Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du mardi 3 novembre 2020 à 17h15
Commission des affaires économiques

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État chargé du tourisme, des Français l'étranger et de la francophonie :

Le « plat » n'était pas forcément celui que nous attendions, en tout cas il n'est pas à la hauteur de ce que nous souhaitions pour le tourisme français en 2020, mais la « résistance » est bien là – en tout cas c'est l'esprit qui anime les professionnels, qui nous anime et vous anime, pour soutenir et défendre ce joyau de notre économie.

Nous avons vécu et nous vivons en 2020 des heures sombres et pleines d'incertitude pour le tourisme. Le rapporteur pour avis, M. Vincent Rolland, évoquait, à la première page de son rapport, une « année noire pour le tourisme », et je le suis dans cette affirmation. Chaque jour, vous êtes interpellés dans vos territoires par des entreprises et des salariés qui vivent du tourisme, et dont l'activité est menacée par la limitation des déplacements nationaux et internationaux qui a cours depuis des mois.

Cette crise va bien au-delà de la France ; elle est européenne, et même mondiale. L'OMT (Organisation mondiale du tourisme) a estimé fin octobre que les arrivées de touristes internationaux avaient diminué de 70 % dans le monde au cours des huit premiers mois de l'année 2020, par rapport à l'année précédente, sous l'effet de la pandémie de la covid-19. En France aussi, le choc causé par cette crise est violent pour un secteur qui, je le rappelle, compte plus de 300 000 entreprises, beaucoup de très petites et de moyennes entreprises (TPE et PME), représente plus de 3 millions d'emplois directs et indirects, et contribue à près de 8 % de notre produit intérieur brut.

Lors de nos échanges en mai dernier, je vous faisais part d'une forme de confiance dans l'avenir, parce que nous étions en train de travailler à la préparation de l'été, dans une phase de déconfinement progressif. Aujourd'hui, force est de constater qu'avec cette deuxième vague et la reprise de la pandémie, nous sommes revenus dans une situation de crise aiguë et d'urgence pour sauver notre tourisme, ainsi que ceux qui le font vivre et rayonner au quotidien. Les décisions prises par le Président de la République le 28 octobre étaient difficiles mais indispensables pour enrayer la « seconde vague ». J'entends une grande inquiétude, et parfois même un sentiment d'injustice, gagner les acteurs du tourisme, mais le Président de la République a tenu à être au rendez-vous depuis le mois de mars en érigeant le tourisme en priorité nationale en termes de soutien.

Le 14 mai dernier, à l'occasion du comité interministériel pour le tourisme, un véritable plan d'urgence et d'investissement de 18 milliards d'euros a été mis en place, comprenant un volet propre à la promotion de la destination « France » pour l'été. Depuis le début de cette crise, je me suis battu pour que nous puissions essayer de compenser la perte du tourisme international par ce que j'ai appelé le tourisme « bleu-blanc-rouge » afin que nos compatriotes repartent à la découverte de nos territoires. Un certain nombre d'outils de soutien ont également été mis en place à ce moment-là.

Finalement, ce plan fut le premier plan de soutien sectoriel à être annoncé, ainsi que le premier plan de relance, puisqu'au-delà du soutien immédiat, un certain nombre de mesures et de dispositions d'investissement, portées par la Caisse des dépôts et consignations et la Banque des territoires, ont été annoncées, afin de préparer l'avenir du tourisme. Outre le PGE (prêt garanti par l'État) affecté aux activités saisonnières et lancé le 5 août, un fonds de solidarité a été instauré, avec des spécificités pour le monde du tourisme s'agissant de l'exonération de charges sociales ou la prise en charge de l'activité partielle – mesures que vous connaissez parfaitement.

Cette période a été l'occasion de faire travailler de façon très coordonnée non seulement les services de l'État, les opérateurs, mais aussi l'écosystème du financement (BPIfrance, la Banque des territoires, etc.), ainsi que les collectivités territoriales et les partenaires privés. Beaucoup ont alors pris conscience du poids du secteur du tourisme. En tant qu'élus, nous en sommes tous convaincus parce que nous en faisons le constat dans nos territoires, mais chez les observateurs, cette conscience aiguë de l'importance du secteur – en amont comme en aval – n'existait peut-être pas. De ce point de vue, la crise a été un révélateur.

Quel bilan peut-on établir de la mise en place de ces aides ? Il est important de voir ce qui a effectivement été réalisé et décaissé. Le CIT (Comité interministériel du tourisme) du 12 octobre, qui s'est tenu sous la présidence de M. Jean Castex, a dressé un bilan. Il en ressort que les outils ont été très largement mobilisés par les acteurs de la filière. 13 des 18 milliards d'euros ont d'ores et déjà été mobilisés, avec 10 milliards d'euros de PGE pour le secteur du tourisme, 1 milliard d'euros au titre du fonds de solidarité pour le secteur du tourisme et 2 milliards d'euros injectés en prêts, fonds propres et quasi-fonds propres via des dispositifs ad hoc (Prêt Tourisme ; fonds mis en œuvre avec la Caisse des dépôts et la Banque des territoires, comme le fonds tourisme social investissement). Nous poursuivrons l'évaluation de ces dispositifs en décembre, car le soutien devra peut-être se prolonger. Il y a hélas fort à parier que la pandémie n'aura pas disparu au 31 décembre à minuit et qu'il sera nécessaire de réfléchir à la poursuite d'un certain nombre de dispositifs. Le Premier ministre a en tout cas donné une clause de revoyure lors de sa rencontre avec le secteur HCR (hôtels, cafés, restaurants) au début du mois d'octobre.

La saison estivale a été moins mauvaise que ce que l'on pouvait le redouter en mars‑avril, la clientèle domestique ayant été massivement au rendez-vous. 94 % des Français qui sont partis ont fait le choix de partir en France, ce qui représente 20 points de plus par rapport aux moyennes traditionnellement observées. Une clientèle européenne de proximité est également venue. De nombreux acteurs se sont mobilisés pour promouvoir le mot-dièse « #CetétéJeVisiteLaFrance », sur lequel Atout France a réalisé une campagne ayant généré 22 millions de vues. Les élus de circonscriptions de littoral, de montagne ou de zones rurales ont bien perçu l'assiduité de la clientèle française et européenne de proximité, à telle enseigne que dans certains territoires, les dépenses touristiques domestiques ont été en croissance par rapport à l'année 2019, qui était pourtant une bonne année.

Une certaine disparité s'observe toutefois. Certains territoires souffrent durablement, comme les métropoles, et notamment Paris, où le moteur touristique international était jusqu'alors important, et où le moteur événementiel est grippé compte tenu des contraintes actuelles.

Vous connaissez le dicton : « Quand on se regarde on se fait peur ; quand on se compare on se rassure ». La France a mieux résisté que ses principaux concurrents européens que sont l'Italie et l'Espagne. Comme le précise M. Vincent Rolland dans son rapport, la perte de recettes internationales enregistrée par la France s'élève à - 46,8 % sur les huit premiers mois de l'année, alors qu'elle se monte à - 66 % en Italie et à - 75 % en Espagne. Une certaine résilience s'observe donc, grâce aux clientèles européennes de proximité, qui ont répondu présentes.

Les prochaines semaines seront encore compliquées pour les acteurs du tourisme. Notre stratégie tient en deux mots : résister et préparer le rebond. La résistance s'opère notamment avec le renforcement des mesures de soutien, que le Premier ministre a annoncé le 29 octobre : l'attribution du fonds de solidarité à davantage d'entreprises grâce à la suppression de certains critères (suppression de la barrière que constituait le fait d'exiger un bénéfice annuel imposable inférieur à 60 000 euros ; suppression de la condition d'un chiffre d'affaires inférieur à 2 millions d'euros ; intégration des sociétés créées nouvellement) ; la poursuite de la prise en charge de l'activité partielle avec un reste à charge « zéro » dans le secteur du tourisme jusqu'au 31 décembre, avec une clause de revoyure en décembre ; l'exonération totale des cotisations pour les PME du tourisme ayant perdu 50 % de leur chiffre d'affaires ; l'adaptation du PGE, avec un nouveau différé d'un an, ce qui porte celui-ci à deux ans et permet de profiter de la nouvelle saison pour refaire des réserves et faire face à cette dette ; ou encore l'amortissement du PGE étalé sur plusieurs années supplémentaires, qui sera très précieux.

Parmi les autres dispositifs qui s'appliqueront, sont prévus des prêts directs par l'État et la prise en charge partielle des loyers, puisque la semaine prochaine vous allez examiner, dans les articles non rattachés du projet de loi de finances (PLF), des dispositions prévoyant d'instituer un crédit d'impôt pour les bailleurs qui renonceraient à percevoir des loyers – démarche qui est loin d'être systématique et qui revient souvent dans les demandes du secteur.

J'ai bien conscience des difficultés qui pèsent sur un certain nombre d'activités. S'agissant du monde de la nuit, nous avons mis en place en juillet, avec M. Alain Griset, un fonds de solidarité pouvant se monter à 15 000 euros par mois. Les acteurs de l'événementiel, des croisières, du thermalisme souffrent également de ne pas pouvoir relancer pleinement leurs activités.

Dans le cadre du CFT (comité de filière Tourisme), que je réunis très régulièrement, je continue à recueillir des demandes précises d'adaptation de notre dispositif, qui sont présentées par les professionnels et qui sont à l'étude. Je mentionnerai la prise en compte des holdings par le fonds de solidarité, et d'ailleurs le décret de ce matin permet de prendre en compte les holdings cumulant moins de 50 emplois. D'autres demandes se font jour. Les congés payés représentent une charge significative pour les entreprises. Mme Élisabeth Borne a appelé ce matin les partenaires sociaux à en discuter, et le secteur du tourisme souhaite également avancer sur ce sujet. Le secteur des assurances a donné lieu à de fortes attentes, que nous comprenons. Il est souhaitable que chacun puisse prendre sa part dans la prise en charge des pertes d'exploitation. Les compagnies d'assurances se doivent d'être toujours plus aux côtés des professionnels du tourisme.

Le CIT du 14 mai avait prévu de travailler sur des feuilles de route sectorielles et territoriales car certains territoires ont été plus durement touchés que d'autres – je pense à Lourdes, à la Corse et à l'Outre-mer. Ces feuilles de route font l'objet d'un travail intéressant au niveau local, sous l'égide des préfets. Il nous appartient de nous en emparer au niveau central. À Lourdes, les travaux ont bien avancé, d'abord sous l'égide du préfet, M. Blondel, puis de son successeur. Une grande réunion se tiendra d'ailleurs à Lourdes le 13 novembre sur le sujet. J'ai eu l'occasion d'échanger avec les acteurs de la Corse il y a quelques semaines. Nous sommes en train de peaufiner nos travaux avec l'ATC (Agence du tourisme de la Corse). S'agissant de l'Outre-mer, nous travaillons avec M. Sébastien Lecornu en vue de tenir un comité stratégique du tourisme en Outre-mer dans les prochaines semaines, afin d'arrêter ces feuilles de route.

J'aimerais parler de la préparation du rebond, de la relance, lorsque les conditions sanitaires le permettront. De nombreuses destinations ont émergé depuis vingt à vingt-cinq ans. Je pense que la concurrence sera féroce lorsque la reprise sera possible. Nous devons sentir les tendances à l'œuvre, comme la nécessité de prendre soin, de rassurer ; la digitalisation, qui a un impact sur la tenue des événements ; l'immersion virtuelle, qui joue également un rôle désormais dans la préparation de l'expérience touristique ou dans l'expérience touristique elle‑même. Nous devons nous préparer à ces tendances et évoluer vers un tourisme plus durable. C'est une partie importante du rapport qui vous a été présenté par M. Vincent Rolland, dont je salue la qualité des travaux. Nous allons nous en inspirer car nous partageons cette philosophie ; c'est pourquoi nous avons souhaité, dans le cadre du plan de relance, qu'un fonds de 50 millions d'euros consacré au tourisme durable soit mis en place. Ce fonds sera géré par l'ADEME (Agence de la transition écologique) et nous permettra de travailler à accompagner plusieurs centaines de restaurants et d'hôtels dans ces démarches, ainsi que d'avancer sur le concept de slow tourism, dont il faudrait trouver une traduction car étant en charge de la francophonie, je ne me satisfais pas de cet anglicisme.

Je pense que les acteurs doivent s'emparer toujours plus du numérique. Nous avons lancé un appel à projets avec Atout France et le Welcome City Lab pour favoriser la stimulation. 490 dossiers de candidature ont été reçus, et une dizaine d'entreprises, de « jeunes pousses », ont été distinguées, dont je vous incite à découvrir les technologies. Je citerai Patrivia, qui met en place un système de billetterie en ligne qui fonctionne très bien pour bon nombre de sites culturels, ainsi que Vaovert ou Solikend. Ces jeunes pousses réfléchissent au tourisme de demain et prennent en compte les contraintes de la période que nous traversons pour proposer des outils aux professionnels et aux territoires.

La France n'est pas une île. Il faut que nous travaillions à la reprise du tourisme au niveau européen. Nous avons déjà réussi à mieux harmoniser les pratiques au niveau européen, et des enceintes comme le G20 ou l'OMT accueillent régulièrement des concertations. Il reste beaucoup à faire, mais cette crise est aussi un accélérateur de la coopération internationale en faveur du tourisme.

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