartent de notre ambition, tout en tenant compte des contraintes auxquelles sont soumises les entreprises du secteur, au cœur d'une crise économique qui va durer. Il convient, ensuite, de s'assurer que l'on dispose d'une offre qui réponde à la demande à tous les niveaux : l'hébergement, bien sûr, mais également le transport. C'est pourquoi je préconise le renforcement du maillage ferroviaire, en particulier de la desserte en trains de nuit, qui me paraît seule en mesure d'améliorer l'accès peu polluant à des sites préservés et de mieux répartir les flux touristiques sur le territoire. Le transport ferroviaire, comme le reste du transport partagé, devrait également, à mon sens, faire l'objet d'un taux de TVA réduit.
Enfin, cette démarche doit s'accompagner d'une révision des indicateurs de performance. À l'heure de la crise sanitaire, de l'urgence écologique, il n'est plus envisageable d'asseoir la réussite de la France touristique sur le seul nombre de touristes internationaux accueillis. Nous devons repenser notre grille d'évaluation, en valorisant également le nombre de vacanciers français restés en France, l'indice de satisfaction des clientèles, le taux de produits locaux consommés ou encore, le bilan carbone du tourisme.
La France dispose d'atouts majeurs pour devenir pionnière en matière de tourisme durable : c'est dans ce domaine que réside, à nos yeux, l'avenir du tourisme national. Il est donc impératif de faire de cette crise, aussi difficile à vivre soit-elle, un tremplin vers la construction du tourisme de demain, un moyen de se relever plus fort, afin de mieux répondre aux demandes d'une clientèle qui, assurément, aura elle aussi changé.
La crise sanitaire liée à la Covid-19, vous l'avez dit, a profondément affecté le secteur touristique. Alors que nous dépendions fortement du tourisme international, les restrictions à la circulation des personnes, la fermeture des frontières ont conduit à une réorientation des actions de promotion de la destination France vers un public de proximité français et européen – en majorité belge, néerlandais et allemand. Cela n'a malheureusement pas suffi à compenser le déclin du nombre de touristes étrangers. D'après les premières estimations d'Atout France, les pertes potentielles de recettes touristiques globales pour l'année sont estimées entre 50 et 60 Md€, soit une baisse de 30 à 35 % de la consommation touristique annuelle.
Évidemment, le Gouvernement n'est pas responsable de la situation dégradée du secteur. Le groupe Libertés et territoires considère néanmoins qu'en cette période de crise, l'accompagnement des acteurs gagnerait à progresser sur plusieurs points.
Premièrement, les subventions pour charges de service public destinées à Atout France diminuent de nouveau cette année de plus de 2 M€, alors qu'elles avaient déjà subi une baisse de plus de 5 % entre 2019 et 2020. Lors du cinquième comité interministériel du tourisme, le Premier ministre avait invité l'organisme à participer à l'effort de relance et à réorienter le tourisme en France. Il nous semble donc impératif de lui conférer les moyens de déployer son action.
Deuxièmement, au-delà du cadre strict de cette mission, qui ne concerne d'ailleurs qu'une infime partie de l'activité touristique, se pose la question de l'accompagnement des très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) du secteur. Les dernières annonces du Gouvernement, qui a élargi le bénéfice du fonds de solidarité à des métiers qui font indirectement les frais de la mauvaise santé du secteur touristique, vont dans le bon sens. De même, la prise en charge de l'activité partielle à 100 % jusqu'au 31 décembre 2020 pour les secteurs du plan tourisme était une demande des acteurs. Toutefois, qu'adviendra-t-il au-delà de cette échéance, si la situation, comme on peut le craindre, reste dégradée ? Par ailleurs, qu'est-il prévu pour rembourser les investissements en matériel de protection des bars et des cafés, dont certains ont fait l'objet de fermetures administratives ? Est-il envisagé de prolonger le report des échéances des prêts bancaires ou des crédits baux au-delà des douze mois accordés ?
Enfin, plus spécifiquement, quelles mesures seront prévues afin d'aider les TPE à faire face à ce que j'appelle le « mur de dettes » qui apparaîtra à l'issue de la crise ? Sera-t-il possible d'étaler les remboursements au-delà des cinq ans initialement prévus ? Ce délai sera en effet trop court pour un certain nombre d'entre elles.
Voilà autant de questions auxquelles le Gouvernement doit répondre au plus vite, à notre sens, afin de redonner aux acteurs du tourisme confiance dans l'avenir – et de la confiance, ils en ont bien besoin.
L'année 2020 a été catastrophique pour les professionnels du tourisme. Restaurateurs, hôteliers, commerçants, voyagistes ou prestataires de services : tous ont vu leur activité chuter, voire disparaître pendant le confinement, tous ont dû s'adapter et faire preuve d'inventivité pour survivre à la crise sanitaire et tous peinent maintenant à reprendre une activité non déficitaire. De son côté, l'État a apporté un soutien financier d'une ampleur sans précédent. Activité partielle, fonds de solidarité, exonérations de cotisations sociales : des mesures massives de soutien au tourisme ont été présentées dès le 14 mai dans le cadre du plan de soutien à la filière. D'autres dispositions figurent dans le plan France relance et dans les projets de lois de finances rectificatives (PLFR) successifs que nous avons adoptés. Le dernier comité interministériel du tourisme, qui s'est réuni cette semaine sous la présidence du Premier ministre, a veillé à ne laisser aucune entreprise au bord du chemin, en faisant bénéficier de la solidarité toutes les sociétés ayant vu leur chiffre d'affaires diminuer d'au moins 50 %.
Malgré l'intervention financière extraordinaire de l'État, l'impact de la crise sanitaire sera très important. La deuxième vague de covid-19 ainsi que la fermeture des frontières conduisent à une forte récession. Selon les prévisions, le nombre de visiteurs passerait, entre 2019 et 2020, de 90 à 36 millions, et les recettes seraient ramenées de 60 à 24 Md€. Atout France estime que les pertes globales devraient être comprises entre 50 et 60 Md€ en 2020. Or, rappelons qu'avec 2 millions d'emplois directs et indirects, le tourisme générait encore récemment plus de 7 % du PIB, soit 170 Md€. Le redressement de l'activité en 2021 est donc indispensable à notre économie, à l'emploi et à notre balance des paiements.
J'en viens à l'avis budgétaire proprement dit. S'agissant du programme 134 « Développement des entreprises et régulations », les 3,3 M€ de crédits de paiement sont un reliquat d'actions précédemment engagées. Ce ne sont rien de plus que 3,3 M€ dans une enveloppe de 1,1 Md€. Ce n'est en quelque sorte qu'une opération comptable ; et en volume, une goutte d'eau dans un verre…
Concernant le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'État », dont le volume est de 718 M€, je constate le maintien à 30,8 M€ de la dotation publique accordée à l'opérateur Atout France, acteur indispensable de la promotion de la destination France à l'étranger. Je félicite l'opérateur pour les efforts de restructuration qu'il a entrepris ces dernières années. Je réitère la proposition que j'avais formulée dans mon rapport de juin 2019, consistant à intégrer au sein des missions d'Atout France, un rôle de promotion de la France auprès des Français. La saison touristique estivale a, en effet, une nouvelle fois montré à quel point la clientèle hexagonale de proximité était précieuse. Elle doit donc être une cible de notre politique de promotion. L'élargissement de ses missions ne pourra se faire que par l'augmentation des crédits alloués à l'opérateur national.
Je voudrais insister, à l'instar du rapporteur, et comme nous l'avions fait avec Mme Marguerite Deprez-Audebert dans notre rapport de juin 2019, sur la nécessité de promouvoir un tourisme durable et responsable. En effet, la demande des consommateurs change. Les touristes sont en quête d'authenticité et d'expérience. Ils souhaitent préserver l'environnement, sont prêts à adapter leurs pratiques pour les rendre plus respectueuses du développement durable et de l'équilibre social et territorial. Cette nouvelle orientation repose sur une analyse fine d'un nouveau marché à très fort potentiel, ainsi que sur la structuration d'une offre nouvelle portant sur les déplacements, les hébergements et toutes les formes de consommation. La mobilisation du plan de relance pour atteindre cet objectif constitue une opportunité à saisir.
Je salue le travail de M. Vincent Rolland, dont nous partageons la volonté de promouvoir un tourisme responsable et durable : à moyen terme et à long terme, c'est un objectif vers lequel on doit tendre. Néanmoins, l'industrie touristique est en très grande souffrance. Si on pensait, au printemps, qu'on allait s'orienter vers la fin de la crise et s'engager sur la voie de la relance, on s'aperçoit, à présent, que la crise est toujours là et qu'elle ne fait que s'exacerber. On s'interroge sur ce que nous réservent les semaines et les mois à venir.
Je voudrais vous exposer les mesures techniques, précises, que les professionnels du tourisme proposent pour les accompagner dans ce moment d'urgence.
Premièrement, il conviendrait de suspendre le temps judiciaire, autrement dit les procédures de redressement et de liquidation. En Espagne, 35 % des entreprises – notamment des TPE – du secteur touristique ont fait faillite. Si l'on veut éviter de connaître la même situation, c'est une mesure à prendre en considération.
Deuxièmement, il faut lisser les échéances de remboursement des prêts garantis par l'État (PGE) sur une période de douze ans : les TPE et PME seront incapables de rembourser les prêts selon les modalités actuelles.
Troisièmement, il conviendrait, dans le même esprit, de décaler les premières échéances de remboursement au moins à la fin de l'année 2021.
La quatrième proposition consiste à offrir la possibilité de transformer une partie des PGE en fonds propres, comme le font les banques territoriales en Allemagne, afin de renforcer la structure des TPE et des PME. Le partenaire financier renforcerait ainsi, par le truchement de Bpifrance, les fonds propres de la société.
Cinquièmement, il faut procéder à des exonérations de charges au moins pour les six prochains mois.
Sixièmement, je renouvelle la demande, que nous avions formulée au printemps, d'abaissement de la TVA à 5,5 % pour les six prochains mois. Je sais que le Gouvernement y est opposé, mais je voudrais rappeler que l'Allemagne a fait passer son taux de 19 à 12 % et que l'Angleterre l'a ramené de 20 à 5 %. Dans la situation d'urgence que nous connaissons, le peu de chiffre d'affaires réalisé doit impérativement être optimisé.
Bien évidemment, le groupe MoDem est en phase avec une bonne part des propos tenus par le rapporteur et les orateurs précédents. Je ne peux qu'en approuver l'essentiel, tant sur le constat que sur l'avenir. Traditionnellement, notre pays pouvait s'enorgueillir d'attirer le plus grand nombre de visiteurs au monde. Les professionnels du tourisme, comme bien d'autres personnes vivant indirectement de ce secteur, sont en première ligne face à la crise sanitaire. La baisse globale d'activité liée à la crise du covid-19 est d'une ampleur inédite et ruine les objectifs quantitatifs annoncés ces dernières années : on attendait, en 2020, 94 millions de visiteurs étrangers et 60 Md€ de chiffre d'affaires. Pour 2020, l'Organisation mondiale du tourisme prévoit une contraction des arrivées internationales de 60 à 80 % et une chute de plus de 50 % du chiffre d'affaires – notre rapporteur a détaillé ces mauvais chiffres. L'inquiétude est légitime. Les pertes ne seront pas compensées par la clientèle domestique, malgré le bel et fructueux été. Le nombre de voyages réalisés par nos compatriotes en France devrait chuter de 41 %, tandis que la baisse de la fréquentation de l'hébergement marchand devrait diminuer de 63 % par rapport à 2018.
L'aide promotionnelle publique, dopée par les 5 M€ du plan tourisme, ne suffira pas à relancer, avant longtemps, l'économie touristique, qui est l'un des secteurs les plus affectés par la pandémie. Même si Atout France retrouvera en 2021 les crédits budgétaires de 2019, c'est d'abord la confiance qui donnera envie aux visiteurs de se rendre à nouveau dans notre pays. Maîtriser le virus et restaurer la confiance sont donc la priorité pour donner envie de voyager. L'accord obtenu hier, à la majorité des pays de l'Union européenne, pour coordonner les mesures de sécurité relatives aux déplacements intra-européens peut y contribuer.
Dans ce contexte, il me semble vain de s'étendre sur la réduction régulière des crédits attribués à ce secteur stratégique, qu'on a d'ailleurs du mal à retrouver dans les arcanes budgétaires. Je partage l'avis du rapporteur quant au peu de cas qui lui est réservé.
Il semble aussi nécessaire de distinguer la part des aléas conjoncturels des défauts structurels de développement d'un secteur dont les bons chiffres pouvaient masquer des failles, tant il était facile de se laisser porter par le charme naturel de notre pays et ses richesses patrimoniales. Il était d'autant plus tentant pour l'État d'encourager cette croissance, au demeurant excellente pour notre balance commerciale, qu'elle lui coûtait de moins en moins chaque année. La pandémie a mis en exergue ces failles. Avec M. Didier Martin, nous avions alerté, l'an dernier, dans le rapport de la mission d'information présidée par M. Vincent Rolland, sur les travers du tourisme quantitatif. Je souscris évidemment au constat que M. Martin vient de dresser. Le tourisme de masse, qui aboutit parfois au sur-tourisme, a vécu. La crise que nous n'avons pas fini de subir, y met, certes brutalement, un terme – presque salutaire, pourrais-je dire, si je voulais être provocatrice.
La France doit désormais miser sur une offre qualitative, de nature à répondre à une quête de sens. J'entends, par là, la mise en valeur du beau, du bon, du rare, mais aussi de l'art de vivre à la française, le tout dans une indispensable perspective de développement durable et de transition écologique. Il appartiendra au commissariat au plan, désormais réhabilité, de peaufiner cette vision prospective.
L'action n° 7 du programme 185 n'a certes rien de stimulant. Ce n'est pas sa vocation d'assurer cette mutation nécessaire. Je l'interprète sous l'angle vertueux de la maîtrise de la dépense publique et de la volonté de dépenser mieux plutôt que plus. Cette action traduit aussi le fait que l'industrie touristique doit se développer par elle-même. Ainsi, l'ambitieux plan de relance de 18 Md€ permettra à l'économie touristique d'entrer dans une nouvelle ère : celle d'un tourisme à l'impact environnemental limité, étalé sur les quatre saisons, qui répond aux aspirations des visiteurs français, invités à mieux connaître les pépites de leur pays, ou des visiteurs européens – à reconquérir, pour certains – en leur démontrant que la France sait accueillir. Pour cela, des investissements sont indispensables en matière d'infrastructures, d'équipements, d'hébergement et de formation. Un montant de 50 M€ sera réservé à la transition écologique, car il sera nécessaire d'accélérer, non seulement pour réchauffer les « lits froids » qui préoccupent, à juste titre, M. Vincent Rolland, mais aussi pour les isoler…
Les membres du groupe MoDem et apparentés souscrivent à la politique volontariste du Gouvernement – qui s'exprime, heureusement, au-delà de ces lignes budgétaires – et voteront pour les crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».
Monsieur le rapporteur, je vous sais très attaché au secteur d'activité touristique et je partage vos inquiétudes, comme beaucoup d'entre nous, sur le budget d'Atout France, dont la diminution s'inscrit dans le cadre d'une extrême fragilisation de l'économie touristique. Les professionnels sont en première ligne face à la très forte baisse du tourisme étranger, même si elle a pu, dans certains cas, être compensée par l'afflux de touristes français qui se sont pressés dans l'ensemble de nos régions cet été.
Dans les zones de montagne, la profession s'empare activement du sujet du tourisme durable, qui correspond à une évolution de la demande, à l'apparition d'une exigence collective. Nous avons conscience que nous devons œuvrer toutes et tous à la lutte contre le changement climatique. La montagne joue un rôle de sentinelle en la matière : elle est la première concernée. La saison d'hiver arrive ; l'accueil des touristes doit être à la hauteur. Les professionnels proposent des expérimentations, notamment en matière de tests, de mesures sanitaires ? et autres. Il conviendrait que le ministère de la santé se mobilise également en faveur de l'accueil des touristes cet hiver, pour que la saison soit la meilleure possible.
Certaines entreprises ont été exclues du champ d'application des mesures gouvernementales, notamment dans les activités annexes au tourisme. Je citerai, par exemple, les magasins de sport et les loueurs installés dans les stations de ski : leur classification au titre de l'activité principale exercée (APE) les range hors de l'activité touristique. Cette situation devrait être corrigée. Je pourrais m'associer à vous pour proposer une mesure en ce sens dans la loi de finances ou dans un autre texte.
Globalement, la crise doit être perçue comme une opportunité d'innovation, d'expérimentation et d'engagement en faveur d'un tourisme durable. Cela permettrait de retrouver un peu d'optimisme dans le secteur touristique.
Comme vous, Monsieur le rapporteur, je soutiens la relance de la desserte en trains de nuit qui est, pour certains territoires éloignés de Paris, un vecteur essentiel du tourisme. Même si le Gouvernement semble avoir pris à cœur cette question, il faudra demeurer vigilant. Vous avez également évoqué Bpifrance, qui investit souvent en faveur des grosses stations de montagne ou thermales. Il est essentiel que les petites stations, qui sont en difficulté mais ne connaissent pas toujours les dispositifs, bénéficient également de ces fonds. Les stations thermales également ont connu cette année une fréquentation très inférieure à la normale et s'attendent à une situation encore plus difficile en 2021.
Je salue les mesures prises par le Gouvernement, qui, depuis le début de la crise, y a mis les moyens, en termes humains et financiers comme en termes d'accompagnement. Le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, M. Jean‑Baptiste Lemoyne, en particulier, a suivi ces questions de très près. Le comité interministériel du tourisme (CIT) a fait, lundi dernier, des annonces importantes pour le secteur. Les mesures sont prises au fil de l'eau, à mesure qu'on découvre les problèmes – Mme Battistel vient d'évoquer le cas des loueurs. Il est important que nous les fassions remonter rapidement pour être force de propositions.
Je voudrais, pour terminer, vous sensibiliser à la situation particulièrement difficile de la ville de Lourdes où, depuis mars, en raison de la fermeture des hôtels et des magasins, 2 400 saisonniers sont à la rue. Mme Jeanine Dubié est très impliquée sur ce sujet. Je tenais à faire passer ce message de solidarité.
Je vois que nos points de vue convergent pour ce qui touche au tourisme et à son devenir. L'État a répondu présent au printemps, lorsque la crise battait son plein, en présentant un plan de 18 Md€ comprenant notamment des allégements de charges, des prêts garantis, des interventions de la Caisse des dépôts et consignations et de Bpifrance. Toutefois, comme vous l'avez relevé, il y a encore quelques trous dans la raquette : ainsi, des loueurs de ski ne sont pas éligibles au plan tourisme du fait de leur code APE. C'est d'autant plus regrettable qu'une société peut avoir plusieurs magasins ayant exactement la même activité mais catégorisés différemment, ce qui exclut certains d'entre eux du champ de ces mesures. J'espère que le PLF nous permettra de remédier aux quelques incohérences qui persistent.
Nous avons tous constaté l'évolution budgétaire qu'a connue Atout France depuis de nombreuses années – ce n'est pas un fait nouveau. Je regrette qu'en période de crise, on ne soit pas capables de réarmer l'outil de promotion touristique nationale. Cela s'est fait dans les territoires, auprès des comités départementaux ou des comités régionaux du tourisme. Il est regrettable qu'Atout France ne dispose pas de moyens supplémentaires. Il faudra engager des financements substantiels pour remonter l'activité une fois la crise passée.
Le tourisme durable, que j'aborde dans la deuxième partie de mon avis, est évidemment un objectif de moyen et long terme. C'est ce vers quoi notre tourisme doit tendre. Toutefois, la priorité pour l'heure est de sauver les entreprises touristiques, de ne pas leur imposer de contraintes supplémentaires : sauvons d'abord l'essentiel avant de rebondir ensuite vers une autre forme de tourisme. Rien n'est plus mensonger que de quantifier l'activité touristique en comptabilisant le nombre de visiteurs, car certains ne font que traverser la France. D'autres indicateurs seraient plus pertinents, à commencer par celui du chiffre d'affaires. Reste que pour développer le tourisme durable, l'État pourrait commencer par donner l'exemple, en développant le secteur ferroviaire de manière générale, et les trains de nuit en particulier. Ces actions, qui ne coûteraient rien à nos entreprises touristiques, pourraient donner une véritable impulsion au secteur.
J'ai cru comprendre que le Gouvernement avait des projets concernant les trains de nuit et les mal-dites « petites lignes ». Par ailleurs, j'ai confirmé à M. Jean-Baptiste Lemoyne que nous l'auditionnerions sur le tourisme dans les semaines qui viennent.
La commission n'a été saisie d'aucun amendement.
La commission émet un avis favorable à l'adoption de la mission « Action extérieure de l'État » pour ce qui concerne le tourisme.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 9 h 35
Présents. – M. Patrice Anato, Mme Edith Audibert, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Barbara Bessot Ballot, Mme Anne Blanc, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Jacques Cattin, M. Anthony Cellier, M. David Corceiro, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Frédéric Descrozaille, M. Fabien Di Filippo, M. José Evrard, M. Olivier Falorni, M. Yves Hemedinger, Mme Christine Hennion, Mme Annaïg Le Meur, M. Roland Lescure, M. Serge Letchimy, M. Didier Martin, M. Max Mathiasin, M. Mickaël Nogal, M. Éric Pauget, M. Dominique Potier, M. Vincent Rolland, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Denis Sommer, M. Stéphane Travert, M. André Villiers
Assistaient également à la réunion. – M. Frédéric Barbier, Mme Justine Benin, M. Michel Zumkeller