Le plan de relance comporte une vaste opération de reboisement des forêts françaises ; il apporte ainsi un soutien massif aux particuliers et aux professionnels du bois afin de renforcer la résilience de nos forêts et la valorisation des débouchés économiques de la filière. La proposition de loi que j'ai le plaisir de vous présenter dans le cadre de la journée réservée au groupe MoDem et démocrates apparentés concourt modestement à ces deux objectifs en visant à créer un nouvel outil qui nous aidera à relever le défi que constitue le morcellement de la propriété forestière française.
La France possède la troisième surface forestière en Europe ; d'une superficie de près de 16,5 millions d'hectares, les forêts couvrent 30 % du territoire national. Les trois quarts de cette surface forestière correspondent à des forêts privées, mais la propriété forestière privée se caractérise par un morcellement très important. Ainsi, selon les données cadastrales, environ 3,8 millions de propriétaires possèdent près de 76 % de la surface forestière privée ; la surface forestière moyenne par propriétaire est de 3,4 hectares et avoisine même, dans certains départements, 1,5 hectare. Qui plus est, de nombreux propriétaires possèdent des parcelles dispersées territorialement, donc non contiguës et plus compliquées à valoriser et à gérer. Certains ignorent jusqu'à l'existence même de telle parcelle dont ils ont pourtant la possession. Des propriétés entières mais trop petites pour être éligibles à l'impôt finissent par être oubliées, devenant ainsi des biens sans maître.
Si ce morcellement contribue à la diversité de la forêt et la protège des dangers de l'uniformité, notamment des peuplements mono-espèce, l'extrême parcellisation du foncier forestier est responsable d'un mauvais entretien des forêts privées et d'une sous-valorisation patente des bois et forêts.
Afin de relever le défi du morcellement, les pouvoirs publics cherchent à favoriser l'entretien et l'exploitation en commun de parcelles contiguës dans une logique d'efficience. Toutefois, cet effort de gestion commune de la forêt privée se heurte à des difficultés importantes d'accès aux données cadastrales, difficultés auxquelles la proposition de loi a pour objet de remédier.
Afin de proposer l'entretien et l'exploitation en commun de parcelles forestières contiguës, les propriétaires peuvent faire appel à des professionnels de la forêt. Mais ces derniers ont besoin d'accéder aux données cadastrales. Pour ce faire, ils doivent consulter les services du cadastre afin de vérifier à qui appartiennent les propriétés qu'ils ont pour mission d'évaluer. Or les informations cadastrales sont protégées par le secret fiscal. Le dispositif de droit commun permet ainsi de demander une délivrance de relevés de propriété dans la limite de cinq demandes par semaine et de dix demandes par mois.
L'article unique de la proposition de loi vise donc à permettre aux experts forestiers, aux organisations de producteurs du secteur forestier ainsi qu'aux gestionnaires forestiers professionnels d'accéder sans limitation du nombre de demandes aux informations cadastrales relatives aux propriétés inscrites en nature de bois et forêts situées dans le périmètre géographique d'exercice de leurs missions, en établissant à leur profit une exception au principe du secret professionnel en matière fiscale. Cette dérogation permettrait à ses bénéficiaires de mener à destination des propriétaires identifiés des actions d'information sur les possibilités de valorisation économique de leurs bois et forêts. Concrètement, cette mesure permet d'identifier et de contacter les propriétaires voisins d'une parcelle exploitée pour leur demander s'ils souhaitent que la leur le soit également.
Cette proposition est le fruit d'un long cheminement législatif. En effet, l'article unique de la proposition de loi reprend les termes d'une expérimentation d'une durée de trois ans prévue par l'article 94 de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, dite LAAF, du 13 octobre 2014. Cette expérimentation a pris fin en décembre 2018.
Je tiens à préciser que les catégories professionnelles bénéficiaires de l'exception au principe du secret fiscal exercent leur activité dans des conditions encadrées par la puissance publique, observent un code déontologique et sont soumises à des conditions d'indépendance strictes visant à garantir notamment l'exercice d'une gestion durable des bois et forêts dont elles ont la charge. D'autres catégories socioprofessionnelles ont demandé l'accès à ces données, mais il nous a semblé important de limiter le nombre d'acteurs bénéficiant de cette dérogation pour éviter les dérives d'usage. Du reste, je proposerai par un amendement que le décret d'application de l'article unique soit impérativement publié après l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), afin de garantir la conciliation de la confidentialité des données de propriété et de la libre communication des données cadastrales.
L'expérimentation de 2014 ayant expiré, la loi d'accélération et de simplification de l'action publique, dite loi ASAP, promulguée en 2020, avait repris, en son article 80, les termes de cette expérimentation afin de la pérenniser. Toutefois, cette disposition, introduite en cours d'examen par voie d'amendement, a été déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans une décision du 3 décembre 2020 prise au titre de son contrôle des cavaliers législatifs. Sans porter une quelconque appréciation sur le fond, le juge constitutionnel a tenu à préserver ainsi la cohérence initiale du texte, ce qui est à saluer. La présente proposition de loi reprend donc le dispositif de l'article 80 du projet de loi ASAP tel qu'il a été voté en termes identiques par le Sénat et l'Assemblée.
Les auditions que nous avons menées me confortent dans l'idée qu'il est nécessaire d'adopter ce texte qui simplifiera la vie quotidienne des professionnels concernés. Je tiens à souligner que le dispositif est polyvalent ; il permettra également de renforcer la résilience et l'entretien des forêts privées françaises. En effet, des parcelles forestières mieux identifiées et donc potentiellement mieux entretenues sont moins susceptibles de devenir des foyers de maladies ou de ravageurs ; je pense, par exemple, au scolyte. Leur entretien permet également de mieux prévenir les risques d'incendie. De manière générale, des parcelles forestières bien identifiées et entretenues remplissent pleinement leur fonction de puits de carbone, permettant de compenser partiellement les émissions des secteurs polluants.