Le sujet qui nous occupe m'est cher, comme à tous les scientifiques, singulièrement les mathématiciens : l'observation spatiale est associée à la mathématique depuis ses tout débuts, comme l'exploration spatiale l'est à l'informatique. Jacques-Louis Lions, que vous avez cité, fut président du CNES, mais aussi l'un des fondateurs de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), qui a permis un développement phénoménal de la recherche informatique en France.
J'ai suivi votre parcours, je vous ai vu à l'œuvre lors de certaines opérations très délicates voulues par le Gouvernement et je me suis ainsi fait une haute opinion de votre profil et de vos capacités. Je me réjouis donc à la perspective de votre nomination à ce poste, où vous serez un digne successeur de Jean-Yves Le Gall, que je salue.
Le contexte est difficile. Il y a seulement sept ans, l'exploration spatiale européenne était à la une dans le monde entier : la mission Planck faisait rêver, la mission Rosetta, sur l'astéroïde Tchouri, faisait notre fierté ; l'Agence spatiale européenne était en tête de la course. Tout a changé : ce sont les Américains qui donnent le « la », qu'il s'agisse de leurs lanceurs réutilisables, des grandes constellations de satellites que sont Starlink, OneWeb et Kuiper, de l'écosystème du New Space, des standards, pour lesquels ils n'attendent pas toujours la coordination internationale, ou du récit même de l'exploration spatiale, associée par les médias aux noms d'Elon Musk et de Jeff Bezos.
L'Europe, pourtant sur tous les fronts – en témoignent les grands projets LISA, Athena, JUICE, Copernicus, Prometheus, Vega ou ARTES –, a bien du mal à conserver sa compétitivité et à se faire entendre.
La France a historiquement été un leader de la construction européenne, mais l'est moins clairement aujourd'hui alors que l'Allemagne s'engage davantage qu'elle. Le CNES ne doit qu'au plan de relance le maintien de son budget et risque donc de se trouver en difficulté au moment même où il faudrait au contraire redoubler d'efforts pour préserver notre souveraineté en matière de lanceurs, de satellites et de logiciels.
Dans ce contexte, comment envisagez-vous d'aiguillonner la stratégie européenne pour que nous soyons assurés de revenir dans la course à un rang dont l'Europe puisse être fière, en matière économique comme s'agissant des applications, pour le bien de la science, de l'Europe et de ses citoyens ?
Au niveau français, comment comptez-vous miser sur nos grands atouts traditionnels – notre recherche en mathématique, en algorithmique, notre excellent écosystème, dont l'institut interdisciplinaire en intelligence artificielle (3iA) de Toulouse est un exemple ? Nous sommes très doués pour l'aspect théorique et les grands projets de recherche, beaucoup moins quand il s'agit d'articuler recherche et applications, alors que le domaine spatial possède des retombées considérables en matière économique et d'innovation. Comment la France peut-elle s'améliorer dans ce domaine qui n'a pas toujours été son point fort ?