EDF a été marquée par le choc de la crise sanitaire. Tous les salariés d'EDF se sont mobilisés – et j'en profite pour leur rendre hommage – pour assurer leurs missions à chaque instant. Les Français n'ont ainsi jamais manqué d'électricité. Les salariés d'ENEDIS se sont aussi mobilisés sur le terrain pour le bon fonctionnement des réseaux. À la mi-mars, nous avions installé cinq mille postes de travail numériques pour que les salariés d'EDF en charge de la relation avec la clientèle puissent répondre depuis chez eux aux personnes qui les appellent. Ces salariés vivent tous en France, contrairement à ceux de beaucoup de nos concurrents. Ils comprenaient donc parfaitement la situation et les enquêtes d'opinion réalisées auprès de nos clients ont fait état d'une très grande satisfaction.
Le confinement et la fermeture des frontières ont aussi perturbé les transports de pièces détachées, mais tout a finalement bien fonctionné. EDF a montré une grande résilience, ce qui nous rappelle que l'électricité fait partie des services essentiels.
Le manque à gagner qu'a provoqué la crise pour le groupe est évalué à deux milliards d'euros de chiffre d'affaires. Le planning de maintenance de notre parc de production a dû être adapté aux circonstances et de nombreux chantiers ont été arrêtés. La production nucléaire a chuté, mais cette chute s'est limitée à un écart négatif de 12 % par rapport à l'objectif initialement fixé pour 2020. La désorganisation de nos travaux se fera sentir pendant deux ans encore. Nous avons donc tout fait pour que le passage de l'hiver soit réussi. La consommation d'électricité est revenue à un niveau normal et, malgré les perturbations créées par la crise sanitaire, l'électricité reste disponible. Réseau de transport d'électricité (RTE) ne fait état d'aucune inquiétude à ce sujet, ce qui nous rassure tous.
Ce contexte nous rappelle les valeurs de l'entreprise, à commencer par la capacité formidable de mobilisation des salariés au service des besoins essentiels du pays. Notre stratégie n'est pas modifiée par la crise sanitaire et nous voulons bien être le champion français et européen de la neutralité carbone. Notre raison d'être est désormais inscrite dans les statuts de l'entreprise. Nous sommes donc engagés à construire un avenir énergétique neutre en CO2, conciliant préservation de la planète, bien-être et développement grâce à l'électricité et à des solutions et des services innovants. Pour rénover leurs logements, les Français peuvent remplacer leurs chaudières fonctionnant aux énergies fossiles par des pompes à chaleur consommant moins d'énergie et n'émettant pratiquement pas de CO2. Les Français peuvent aussi optimiser leur consommation grâce au compteur numérique Linky. Par ailleurs, nous avons à décarboner des sites industriels et à nous positionner sur l'hydrogène bas carbone. Nous avons ainsi pris une participation stratégique dans une entreprise française d'électrolyseurs située dans la Drôme et nous avons créé une filiale pour mettre en œuvre des solutions hydrogène. Enfin, nous sommes très actifs dans le développement de la mobilité électrique. À travers ces offres, nous démontrons que nous sommes l'acteur de référence des deux grands vecteurs de la lutte contre le réchauffement de la planète : l'électricité décarbonée et la sobriété dans la consommation.
Du côté de la production, nous avons acquis une position de leader dans la filière émergente de l'éolien en mer et nous soutenons le développement d'une capacité manufacturière en ce domaine sur le territoire français. Trois usines ont ainsi été construites ou vont l'être à Saint-Nazaire, à Cherbourg et au Havre. Nous rénovons des installations hydrauliques et nous innovons aussi en lançant une grande ferme solaire flottante sur un lac, dans les Hautes-Alpes.
Le nucléaire bénéficie aujourd'hui d'un regain d'intérêt et notre ambition est d'être le leader occidental de ce secteur. Nous remarquons l'intérêt de nombreux pays pour la technologie française. Pour redonner confiance à une filière nucléaire qui a souffert ces dernières années, nous mettons en œuvre le programme de redressement des compétences (Excell) pour que ces dernières soient prêtes le jour où les pouvoirs publics décideront d'engager la construction de nouveaux EPR en France.
À l'international, nous gagnons des appels d'offres dans de nombreux domaines et dans des marchés très concurrentiels. À titre d'exemple, nous installons plusieurs millions de compteurs communicants en Inde et nous alimentons Microsoft et Google aux États-Unis.
Notre conviction est que cette stratégie centrée sur la neutralité carbone est la bonne. Pour autant, nous avons besoin de la réorganisation prévue par le projet Hercule parce que le cœur de notre développement est gravement entravé par le niveau de la dette que nous avons accumulée depuis des années du fait de la régulation encadrée par le mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Nous avons besoin d'investir pour rester un champion français, européen et mondial.
Le principal enjeu de cette réforme est de mettre fin à l'ARENH, qui a indirectement contribué à faire d'EDF un acteur surendetté. Sans la présence de l'État au capital, nous ne pourrions plus poursuivre notre programme d'investissement car nous avons été dégradés cinq fois par les agences de notation. Nous avons dû céder pour plus de 10 milliards d'euros d'actifs et être recapitalisés à plusieurs reprises. Le mécanisme de l'ARENH est fondé sur la volonté de mettre en place un système déséquilibré, injuste, car il revient à subventionner directement les concurrents d'EDF. Il expose EDF aux prix de vente les plus bas quand les prix du marché sont bas et impose de vendre la production nucléaire à un prix plafonné lorsque les prix de marché sont élevés. Ce prix plafonné, qui n'a pas été réévalué en dix ans, ne couvre pas les coûts du parc de production. Il est donc indispensable de substituer à l'ARENH un mécanisme de régulation plus équitable. Celui-ci doit être stable, symétrique, pérenne et doit bien sûr permettre de rémunérer le parc nucléaire à sa juste valeur. C'est le premier objectif de la réforme. Il est partagé par le Gouvernement, qui négocie les nouvelles modalités de cette régulation avec la Commission européenne. Cette nouvelle régulation nucléaire est nécessaire pour préserver la filière nucléaire française, une pièce essentielle de la stratégie bas carbone du pays.
Le deuxième objectif de la réforme est de donner à EDF les moyens d'investir dans la transition énergétique. Le nucléaire et l'hydraulique resteront pendant longtemps les fondements essentiels de notre mix décarboné, mais chacun voit que la croissance s'effectue principalement par les infrastructures nouvelles d'énergie renouvelable. Il ne faut pas oublier la croissance qui est nécessaire dans notre réseau de distribution. À cet égard, je soulignerai que les investissements d'ENEDIS ont augmenté de 30 % entre 2015 et aujourd'hui. La transition énergétique nécessite aussi des investissements pour résoudre des problèmes tels que la gestion de l'intermittence, qui nécessitera de développer des moyens de stockage. Nous avons aussi à accompagner le développement progressif de la production d'hydrogène bas carbone pour des implications dans l'industrie et dans les transports lourds. Pour accompagner concrètement la décarbonation de notre pays, nous devons être un acteur engagé capable de réaliser des investissements importants. Nous nous devons aussi d'être à l'affût des innovations partout dans le monde.
L'enjeu consiste aussi à éviter le déclassement d'EDF face aux grands groupes européens qui affichent des moyens et des rythmes de développement très supérieurs aux nôtres. Beaucoup de groupes européens qui se sont lancés dans la transition énergétique sans les entraves que nous subissons peuvent annoncer des objectifs à dix ans très supérieurs à ceux que peut envisager EDF dans sa configuration actuelle.
Le troisième objectif stratégique de la réforme est la sécurisation des concessions hydroélectriques. Depuis vingt ans, pèse sur le modèle d'exploitation de nos barrages une menace née de la directive dite « Concessions » de 1998. La mise en concurrence de ces concessions est prévue au moment où elles expirent. Ceci conduirait à démanteler progressivement la cohérence de notre parc hydraulique. Notre perception, qui est largement partagée, est que l'interprétation donnée de la directive européenne de 1998 porte en germe une désoptimisation de la capacité productive de l'hydraulique et un appauvrissement des vallées concernées. Le changement climatique accroît notre préoccupation sur l'importance d'une gestion optimisée de l'eau. Nous voulons préserver et développer l'hydraulique, qui entraîne derrière elle l'activité économique de nombreuses régions.
C'est l'État qui mène les négociations avec la Commission européenne et je me réjouis de la très bonne coordination qui existe entre ce dernier et EDF. Je me permets de vous rappeler les lignes rouges qui ont été fixées en coordination avec EDF.
EDF doit premièrement rester un groupe public intégré, où il n'existe donc qu'une seule stratégie, où les différentes entités coopèrent plutôt que de se faire concurrence. C'est un groupe où les salariés peuvent circuler d'une entité à l'autre pour développer leur potentiel et progresser, où les fonctions mutualisées apportent efficacité, créativité et économies d'échelle. Un groupe intégré conserve, en outre, sa marque propre et le statut des salariés des industries électriques et gazières (IEG) n'est pas remis en cause. Le caractère intégré du groupe EDF est une des clés du succès du modèle énergétique français. Notre positionnement stratégique nous amène à être présents au niveau de tous les maillons de la chaîne de valeur de l'électricité et à couvrir toutes les filières de production ainsi que les services les plus innovants. Ce modèle intégré est un véritable atout pour la France et il doit impérativement être conservé.
Nous devons également garantir que le prix de la future régulation nucléaire couvre correctement nos coûts et rémunère correctement les investissements du parc existant.
Enfin, le groupe EDF doit disposer des moyens de se développer dans tous les métiers de la transition énergétique.
Un accord qui ne répondrait pas à ces objectifs ne serait pas acceptable.
Je reviens ensuite sur les grandes lignes du projet Hercule. Il repose sur une réorganisation du groupe EDF en deux parties complémentaires, jamais concurrentes et bénéficiant chacune d'actifs homogènes et d'objectifs stratégiques clairs. Un premier ensemble que l'on appelle « EDF Bleu » regrouperait la production nucléaire et thermique, la production hydraulique française étant transférée à une quasi-régie détenue par EDF Bleu. La deuxième entité, « EDF Vert », regrouperait la distribution, les services, le commercial, les renouvelables et l'international. EDF Bleu représente le monde de la production centralisée. Le deuxième ensemble regroupe le monde de la production décentralisée.
Au sein d'EDF Bleu, l'enjeu primordial concerne la nouvelle régulation pour le parc nucléaire existant. Le mécanisme retenu devrait prendre la forme d'un prix fixe qui sera accessible à tous les fournisseurs, dans les mêmes conditions. Le niveau du prix devra couvrir les coûts du parc nucléaire existant et les investissements passés et futurs de ce parc.
Nous avons trouvé une voie permettant de protéger notre patrimoine hydraulique. La quasi-régie est une forme de société détenue à 100 % par le secteur public, qui permet une exception au droit européen des concessions. Ce modèle juridique permet la détention totale de la quasi-régie par le groupe intégré EDF. Cette nouvelle organisation donnerait plus de moyens au groupe pour investir et pour accompagner ses clients dans la transition énergétique à travers EDF Vert. Cette dernière bénéficiera de financements propres et pourra se développer beaucoup plus rapidement. La croissance de nos activités dans la transition énergétique nous permettrait de rattraper le retard pris sur plusieurs grands groupes européens.
EDF Vert resterait dans le secteur public et serait détenue très majoritairement par EDF Bleu. Elle devra inclure ENEDIS de façon à avoir un distributeur régulé et puissant d'un côté et des activités renouvelables, commerciales et de service de l'autre côté. Ce modèle de coexistence du distributeur et des activités renouvelables et commerciales est celui retenu par nos grands concurrents européens. Le réseau de distribution est un vecteur essentiel de la transition énergétique. Le rattachement d'ENEDIS à EDF Vert confortera ses missions de service public au bénéfice direct des territoires et en lien étroit avec les autorités concédantes. ENEDIS serait une filiale à 100 % d'EDF Vert. Les mêmes missions de service public garanties par la loi, la même indépendance de gestion et la même péréquation tarifaire seraient maintenues.
Cette réforme est une vraie opportunité de développement pour le groupe EDF. Jusqu'à présent, nous avons visé une capacité renouvelable pour le groupe de 50 gigawatts à l'horizon 2030. Si la réforme Hercule peut se mettre en place, nous pourrons viser le double.