Je suis honorée et très heureuse de voir sur mon écran nombre de visages associés à de très bons souvenirs. Je sais l'importance qui est accordée au sein de cette commission, et plus largement au Parlement, à l'économie sociale et solidaire ainsi qu'à la responsabilisation de l'économie. Nous avions beaucoup travaillé, voire bataillé, durant l'examen du projet de loi relatif au plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) – vous êtes bien placé pour le savoir, Monsieur le président, puisque vous en étiez le rapporteur général. Je dois dire que je suis fière du chemin qui a été parcouru depuis deux ans. La loi a été votée, non sans difficultés d'ailleurs ; c'est une loi importante, qui a permis, notamment par son chapitre III, d'enclencher la responsabilisation de l'économie. Elle continue de vivre et infuse dans l'économie française, engageant un certain nombre d'évolutions.
Vous l'avez souligné, ce secrétariat d'État nouvellement créé associe l'économie sociale et solidaire à l'économie responsable. On pourrait croire qu'il s'agit d'une évolution sémantique ou cosmétique, mais il n'en est rien ; cela ne marque pas non plus une transformation radicale de l'économie sociale et solidaire. Il s'agit bien d'un double portefeuille. D'un côté, il y a l'écosystème de l'économie sociale et solidaire, délimité par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon ». Quelles que soient les difficultés conceptuelles ou techniques que soulève cette dernière, elle a eu le grand mérite de réunir sous un même toit les cinq familles de l'économie sociale et solidaire. C'est une économie à part, et il était important qu'un département ministériel s'en fasse le relais ; et comme c'est une économie à part entière, il était normal que ce département soit rattaché à Bercy. De l'autre côté, il y a le reste de l'économie, qui est, en quelque sorte, définie par défaut comme ce qui n'appartient pas au secteur de l'économie sociale et solidaire. Beaucoup d'entreprises ont fait preuve, ces dernières années, d'une réelle volonté d'évoluer, voire de changer de modèle, en s'inspirant de ce que fait l'économie sociale et solidaire : évoluer d'une économie de la valeur vers une économie des valeurs.
Cette volonté procède de trois besoins. D'abord, les exigences des consommateurs en matière de traçabilité, de circuits courts et de transparence sont de plus en plus élevées et, oserai-je dire, légitimes. Ensuite, nombreux sont les épargnants et investisseurs en quête, non seulement de rentabilité, mais aussi d'utilité sociale, environnementale et d'implication solidaire. Enfin, les salariés, à la recherche de sens, souhaitent de plus en plus évoluer dans des entreprises engagées, elles-mêmes cherchant à attirer de nouveaux talents. Bref, si je devais présenter cette économie des valeurs qu'est l'économie sociale et solidaire, je dirais qu'elle est dans le sens de l'histoire.
Ce mouvement de fond, auquel nous avons donné ensemble une impulsion décisive dans le cadre de la loi PACTE, il importe de l'entretenir et de le consolider ; ce sera aussi mon rôle. L'économie sociale et solidaire, et le reste de l'économie sont deux univers a priori séparés, mais mon ambition est de jeter des passerelles entre eux. L'ESS, je l'ai dit, est une économie à part, elle n'a pas vocation à se fondre dans le reste de l'économie. Les associations, les coopératives et les entreprises sociales ont leur spécificité, qu'il convient de préserver, voire de renforcer. Néanmoins, ce sont aussi des entreprises à part entière, et elles doivent, à ce titre, pouvoir bénéficier de plein droit des aides disponibles, par exemple celles auxquelles toutes les entreprises ont accès durant cette crise, et travailler étroitement avec les autres acteurs économiques. La spécificité de l'économie sociale et solidaire n'est ni une tare – loin de là – ni une prison, c'est plutôt un supplément d'âme.
La question est d'autant plus importante que, dans la crise actuelle, l'économie sociale et solidaire a fait preuve de résilience, d'une capacité de rebond, et cela précisément parce qu'elle est spécifique. Son indépendance envers les investisseurs, son agilité, les particularités de son organisation lui ont permis de tenir, de traverser un peu mieux la crise. Ne nous voilons pas la face pour autant, si sa spécificité la renforce, elle la fragilise aussi. La faiblesse des fonds propres et de la trésorerie, notamment dans les associations, est plus qu'un sujet d'inquiétude, c'est un mal chronique qu'on observe depuis des années.
Je voudrais rappeler ce qui a été fait pour soutenir les acteurs de l'économie sociale et solidaire. Dès le début de la crise, nous avons veillé à ce que l'ensemble des acteurs de l'ESS, sans exception, soient éligibles aux dispositifs d'urgence. Nous avions noté, lors de l'examen des premiers projets de loi de finances rectificative, des difficultés pour que les acteurs associatifs puissent accéder au fonds de solidarité. Depuis, ces difficultés ont été levées : toutes les aides sont désormais accessibles à l'ensemble des acteurs de l'ESS. Ceux-ci peuvent bénéficier du chômage partiel, des exonérations de cotisations et du soutien procuré par le prêt garanti par l'État (PGE) et les avances directes de l'État – d'un montant de 10 000 à 50 000 euros pour une enveloppe globale de 500 millions d'euros – pour les acteurs économiques qui n'aurait pas eu accès au PGE. Ils sont, en outre, éligibles aux dispositifs d'aides sectorielles spécifiques, par exemple dans le domaine de la culture, du sport ou du tourisme social.
En dehors des mesures de réponse à la crise, 1,3 milliard d'euros sont fléchés vers l'économie sociale et solidaire dans le cadre du plan de relance, en deux grosses masses. L'une est consacrée à soutenir l'emploi dans et pour les structures d'économie sociale et solidaire : 600 millions d'euros sont destinés à l'insertion professionnelle, à raison de 200 millions pour l'insertion par l'activité économique (IAE), 200 millions pour les parcours emploi compétences et 190 millions pour les missions locales, l'accompagnement des jeunes en service civique et les associations sportives. En parallèle, un demi-milliard d'euros environ est consacré à l'investissement direct dans les structures d'économie sociale et solidaire au sein des territoires : 230 millions par l'intermédiaire de Bpifrance, avec notamment 130 millions d'euros de prêts d'honneur solidaires activables depuis plusieurs mois, auxquels s'ajoutent 300 millions prévus par la convention signée début novembre avec la Caisse des dépôts et consignations pour activer la Banque des territoires au service de l'ESS. À cela s'ajoutent des enveloppes sectorielles importantes pour faire face à l'urgence – je pense notamment aux 100 millions d'euros destinés aux associations de lutte contre la pauvreté.
La crise n'est évidemment pas finie, nous en sommes tous conscients. J'ai donc lancé, en liaison avec M. Bruno Le Maire, une cellule de crise avec toutes les têtes de réseau ; je la réunis chaque semaine pour faire le point sur les demandes et souhaits de l'écosystème de l'ESS et diffuser les informations concernant les aides disponibles. Mais j'ai souhaité aller encore plus loin. Comme j'avais anticipé les difficultés que rencontreraient les petites associations employant moins de dix salariés, lesquelles, en raison notamment de la baisse de leur activité, ont vu leur trésorerie fondre comme neige au soleil, il a été créé, par l'intermédiaire d'un amendement du Gouvernement au quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR4) – et je remercie les parlementaires de l'avoir adopté –, un fonds d'urgence de 30 millions d'euros destiné aux petites structures de l'économie sociale et solidaire.
La situation est difficile pour tous les acteurs économiques. Lancer le mois de l'ESS dans ces conditions n'a pas été forcément facile, mais nous avions décidé de ne pas « confiner » l'ESS et, malgré le confinement, pas mal d'actions ont été menées. Notre économie est mise à rude épreuve, et l'économie sociale et solidaire l'est tout autant ; néanmoins, je pense qu'elle trouve là une occasion unique de montrer sa différence et de prouver sa force dans un contexte d'économie déboussolée – parce que s'il y a une économie qui ne perd pas la boussole, c'est bien l'économie sociale et solidaire. Sa vision du profit, du salarié et de la gouvernance est une vision d'avenir. D'ailleurs, le reste de l'économie s'en rend bien compte. Les citoyens, qu'ils soient salariés, actionnaires ou clients, demandent plus à l'entreprise : ils exigent d'elle un engagement dont l'ESS fait la démonstration au quotidien.
Il faut donc à la fois encourager toutes les entreprises à se rapprocher de l'économie sociale et solidaire et inciter celles qui en font déjà partie à y rester et à grandir. L'État peut accompagner ce changement l'échelle. À cette fin, j'ai relancé les contrats à impact, qui permettent notamment de renouveler en partie notre approche en faisant confiance à des porteurs de projets, souvent des associations ou des entreprises agréées « entreprise solidaire d'utilité sociale » (ESUS), qui ont un projet innovant sur le plan social ou environnemental, ayant fait ses preuves au plan local, mais qui a besoin d'un coup de pouce financier pour se développer. Il s'agit donc de mettre en œuvre à grande échelle des solutions qui ont montré leur pertinence et leur utilité sociale ou environnementale sur le terrain, et d'attirer de nouveaux financements issus d'investisseurs privés.
Je souhaite aller plus loin encore et contribuer à la définition de l'impact. Vous aurez peut-être noté qu'il ne se passe pas un jour sans qu'un média, notamment la presse écrite économique, évoque ce terme : le mot « impact » est partout. Toutefois, ce n'est pas parce qu'un mot est à la mode qu'il représente la même chose pour tout le monde ; je pense même qu'il y a presque autant de définitions de l'impact que de projets à impact. Si l'on veut que cette notion dure, il faut se mettre d'accord sur une définition.
La finance à impact représente une troisième voie entre la finance solidaire désintéressée et la finance traditionnelle qui recherche le profit. Elle permet de répondre à la volonté, aussi forte que légitime, chez les épargnants actuels d'investir de façon à la fois durable et rentable. De multiples fonds à impact émergent sur la place de Paris, qui rendent opportun de consolider, dans les prochains mois, une vision française de la finance à impact, qu'il faudra promouvoir dans le dialogue européen – car ce combat doit assurément être mené au plan européen, principalement dans le cadre de la révision de la directive relative à la publication par les entreprises d'informations non financières, dite « directive NFRD », en vue de faire apparaître leur impact environnemental, social et de gouvernance (ESG).
Un référentiel sera disponible en avril 2021. Il faudra travailler en bonne intelligence avec les autres États membres pour bâtir ensemble le E, le S et le G européens. C'est pourquoi je pense qu'il faut prendre garde aux initiatives foisonnantes, même si elles sont extrêmement stimulantes et plutôt malignes, poussant à la définition d'indicateurs d'impact ESG à l'échelon de la seule France, sans prendre en considération les spécificités de chaque secteur, de chaque taille d'entreprise ou de chaque pratique économique dans le cadre européen. Si je me réjouis de l'engouement pour ces outils de scoring, car cela va dans le sens de l'histoire et qu'il existe en France nombre de propositions fort pertinentes, je souhaiterais que nous restions vigilants et que nous n'allions pas trop vite en matière de définition de la norme – non que je n'aime pas la rapidité, bien au contraire, mais parce qu'il me semble que créer une norme française avant de créer une norme européenne, c'est faire les choses à l'envers et, par conséquent, perdre du temps.
L'économie sociale est née – on ne le sait pas assez – au XIXe siècle en France. C'est à Lyon qu'a été créée, en 1835, la première épicerie solidaire ; c'est en France que des modes d'organisation alternatifs ont été imaginés face au développement de l'économie de marché – associations, mutuelles, coopératives. L'économie solidaire s'est consolidée et affermie au XXe siècle pour valoriser des modes de production alternatifs à la mondialisation : le commerce équitable, l'insertion par l'activité économique, les circuits courts. Je crois que l'économie responsable sera le défi du XXIe siècle. Il nous faut inventer une nouvelle forme d'entreprendre qui allie performance économique et responsabilité sociale, en considérant que l'on peut faire de l'économie sociale et solidaire, que l'on peut être un acteur de l'économie sociale et solidaire ou que l'on peut être un acteur économique ayant une mission sociale et solidaire. Ce défi – mon défi – est, en d'autres termes, de montrer que l'on peut créer de la valeur tout en renforçant ses valeurs.