Ces divers professionnels ont tous bénéficié de soutiens publics et reconnaissent que cela les a empêchés de « couler ». Mais l'accès aux aides s'est avéré compliqué, et les montants accordés sont sans doute en deçà de la réalité de leurs difficultés s'agissant du Fonds de solidarité.
Ainsi, les Marchés de France craignent que, sous prétexte de la réouverture des commerces, les professionnels qui ne travaillent que sur les braderies, foires et autres salons n'aient plus accès aux aides du Fonds en décembre, alors que toutes leurs occasions de travailler ont été largement annulées.
De leur côté, les artisans d'art souffrent de la non-prise en compte, depuis juin, du fait qu'une partie de leur chiffre d'affaires a un caractère saisonnier ou est liée à des évènements ponctuels ; et que, jusqu'en octobre, ils devaient justifier d'une perte de 80 % pendant le premier confinement pour être éligibles à ces aides, sans tenir compte de leurs difficultés pendant la période intermédiaire.
Les plus importants problèmes rencontrés par ces différents professionnels sont liés à des codes de nomenclature des activités inadaptés ou mal appliqués. Plusieurs des dispositifs exceptionnels d'aide sont en effet construits sur une distinction entre les différents secteurs économiques, elle-même délimitée par les codes de la nomenclature d'activités françaises (NAF) de l'INSEE ou des « activités principales exercées » (APE).
Les artistes et artisans d'art, en particulier, ont encore des difficultés à être identifiés par les codes existants. Une nouvelle catégorie « Autres métiers d'art » a bien été inscrite en août sur la liste S1 bis du Fonds de solidarité, mais elle n'est fondée sur aucune définition précise, ni sur un code NAF bien identifié. Ainsi, beaucoup d'entre eux se sont retrouvés exclus des aides en fonction de l'interprétation de leurs activités par les services des impôts. Le secteur revendique depuis plusieurs années la création d'un code d'activité spécifique à ses métiers ; mais la profession attend toujours cette prise en compte.
Les forains se débattent, quant à eux, pour réduire le nombre de codes APE qui leur sont appliqués, aujourd'hui au nombre de 9. Ils estiment que le dossier avance mais pas assez rapidement. En conséquence, tous ceux qui n'entrent pas exactement dans ces cadres sont également exclus des aides.
Enfin, les Marchés de France souhaiteraient que la codification des activités non sédentaires et non alimentaires les rattache mieux au secteur de l'évènementiel.
Notre collègue et ancienne ministre Sylvia Pinel a saisi le Gouvernement de ces difficultés d'identification et des complications qu'elles créent dans l'accès aux soutiens publics. Le groupe de travail relaiera à son tour ces problèmes, qui nuisent au juste accompagnement de ces acteurs, très impactés par la crise.
D'autant qu'ils font face à d'autres difficultés : outre une plus grande réticence des banques à leur octroyer des prêts garantis par l'État (PGE), faute de vraies perspectives de travail à moyen terme, outre l'absence de soutien de la plupart de leurs assureurs, les professionnels des marchés et fêtes foraines ont aussi d'importants stocks à gérer – un problème déjà relevé auprès d'autres acteurs, sans qu'une solution ne semble avoir été trouvée à ce jour pour les commerçants non sédentaires. Ces stocks pèsent lourdement sur leurs trésoreries, comme d'autres charges qu'ils auraient trouvé légitime de voir supprimées dès lors que l'activité qui les justifiait a été annulée. Par exemple, ils n'ont été exonérés des droits de place que par une partie seulement des communes ; dans les municipalités qui ont concédé la gestion de leurs marchés, les concessionnaires continuent de leur demander le paiement de ces droits, quand bien même ils ont été interdits de travailler depuis des mois. Les frais de réservation des emplacements dans les marchés de Noël annulés ne leur sont même pas remboursés intégralement.
À un terme plus éloigné, c'est le remboursement des charges reportées qui inquiète fortement les différents professionnels. Ces reports de charges, de même que les PGE, sont des bouffées d'oxygène dans l'immédiat, nous le savons ; mais si les activités de ces entreprises ne reprennent pas suffisamment, leurs trésoreries seront catastrophiques au printemps, au moment où les échéances tomberont.
Ces difficultés se retrouvent chez les acteurs du second groupe d'activités examinées pour cette semaine.
La Confédération générale de l'alimentation en détail (CGAD) a tenu à souligner que, même si les artisans et commerçants alimentaires ont pu rester ouverts pendant les deux confinements, la crise ne les a pas laissés indemnes. En avril, 32 % évaluaient leur perte de chiffre d'affaires sur le mois à 40 % voire 60 % ; et 19 % à plus de 70 % par rapport à 2019. Ensuite, s'il y a eu une reprise pendant l'été, près de la moitié ont encore subi un recul sensible de leur activité. Le second confinement ne fait pas exception, avec 65 % des entreprises constatant la diminution de leurs recettes et plus d'un tiers supportant une baisse dépassant les 40 % de chiffre d'affaires. Or, le seuil d'accès au Fonds de solidarité est aujourd'hui fixé à 50 %. Aussi, bien que frôlant ce seuil, nombre de commerces n'ont pu en bénéficier, même s'ils accumulaient les pertes depuis le début de la crise.
La CGAD reproche en outre aux dispositifs d'aides ne pas être assez fins pour distinguer les différences d'impacts entre les divers secteurs de l'alimentation de détail. Certains sont en effet très dépendants de la restauration, bénéficiant à ce titre d'une prise en charge – potentielle – au titre de la liste S1 bis ; d'autres ont peu de liens avec ledit secteur et sont pourtant très impactés par la suspension des activités du tourisme et de l'évènementiel, tels les confiseurs qui vendent une grande partie de leurs productions dans les aéroports, les gares et les autoroutes, sans que cela soit pris en compte par les critères du Fonds de solidarité. Ces entreprises en sont exclues, de fait, malgré les importantes pertes résultant de la limitation des mobilités.
Certains de ces acteurs de l'alimentaire sont également marqués par une forte saisonnalité. Les chocolatiers et pâtissiers, notamment, ont beaucoup souffert du confinement sur la période de Pâques ; ils craignent désormais cette fin d'année, car les mois de novembre à janvier représentent entre 50 % et 60 % de leur chiffre d'affaires annuel.
La filière ostréicole est aussi très dépendante des fêtes de fin d'année. Les entreprises qui sont spécialisées dans l'exportation sont en grande difficulté depuis le début de la crise et la fermeture des restaurants a coûté 20 % du chiffre d'affaires des autres ostréiculteurs sur la période correspondant au premier confinement. Mais la filière s'est attachée à diversifier ses débouchés depuis le reconfinement, conservant un bon niveau de ventes directes et en poissonnerie, et réussissant à maintenir les prix de détail, même si le marché de gros a baissé de 30 %. Il reste qu'elle écoule normalement les deux-tiers de la production pendant les fêtes de fin d'année. La filière se veut optimiste, mais cela dépendra de la consommation des Français.
Au demeurant, à l'instar des autres secteurs, la filière regrette la non-progressivité des aides, qui ne prennent pas en compte la variété de ses métiers.
Et pour finir notre tour des mets de fête, la période est encore plus fondamentale pour la filière du foie gras. La production est écoulée à 75 % pendant les mois de novembre et décembre. Le premier confinement a donc eu un impact assez limité, plus net néanmoins chez les fournisseurs de la restauration. La fermeture des restaurants jusqu'en 2021 et les incertitudes sur la fin d'année sont autrement plus lourdes de conséquences. La filière constate en particulier les réticences des grands distributeurs à commander les stocks qu'ils réalisaient habituellement. En outre, les stocks non écoulés cette année seront autant de commandes en moins pour les producteurs l'année prochaine. Après plusieurs crises de grippe aviaire, cela aurait un impact dramatique pour les petits exploitants, qui constituent l'essentiel de l'écosystème. Aussi la filière demande-t-elle qu'un accompagnement soit étudié pour répondre à ces potentiels contrecoups. Il serait d'autant plus nécessaire que nous constatons le retour de la grippe aviaire dans certains territoires du pays.
De l'ensemble de ces témoignages, il ressort que la crise aura encore, très probablement, de lourdes répercussions sur l'année 2021. Les filières concernées ont besoin de perspectives rassurantes pour ne pas abandonner.
Nous soulignons donc l'urgence pour le Gouvernement d'étudier les solutions d'accompagnement envisageables, non seulement pour les secteurs qui devront faire face à l'apurement de leurs charges, mais aussi pour ceux qui affronteront les effets plus tardifs de la crise.