Intervention de Denis Sommer

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Sommer :

Monsieur le président, je vous remercie d'avoir accepté le principe du groupe de travail et de cette communication. Derrière le nouveau plan social annoncé par General Electric, se pose la question de l'avenir de notre politique énergétique et, partant, de notre stratégie industrielle, les choix opérés par General Electric modifiant considérablement notre capacité à intervenir sur le marché mondial.

General Electric a annoncé son intention de supprimer 1 125 emplois en Europe, dont 764 en France, avec une restructuration des activités renouvelables : hydroélectricité et équipements de réseaux électriques – autrement dit sa division Grid solutions. Le PSE s'inscrit dans une opération de restructuration en chaîne, qui a débuté avec le rachat d'Alstom et celui du groupe parapétrolier Baker Hughes. Je remercie M. Hugh Bailey, le directeur général de GE France, d'avoir répondu à notre demande d'audition, ainsi que les organisations syndicales qui se sont déplacées en nombre pour nous faire part de leur analyse de la situation.

La direction nous a expliqué que GE avait connu des difficultés financières à partir de 2018, du fait d'un ralentissement de l'activité concernant les énergies thermiques et le gaz, qui avait été néanmoins compensé par la croissance des énergies renouvelables. Ces difficultés ont été renforcées par la crise sanitaire, qui a affecté le rythme des investissements clients, et par la pression très forte des clients pour faire baisser les prix. La réponse de GE a été de réduire massivement la structure et la masse salariale. Ce discours de la direction pourrait donner le sentiment qu'elle doit faire face à une conjoncture particulièrement compliquée, et donc ajuster les effectifs.

En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes. Un grand nombre de délocalisations et de transferts de compétences, du reste totalement assumés par la direction de GE, principalement en Hongrie et en Inde, concernent, pour l'essentiel, des activités d'ingénierie. Les fonctions support sont également délocalisées – ressources humaines, services comptables et de facturation –, notamment vers la Hongrie. Tout cela pose question. Ayant déjà eu l'occasion de rédiger un rapport sur les relations entre les grands donneurs d'ordre et les sous‑traitants dans les filières industrielles, j'ai pu constater combien les grands groupes étaient en train d'externaliser ce type de fonctions pour s'extraire du droit français, ce qui met en difficulté nombre de PME, de PMI et de sous‑traitants travaillant pour eux.

Les organisations syndicales, de leur côté, nous ont alertés : c'est l'avenir industriel d'un secteur qui est en cause, à un moment où la question de la transition écologique et énergétique se pose très largement. Du fait de la stratégie de GE, nous sommes en train de perdre le rôle d'intégrateur de nos équipes et des différents secteurs. GE ou Alstom étaient capables de répondre à l'appel d'offres d'un pays, de construire une centrale hydraulique ou nucléaire, de concevoir l'ensemble du produit tout en fabriquant en interne des turbines, des alternateurs ou des pièces connexes. Ils étaient capables de concevoir, de chiffrer, de livrer et de suivre une installation. Or GE paraît décidé à mettre une croix sur sa vocation d'ensemblier pour proposer non plus un service global sur des systèmes complexes, mais de la vente sur étagère. Une telle stratégie ne peut garantir notre leadership industriel, ni celui de la France dans le monde, sur ces questions énergétiques.

Pour développer les énergies renouvelables et les associer à l'hydrogène, notamment, grâce à l'hydrolyse, nous devons créer des systèmes complexes. Or nous allons nous retrouver en panne de compétences si nous continuons à accepter la stratégie de General Electric. Nous avons besoin de faire le point sur ce qu'est notre outil industriel, sur ce que nous voulons en faire et sur ce que la France aura à dire en Europe et dans le monde. La dimension d'ensemblier est stratégique. À ne plus fabriquer que des éléments, on court le risque de les voir se fabriquer ailleurs un jour ou l'autre, car d'autres pays investissent massivement dans ces domaines.

Ce qui m'a frappé, lors de nos auditions, outre le sérieux des organisations syndicales, c'est la perte de confiance des cadres dirigeants et leur découragement. Je connais un peu le monde de l'entreprise : quand un plan social est décidé à l'échelle d'un groupe, les cadres dirigeants des différents services portent habituellement la parole de la direction auprès de leurs salariés. Chez General Electric, cela ne se passe plus ainsi : nombre de cadres dirigeants remettent fondamentalement en cause les orientations prises par leur direction. Ce déficit de confiance est lourd de conséquences. Petit à petit, c'est l'entreprise qui se délite, d'autant que les plans sociaux arrivent les uns après les autres : on évoque, à Belfort, le déplacement de vingt-deux personnes vers Grenoble ; mais le bruit circule que l'objectif serait de ramener les effectifs de Grenoble, qui étaient à huit cents, à deux cents personnes. Un nouveau PSE se prépare pour les services informatiques : cent sept suppressions de postes sur les cent cinquante actuels, principalement à Boulogne‑Billancourt et à Belfort. Nous sommes en train de perdre des compétences indispensables au développement global de l'entreprise. L'activité « Steam power », à Belfort, concernait jusqu'alors les centrales à charbon, un marché destiné à s'éteindre, et le nucléaire, dont le marché se compose de grosses centrales mais aussi de plus petites – secteur lequel General Electric n'est absolument pas présent. Cela veut dire que, dans les deux prochaines années, notre potentiel industriel risque de s'affaiblir encore à Belfort.

La question de notre souveraineté industrielle et énergétique se pose, ainsi que celle de la sécurité de nos équipements. Par exemple, pour l'entretien des barrages hydroélectriques, avons-nous intérêt à garder des compétences chez nous ou pas ? Ce sont des sujets très importants. Alors que nous avons besoin de plus d'éolien, de plus de solaire, de plus d'hydrogène et que 30 milliards d'euros ont été inscrits dans le plan de relance à destination de la transition écologique et énergétique, nous sommes en train de perdre une partie de notre puissance industrielle dont nous avons besoin pour répondre à ces objectifs.

Nous devons définir une stratégie globale de développement énergétique, non seulement pour nous, mais en regardant aussi ce que seront les marchés mondiaux et les technologies autour desquelles ils vont se développer. On entend souvent, y compris dans les préfectures, que tout va bien parce que nous avons des start-ups dotées d'une grande capacité d'innovation dans tel ou tel domaine, particulièrement dans celui de l'hydrogène ; à ceci près que ces start-ups, en général, n'ont absolument pas la capacité financière d'industrialiser leurs systèmes et d'occuper le marché. Il sera aisé pour des investisseurs étrangers de prendre le contrôle de ces start-ups qui travaillent sur des technologies d'avenir présentes demain sur les marchés porteurs et créateurs d'emplois. En matière de politique énergétique, nous avons besoin de travailler avec les grands groupes, EDF, Framatome et autres, pour déterminer les axes de progrès et de production dans lesquels il faut investir massivement, sans quoi nous n'aurons pas de politique énergétique digne de ce nom. Si on laisse filer la situation, je crains fort que la France, qui faisait partie des leaders mondiaux, ne soit renvoyée à une position subalterne dans les années à venir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.