Notre collègue Annaïg Le Meur, élue du Finistère, a tracé un panorama des crédits des programmes de la mission « Outre-mer » et de leur évolution. Nous prenons acte de l'effort consenti.
M. Serge Letchimy l'a rappelé : notre taux de chômage atteint 25 % en Guadeloupe, 23 % à la Martinique. Nous prenons acte du déploiement de la solidarité nationale lors de la crise de la Covid-19. Reste que le problème du déséquilibre structurel de nos économies perdure depuis des années. Lorsque la loi sur l'égalité réelle a été adoptée, je n'étais pas encore député, mais j'avais fait observer que d'ajouter le mot « réelle » montrait bien qu'il y avait déjà un problème : dans la République, l'égalité, c'est l'égalité… Il peut y avoir des disparités, comme le remarquait notre collègue Fabien Di Filippo, des différences en fonction des territoires, qui tiennent à des parcours contrastés ; reste qu'en dépit de leur éloignement, La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe ont une histoire commune, et particulièrement douloureuse. Les retards dont souffraient ces territoires lors de la départementalisation de 1946 n'ont pas été résorbés : pendant longtemps, l'article 72 de la Constitution, en laissant la possibilité d'adapter les lois de la République avant leur application Outre-mer, a pendant longtemps contribué à maintenir ces décalages structurels.
Nous sommes conscients que des mesures de soutien sont prises pour tâcher de résoudre le problème. Toutefois, alors même que 95 % de notre tissu économique est composé de TPE travaillant dans un marché restreint, les lois de la République continuent à s'appliquer avec une certaine uniformité. Et c'est là que le bât blesse : ainsi, une pharmacie installée près de la gare de Lyon ou de la gare Montparnasse se retrouve à bénéficier d'une zone de chalandise potentielle de 66 millions d'habitants, car chaque Français est susceptible de passer un jour par cette gare ; mais si elle est installée à Pointe-à-Pitre, sa zone de chalandise ne dépassera guère 340 000 habitants. Et dans ces économies où le taux de chômage est de 25 %, les collectivités locales ne peuvent pas jouer un rôle d'amortisseur. Les gens tentent de monter des petites entreprises, souvent unipersonnelles, créant un emploi pour un fils ou une fille ; quand on leur demande de produire tel ou tel document pour bénéficier de telle ou telle aide, cela leur est impossible. Leur activité avait connu un frémissement juste avant la crise ; or il faut avoir perdu 50 % de son chiffre d'affaires pour toucher l'aide de 1 500 euros.
Le vrai problème, c'est que nos TPE sont en train de mourir. C'est le cas des agences de voyages, mais aussi, par exemple, du zoo de la Guadeloupe : même s'il n'y a plus de touristes, il faut bien continuer à payer le personnel et à nourrir les animaux. Comme je l'ai expliqué hier, au ministère des Outre-mer, on ne peut pas traiter cette question de manière globale : il faut le faire territoire par territoire. Le préfet est dans son rôle quand il prend des dispositions en fonction de ce qu'il observe sur place. Malgré les difficultés, nous ne demandons pas à être traités différemment. Nous sommes d'accord sur la nécessité de structurer l'économie, de mener des projets de développement. Les collectivités – qui, à la Martinique ou ailleurs, sont chargées de mettre en musique le développement économique – doivent en être parties prenantes, et l'Europe doit apporter son concours. Il y a, pour les ultramarins, une cohérence à trouver dans la conduite de la politique de développement des territoires, à l'image de la politique énergétique.
Je sais, cher Serge Letchimy, que vous vous battez sur la question du chlordécone. Alors que le plan chlordécone IV est en cours d'application, Guadeloupéens et Martiniquais doivent rester vigilants : la lutte contre la Covid ne doit pas nous faire oublier ce problème. Je comprends que l'on puisse juger les crédits insuffisants. Vous avez présidé la commission d'enquête sur l'utilisation du chlordécone et du paraquat, dont Mme Justine Benin était la rapporteure. Cette question cruciale ne pourra être résolue qu'au long cours. Tous les ultramarins – comme, me semble-t-il, tous ceux de l'Hexagone – sont déterminés à la régler.
En revanche, je suis résolument opposé à l'extension du RSA jeune à l'ensemble des jeunes d'Outre-mer. Tout revenu doit être associé à un travail. Il faut trouver les moyens d'aider les jeunes, mais pour suivre une formation en bonne et due forme et pour travailler. Dans le cadre des projets de développement, nous avons beaucoup parlé de la transition énergétique, de l'économie bleue et de l'économie verte : il y a là des gisements d'emplois dans les domaines de la transformation de nos économies fragiles et de la préservation de nos écosystèmes. Le RSA que vous appelez de vos vœux pourrait alors devenir un revenu issu d'activités réelles, qu'il s'agisse d'une formation ou d'un emploi de transformation de l'économie ou de protection de l'écosystème.
Madame Justine Benin, le PLF prévoit l'augmentation des crédits attribués à l'aide à l'ingénierie Outre-mer, par le canal de l'Agence française de développement (AFD). Il faut s'assurer que ces crédits sont suffisants et voir comment nos entreprises et nos collectivités territoriales pourront accéder à ces aides, éventuellement pour déployer des plateformes d'ingénierie.
Enfin, on relève une augmentation de 18 millions d'euros de l'enveloppe consacrée au logement. C'est un problème complexe, car les crédits ne proviennent pas uniquement du budget de l'Outre-mer. Le rythme de construction actuel est de 2 300 logements par an, ce qui est très insuffisant, puisqu'il manque, à l'heure actuelle, 10 000 logements. On se heurte souvent à des problèmes fonciers, qui doivent être réglés. Là encore, il faut intervenir secteur par secteur, tout en donnant de la cohérence à l'ensemble.