Intervention de Julien Dive

Réunion du mardi 15 décembre 2020 à 17h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Dive, président de la mission d'information commune :

« J'ai demandé au Gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l'utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées et, au plus tard, dans trois ans ». C'est avec ce tweet, daté du 27 novembre 2017, du Président Emmanuel Macron qu'apparaît la genèse de nos débats puis de nos travaux, même s'il faut remonter à quelques années auparavant et à l'étude du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) pour que soit versée au débat public la question de l'avenir de l'utilisation du glyphosate en Europe et en France.

Cette étude controversée a classé au printemps 2015 l'herbicide glyphosate comme agent probablement cancérogène pour l'homme, au même titre que certaines activités professionnelles ou domestiques. L'étude a alors été contestée par plusieurs agences officielles nationales d'évaluation, notamment en Allemagne, en France et dans bien d'autres pays. Parallèlement, l'homologation de l'herbicide glyphosate arrivant à son terme en Europe, des désaccords entre les vingt-sept États membres sur le renouvellement de cet agrément avaient amené la Commission européenne à décider son autorisation jusqu'en 2027. S'ensuivirent des batailles politiques au Parlement européen et à la Commission, qui conclurent, avec notamment la pression de la France, au renouvellement de l'agrément du glyphosate en Europe pour cinq ans au lieu de dix ou quinze, c'est-à-dire jusqu'en 2022.

Ce sont les travaux parlementaires sur la loi « Égalim » et les initiatives des députés qui nous ont amenés à créer, le 27 septembre 2018, cette mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate en France, mission que j'ai depuis la tâche de présider aux côtés de MM. les co-rapporteurs Jean-Baptiste Moreau et Jean-Luc Fugit. Cette mission d'information parlementaire n'avait ni vocation à juger les conclusions et les prises de position émanant de l'étude du CIRC, ni mission de décider de la manière, du délai et de l'approche nécessaires à la sortie du glyphosate en France. Le rôle qui incombait à cette mission était de présenter le contexte général de l'usage du glyphosate en agriculture et en dehors de l'agriculture, de recueillir des informations sur les démarches engagées et d'identifier les situations de sortie existantes, celles préconisées et les réelles situations d'impasse.

Nous avons mené cette mission avec un objectif central qui nous a guidés tout du long : suivre la transition du monde agricole vers l'interdiction des principaux usages du glyphosate dès le 1er janvier 2021 et de l'ensemble de ses usages au 1er janvier 2023, conformément aux engagements annoncés. Ce furent deux années de travaux sur un sujet complexe, un sujet qui a amené dans l'opinion publique des débats passionnés, parfois caricaturaux, parfois même stigmatisants à l'encontre de nos agriculteurs, tout en soulevant des interrogations légitimes. Plus d'une trentaine d'auditions ont été organisées durant ces vingt-six mois, et ce malgré la crise sanitaire, avec des représentants des pouvoirs publics, des experts et des acteurs du monde agricole. Nous avons bien sûr entendu les ministres successifs de l'agriculture et de la transition écologique. Nous avons également organisé de nombreuses auditions en présence d'experts. C'est un point important car l'aspect scientifique et technique de ce sujet est au cœur de nos travaux. Nous nous sommes attachés à ce que les conclusions de notre mission en rendent compte.

Par-dessus tout, il nous importait d'aller à la rencontre des agriculteurs, de ceux qui sont en première ligne, pour qui cela constitue un sujet concret de leur quotidien. Aussi, en plus de nos auditions parlementaires, les membres de cette mission sont allés sur le terrain. Je tiens à saluer cette initiative tant elle a apporté à nos réflexions. Nous nous sommes rendus dans le Grand Est et en Nouvelle-Aquitaine, afin de rencontrer les exploitants directement sur leur lieu de travail et d'écouter nos concitoyens sur le sujet. Lors de ces rencontres et de ces déplacements, nous avons pu constater que les différentes filières connaissent parfaitement les enjeux environnementaux et sanitaires soulevés par nos travaux ainsi que la nécessité de trouver des solutions.

Je peux vous assurer que les agriculteurs ont désormais conscience qu'il est indispensable de faire évoluer les pratiques. Ils nous l'ont dit mais ils ont également exprimé leurs inquiétudes face à l'absence de stratégie, d'alternatives et d'accompagnement. Je tiens d'ailleurs à souligner ce point car ces débats passionnés ont trop souvent amené à pointer du doigt uniquement les agriculteurs. Ils sont certes les principaux utilisateurs de glyphosate mais ils ne sont pas les seuls. Les sociétés d'autoroutes ou la SNCF y ont recours régulièrement tout comme, jusqu'en 2017, les collectivités territoriales mais aussi, jusqu'en 2019, les particuliers. C'est une réalité trop souvent oubliée que j'ai souhaité rappeler tout au long des travaux de cette mission car il me paraît injuste et caricatural de nous focaliser uniquement sur le monde agricole. D'ailleurs, je m'étonne d'avoir entendu mardi 8 décembre dernier M. Jean-Pierre Farandou déclarer, dans la matinale de France Info, que la SNCF allait remplacer le glyphosate par une autre solution alors que, lors de son audition de novembre dernier, l'ANSES nous affirmait n'avoir aucune demande d'autorisation de mise sur le marché de solutions alternatives de type systémique comparables au glyphosate.

Voici tout juste un an, notre mission a adopté un rapport d'étape présenté par Messieurs les co-rapporteurs. Celui-ci indiquait justement les impasses agronomiques non résolues, plus précisément en agriculture de conservation des sols, technique agricole sans labour qui a la vertu de stocker le carbone dans le sol et d'être donc une solution aux enjeux de réchauffement climatique. Cette technique agricole est aussi la plus adaptée à certains territoires présentant une pédogénèse bien spécifique.

Ce rapport mettait également en exergue le surcoût que génèrerait l'interdiction du glyphosate pour l'ensemble des acteurs agricoles au regard des évolutions culturales ou des nouveaux investissements matériels qui s'imposent. Il insistait aussi sur la nécessité d'investir dans la recherche et le développement pour apporter des solutions pérennes écologiquement et économiquement viables.

Ce rapport d'étape soulignait aussi le manque de clarté de la part du Gouvernement, notamment à l'égard des agriculteurs. Fin 2019, nous ne connaissions toujours pas les usages qui bénéficieraient d'une dérogation au 1er janvier 2021. Nous avons extrait de nos travaux un principe simple : l'interdiction sans solution, sans alternative, ne conduit qu'à des impasses. L'interdiction sans accompagnement ne conduit qu'à des incompréhensions. Cette inquiétude est exprimée depuis 2017 par nos agriculteurs et j'ai eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises. La science, l'innovation et le savoir-faire des acteurs concernés sont les seuls éléments qui permettent d'aller vers une transition agroécologique afin de répondre aux attentes des consommateurs.

Les réponses et les propositions ont tardé même si certaines mesures récentes laissent espérer que les enjeux ont été enfin compris. Je pense à la prime à la conversion des matériels anciens et peu performants, au crédit d'impôt accordé aux exploitants visant la certification « Haute valeur environnementale » (HVE) ou au crédit d'impôt, à hauteur de 2 500 euros, destiné aux entreprises agricoles se passant de glyphosate, adopté en première lecture du projet de loi de finances pour 2021 au Sénat et dont nous débattrons dans quelques heures. Malheureusement, ces dispositifs ont été restreints – je pense notamment aux éleveurs – et nous y reviendrons avec plusieurs amendements.

Notre approche a toujours été, depuis la création de cette mission, de privilégier le dialogue et la confiance envers nos agriculteurs. Que ce soit lors de nos auditions ou lors de nos déplacements, les acteurs ont toujours exprimé leur bonne volonté pour diminuer l'usage des produits phytopharmaceutiques, même si certaines filières manifestent des doutes et des hésitations face à l'absence d'alternative.

Je tiens à adresser aux deux rapporteurs mes vifs remerciements pour le travail collectif accompli. Que ce soit dans la préparation de nos travaux ou le choix des orientations de cette mission, nous avons toujours su nous entendre et trouver des compromis lorsque la situation l'exigeait afin de mener à bien ce travail. Je félicite vivement les équipes administratives de l'Assemblée nationale qui nous accompagnent et sans qui rien ne serait aussi rapidement exécuté dans cette institution. Je remercie bien sûr aussi l'ensemble de nos collègues députés qui ont participé assidûment à nos travaux.

Je souhaite que ce rapport puisse apporter au monde agricole des réponses sur cette transition à venir. Elle nécessitera l'accompagnement et l'aide des pouvoirs publics. Je souhaite aussi qu'il puisse éclairer les consommateurs sur la complexité de ce sujet qui n'est pas franco-français et lever les incompréhensions et les doutes qu'ils peuvent avoir à l'égard des agriculteurs dont le travail est aussi remarquable que difficile.

Je me permets deux réflexions personnelles. La première est une interrogation : puisque la Commission européenne a maintenu l'autorisation du glyphosate jusqu'en 2022, que la France a toujours la volonté, à partir de 2022, d'arrêter le glyphosate, qu'adviendrait-il si l'Union européenne prolongeait une nouvelle fois l'agrément du glyphosate au-delà de 2022 ? Qu'adviendrait-il particulièrement pour nos agriculteurs français ?

Ma seconde réflexion est que ce débat sur le glyphosate, comme celui sur d'autres substances, rappelle un point essentiel : il fait écho à la souveraineté alimentaire de l'Union européenne. Nous aurons beau interdire le glyphosate en France et en Europe à partir de 2022, ce n'est pas le cas partout dans le monde et beaucoup de cultures en sont encore dépendantes en Amérique du Sud, en Afrique et ailleurs. Pourtant, tous ces pays continueront d'exporter en Europe et en France. Nous sommes très vigilants en Europe et particulièrement en France à nos standards agricoles et à la qualité de notre alimentation. C'est important, essentiel même, de le rappeler.

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