Merci Monsieur le Président. Je voulais remercier, en premier lieu, les participants aux auditions de vendredi dernier.
Nous avons souhaité entendre différents acteurs économiques qui sont directement intéressés par les animations et les ventes de produits se développant habituellement à cette occasion. Nous les avons interrogés sur la situation dans laquelle ils se trouvaient au moment du reconfinement, fin octobre, sur la manière dont ils traversent économiquement cette deuxième vague et sur leurs perspectives en cette fin d'année et bien au-delà.
S'ils réalisent tous une part importante de leurs chiffres d'affaires en ce créneau de fin d'année, nous pouvons distinguer deux groupes : d'un côté les acteurs des salons, marchés, foires et animations de plein air, auxquels s'ajoutent ceux qui, comme les artisans d'art, dépendent largement des débouchés qu'offrent ces évènements ; et de l'autre, et les acteurs de l'alimentation dite « festive », dont les principaux débouchés sont ailleurs, nous y reviendrons.
Dans le premier groupe, nous avons rencontré des professionnels sérieusement fragilisés par la fermeture de leurs marchés et fêtes foraines et par les nombreuses annulations de salons, foires et animations communales. Non seulement ces évènements ont été interdits, et les marchés non alimentaires fermés pendant les deux confinements, mais l'activité a difficilement repris ensuite. Ainsi, selon l'Union des métiers de l'évènement (Unimev'), sur les 1 200 salons et foires organisés chaque année en France, 310 ont déjà été annulés et 115 reportés depuis mars. La proportion est encore plus lourde pour les évènements intéressant les artistes et artisans d'art : ils ont perdu depuis le printemps dernier 264 occasions – sur les 300 évènements habituellement organisés sur l'année – de vendre leurs productions et de constituer leurs carnets de commandes : c'est 90 %, c'est énorme !
Quant aux acteurs des marchés et aux forains, si leurs activités sont redevenues possibles, en principe, après la levée des interdictions des ventes de produits manufacturés et des rassemblements, la situation sur le terrain s'est avérée plus compliquée, surtout depuis le second confinement. En cette fin d'année, ils pâtissent en particulier de l'annulation de 80 % des marchés de Noël, qui sont normalement organisés dans 90 % des villes de notre pays. La Fédération nationale des marchés de France estime que cela représente une perte de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires pour les seuls stands et chalets, auxquels il faut ajouter les manques à gagner pour les 20 000 forains qui viennent aussi sur ces marchés, pour lesquels ces manifestations représentent une importante occasion de travailler pendant leur trêve hivernale.
Mais au-delà des pertes lourdes que représentent ces fermetures et annulations, les professionnels des marchés et fêtes foraines dénoncent plus encore les grandes différences de traitement qu'ils subissent d'un territoire à l'autre, d'une ville à l'autre, sans justifications objectives ni explications. Certains préfets ont même annulé toute activité de plein air, hors les marchés alimentaires, sur l'ensemble de leur territoire. D'autres ont édicté des conditions si strictes que des maires ont préféré tout interdire. Et quand, grâce à un dialogue de meilleure qualité, les activités et marchés de Noël ont pu être autorisés, les mesures sanitaires sont si renforcées que les professionnels ne voient plus comment travailler ou renoncent parce que ce n'est plus rentable. Les professionnels ne comprennent pas les différences de traitement d'un territoire à l'autre, ni le renforcement des exigences alors que leurs activités sont de plein air, que les protocoles mis au point après le premier confinement avaient fait leurs preuves et, plus fondamentalement encore, que ces mesures renforcées ne s'appliquent ni aux grandes surfaces commerciales, ni aux parcs d'attractions.
La Fédération nationale des comités et organisateurs de festivités confirme que les préfets vont souvent bien au-delà de ce qui est demandé. Elle souligne enfin une autre incohérence dans le fait d'imposer un protocole différent à chaque type d'acteurs, comme les comités des fêtes et les forains, même si cela concerne des activités similaires. Les deux séries de règles sont souvent cumulées quand ils se retrouvent sur un même évènement, ce qui finit par empêcher sa mise en place.
Face à ces constats, nous observons que la plus grande affluence des publics dans ces diverses manifestations peut justifier un renforcement des exigences sanitaires en période de propagation rapide du virus. Il importe cependant d'assurer une plus grande cohérence des décisions d'autoriser, ou non, les activités et animations de plein air, ainsi que des consignes de protection applicables, entre activités similaires comme entre territoires.
Le fait est que les fermetures, les annulations et le renforcement des consignes de sécurité, supportés depuis le début de la crise, et plus encore depuis le reconfinement, ont sérieusement dégradé la situation économique des divers acteurs auditionnés.
Pour ce qui concerne les marchés, il faut distinguer entre les commerces alimentaires, qui ont pu poursuivre leur activité, mais ont tout de même subi des fermetures locales, la réduction des flux de clients et la perte des débouchés de la restauration, et les commerces non alimentaires. Ceux-ci n'ont eu aucun revenu pendant les périodes d'interdiction ; même les solutions proposées par eux pour faire du « cliquer‑emporter » n'ont pas été acceptées par les autorités. Quand ces interdictions ont été levées, l'activité n'a pas repris normalement pour autant : certains marchés ont tardé à rouvrir et la clientèle étrangère a manqué. Ces commerçants ont à nouveau perdu jusqu'à 30 % de leurs recettes habituelles.
Mais les Français ont montré une telle joie de retrouver leurs marchés que ces commerçants avaient, malgré tout, repris espoir et se sont mis à constituer leurs stocks pour la fin d'année. La décision de reconfiner la population et de refermer les stands non alimentaires les a non seulement pris de court, mais les a trouvés avec une trésorerie affaiblie et largement mobilisée dans ces achats.
Aujourd'hui, la mise à l'arrêt des grosses foires traditionnelles, l'interdiction du ski dans les stations de montagne, l'annulation de la plupart des marchés de Noël et toutes les restrictions imposées aux marchés qui restent actifs aggravent encore leurs inquiétudes. Selon la Fédération nationale des marchés de France, le seul mois de décembre peut en effet représenter de 30 % à 100 % du chiffre d'affaires de ces professionnels.
La période hivernale n'est pas la plus active pour les forains, mais, comme on l'a déjà dit, les marchés de Noël sont une occasion fructueuse de travailler pendant la saison « morte ». D'autant qu'ils arrivent en cette fin d'année dans une situation déjà bien dégradée. Le premier confinement les avait en effet surpris juste au début de leur saison de pleine activité, pour laquelle plusieurs d'entre eux avaient engagé de nouveaux investissements. Depuis, même si des protocoles sanitaires, dûment agréés, ont été mis en place, de nombreuses manifestations ont été interdites, ou fortement encadrées, et plus encore à partir d'octobre. Même les manèges isolés ont du mal à repartir.
Après avoir été « assommés », comme ils le disent, par le premier confinement, ils craignent d'être « achevés » par ce second confinement et l'absence de vraie reprise d'ici 2021. Leurs représentants pensent que les dépôts de bilan vont se multiplier en hiver.
Les artistes et artisans d'art sont également en grande difficulté depuis le mois de février et les premières annulations de salons et marchés. Selon une enquête d'Ateliers d'art de France, ils sont en effet dépendants à 65 % de ces évènements, qui ont presque tous été annulés depuis. En juillet, 91 % des professionnels du secteur s'attendaient à un recul de leur chiffre d'affaires global et 65 % demandaient une prolongation des aides jusqu'à la fin de l'année, pour tenir. Le reconfinement les a contraints, au surplus, à fermer leurs ateliers pendant un mois, et dissuade encore leurs clients de se déplacer. L'annulation des salons et marchés de Noël pourrait être le coup de grâce pour nombre d'entre eux, qui y réalisent une partie essentielle de leurs revenus annuels. Les dépôts de bilan pourraient aussi se multiplier dans ces métiers.
Dans ce premier groupe, nos auditions ont aussi révélé le mal-être des dizaines de milliers de bénévoles qui organisent l'animation de nos villes et villages partout en France. L'arrêt de leurs manifestations, l'absence de visibilité à moyen terme et une responsabilisation renforcée dans la crise sanitaire découragent les bonnes volontés. Et la mise en suspens des budgets consacrés par les municipalités à ces animations amène plusieurs associations à arrêter purement et simplement leurs activités. Outre la nécessaire reconnaissance qu'on doit à leur engagement dans la vie de nos cités, nous rappelons qu'ils emploient aussi 79 % des professionnels du secteur privé du spectacle vivant. Même Atelier d'art de France a souligné la menace que représente cet effritement du bénévolat.