Intervention de François Ruffin

Réunion du mardi 20 octobre 2020 à 18h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Je voudrais répondre à M. Adam à propos du grand écart qu'il y aurait entre le souci de l'écologie et celui de l'emploi en matière d'aéronautique. Comme nous avons rarement l'occasion de débattre ici, profitons-en…

Je me suis rendu sur le site de Méaulte, où se trouvent l'entreprise Stelia Aerospace et tous ses sous-traitants. Une énorme casse a lieu : des centaines d'emplois sont en train de disparaître. Je me trouvais notamment aux côtés des salariés des entreprises AAA et Simra. Les avocats trouvaient le plan social tellement délirant qu'ils ne croyaient même pas que de telles modalités pouvaient exister… Pour le congé de reclassement, la proposition était de quatre mois avec 65 % du salaire. Les salariés ont finalement eu droit à six mois, mais l'État garantit normalement douze mois… Du jamais vu, aux dires des avocats.

Y a-t-il une contradiction dans notre démarche ? C'est une vue extrêmement superficielle. Que se passe-t-il ? C'est le marché qui broie les salariés, qui écrase les emplois, qui, parce qu'on l'a laissé faire ainsi, a empêché toute diversification, qui a conduit ce territoire‑là à la mono-industrie et qui empêche d'en penser la sortie. Que voudrions-nous faire pour ce secteur ? Non pas laisser faire la main invisible, mais penser, organiser la sortie de cette mono-industrie, et pas dans la brutalité, comme c'est le cas aujourd'hui, mais au contraire dans la durée.

Il faut évidemment être aux côtés des salariés : ce n'est pas à eux de payer les mauvais choix dans la durée, l'absence de pensée industrielle. Le terme « politique industrielle » a été interdit par l'Europe à partir des années 1980. Il serait temps de redonner une politique industrielle à ce pays.

Que vont devenir les compétences ? Rien. Elles vont repartir dans la nature. Des gens qui ont travaillé pendant dix ans, quinze ans, dans des postes spécialisés, sur des machines de grande précision, vont être évacués : ils iront peut-être ouvrir une pizzeria ou se retrouver dans la logistique… Tout ce savoir-faire, ces compétences promises à la disparition, je suis convaincu, moi aussi, qu'elles ne sont pas seulement utiles pour l'avion de demain mais aussi pour les pompes à chaleur, l'éolien ou le rail-route. Une étude menée au sujet de Lucas Aerospace, qui était une entreprise aéronautique britannique, a montré que ce type de compétences et de machines pouvait très bien servir des projets pour la transition écologique.

La question – centrale, à mon avis – que nous posons est de savoir qui doit décider. Le marché peut-il décider de broyer les salariés, que c'est fini, ou est-ce à nous, tous ensemble, de décider démocratiquement de réorienter, de bifurquer, sans en faire payer le prix aux salariés ? Alors que les actionnaires ont engrangé l'année dernière 1,2 milliard d'euros et que l'État, premier actionnaire d'Airbus, verse 15 milliards d'euros pour l'aéronautique, peut-on laisser les sous-traitants partir en short, malgré toutes les chartes qui ont été signées ? Nous sommes convaincus que c'est à nous, ensemble, de décider. Veut-on produire des pneus en France ? Si c'est oui, il faut s'organiser en conséquence ; sinon, ce n'est pas aux salariés de Bridgestone, de Goodyear ou de Dunlop de payer la délocalisation.

Il y a donc une profonde cohérence dans le fait de souhaiter non pas la disparition du trafic aérien mais sa diminution et de se demander comment on réorganise la production et à quoi les salariés peuvent être utiles.

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