Intervention de Stéphane Travert

Réunion du mercredi 16 décembre 2020 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert, co-rapporteur :

Nous nous sommes attachés pour cette dernière présentation de l'année à une filière particulièrement touchée par la crise, la restauration hors domicile (la RHD). Lundi encore, nous avons tous entendu les restaurateurs clamer leur colère de ne pouvoir travailler depuis plusieurs semaines et de n'avoir pas de perspective de réouverture avant le 20 janvier. Nous n'avons aucun doute sur le choc économique et psychologique que cette situation représente pour toute la profession et nous savons que le Gouvernement s'efforce de répondre avec des mesures de soutien puissantes, comme en particulier la possibilité, pour ce mois de décembre, de choisir entre une aide forfaitaire pouvant aller jusqu'à 10 000 euros ou une indemnisation à hauteur de 20 % du chiffre d'affaires mensuel en 2019, dans la limite de 200 000 euros. Toutefois, ce n'est pas aux restaurateurs que nous nous sommes adressés cette semaine, mais aux autres acteurs de la filière : leurs fournisseurs et les grossistes, très impactés par répercussion, ainsi que la restauration collective, que la crise ne laisse pas non plus totalement indemne.

La restauration collective a subi les conséquences de la fermeture des écoles, et subit encore celles de la fermeture des universités. Et si ses autres segments sont restés ouverts (pour assurer notamment le service des hôpitaux, des EHPAD, des administrations et d'un certain nombre d'entreprises) et que les cantines scolaires ont repris depuis le premier confinement, les entreprises ont vu leur activité sensiblement réduite en raison des protocoles sanitaires appliqués et du développement du télétravail. Cette baisse d'activité s'est évidemment répercutée sur leurs fournisseurs et leurs grossistes ; mais elle ébranle aussi fortement les entreprises de la restauration collective concédée, qui représentent 40 % du secteur. Au premier confinement, leurs activités ont été presque toutes arrêtées ; et sur le second, elles ont diminué de 40 % à 70 %, particulièrement en Île-de-France. Les entreprises les plus engagées dans la restauration du travail en région parisienne sont aujourd'hui en grande difficulté ; certaines ont déjà engagé des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) et plusieurs milliers de licenciements pourraient survenir début 2021. Aussi le soutien de l'État, jusqu'à l'après-covid, pourrait être vraiment vital aux sociétés de restauration collective.

Le secteur sous contrat a pu prétendre à la prise en charge à 100 % du chômage partiel et être inscrit sur la liste S1 du Fonds de solidarité comme secteur particulièrement touché par la crise – sans toutefois bénéficier du régime spécial de la restauration commerciale. La restauration collective concédée demande aujourd'hui à faire partie des secteurs les plus touchés de la liste S1, qui devraient continuer à percevoir des aides renforcées au moins jusqu'en février.

Par ailleurs, les acteurs de la restauration collective, concédée ou en gestion directe, ont alerté le groupe de travail sur des contraintes qui leur semblent disproportionnées dans la crise actuelle : les représentants de la restauration concédée soulignent notamment la menace que représente l'application stricte du système de bonus-malus pour les employeurs de plus de 11 salariés recourant aux contrats à durée déterminée. Elle pèsera lourdement sur des entreprises qui pourraient expérimenter de nouvelles approches pour rebondir dans un contexte encore incertain. Ils nous indiquent aussi qu'il est inenvisageable aujourd'hui de demander à leurs équipes, qui sont réduites, comme à leurs fournisseurs, qui sont affaiblis, de mettre en place les diagnostics sur le gaspillage alimentaire que nous avons votés dans la loi ÉGALIM. Il leur sera donc difficile d'atteindre l'objectif de 50 % d'opérateurs engagés dans la démarche en 2022. De fait, nous voulons souligner, avec les membres du groupe de travail, la nécessité de redéfinir, peut-être, des objectifs atteignables et trouverions légitime d'adapter ce calendrier à la situation créée par la crise sanitaire.

S'agissant des fournisseurs et grossistes de la RHD, la situation est plus dégradée encore. La fermeture de nombreux points de restauration commerciale, couplée à la réduction de la restauration collective en entreprise et dans les administrations, ont drastiquement contracté leurs marchés. Même les ventes à emporter ou à livrer, autorisées pendant ce second confinement, ne représentent toujours que 15 à 20 % de l'activité dans la restauration commerciale.

Les fournisseurs de la RHD, pris dans leur globalité, ont déclaré des pertes de chiffre d'affaires mensuel de 40 % lors du premier confinement et une nouvelle chute supérieure à 50 % depuis le reconfinement.

Pami eux, les entreprises agroalimentaires qui travaillent avec la RHD ont encore plus souffert : après avoir accusé une baisse moyenne de 54 % de chiffre d'affaires lors du premier confinement, et constaté une tendance des restaurateurs à réduire le nombre de leurs fournisseurs malgré la reprise en été, le couvre‑feu puis le reconfinement sont venus aggraver des situations déjà très dégradées. Elles n'ont en effet pas pu anticiper l'arrêt de leurs débouchés et se sont retrouvées avec d'importants stocks de denrées périssables, qu'il leur est difficile de reporter sur d'autres marchés, sauf au prix d'adaptations coûteuses. Ainsi, non seulement elles subissent de nouvelles pertes de chiffre d'affaires, d'un niveau proche de la moitié pour 57 % d'entre elles, sur une période où la consommation de produits festifs devrait générer des recettes supérieures, mais leurs trésoreries sont sérieusement affaiblies.

Les achats auprès des producteurs agricoles se ressentent automatiquement de ces chutes d'activités, mais aussi les investissements et les projets de recrutement de ces entreprises. Bien que s'inscrivant dans un secteur alimentaire relativement épargné par la crise, grâce au dynamisme du commerce alimentaire, 10 % de celles-ci envisageraient des licenciements.

On soulignera enfin la situation plus dramatique encore des entreprises fournissant surtout l'évènementiel ou la restauration ferroviaire et aérienne, qui n'ont pas, ou peu, repris leurs activités, ainsi que celle des fournisseurs de distributeurs automatiques de produits alimentaires et de boissons. Nous avons reçu hier un témoignage alertant notre commission sur le couperet qu'a été pour ces derniers la mise à l'arrêt presque totale des appareils ou des lieux de pause où ils sont installés ; leur fédération parle de 25 000 emplois directement menacés à moyen terme.

Quant aux grossistes de la RHD, les impacts ne sont pas moins conséquents : dans les filières boissons, équipements, textiles, les pertes de chiffre d'affaires tournent autour de 90 % pendant les deux confinements, avec une dégradation marquée dès le couvre‑feu.

Sur la filière alimentaire du commerce de gros, l'activité a aussi nettement baissé. Cela dépend de la plus ou moins grande implication des entreprises dans le secteur de la RHD : les exploitants du Marché de Rungis, par exemple, ont globalement très bien tenu, parce que le commerce de détail constitue leur principal débouché. En revanche, les entreprises qui fournissent plus largement la RHD ont supporté un recul moyen de près de 30 % de leur chiffre d'affaires sur toute la période de crise. Quand on affine, le recul cumulé est de près de 34 % en moyenne chez celles qui approvisionnent plutôt la restauration commerciale ; il ira bien au-delà de 40 % sur l'année pour les plus dépendantes.

Dans ce contexte, les aides décidées par le Gouvernement et votées par le Parlement, et leur renforcement ont été, il faut le souligner, très appréciés. Tous ont salué le soutien rapide et fort que ces aides leur ont apporté, plus encore depuis que les fournisseurs de la RHD ont été inscrits sur la liste S1 bis du Fonds de solidarité. Ils regrettent toutefois qu'il ait fallu attendre le 2 novembre pour que leurs difficultés soient pleinement reconnues.

Cette prise en compte tardive est en partie liée aux catégories trop imprécises, ou trop restrictives selon les cas, qui sont retenues dans ces listes. Elles se fondent généralement sur des codes NAF et APE utilisés en statistique, que d'autres acteurs précédemment entendus par le groupe de suivi ont déjà critiqués. Or, ces catégories identifient les activités éligibles aux aides renforcées du Fonds de solidarité et de tous les autres dispositifs d'aide qui s'y réfèrent. Les listes en question ont bien été complétées au fil des mois. Mais les professionnels de la RHD indiquent que certains d'entre eux resteraient encore exclus des aides spécifiques, malgré l'importance de leurs difficultés – tels les fournisseurs alimentaires des débits de boissons et des évènements sportifs et culturels.

Un autre problème fondamental, encore non résolu, est celui des stocks, qui pèsent lourdement sur tous les maillons de la filière RHD. Quand il s'agit de denrées périssables, les dons alimentaires peuvent être une alternative à la destruction, après s'être efforcés de les écouler, difficilement et presque à perte, sur d'autres marchés. Mais ces dons ne résolvent pas complètement la perte de valeur des invendus. Et quand les stocks peuvent être conservés un certain temps, on sait qu'ils retarderont la reprise d'activité des fournisseurs, jusqu'à ce qu'ils soient écoulés. On peut aussi évoquer le coût que représente leur stockage et leur impact comptable sur la trésorerie des entreprises.

Parmi les autres difficultés signalées par les fournisseurs et les grossistes de la RHD, apparaissent aussi des contrôles réalisés par les URSSAF et les DIRRECTE, qui contestent parfois le bien-fondé du recours au chômage partiel des fournisseurs agroalimentaires, considérant que ce secteur ne souffre pas de la crise. Ils nous ont également signalé certaines pratiques des banques et des assurances qui compliqueront fortement l'accès aux financements des entreprises qui voudront relancer leurs activités : la caution personnelle demandée systématiquement aux chefs d'entreprise semble constituer une prise de risque disproportionnée dans le contexte actuel et menace clairement des individus qui par ailleurs ne bénéficient d'aucune aide. Quant à la tendance qu'ont les assureurs crédits à dégrader automatiquement la note de tous les acteurs de la RHD, elle risque ultérieurement de les empêcher d'obtenir, dans de bonnes conditions, les crédits qui leur permettront, demain, de redémarrer le mieux possible.

Face à ces problèmes, une nouvelle fois, nous rappelons – et nous le ferons par écrit – aux banques et aux assureurs qu'elles ont une mission d'accompagnement de l'économie nationale et qu'elles doivent adapter leurs exigences de sécurité financière à l'objectif prioritaire de relancer l'activité de nos entreprises. Nous savons que M. Bruno Le Maire a reçu récemment leurs fédérations pour évoquer à nouveau un certain nombre de points. Nous tenons également à réitérer ce message.

Enfin, parmi la liste des autres demandes des acteurs de la RHD, nous relèverons aussi que les plus grandes entreprises de la filière déplorent de ne pouvoir bénéficier des aides renforcées accordées aux TPE et PME, soulignant que leurs pertes et leurs difficultés sont proportionnellement équivalentes.

Mais au-delà de leurs demandes de « correction » et, surtout, de prolongation des dispositifs d'aide jusqu'à ce que l'activité reprenne réellement, les acteurs de la filière ont dit au groupe de travail leur besoin fondamental que les restaurants puissent rouvrir. Ils savent que les aides publiques ne pourront durer éternellement, et n'en peuvent plus de leur mise à l'arrêt, comme vous le savez tous. Ils affirment que leurs collègues restaurateurs seraient prêts à mettre en œuvre des protocoles sanitaires renforcés, comme l'application d'une jauge et des règles de distanciation, si cela leur permet de rouvrir et d'éviter de refermer ultérieurement.

Au demeurant, les professionnels auditionnés sont intuitivement convaincus qu'un restaurant peut fonctionner sans qu'il devienne un cluster. L'expérience de la restauration collective le montre, nous disent-ils.

Pour favoriser cette réouverture, ils ont suggéré de mener une étude française sur la réalité de la contamination dans les établissements de restauration mettant en œuvre des protocoles sanitaires sérieux. L'idée serait de fonder les décisions relatives à ces activités sur des constats et des critères objectifs.

Nous soutenons cette demande d'objectivation des décisions relatives aux activités qui sont mises en cause dans la propagation du virus, et des consignes données, et nous recommandons également la réalisation d'une étude rigoureuse sur la réalité des risques qui tienne compte des mesures de protection déjà prises. Les résultats d'une telle étude pourraient constituer d'importants outils d'aide à la décision dans les semaines à venir.

Merci d'avoir écouté cet ultime compte rendu de l'année. Nous aurons un autre rendez‑vous thématique en janvier sur les entreprises de l'évènementiel, du cinéma et du théâtre – en particulier les gestionnaires de ces salles.

Je voulais enfin excuser mon co-rapporteur, M. Julien Dive, avec qui je travaille en étroite collaboration et qui a été retardé par une autre réunion. Nous travaillons beaucoup sur ces sujets et nous faisons remonter nos constats au Gouvernement et aux cabinets ministériels concernés. Je reste à la disposition du président de notre commission pour définir les modalités et le calendrier des travaux qui sont encore nécessaires.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.