Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mercredi 3 mars 2021 à 15h00
Commission des affaires économiques

Agnès Pannier-Runacher, ministre :

Monsieur Kasbarian, vous avez posé une question très importante. Encore une fois, et quand bien même cela paraîtrait paradoxal, la meilleure façon de réduire notre empreinte de CO2 passe par la relocalisation en France – certes pas celle de productions réalisées en Suède, mais bien celle de produits fabriqués à l'autre bout du monde.

Il faut savoir que l'effet d'une relocalisation en France est double : d'une part, on réduit l'empreinte de CO2 liée au transport de marchandises ; d'autre part, la France peut se prévaloir d'un mix énergétique presque intégralement décarboné. De ce fait, l'empreinte énergétique de nos productions est très inférieure à celle de 90 % des pays producteurs. C'est dire la nécessité de faciliter l'implantation ou l'extension de sites industriels en France. C'est ce que nous avons fait avec la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) et que nous devons continuer de faire, y compris dans le cadre du projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat, pour la simple et bonne raison que cela répond à la demande des citoyens.

En France, l'industrie est responsable de 4 % de l'artificialisation des terres, la logistique y participe pour 1 %. Il est donc essentiel de ne pas confondre l'enjeu de l'artificialisation et celui de l'industrialisation, surtout si nous pouvons travailler à des mécanismes permettant la réutilisation des friches, car il est difficile de réemployer celles-ci pour des activités industrielles auxquelles elles sont pourtant a priori adaptées.

Par ailleurs, parce que nous définissons des réglementations qui ne se révèlent pas toujours pertinentes, nous créons un décalage d'attractivité entre la France et le reste de l'Union européenne, au risque que nos sites de production soient délocalisés dans d'autres pays plus émetteurs de carbone et moins respectueux de l'environnement. Il ne faudrait pas que des décisions trop rapides conduisent à associer délocalisation et augmentation des émissions de CO2.

Que faisons-nous pour décarboner nos activités ? En la matière, l'industrie est en première ligne puisque nos process industriels représentent quelque 20 % des émissions de carbone en France. Les seize projets de décarbonation que nous soutenons touchent les sites les plus émetteurs de carbone. Les process en question concernent le ciment, l'acier, l'aluminium, la transformation agroalimentaire, notamment celle du sucre. Les techniques de décarbonation sont connues et nous allons aider ces sites à les mettre en œuvre.

Nous accompagnerons des innovations et des projets de R & D concernant les moteurs à hydrogène, l'agriculture et tout projet de réduction des émissions de carbone et, plus largement, de l'empreinte environnementale. L'industrie phytosanitaire bénéficie d'accompagnements spécifiques afin d'obtenir des effets positifs sur notre bilan écologique. Je pense également aux mesures prévues pour accompagner l'économie circulaire et la réincorporation de plastiques recyclés dans la production. Ces projets figurent dans le plan France relance.

Monsieur Pauget, vous avez raison, il faut s'appuyer sur des écosystèmes. Grenoble serait une zone intéressante pour créer un écosystème autour de la santé digitale, un domaine dans lequel nous souhaitons investir, ce qui suppose des compétences médicales, pharmaceutiques, d'intelligence artificielle et de mathématique numérique. Plusieurs projets sont actuellement en cours de déploiement. Vous avez entendu les annonces du Président de la République au Val-de-Grâce, où sera créé un grand centre digital. Par ailleurs, Sanofi a annoncé une plateforme dédiée à l'oncologie et aux grands centres de lutte contre le cancer et utilisant pleinement le levier de la santé digitale. À Grenoble, il pourrait s'agir d'un écosystème plus petit.

Je suis également en accord total avec vous sur la question de l'épargne ; je ferai le lien avec la question de M. Huppé sur le capitalisme. Un capitalisme plus patient, plus résilient, fondé sur un partage plus équilibré de la valeur suppose d'être actionnaire, donc propriétaire. Diriger l'épargne des Français vers des entreprises industrielles et françaises serait une façon d'instiller ces valeurs dans la gestion des entreprises, ce que font très bien les Allemands.

Bruno Le Maire fera demain des annonces sur les prêts participatifs et sur le renforcement des fonds propres. Nous allons notamment nous appuyer sur des fonds de capital développement et sur des fonds installés en France pour mieux irriguer notre économie. Par des labels France relance, nous avons pour ambition de faciliter l'accès à ces fonds pour des entreprises qui devront remplir un cahier des charges.

Monsieur Corceiro, merci de votre retour d'expérience de terrain, notamment sur les entreprises de votre circonscription.

J'en viens à l'état d'avancement de notre industrie en matière de production de vaccins – en lien avec la question de M. Ruffin. Aujourd'hui, quatre entreprises sont impliquées dans la production de vaccins : Recipharm, Delpharm, Fareva et Sanofi. Recipharm produira le vaccin de Moderna, Delpharm celui de BioNTech, Fareva celui de CureVac et Sanofi produira en France le vaccin Johnson & Johnson.

La production de vaccins de BioNTech est réalisée à Francfort, en Allemagne, à proximité du site de production de drug substance. Les calendriers correspondent à un déploiement accéléré. Je rappelle que l'on ne produit pas des vaccins comme on réalise une recette de cuisine ! Tous les équipements, toutes les chaînes, tous les premiers lots diagnostics font l'objet de validations des autorités sanitaires. J'ajoute que le temps normal de mise au point de l'industrialisation d'un vaccin varie de vingt à trente mois ; ici, c'est depuis juin dernier que nous accompagnons Recipharm, Delpharm et Fareva dans la création de leurs lignes de production de vaccins. Ces décisions n'ont pas été prises la semaine dernière : depuis un an, le travail est constant pour permettre la production de vaccins.

Monsieur Ruffin, le calendrier de Sanofi dépend de la livraison en quantité suffisante de la drug substance par BioNTech et par Johnson & Johnson. Or, malgré tous les efforts déployés, la livraison est prévue en juin pour BioNTech et en juillet pour Johnson & Johnson. Dans la mesure où un délai d'un mois est nécessaire pour valider les lots cliniques, les premières doses commerciales seraient mises sur le marché au plus tôt au mois d'août.

Sanofi réalise un exploit unique : il est le seul qui produira trois vaccins différents pour remédier à la crise de la covid. À ce jour, Merck est en train de valider un accord, un seul. Pfizer a passé un accord avec BioNTech. GSK n'a pas encore pris position, mais nous savons qu'il est en discussion avec des laboratoires. Ces trois producteurs ne viendront pas accroître les capacités vaccinales avant juin-juillet car, en Europe et en France, la production d'un vaccin doit répondre à des critères de sécurité et d'efficacité et différentes étapes doivent être suivies : on n'injecte pas dans le bras du patient un produit qui n'a pas été préalablement sécurisé et validé.

Nous pouvons nous attendre à d'autres accords entre laboratoires. Je n'ai pas vu de situations où la licence était un point bloquant de la fabrication de vaccins. À l'heure actuelle, les goulots d'étranglement concernent la fourniture de cuves, de bouchons, de flacons, de capsules et la disponibilité des experts capables de déployer des chaînes de production. Johnson & Johnson ne peut faire davantage actuellement, faute des ressources humaines nécessaires – je me suis entretenue avec son responsable R & D lundi dernier.

Des sites montent en capacité dans toutes les régions du monde. Nous sommes en relation avec l'Inde, la Chine, le Brésil, les États-Unis et tous les pays d'Europe. Il n'existe aucun précédent de fabrication de vaccins aussi rapide dans l'histoire.

Madame Battistel, vous auriez pu aussi citer une autre entreprise implantée en Savoie et que vous connaissez également bien. Je partage en tout cas votre avis selon lequel la meilleure façon de défendre l'industrie est de faire en sorte que les industries existantes restent compétitives et continuent à se développer en France avant d'en implanter de nouvelles.

Photowatt a pour actionnaire EDF. J'ai rencontré hier Jean-Bernard Lévy, à qui j'ai redit toute l'importance que revêt cette entreprise à nos yeux. Je lui ai indiqué que je comptais sur lui pour mener à bien les discussions et espérais que les contacts en cours permettraient la pérennisation de l'entreprise. Il m'a confirmé qu'il œuvrait en ce sens, animé de la volonté de trouver une issue positive.

Je partage votre réflexion sur le soutien aux filières, en particulier à la filière photovoltaïque. Les mesures anti-dumping prises au niveau européen ont mis un coup d'arrêt très net à la production photovoltaïque en Europe. C'est une situation que je trouve malheureuse à titre personnel. Nous travaillons à des appels à projet dans le cadre desquels la qualité carbone des panneaux photovoltaïque serait prise en compte, ce qui présenterait le double intérêt d'améliorer le contenu carbone de ces panneaux et d'écarter des panneaux chinois dont le contenu carbone est très élevé. Ces travaux sont en cours d'achèvement. Nous appliquerions un bonus-malus aux projets photovoltaïques, plutôt que directement aux filières, l'enjeu étant de parvenir à la compatibilité avec les règles de l'Union européenne et, de manière générale, avec celles de nos traités internationaux.

Vous avez raison de souligner la situation à l'importation. Elle explique que la France ait insisté, avec succès, auprès de la Commission européenne pour que l'on réfléchisse à un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui aurait vocation à se déployer dans un premier temps sur des marchés comme celui de l'acier, du ciment et de l'aluminium, et, nous l'espérons, à se diffuser ensuite plus largement.

Monsieur Huppé, dans le cadre de la loi PACTE, nous avons pris différentes mesures pour orienter l'épargne vers les entreprises qui travaillent à la transition écologique et énergétique, assument une responsabilité sociétale renforcée et communiquent en transparence sur le sujet.

S'agissant de l'entreprise Danone, la position de l'État est claire : nous serons intransigeants tant sur la question de l'empreinte industrielle en France, qu'il s'agisse des sites ou des savoir-faire, que sur celle des salariés. En revanche, il ne nous appartient pas de choisir les dirigeants : cette question est d'une autre nature et l'on ne comprendrait pas que l'État fasse ce choix. L'enjeu tient davantage à la stratégie de Danone qu'à la personne qui sera finalement retenue pour la mettre en œuvre.

Madame Pinel, s'agissant de la stratégie vaccinale et de son aspect logistique, vous demandez s'il est prévu que les pharmaciens prennent leur part à la stratégie vaccinale. Votre question s'adresse davantage au ministre de la santé et des solidarités ; je n'entrerai donc pas dans le détail, mais je crois savoir qu'il est prévu de mobiliser les pharmaciens. Des concertations sont en cours de finalisation, notamment sur l'administration du vaccin AstraZeneca – et, par la suite, du vaccin de Johnson & Johnson –, dont les conditions de transport et de conservation sont assez simples, contrairement aux vaccins à ARN messager qui nécessitent le respect rigoureux de la chaîne du froid.

Votre interrogation sur la territorialisation du plan de relance me permet également de faire le point sur la question relative aux TPE et PME. Nous disposons de trois types de dispositifs. Le premier repose sur le guichet industrie du futur et sur le guichet décarbonation. Dès lors que les entreprises répondront aux critères, elles auront droit au soutien. Je veux vous rassurer : manifestement, les TPE et les PME n'ont pas de difficulté à y accéder puisque nous avons reçu, je le répète, quinze fois plus de dossiers que prévu, émanant en majorité de TPE et de PME.

Le deuxième type de dispositif prend la forme d'appels à projet à caractère national. Ces projets, plus structurants, s'adressent plutôt aux PME, même si plus de 70 % des dossiers sont déposés par des TPE, ceux des entreprises de taille intermédiaire formant le complément ; les grands groupes sont rares.

Nous avons beaucoup travaillé avec le réseau des chambres de commerce et d'industrie, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et France Industrie. Un minimum de pièces sont exigibles à la constitution des dossiers. Nous réclamons toutefois celles qui attestent que les entreprises n'enfreignent pas les lois contre le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent. Ce sont les mêmes que celles réclamées par les banquiers lorsqu'une entreprise ouvre un compte en banque. Les modalités ne sont pas plus compliquées, mais certaines entreprises peuvent parfois les trouver pesantes.

Enfin, pour absorber l'afflux massif de dossiers, nous mettons en place des équipes temporaires, car nous sommes conscients de la nécessité de fournir des réponses dans un délai rapide. À ce jour, 500 décisions de refus ont été communiquées. Nous avons décidé que le délai de refus ne devait pas excéder trois mois. Dans le cadre des appels à projet, les décisions obéissent à une logique de sélection liée à la qualité alors que les systèmes de guichet retiennent tous les dossiers. L'idée consiste à en retenir 30 à 40 %, les experts considérant que cette fourchette signe la bonne conduite des politiques publiques.

Le troisième dispositif est territoires d'industrie, dans le cadre duquel une décision conjointe est prise par le préfet de région et le président de région.

Les mobilités de demain, la batterie électrique et l'approvisionnement sont au centre du travail que nous avons mené avec Bruno Le Maire ; celui-ci a obtenu de la Commission européenne d'instaurer un IPCEI – Important project of common European interest – portant sur la batterie électrique, le fameux Airbus des batteries électriques. Dans ce cadre, une usine est prévue à Douvrin et la première pierre d'une usine prototype a été posée l'année dernière en Nouvelle-Aquitaine, l'enjeu étant la création d'une gigafactory destinée à servir Stellantis, fusion de PSA et de Fiat, et éventuellement Renault. D'autres projets d'usines de batteries électriques sont actuellement envisagés, car nous pensons que le marché va connaître une accélération. Les sujets à traiter portent sur la chaîne de traction électrique dans son ensemble : aux batteries s'ajoutent des éléments d'électronique de puissance et différents autres éléments à développer en France. Ces projets sont accompagnés par le fonds d'innovation pour l'automobile et le plan batteries électriques.

Concernant le recyclage, vous avez raison de souligner que nous ne sommes pas au même niveau de maturité. Des projets se dessinent à proximité de l'usine de Douvrin, d'autres émergent çà et là de manière un peu éparse. Les experts, notamment Veolia, estiment que le volume nécessaire au lancement d'une activité de dimension industrielle ne sera pas atteint avant 2025. Évidemment, nous suivons la question attentivement. Toutes les entreprises de ces filières et de ces secteurs peuvent elles aussi bénéficier de l'ensemble des dispositifs du plan de relance pour s'équiper en machines de production, financer des projets de R & D, accompagner la production de batteries électriques, de moteurs, d'éléments de la chaîne de traction.

Monsieur Ruffin, il existe une différence entre la notion de vaccin, bien public mondial, et la licence d'office. La notion de bien public mondial revient à rendre accessible le vaccin à tous les pays, ce que nous faisons au travers du mécanisme COVAX. C'est ainsi qu'ont été effectuées en Afrique des livraisons dont l'enjeu est la couverture la plus large possible des pays en développement. Nous le faisons aussi en étudiant la possibilité d'utiliser les entreprises françaises qui produisent à l'étranger, y compris dans les pays en développement. Nos projets en ce domaine ne sont pas encore totalement aboutis.

S'agissant du nombre de doses produites en France, je rappelle que les chaînes de production sont mondiales : aucun vaccin n'est intégralement produit dans un seul pays. Nous avons privilégié le niveau européen et, si nous n'avions pas agi ainsi au mois de mai, il n'y aurait pas de production de vaccins européens aujourd'hui, parce que nos sites ne sont pas les plus importants au plan mondial et qu'aucun site français ne produit de vaccin à ARN messager. Pour qu'un site puisse produire, encore faut-il le construire. Nous avons donc choisi de privilégier les plus gros sites européens qui développent progressivement leur production, en plusieurs étapes : la production du principe actif ; l'encapsulation dans un lipide pour les vaccins à ARN messager ; enfin, la formulation et l'enflaconnage.

La France est l'un des rares pays à mettre en flacon autant de vaccins, avec des volumes supérieurs à cent millions de doses sur l'année pour chacun de ces vaccins – Pfizer, Moderna, CureVac et Sanofi. En revanche, nous ne produisons pas de drug substance, parce que les capacités de nos sites sont insuffisantes, à l'exception, éventuellement, de celui de Sanofi. Nous travaillons à développer ces capacités.

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