Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mercredi 3 mars 2021 à 15h00
Commission des affaires économiques

Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, merci de m'accueillir dans votre commission. Procéder à des points d'étape est important pour alimenter votre contrôle du pouvoir exécutif. Il est également important de faire le point sur le volet industrie du plan France relance six mois après son lancement, en septembre dernier.

Le plan France relance vise à préparer le rebond économique de demain. Il doit être distingué des mesures d'urgence visant à amortir la crise, qui ont vocation à se prolonger aussi longtemps que nécessaire. Il incarne notre ambition d'une économie plus résiliente, plus indépendante – le terme prend tout son sens à l'heure actuelle, nous serons certainement amenés à y revenir – et plus respectueuse de l'environnement. Il correspond à l'objectif ambitieux de reconquête industrielle fixé par le Président de la République et que Bruno Le Maire et moi‑même œuvrons à atteindre.

L'industrie, ce sont aujourd'hui 33 000 entreprises industrielles de plus de cinq salariés représentant 3,2 millions d'emplois directs, sans compter les nombreux emplois induits, et implantées pour l'essentiel dans des communes de moins de 20 000 habitants. L'industrie est donc la colonne vertébrale de l'activité économique des territoires.

Alors qu'1 million d'emplois industriels nets ont été détruits entre 2000 et 2016, nous en avons recréé pour la première fois en 2017, puis en 2018 et en 2019.

L'industrie représente 12 % du produit intérieur brut (PIB), un chiffre qui pourrait paraître limité, mais qui recouvre 68 % de nos exportations et 70 % de notre recherche et développement (R & D). C'est dire le rôle structurant de l'industrie au sein de notre économie. Elle représente aussi un élément d'attractivité majeur puisque nous sommes devenus la nation la plus attractive d'Europe pour les investissements étrangers en R & D en 2018 et 2019.

Ces premiers résultats positifs sont le fruit de la politique industrielle que le Gouvernement conduit avec la majorité parlementaire depuis plus de trois ans. En lançant le plan France relance, qui consacre 35 milliards d'euros au secteur, nous avons fait le pari de l'industrie et donnons un coup d'accélérateur à la reconquête industrielle dans nos territoires. Le pessimisme n'a jamais guidé notre action ; faisons de cette crise une opportunité !

Le plus grand défi que nous devons relever tient à l'exécution même du plan de relance à laquelle, je le sais, vous êtes tous très attachés. Il convient de financer le plus rapidement possible des mesures efficaces et les secteurs d'avenir stratégiques pour notre économie. À cette fin, nous avons utilisé un processus quelque peu inédit pour l'État, puisque les services de l'État et les chambres de commerce et d'industrie ont systématiquement contacté nos 33 000 entreprises industrielles pour les informer de l'ensemble des dispositifs du plan France relance. Cela vaut pour les mécanismes de décarbonation, de relocalisation ou de modernisation, mais aussi pour ceux relatifs à l'emploi, aux reconversions, aux jeunes ou au financement des entreprises.

Les entreprises industrielles se sont largement emparées du dispositif, puisque 4 800 projets ont été déposés sur la plateforme Bpifrance et que 7 400 demandes de subvention ont été déposées auprès de l'Agence de services et de paiement par l'intermédiaire du guichet permettant de bénéficier de l'aide aux investissements de transformation vers l'industrie du futur. C'est ainsi qu'un tiers des entreprises industrielles se sont portées candidates pour bénéficier, à un titre ou un autre, du plan de relance.

Près de 1 200 projets ont d'ores et déjà fait l'objet d'une décision d'aide, un chiffre à rapporter aux 4 800 projets reçus par le guichet industrie du futur, qui se caractérise par une automaticité d'instruction et qui représente plus d'1 milliard d'euros d'aide publique et près de 5 milliards d'euros d'investissements industriels.

Le volet industriel du plan de relance est un véritable succès. En seulement quatre mois, nous avons réalisé ce que nous avions initialement prévu de faire en deux ans et demi. Nous sommes déterminés à continuer pour soutenir notre industrie. C'est ainsi que Bruno Le Maire et moi-même avons obtenu du Président de la République et du Premier ministre l'allocation d'1 milliard d'euros supplémentaire pour poursuivre l'élan d'investissement de notre tissu industriel. Nous serons au rendez‑vous de cette reconquête.

Décarboner, relocaliser moderniser, innover, tels sont les quatre piliers de notre plan France relance pour l'industrie.

Décarboner d'abord. L'industrie représente 20 % de nos émissions de gaz à effet de serre, mais apportera 100 % des solutions de décarbonation, parce que c'est en son sein que nous mettrons au point les process industriels de décarbonation et que nous inventerons avec les forces de recherche et développement, ainsi que de production, des solutions moins émettrices de carbone dans les domaines du transport, de la construction, du logement et de l'agriculture.

Produire en France, c'est assumer pleinement notre responsabilité environnementale, c'est surtout rompre avec une hypocrisie environnementale qui tend à localiser les activités dans d'autres pays alors que leur empreinte environnementale serait moindre en France – grâce à vous notamment, puisque, à l'instar de l'Union européenne, vous défendez des résolutions et des réglementations exigeantes de ce point de vue. Entre 1995 et 2015, les émissions de CO2 des activités de la France ont baissé de 20 %, celles de l'industrie de 40 % et, pourtant, l'empreinte carbone de la France a progressé de 17 %, parce que nous avons importé plus de produits fabriqués dans des conditions moins exigeantes en matière environnementale. Inutile de préciser que ces conditions sont également souvent moins exigeantes en matière sociale. C'est donc la double peine : plus de CO2 et moins d'emplois. Je pose la question : fermer une usine ou un entrepôt en France pour le rouvrir, soit de l'autre côté de la frontière, soit à l'autre bout du monde, est-il de bonne politique ?

Le Président de la République et le Gouvernement font un choix fort, celui de nous faire redevenir maîtres de notre empreinte environnementale. C'est un choix courageux et un atout compétitif pour nos entreprises.

Nous mobiliserons 1,2 milliard d'euros au cours des deux prochaines années en faveur de la décarbonation de l'industrie. Ce sont déjà seize projets représentant un investissement industriel total de 300 millions d'euros à l'échelle nationale qui font l'objet de la part de l'État d'un soutien à l'investissement de près de 60 millions d'euros. Ces investissements permettront une baisse de 10 % en moyenne des émissions des sites industriels les plus émetteurs de carbone. Je pense notamment à une entreprise jurassienne que j'ai visitée et qui, grâce au soutien de l'État, va réduire de 50 % sa consommation d'énergie primaire.

Par ailleurs, nous avons lancé une stratégie nationale de développement de l'hydrogène pour être à la pointe de l'utilisation de cette technologie. Sept milliards d'euros lui seront consacrés d'ici à 2030, dont 2 milliards devront être déployés d'ici à 2022. La semaine dernière, Bruno Le Maire, Barbara Pompili et moi-même étions à Albi, chez Safra, une entreprise qui produit des bus à hydrogène, pour présenter ce plan.

Un chiffre illustre notre action et ses résultats très concrets : en 2020, nous avons décarboné 240 000 tonnes d'émissions industrielles.

Le deuxième pilier de France relance réside dans la souveraineté industrielle, par la localisation ou la relocalisation des productions en France, pour reprendre en main notre destin et réduire nos vulnérabilités, mais également pour créer des emplois directs et indirects.

Avec la crise sanitaire, la France a été brutalement confrontée à sa dépendance stratégique s'agissant de produits essentiels fabriqués à des milliers de kilomètres. Notre pays a ainsi pris conscience du fait qu'il devait redevenir maître de son destin. Ceux qui critiquent aujourd'hui ses vulnérabilités sont les mêmes qui ont laissé partir nos savoir‑faire, nos technologies et nos industries lorsqu'ils étaient aux responsabilités.

Je prendrai l'exemple, qui n'est pas anodin, de l'industrie pharmaceutique. Entre 2005 et 2015, la part de la France dans le marché mondial de la production de produits de santé a été divisée par deux. Nous ne nous résignons pas face à cette situation, nous redoublons au contraire d'efforts pour reconstruire notre indépendance stratégique industrielle. Depuis trois ans, le Gouvernement a travaillé à réimplanter des sites de production en France. Ironie du sort, en février 2020, nous avions quasiment conclu un accord avec Sanofi pour implanter une usine de vaccins en France plutôt qu'à Singapour, accord qui a été annoncé en juin : vous voyez que nous n'avons pas attendu la crise de la covid pour nous mobiliser !

Ce sont aujourd'hui cinq secteurs stratégiques que nous voulons considérablement renforcer : la santé, l'agroalimentaire, l'électronique, les secteurs fournissant des intrants essentiels de l'industrie – la chimie, les métaux, les matières premières – et les applications industrielles de la 5G. Nous y consacrons plus d'1 milliard d'euros. Les entreprises se sont saisies de ces dispositifs, puisque 160 projets sont d'ores et déjà sélectionnés. Ils correspondent à près de 330 millions d'aide publique pour un investissement de 1,4 milliard d'euros.

Par ailleurs, nous soutenons les projets structurants, tous secteurs confondus, grâce au fonds d'accélération des investissements industriels dans les territoires. Ce dispositif est copiloté avec les régions, ce qui implique que chaque décision est prise par le préfet de région et par le président de région, sans remonter à Paris.

Ce sont près de 450 projets de reconquête industrielle qui sont ainsi soutenus, représentant plus de 2 milliards d'euros d'investissements industriels, avec, à la clé, la création de 10 000 emplois directs et le soutien de plus de 50 000 emplois industriels.

Le soutien de l'État a représenté 240 millions d'euros au titre des projets retenus en 2020, et nous allons le reconduire. Les régions ont investi 24 millions d'euros ; nous les avons sollicitées pour qu'elles continuent à accompagner ces projets selon un équilibre qui les mobilise davantage. Il est vrai que le plan de relance a démarré très vite en septembre, mais nous dialoguons avec elles afin d'en prolonger le dispositif dans une approche collégiale. Des décisions devraient être prises au cours des prochaines semaines.

Un projet sur deux est un projet de relocalisation ou de localisation de production additionnelle en France. De manière intéressante, ces projets émanent des entreprises : ce n'est pas nous qui sommes à la manœuvre pour les susciter.

Le troisième pilier est la modernisation de nos chaînes de production. À cet égard, le Gouvernement a créé une subvention en faveur des investissements d'équipement de pointe, que les très petites entreprises (TPE), les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) peuvent solliciter en mobilisant le guichet industrie du futur, qui a connu un très grand succès : comme je l'ai indiqué, 7 400 dossiers ont été déposés, soit quinze fois plus que ce que nous attendions à la fin de l'année 2020 ; le phénomène démontre les besoins des entreprises.

Le guichet industrie du futur et l'ensemble des dossiers déposés auprès de Bpifrance représentent plus de 2 milliards d'euros d'investissement productif. Plus de 95 % des dossiers émanent de PME, ce qui montre que la volonté d'investissement du tissu industriel, particulièrement des petites entreprises, est très forte malgré le contexte de crise sanitaire.

Parallèlement, des moyens très élevés sont consacrés à la modernisation des PME et des ETI des filières industrielles les plus touchées, notamment l'automobile et l'aéronautique. Dotés de 900 millions d'euros dans le cadre du plan de relance, les fonds de soutien aux investissements de modernisation des filières automobiles et aéronautique ont été massivement sollicités. Cinq cent vingt projets sont d'ores et déjà sélectionnés, à peu près à part égale entre les deux filières, ce qui représente 450 millions d'euros d'aide publique pour un montant total d'investissement de plus d'1 milliard.

Enfin, le quatrième pilier correspond à l'innovation, à la recherche et au développement. Tel est l'enjeu du plan d'investissement d'avenir quatrième génération dans le cadre duquel nous comptons déployer 20 milliards d'euros, dont 11 milliards d'ici à 2022. Par la rapidité des investissements et la visibilité accordée au financement des projets des entreprises, ce plan opère une rupture par rapport aux précédents. Cela ne signifie pas que l'on dépensera l'ensemble des crédits tout de suite, mais notre objectif est que, d'ici à la fin de l'année, les entreprises puissent compter sur un budget sécurisé pour lancer leur projet de recherche et développement.

Nous avons déjà ouvert des appels à manifestation d'intérêt sur la 5G, sur le cloud, sur les biothérapies innovantes en matière de santé, la santé digitale, l'hydrogène, la micro‑électronique, l'intelligence artificielle ou encore sur la cybersécurité, dont la stratégie a été présentée récemment par le Président de la République et Cédric O.

J'ai pour objectif de déployer la partie production du plan de relance d'ici à la fin du premier semestre 2021 et sa partie innovation d'ici à la fin du second semestre afin d'assurer aux entreprises une grande visibilité à la fin de l'année 2021, de sorte qu'elles profitent au mieux de ce moment de rebond pour investir.

Avant d'échanger avec vous, je voudrais saluer l'ensemble des filières industrielles et leurs salariés qui n'ont cessé de s'adapter et de poursuivre leur activité dans un contexte sanitaire dégradé. Il est rassurant de noter que l'activité industrielle se situe à plus de 90 % de ses capacités. Ce phénomène est propre au monde industriel, où il est plus facile d'instaurer des protocoles de sécurité sanitaire que dans d'autres secteurs d'activité. Ces entreprises ne renoncent pas à se projeter vers l'avenir et à relever les défis de demain. Grâce à cet élan, le plan France relance est un véritable succès. Je tiens aussi à saluer les services de l'État, qui accomplissent un travail remarquable. Comme vous l'avez compris, ils ont fait face à des sollicitations beaucoup plus nombreuses et intenses que prévu alors que leurs effectifs, eux, n'ont pas été multipliés par dix…

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