Intervention de Laure de La Raudière

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaure de La Raudière :

Merci, Monsieur le président, de vos propos chaleureux, et merci Monsieur le rapporteur de votre présentation des missions de l'ARCEP et de mes travaux à l'Assemblée nationale.

Chers collègues, c'est avec une grande émotion que je m'adresse à vous, non en tant que rapporteure d'une mission d'information sur le numérique, comme je l'ai si souvent fait en salle 6241, mais en tant que future présidente de l'ARCEP, si les sénateurs et vous-mêmes validez la proposition de nomination du Président de la République. Il s'agit pour moi d'un grand honneur. En prenant la parole devant vous, j'ai à l'esprit les travaux réalisés au sein de la commission des affaires économiques sur les télécommunications et le numérique, d'abord avec Corinne Erhel, à laquelle je ne peux m'empêcher de penser aujourd'hui, puis avec M. Éric Bothorel, qui lui a succédé dans sa circonscription ainsi que comme expert reconnu du numérique au sein de l'Assemblée nationale.

Depuis 2007, j'ai mené neuf missions d'information sur les enjeux du numérique, en toute indépendance d'esprit, sans jamais me demander si ce que je proposais était bon pour un acteur ou pour un autre. Mes choix étaient guidés par l'intérêt général, mes priorités poursuivies en veillant à maintenir l'équilibre entre les objectifs d'aménagement du territoire, de renforcement de la concurrence et de l'innovation et de développement de la filière et de l'emploi. Les neuf rapports publiés au nom de la commission des affaires économiques le démontrent. Par ailleurs, j'ai toujours travaillé dans un esprit transpartisan.

Mon passage chez France Télécom, il y a plus de vingt ans, m'a permis d'acquérir l'expertise nécessaire à la compréhension technique et opérationnelle du secteur des télécommunications. Mes mandats de députée et d'élue locale m'ont apporté une expertise juridique et économique du secteur, ainsi qu'une connaissance fine des attentes des citoyens et des entreprises. Mon passé de chef d'entreprise m'a également façonnée. Ces acquis et ces atouts m'aideront à exercer la fonction de présidente de l'ARCEP.

L'ARCEP a la responsabilité de la régulation de trois secteurs, et je vous demande à ce propos de bien vouloir excuser une lacune dans mes réponses au questionnaire : à la dernière minute, un malheureux « copier » non suivi d'un « coller » a fait disparaître des chantiers à venir les réponses relatives aux secteurs de la poste et de la distribution de la presse. Si cela m'est permis, je compléterai mes réponses, que je vais développer aujourd'hui, avant la mise en ligne du rapport.

Le secteur régulé par l'ARCEP faisant l'objet du plus grand nombre de débats, d'avis et de concertations, ainsi que d'attentes parmi nos concitoyens, est le secteur des télécommunications et du numérique. Des chantiers considérables ont été engagés depuis dix ans en la matière, sous l'égide des deux derniers présidents de l'ARCEP, MM. Jean-Ludovic Silicani et Sébastien Soriano. Le premier a élaboré la réglementation applicable au déploiement de la fibre et procédé au lancement du quatrième opérateur mobile, ainsi que de la 4G. Le second a renouvelé les relations de l'ARCEP et des territoires, initié une politique d' open data, mis à la disposition du public des cartes de couverture numérique, bâti le cadre du New Deal numérique et entamé le déploiement de la 5G. Au cours de cette période, le niveau de l'investissement du secteur n'a cessé de croître, à tel point que les télécommunications sont devenues le premier secteur investisseur de France.

Les chantiers à venir sont tout aussi considérables et passionnants. C'est donc le premier grand axe de travail de l'ARCEP que je vous présenterai. Depuis plusieurs années, l'usage du numérique est incontournable. Chacun en a conscience et la crise sanitaire en a fait la démonstration, accélérant même l'évolution des pratiques dans bon nombre de domaines, dont la e -éducation, la vente en ligne, la vente à emporter des commerces de proximité et la généralisation des visioconférences ou du télétravail. « Heureusement que le numérique était là ! » : tel était le titre de l'avant-propos du rapport d'information que M. Éric Bothorel et moi avons rendu sur l'impact de la crise sanitaire sur les secteurs du numérique et de la poste J'aimerais saluer aussi l'action des acteurs concernés, notamment ceux du secteur des télécommunications, qui ont assuré la résilience de leurs réseaux à un moment crucial pour notre pays. On comprend mieux, à l'aune de l'augmentation des usages du numérique dans tous les domaines, que citoyens et entreprises exigent des réseaux fixes et mobiles de qualité, accessibles partout à des prix compétitifs. Ces attentes sont plus que légitimes. Elles sont au cœur des enjeux de la régulation du secteur des télécommunications.

Trois priorités s'imposent : maintenir un environnement concurrentiel et innovant ; aménager le territoire, en offrant des solutions de régulation adaptées à la situation spécifique de certaines zones, comme cela a été fait dans le cadre du New Deal numérique ; développer une filière compétitive tout en intégrant la réflexion plus récente sur l'empreinte environnementale du numérique. Bien entendu, les priorités fixées par le futur président de l'ARCEP feront l'objet de débats avec les membres du collège, susceptibles de les faire évoluer et de les enrichir. Dans ce cadre, j'aimerais évoquer plusieurs enjeux stratégiques du secteur des télécommunications.

Le premier enjeu est certainement l'aménagement du territoire. Cet objectif doit être poursuivi en veillant notamment au respect des engagements pris par les opérateurs dans le cadre du New Deal, ainsi qu'au déploiement de la fibre dans les zones d'appels à manifestation d'intention d'investissement (AMII), dans les zones d'appel à manifestation d'engagements locaux (AMEL) et dans le cadre des réseaux d'initiative publique (RIP). L'ARCEP devra poursuivent ses démarches de transparence vis-à-vis des consommateurs, en y ajoutant un certain degré de prévision des déploiements fixes et mobiles, des mesures de qualité de service des réseaux mobiles plus fiables et plus conformes aux conditions de réception des utilisateurs, et des données d'éligibilité de la fibre fiabilisées. Plusieurs questions se posent sur le respect des délais de déploiement de la fibre ou sur la couverture mobile obtenue grâce au New Deal. Je propose d'y revenir en répondant à vos questions.

L'ARCEP devra aussi veiller au maintien d'un marché concurrentiel pour conserver des offres à un prix attractif et favoriser l'innovation. Nous avons la chance d'avoir un marché dynamique, dans lequel le secteur investit beaucoup, innove et maintient des prix bas, au bénéfice des consommateurs. Je veux poursuivre dans cette voie. Le New Deal numérique a démontré que l'on peut travailler à une régulation spécifique pour favoriser l'aménagement du territoire là où c'est nécessaire, tout en rendant le marché dynamique grâce au maintien de la concurrence à chaque lancement de nouveaux services. Je porterai une attention particulière au marché du numérique d'entreprise, qui est faiblement concurrentiel, ce qui réduit l'accès à la fibre des PME. Or le Gouvernement a fait de leur numérisation un objectif prioritaire pour la France. L'ARCEP a fixé un cadre de régulation pour développer les offres à qualité de service renforcée sur les réseaux FTTH ( fiber to the home ). Je porterai avec le collège de l'ARCEP une attention particulière à ce marché, afin de déterminer si le cadre de régulation en vigueur, qui est assez récent, commence à porter ses fruits – ce qui peut prendre du temps – ou s'il faut le faire évoluer.

Ma troisième priorité sera la réflexion sur l'empreinte environnementale du numérique. Le numérique est partout, dans tous les secteurs. Il est facteur d'innovation, de simplification de la vie et de nouveaux modes de fonctionnement. Il représente 2 % des émissions de gaz à effet de serre en France, mais devrait atteindre 6,7 % en 2040, d'après le rapport des sénateurs Patrick Chaize, Guillaume Chevrollier, Jean-Michel Houllegatte et Hervé Maurey, dont la proposition de loi a été adoptée hier au Sénat. Notons que les réseaux de télécommunications proprement dits ne représentent que 5 % du total. Je souhaite que l'ARCEP détermine, au fil de tous ses chantiers, comment la régulation peut contribuer à intégrer l'objectif du développement durable dans les choix des acteurs tout en conservant des objectifs ambitieux d'aménagement du territoire, d'innovation et de développement de la filière.

Il me semble important d'aborder dès à présent un sujet qui préoccupe les élus et les citoyens : la qualité de service des réseaux. Le réseau cuivre est vieillissant. Or il assure encore la majorité des raccordements au téléphone ou à l'internet de nos concitoyens, notamment dans les zones rurales. La qualité de service sur le réseau cuivre est préoccupante à certains endroits, et doit faire l'objet d'une attention particulière de l'ARCEP. Mais la qualité de service est également sujette à des difficultés sur les réseaux de fibre en cours de déploiement. En effet, les relations entre l'opérateur d'infrastructures, qui déploie le réseau, et l'opérateur commercial, qui vend un accès au client et opère le raccordement, sont insatisfaisantes, ce qui entraîne des difficultés importantes en matière de qualité de service globale. Il est urgent de rappeler aux acteurs concernés leurs responsabilités et de faire en sorte que les procédures de déploiement n'induisent plus des situations tendues sur le terrain.

La régulation du numérique hors du secteur des télécommunications fait l'objet de nombreux débats, en France et ailleurs en Europe. Je souhaite que l'ARCEP continue à y contribuer, non seulement dans le cadre de ses compétences relatives à l'internet ouvert, qui doit être garanti sur les réseaux et sur les plateformes structurantes afin d'assurer le libre choix des consommateurs, mais aussi dans tous les débats portant sur ces enjeux, qu'ils se tiennent en France, à l'échelon européen ou à l'échelle mondiale. L'ARCEP est très présente, et même influente, au sein du BEREC et je souhaite qu'elle le reste. Elle devra notamment accompagner la mise en œuvre des propositions de règlement de la Commission européenne sur la réglementation des services et des marchés numériques, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). L'un de nos chantiers majeurs est la régulation des acteurs structurants de l'économie numérique, dont la taille et la part de marché sont telles qu'ils créent des désordres en matière de concurrence et de libre choix du consommateur. Elle pourra s'inspirer de celle pratiquée par l'ARCEP, fondée sur l'obligation d'ouverture, l'interopérabilité réelle des plateformes et la transportabilité des données. L'expertise de régulation économique ex ante de l'ARCEP peut s'avérer utile pour bâtir cette nouvelle régulation, sans exclusive des hautes autorités chargées du numérique. Je compte bien m'investir pleinement dans le traitement de ces enjeux cruciaux pour notre économie et pour notre société, notamment au sein du BEREC.

J'évoquerai plus brièvement les autres priorités du secteur des télécommunications, afin d'avoir le temps de répondre à vos questions. Deux grands chantiers techniques attendent l'ARCEP. Le premier est le déploiement de la 5G. L'Autorité devra veiller au suivi des obligations, préparer l'appel à candidatures sur la bande 26 gigahertz et lancer des appels à candidatures pour le déploiement de la 5G dans les territoires ultramarins. Le second concerne la préparation et le suivi de la fermeture du réseau cuivre confié à Orange.

S'agissant des autres secteurs régulés par l'ARCEP, je porterai une attention particulière à la qualité du service universel postal. Comme chacun le constate dans sa circonscription, la période du premier confinement a révélé des fragilités importantes sur ce point. Outre son rôle de contrôle des objectifs du service universel postal, l'ARCEP pourrait demander à disposer en temps réel des informations relatives à la situation du service dans chaque territoire. Une réflexion conjointe avec La Poste doit être menée à ce sujet. Le marché du colis présente un réel intérêt, mais il s'agit d'un marché concurrentiel échappant à la régulation. Toutefois, dans un contexte de développement accéléré du e -commerce, il serait intéressant que l'ARCEP publie des informations générales sur le fonctionnement de ce marché, relatives notamment au taux de satisfaction des utilisateurs, à la qualité du service rendu, à l'identification des problèmes du secteur, à l'émergence des nouvelles formes de distribution et à leurs conséquences en matière d'accessibilité. Enfin, l'ARCEP a été chargée par la loi, il y a un peu plus d'un an, de la régulation de la distribution de la presse. Sa priorité est d'édifier un système de régulation. Il est certain que la prise en charge de ce nouveau secteur constitue pour l'ARCEP un défi.

Ce futur poste, si ma candidature est validée par les sénateurs et par vous-mêmes, sera la continuité logique de ma carrière professionnelle. C'est un défi qui me motive énormément. À ce poste passionnant, je saurai parfaitement faire la différence entre le rôle politique du député et le rôle neutre du régulateur, se fondant sur des données scientifiques et dialoguant naturellement avec les élus au sujet des attentes de nos concitoyens.

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