Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 7 avril 2021 à 11h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission des affaires économiques a auditionné, en application de l'article 13 de la Constitution, M. Philippe Baptiste que le Président de la République envisage de nommer dans les fonctions de président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (CNES) (M. Jean-Luc Lagleize, rapporteur).

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Mes chers collègues, par un courrier en date du 31 mars 2021, le Premier ministre a informé le président de l'Assemblée nationale que le Président de la République envisageait de nommer M. Philippe Baptiste, à qui je souhaite la bienvenue, à la présidence du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (CNES), le présent titulaire de cette fonction étant M. Jean-Yves Le Gall, dont je salue l'action.

Celles et ceux qui ont pris part à la visite du salon du Bourget organisée par notre commission le 19 juin 2019 se souviennent probablement des innovations impressionnantes présentées par le Centre, qu'il s'agisse des lanceurs de nouvelle génération, des applications satellitaires relatives à l'observation de la Terre, aux télécommunications ou à la défense.

On ne peut évidemment que déplorer l'annulation du salon du Bourget cette année, mais ce n'est, je l'espère, que partie remise, compte tenu de son importance pour la France, pour le secteur et pour notre commission.

Je rappelle les règles principales régissant les auditions organisées dans le cadre de l'article 13 de la Constitution : elles sont publiques et le scrutin secret, aucune délégation de vote n'étant possible, doit avoir lieu hors la présence de la personne auditionnée. Il sera effectué par appel public et des bulletins de vote seront distribués.

L'intervention de ce vote impose une réunion en présence, qui doit se tenir, compte tenu de la crise sanitaire, dans le respect d'une véritable distanciation physique et du port du masque.

Conformément à l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 et à l'article 29-1 de notre règlement, le dépouillement du scrutin doit avoir lieu simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat.

En l'espèce, monsieur Baptiste, le Sénat vous a déjà auditionné ce matin même à neuf heures : nous pourrons donc passer au vote et à son dépouillement dès la fin de votre audition, en informant concomitamment le Sénat que nous procédons à ces opérations.

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La création du CNES en 1961 répondait à la volonté de doter la France d'un outil d'excellence au service de l'autonomie stratégique de la Nation, « dans un siècle de fusées et d'avions », pour reprendre les mots du général De Gaulle en 1960.

En ce début de XXIe siècle, l'empreinte européenne de la politique spatiale s'est renforcée, et de nouvelles technologies, notamment celles liées au numérique, irriguent le secteur. Pour autant, les enjeux de souveraineté et d'innovation sont les mêmes qu'il y a soixante ans : c'est la raison pour laquelle le choix de celui qui incarne la politique spatiale française fait partie des décisions essentielles pour notre pays.

À cette fin, nous recevons donc aujourd'hui M. Philippe Baptiste, dont la nomination à la tête de l'établissement, en remplacement de M. Jean-Yves Le Gall, en poste depuis 2013 et que toute notre commission remercie, est envisagée par le Président de la République.

Monsieur Baptiste, votre parcours professionnel témoigne d'une solide expérience dans les domaines de l'informatique et du numérique, qu'il s'agisse de vos débuts au centre de recherche d'IBM, de vos activités de recherche au laboratoire d'informatique de l'École Polytechnique (LIX), commun avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ou de vos fonctions actuelles au Boston Consulting Group, où vous dirigez un département spécialisé dans l'intelligence artificielle. Je le dis sans ambages : votre profil, atypique au regard des acteurs traditionnels de la filière spatiale, me paraît être un atout pour porter l'esprit de conquête et de renouvellement dont le CNES a toujours fait preuve.

Les défis sont immenses, comme vous l'avez souligné dans les réponses, complètes et directes, que vous avez bien voulu apporter au questionnaire que je vous ai transmis en fin de semaine dernière.

Le premier de ces défis sera de maintenir au profit de l'Europe une capacité autonome et compétitive d'accès à l'espace, ce qui suppose l'achèvement du projet de lanceur Ariane 6.

Sur ce point, nous n'avons pu que déplorer les dégâts immenses provoqués par la crise sanitaire, qui a durement affecté le chantier du pas de tir en Guyane. Le retard pris intervient alors que l'économie de l'espace est en pleine recomposition, avec l'affirmation de nouveaux acteurs privés, tels que SpaceX, et la montée en puissance de segments de marché à haute valeur ajoutée, avec les constellations de satellites en orbite basse ou encore les applications spatiales.

Le deuxième de ces défis consistera, précisément, à mettre le CNES au service de cette nouvelle économie de l'espace, le new space, comme on le dit en anglais. À cet égard, je note avec satisfaction que le soutien à l'innovation et le renforcement des partenariats avec les start-up du numérique feront partie des priorités de votre action au nom de l'établissement.

Le troisième défi est, cette fois, d'ordre militaire : l'espace est devenu un terrain où l'on se bat au sens premier du terme, même si un tel combat n'est pas toujours visible du grand public.

Dès lors, l'installation au Centre spatial de Toulouse (CST) du commandement de l'espace (CDE) va indéniablement dans le bon sens. Les infrastructures techniques du CST doivent désormais être en mesure de répondre aux impératifs opérationnels d'une chaîne de commandement militaire, ce qui implique une plus grande synergie entre les équipes du CNES et celles du ministère des armées. Là encore, votre contribution écrite montre que vous êtes parfaitement conscient de l'importance du sujet.

Dans votre esprit, la marche à suivre pour accompagner le CNES dans la voie d'une transition réussie est clairement définie. Encore faut-il que l'établissement ait les moyens de ses ambitions et c'est sur ce sujet que je souhaiterais obtenir de votre part des précisions complémentaires à vos réponses écrites.

Tout d'abord, vous le savez, la dimension européenne de la politique spatiale a pris une telle ampleur que la réussite de tout projet suppose l'appui de l'ensemble de nos partenaires, en particulier de l'Allemagne et de l'Italie. À l'heure de l'intensification de la compétition économique dans le secteur spatial, quel rôle le CNES peut-il jouer dans le maintien de l'unité stratégique européenne ?

Par ailleurs, il importe que le CNES bénéficie de la part de l'État d'un soutien financier à la hauteur des objectifs poursuivis. Si, comme vous l'avez indiqué dans votre contribution, ce soutien paraît acquis pour l'achèvement du programme de lanceurs, pensez-vous que le budget du CNES lui permettra de mettre en œuvre les autres priorités que vous affichez ?

Mes chers collègues, la décennie qui vient de s'ouvrir est une période de bouleversements, pleine de menaces mais aussi riche en opportunités pour le CNES, et j'espère que celui-ci sera en mesure d'en tirer profit au service des intérêts de notre pays.

Quoi qu'il en soit, je vous remercie, une fois encore, monsieur Baptiste, pour la clarté et la qualité de vos réponses écrites, qui ont été transmises très rapidement en dépit des délais contraints.

En tant que rapporteur, mais aussi en tant que député de Toulouse et coprésident du groupe d'études « Secteur aéronautique et spatial » de l'Assemblée nationale, j'ai le plaisir d'exprimer un avis favorable à votre nomination en qualité de président du CNES.

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Philippe Baptiste

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir et de me donner l'occasion de présenter mon parcours et, surtout, mon projet pour le CNES.

Le spatial est devenu un enjeu absolument essentiel tant pour les télécommunications que pour nos industries, l'observation de la Terre, le climat, la science, la défense et la sécurité intérieure. Les géants du numérique ne s'y sont pas trompés : ils y investissent massivement, tout comme les États et de nouveaux entrants. Dans ce monde qui change à toute vitesse, les acteurs français et européens doivent relever des défis considérables mais aussi saisir de nouvelles opportunités.

Je tiens tout d'abord à saluer le travail mené M. Jean-Yves Le Gall au cours de ses mandats à la tête du CNES : avec ses prédécesseurs, il a construit l'un des fleurons scientifiques et technologiques de notre pays et soutenu efficacement nos champions industriels, notamment, dans l'industrie des télécoms, Airbus et Thales qui, avec tous leurs équipementiers, font aujourd'hui partie des grands champions internationaux, avec près de 60 % du marché mondial. Cette réussite témoigne, entre autres, de la pertinence d'un certain nombre de choix fait depuis des années par l'État, le CNES et l'industrie sur des programmes de recherche et développement conjoints.

Jean-Yves Le Gall a également su faire rayonner la technologie et la science françaises et européennes dans le monde entier. Je tiens aussi à citer son prédécesseur, Yannick d'Escatha, grand serviteur de l'État et grand industriel, qui a profondément rénové le CNES.

Quelques mots sur mon parcours professionnel : ingénieur et chercheur, j'ai consacré toute ma carrière à la science, à la technologie et à leurs applications. La science nous permet de comprendre le monde, qui change chaque jour la vie des hommes et qui est l'un des moteurs d'un progrès auquel je crois résolument. Après un master en Grande-Bretagne et un diplôme d'études approfondies en France, j'ai choisi de faire de la recherche en optimisation combinatoire et en mathématiques discrètes, des domaines aux frontières de l'informatique, des mathématiques et de l'intelligence artificielle.

Si vous validez ma nomination à la tête du CNES, je n'en serai pas le premier président informaticien-mathématicien : j'inscrirai humblement mes pas dans ceux de Jacques-Louis Lions et d'Alain Bensoussan, tous deux grands présidents et mathématiciens appliqués, qui ont beaucoup œuvré dans le domaine de l'automatique.

Ingénieur dans un groupe de bâtiment et de travaux publics, j'ai commencé mon doctorat en travaillant sur des projets de recherche et développement très appliqués qui m'ont amené à m'intéresser à des sujets plus fondamentaux d'algorithmique, étudiés depuis assez longtemps par la communauté scientifique. Le cheminement emprunté avec un certain succès pour résoudre ces problèmes m'a permis de réfléchir sur cette démarche, et ce premier aller-retour réussi entre application et théorie a profondément structuré ma carrière de chercheur, mais aussi d'industriel.

J'ai ensuite rejoint le CNRS, puis j'ai été professeur chargé de cours à Polytechnique pendant une dizaine d'années. J'ai conduit une activité académique en essayant de la mener au meilleur niveau tout en m'attelant également à des problèmes industriels : j'ai ainsi eu l'occasion, comme ingénieur et comme chercheur, de travailler pour ILOG, pour Bouygues, pour IBM aux États-Unis et de mener un certain nombre de contrats de recherche avec Thales, Eurocontrol, TDF et Microsoft. J'ai ainsi été en contact avec des secteurs industriels variés – l'édition logicielle, les semi-conducteurs, l'aéronautique, le contrôle aérien –, ce qui m'a valu de travailler, il y a quelque temps de cela, à l'ordonnancement des prises de vues par satellites. J'ai également participé à la création d'un certain nombre de start-up dans le domaine de l'énergie.

Je me suis progressivement investi dans des activités de management de la recherche, en dirigeant mon laboratoire à Polytechnique, puis l'un des dix instituts du CNRS, et enfin comme directeur général délégué de ce grand organisme, qui est par ailleurs le premier partenaire du CNES et qui finance les personnels et les laboratoires académiques travaillant sur des sujets spatiaux.

J'ai également été directeur scientifique de Total et, après avoir réorganisé l'ensemble de la recherche et développement, je suis devenu le premier Chief Technical Officer (CTO) du groupe. Cette nouvelle organisation a permis de lancer des projets ambitieux, notamment autour du stockage du carbone.

J'ai enfin été, ces dernières années, directeur de cabinet de Frédérique Vidal, puis le conseiller « Éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation » d'Édouard Philippe, fonctions qui m'ont amené à suivre directement notre politique spatiale.

Je bénéficie donc d'une expérience dans les champs industriel, scientifique et technologique et crois avoir également acquis une certaine familiarité avec le fonctionnement de l'État ainsi qu'avec le pilotage des grandes institutions publiques.

S'agissant des axes stratégiques du CNES, je pars d'un constat : le secteur spatial connaît à la fois de grands bouleversements et une accélération inédite, à l'origine de laquelle se trouvent trois facteurs, dont le premier est la miniaturisation croissante des satellites, une réduction des temps de conception, d'industrialisation et de déploiement. Le deuxième consiste en une réduction des coûts de fabrication et de lancement, et même de maintenance des lanceurs, grâce en particulier au succès du réutilisable. Le troisième tient dans l'agilité accrue de nouveaux acteurs appliquant des méthodes ayant déjà fait leurs preuves, non seulement dans le monde du numérique, mais également dans un certain nombre de secteurs applicatifs comme celui de l'automobile.

Ces trois facteurs lèvent progressivement les barrières à l'entrée des marchés spatiaux, barrières qui semblaient totalement infranchissables il y a encore une dizaine d'années. Les nouveaux entrants amènent non seulement, et de façon massive, des capitaux nouveaux, mais également des nouveaux modèles de recherche et développement et de commercialisation.

Ces bouleversements profonds sont autant de défis qui doivent être relevés par la France ainsi que par ses partenaires. Si notre organisation doit évidemment s'adapter très vite, elle n'en reste pas moins une puissance spatiale de premier plan : le CNES a développé un savoir-faire reconnu internationalement, les satellitiers français comptent parmi les champions mondiaux, le CST y étant d'ailleurs pour beaucoup, Ariane 5 est un lanceur fiable et robuste, et Ariane 6 saura capitaliser sur ses succès, le Centre spatial guyanais (CSG) représentant également un atout exceptionnel. Enfin, les équipes scientifiques et les instruments français sont régulièrement sélectionnés pour participer aux grandes missions internationales. Nous disposons donc de grandes forces.

Je voudrais dans ce contexte aborder cinq enjeux stratégiques pour les années qui viennent, le premier étant celui des données du spatial. La diminution de leur coût de production change radicalement la chaîne de valeur que nous connaissons et les puissances qui, demain, seront capables de produire, de collecter, de traiter et de stocker dans le cloud afin de fournir de nouveaux services aux États, aux entreprises et aux citoyens vont posséder un avantage concurrentiel absolument considérable.

Amazon et Microsoft ont déjà lancé leur premier service de ground station, Alibaba testant ce même concept avec des entreprises chinoises et internationales. Le CNES, qui a su prendre le virage du calcul intensif au cours de la décennie précédente, doit préparer dès maintenant cette nouvelle révolution numérique. Il doit aider à faire émerger une solution française et européenne compétitive, en mobilisant non seulement des start-up, mais également des acteurs privés et institutionnels du numérique et du spatial. Il existe donc un enjeu essentiel de convergence entre données et spatial.

Le deuxième enjeu a trait à l'innovation et aux relations avec les industriels : avec la baisse des barrières à l'entrée des applications spatiales, la manière de la penser doit nécessairement évoluer.

Les grands programmes de recherche et développement qui associent public et privé restent bien évidemment des enjeux fondamentaux. Loin de moi l'idée de les abandonner ! Mais à côté d'eux, des ruptures technologico-commerciales proviennent aujourd'hui de start-up qui, par leur capacité à prendre des risques très importants, travaillent parfois sur des sujets que l'on n'aurait pas explorés naturellement. Elles sont devenues des acteurs absolument essentiels de l'innovation, et pas seulement dans le champ spatial. Le CNES doit favoriser l'éclosion de tels écosystèmes en répondant rapidement – et pas forcément favorablement – aux sollicitations nombreuses des start-up du domaine, en soutenant des projets, en leur apportant technologies et expertises, en mobilisant des fonds partenaires capables de les financer durablement et fortement et en les viabilisant, par exemple, au travers de contrats publics.

S'agissant des relations avec les grands industriels, qui revêtent une grande importance, des relations de confiance existent entre le CNES et les petits comme les grands industriels du secteur. Nous devons les renforcer continuellement et adapter nos méthodes de travail à leur maturité technologique, qui est extrêmement variable d'un champ à un autre.

Le troisième enjeu porte sur les lanceurs. Ariane 6, futur lanceur lourd européen, développé sous la responsabilité d'ArianeGroup, devrait accomplir son premier vol à la mi-2022. Il nous garantira un accès autonome et pérenne à l'espace. Il devra faire face à une concurrence féroce, notamment de la part de SpaceX, le Falcon ayant déjà effectué plus de cent vols et démontré l'intérêt économique du réutilisable. La politique commerciale très agressive d'Elon Musk ne repose pas uniquement sur ce pari technologique réussi, cette insolente réussite. N'oublions pas en effet que la NASA a conçu les premières versions des moteurs Merlin, aujourd'hui utilisés par SpaceX, et que notre concurrent bénéficie d'un nombre incalculable de lancements institutionnels, ce qui lui permet de fixer ses tarifs commerciaux au niveau des coûts marginaux de lancement.

Ariane 6 doit devenir le lanceur naturel du marché institutionnel européen dans la gamme des missions lourdes et moyennes, tout comme Vega C pour les petites missions. Il pourra ainsi trouver toute sa place sur le marché commercial.

C'est l'intérêt du secteur public que d'augmenter les cadences de lancement, afin de répartir la charge des coûts fixes mais également de garantir la fiabilité du lanceur. Nous serons aux côtés des industriels pour atteindre cet objectif. Pour assurer le succès d'Ariane 6, je sais également pouvoir compter sur le CSG, sur les Guyanaises et sur les Guyanais qui en ont fait un port spatial exceptionnel.

S'il est bien naturel qu'une partie importante des crédits ait été consacrée au développement d'Ariane 6, il est essentiel de préparer dès aujourd'hui la génération suivante de lanceurs, dont la première brique sera le moteur réutilisable à bas coût Prometheus. Le 12 janvier 2021, le Président de la République a annoncé une accélération du programme : le CNES fera donc de son développement une priorité.

Quatrième enjeu, la défense et la sécurité intérieure. Devant faire face à une militarisation croissante de l'espace, la France doit être en mesure de conserver sa liberté d'accès et d'action dans l'espace en assurant une protection et une résilience des moyens spatiaux critiques. Il faudra décourager et mettre en échec tout acte terroriste. Les armées doivent donc pouvoir opérer directement un certain nombre d'objets spatiaux. Le nouveau commandement de l'espace, qui s'inscrit dans cette logique, pourra bien évidemment s'appuyer sur le CNES pour monter très rapidement en compétences. L'arrivée de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) au CST, après celle de ce commandement, traduit d'ailleurs l'attractivité et l'excellence du site de Toulouse.

Les nouvelles applications de défense sont nombreuses et font l'objet de programmes de recherche et développement technologiques. Le CNES a naturellement vocation à appuyer la Délégation générale de l'armement (DGA) sur l'ensemble de ces questions.

Enfin, en 2019, la ministre des armées a défini, à la demande du Président de la République, une stratégie spatiale de défense : sa mise en œuvre sera l'une des priorités du CNES.

Le cinquième enjeu, cher à mon cœur, a trait au renforcement du rayonnement scientifique du CNES. Les programmes scientifiques spatiaux, qui permettent d'observer la Terre, de recueillir et d'analyser des données, d'alimenter des modèles pour comprendre des problèmes physiques complexes, nourrissent directement les travaux que nous menons sur le climat, la biodiversité, les risques naturels ainsi que sur les ressources agricoles et hydriques. Soyons clairs : sans données spatiales, tous les modèles familiers permettant de comprendre notre monde, c'est-à-dire le climat et la météorologie, n'existeraient plus ou redeviendraient rudimentaires. L'observation joue en effet un rôle essentiel.

Si les techniques spatiales s'avèrent incontournables pour suivre et comprendre la question climatique et les changements globaux de notre planète, elles nous permettent également d'aborder des questions fondamentales, comme la formation du système solaire et de l'univers, l'apparition de la vie et les lois fondamentales de la physique.

Le CNES et ses partenaires bénéficient d'une réelle reconnaissance internationale et remportent régulièrement des appels à contribution pour la conception d'instruments destinés aux missions spatiales. Je ne citerai que le sismomètre d'InSight, en lien avec la Sodern, la caméra Chemcam de Curiosity, ou enfin SuperCam pour Perseverance.

La programmation scientifique du CNES est déterminante tant pour le rayonnement de très nombreuses disciplines que pour l'avenir de notre planète. Elle s'appuie sur des séminaires de prospective scientifique ainsi que sur un comité de programmes, les scientifiques préparant l'avenir sur des temps très longs et priorisant les programmes. Ce mode de fonctionnement, très respectueux des temps et des priorités de la science, a fait la preuve de son efficacité : il doit être préservé.

Au-delà de ces cinq enjeux, la stratégie française doit se concevoir dans un cadre général incluant nos partenaires allemands, italiens, mais aussi l'Agence spatiale européenne (ESA) et l'Union européenne. La relation avec nos grands voisins ne doit pas se limiter aux lanceurs : elle doit également se tourner vers les enjeux de demain : les données, les télécoms, le cloud spatial et l'observation.

Une constellation européenne doit émerger rapidement : il s'agit d'un enjeu stratégique majeur pour nos pays. Elle fournira de l'internet haut débit partout dans le monde et contribuera à notre autonomie stratégique. Elle sera aussi l'occasion de lancer un modèle intégré, des satellites aux lanceurs et jusqu'aux usages.

J'en termine par ma foi dans la science et dans les progrès qui facilitent la vie des hommes et des femmes de notre planète. L'espace y contribue grandement, d'abord à travers les innombrables applications qui changent notre quotidien, mais aussi et surtout à travers la surveillance de la bonne santé de notre planète.

L'espace apporte également sa part de rêve à notre humanité, et notamment à sa jeunesse qui vit une période difficile avec le confinement. Le CNES mène depuis près de soixante ans une politique de l'éducation et de la diffusion de la culture scientifique exemplaire, que chacun des présidents du CNES a eu à cœur de renforcer : si vous voulez bien confirmer ma nomination, je la poursuivrai.

Le 22 avril prochain, notre charismatique astronaute Thomas Pesquet s'envolera pour la station spatiale internationale : ce sera un grand moment pour notre pays qui doit reprendre confiance dans son avenir.

N'oublions pas deux autres événements majeurs de 2021 : l'envoi du télescope James-Webb par Ariane 5 et la célébration, au mois de décembre, des soixante ans du CNES. Cela nous fournira une occasion de rendre hommage aux visionnaires, aux scientifiques, aux ingénieurs, aux techniciens et à tous ceux qui ont fait de la France une grande puissance spatiale, mais aussi de préparer les soixante prochaines années, avec leurs ruptures technologiques et l'envie de nos concitoyens d'aller plus loin dans la connaissance de notre planète et de l'univers.

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À titre personnel, je vous remercie du rôle important que vous avez joué dans le lancement de Parcoursup, qui, de mon point de vue, représente l'une des réformes emblématiques de notre quinquennat et a modernisé l'université française.

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Je salue tout d'abord vos propos concernant Jean-Yves Le Gall, que je tiens à remercier de ses deux mandats à la tête du CNES ; j'espère que notre pays saura s'appuyer sur son expertise et sur son engagement, qui sont précieux, et je veux lui témoigner ma reconnaissance, comme celle de l'ensemble des parlementaires, et mon amitié.

La proposition de votre nomination ouvre un nouvel horizon pour le CNES, très orienté vers le numérique ; c'est un choix judicieux de la part du Président de la République. Vous n'êtes pas directement issu du secteur spatial, mais votre parcours parle pour vous à l'heure où le numérique est à la croisée des différentes priorités du CNES que vous avez rappelées : la data, dont vous êtes un spécialiste, est une richesse et un enjeu majeur, s'agissant particulièrement de la stratégie spatiale de défense ou du climat.

Dans le premier de ces deux domaines, le Président de la République a choisi d'implanter le nouveau commandement de l'espace au sein de l'Armée de l'air et de l'espace à Toulouse, où sera également installé le centre d'excellence spatial de l'OTAN. C'est une vraie marque de reconnaissance pour notre territoire. Quelle sera votre stratégie en la matière – même si le CNES y agit en tant que partenaire d'acteurs militaires ?

Quant au lien entre climat et data, nous avons dans nos régions des savoir-faire et d'excellentes entreprises de toutes tailles. On observe à Toulouse une véritable synergie en la matière, notamment grâce au partenariat entre le CNES et Météo France. Dans ce domaine également, quelle sera votre stratégie ?

Au nom de La République en Marche, je me réjouis de donner un avis favorable à votre nomination à la présidence du conseil d'administration du CNES.

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Après l'arrivée à échéance du mandat du président du conseil d'administration du CNES, il y a quatorze mois, le Président de la République a proposé votre nomination, sur laquelle il appartient aux parlementaires de s'exprimer, conformément à la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution. Ce faisant, nous ne votons pas seulement pour un curriculum vitae, mais aussi pour une vision d'ensemble, une stratégie, une feuille de route fidèle à l'esprit dans lequel le général de Gaulle a créé le CNES en 1961.

Quelle est donc votre vision de la stratégie spatiale de la France au sein de celle de l'OTAN, de sorte que celle-ci préserve la souveraineté des États membres ?

Comment comptez-vous mettre l'action du CNES au service de la lutte contre le dérèglement climatique ?

Comment pensez-vous établir des liens étroits avec les territoires où le CNES n'est pas implanté ? Par exemple dans les Hauts-de-France, fort de compétences aéronautiques et spatiales affirmées, avec Stelia Aerospace à Méaulte, berceau de Potez, ou Dassault, implanté à Seclin depuis plus de quarante ans.

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On connaît l'importance des applications civiles de l'espace, présentes dans le quotidien des Français, dont elles facilitent la vie et qu'elles font encore rêver.

À l'échelle internationale, le CNES est impliqué avec vingt-sept autres organisations spatiales dans le consortium Observatoire spatial du climat, qui permet l'observation du changement climatique et la mesure des politiques publiques destinées à le combattre.

À l'échelle européenne, rappelons que la constellation de satellites Galileo s'invite dans notre vie quotidienne par l'intermédiaire des applications de géolocalisation et de navigation.

À l'échelle nationale, enfin, le satellite THD-Sat ouvre des perspectives tout à fait intéressantes pour l'accès à internet à très haut débit, notamment dans les zones blanches, et, dans les domaines de l'environnement, de la mobilité, de la santé et de l'agriculture, l'écosystème Connect by CNES est destiné à regrouper grands groupes et acteurs publics et à les mettre en réseau.

Comment voyez-vous, à l'avenir, la place de ces applications civiles au sein du CNES, où elles sont en rivalité avec les missions de défense, qui réclament d'importants moyens pour conserver à la France le rang de grande puissance spatiale dans un contexte conflictuel et concurrentiel ?

Quel modèle de coopération européenne envisagez-vous en matière d'applications civiles, dans un but d'efficience et de souveraineté ?

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Vous avez beaucoup de chance, monsieur Baptiste – je me permets de le dire puisque votre désignation est sans suspense ; nous-mêmes, nous soutiendrons votre candidature.

Conscient de mon ignorance du domaine spatial, je suis taraudé à son sujet par deux questions d'ordre politique.

Premièrement, même si le génie français de la conquête spatiale suscite notre fierté, l'aventure spatiale devrait être presque exclusivement européenne. Il existe certes d'importants cofinancements et partenariats au niveau de l'Europe, mais c'est bien parce que nous n'avons pas de défense européenne que nous ne pouvons pas entièrement loger l'aérospatial dans le giron européen. La dimension européenne de l'aérospatial dans les débats géopolitiques est-elle condamnée à dépendre ainsi de l'évolution de la défense européenne ?

Deuxièmement, les recherches de pointe, particulièrement en matière de données, alimentent la part de rêve et la dimension spirituelle vitales pour toute civilisation, mais apportent aussi des informations pratiques permettant des avancées concrètes. Pouvez-vous donc nous raconter une belle histoire à propos de la santé, de la nourriture, du lien entre conquête de l'espace et capacité de l'humanité à survivre sur Terre ? L'éthique européenne n'étant pas celle des Chinois ou des Anglo-Saxons, ce progrès scientifique peut-il être marqué du sceau européen ?

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Omniprésent par ses applications quotidiennes, le spatial est un domaine passionnant et crucial pour notre pays à bien des égards. Enjeu de souveraineté militaire et économique, ce fleuron français est indispensable pour améliorer nos connaissances sur l'univers et sur le climat, pour nous défendre, nous géolocaliser ou communiquer.

Face à l'apparition de nouveaux acteurs, y compris privés, par quelle stratégie entendez-vous maintenir la France dans une course à l'innovation de plus en plus concurrentielle ?

Vous ambitionnez de faire d'Ariane 6 le nouveau lanceur naturel du marché institutionnel européen : pouvez-vous nous en dire plus ?

Je salue votre engagement à préserver le rôle moteur du centre spatial de Toulouse, dont la présence est source d'attractivité pour nos territoires. Vous évoquez la possibilité de proposer à des organismes nationaux et internationaux, à des start-up, à des entreprises de s'installer au CNES ou à proximité ; avez-vous déjà ciblé des secteurs qui mériteraient d'être davantage associés à la recherche spatiale ?

Compte tenu de votre parcours, à la croisée des mondes universitaire, entrepreneurial et institutionnel, entendez-vous favoriser les passerelles entre ces différents secteurs d'activité ? Comment remédier aux difficultés qu'éprouvent souvent nos chercheurs à rejoindre les acteurs professionnels de l'espace ?

La filière aéronautique traverse une crise sans précédent qui menace de nombreux emplois, notamment en Occitanie. Beaucoup de sous-traitants espèrent survivre en diversifiant leurs débouchés, notamment en s'orientant vers le spatial. Envisagez-vous de travailler étroitement avec ce tissu de PME et d'entreprises de taille intermédiaire afin de mettre leurs compétences à profit dans l'innovation spatiale ? Des initiatives ont-elles déjà été prises en ce sens ?

Enfin, la prolifération des déchets spatiaux est-elle suffisamment prise en considération par le CNES et par les différents acteurs du secteur ? Quelles pistes d'amélioration estimez-vous opportunes pour sécuriser l'espace en réduisant cette pollution ?

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Le sujet qui nous occupe m'est cher, comme à tous les scientifiques, singulièrement les mathématiciens : l'observation spatiale est associée à la mathématique depuis ses tout débuts, comme l'exploration spatiale l'est à l'informatique. Jacques-Louis Lions, que vous avez cité, fut président du CNES, mais aussi l'un des fondateurs de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), qui a permis un développement phénoménal de la recherche informatique en France.

J'ai suivi votre parcours, je vous ai vu à l'œuvre lors de certaines opérations très délicates voulues par le Gouvernement et je me suis ainsi fait une haute opinion de votre profil et de vos capacités. Je me réjouis donc à la perspective de votre nomination à ce poste, où vous serez un digne successeur de Jean-Yves Le Gall, que je salue.

Le contexte est difficile. Il y a seulement sept ans, l'exploration spatiale européenne était à la une dans le monde entier : la mission Planck faisait rêver, la mission Rosetta, sur l'astéroïde Tchouri, faisait notre fierté ; l'Agence spatiale européenne était en tête de la course. Tout a changé : ce sont les Américains qui donnent le « la », qu'il s'agisse de leurs lanceurs réutilisables, des grandes constellations de satellites que sont Starlink, OneWeb et Kuiper, de l'écosystème du New Space, des standards, pour lesquels ils n'attendent pas toujours la coordination internationale, ou du récit même de l'exploration spatiale, associée par les médias aux noms d'Elon Musk et de Jeff Bezos.

L'Europe, pourtant sur tous les fronts – en témoignent les grands projets LISA, Athena, JUICE, Copernicus, Prometheus, Vega ou ARTES –, a bien du mal à conserver sa compétitivité et à se faire entendre.

La France a historiquement été un leader de la construction européenne, mais l'est moins clairement aujourd'hui alors que l'Allemagne s'engage davantage qu'elle. Le CNES ne doit qu'au plan de relance le maintien de son budget et risque donc de se trouver en difficulté au moment même où il faudrait au contraire redoubler d'efforts pour préserver notre souveraineté en matière de lanceurs, de satellites et de logiciels.

Dans ce contexte, comment envisagez-vous d'aiguillonner la stratégie européenne pour que nous soyons assurés de revenir dans la course à un rang dont l'Europe puisse être fière, en matière économique comme s'agissant des applications, pour le bien de la science, de l'Europe et de ses citoyens ?

Au niveau français, comment comptez-vous miser sur nos grands atouts traditionnels – notre recherche en mathématique, en algorithmique, notre excellent écosystème, dont l'institut interdisciplinaire en intelligence artificielle (3iA) de Toulouse est un exemple ? Nous sommes très doués pour l'aspect théorique et les grands projets de recherche, beaucoup moins quand il s'agit d'articuler recherche et applications, alors que le domaine spatial possède des retombées considérables en matière économique et d'innovation. Comment la France peut-elle s'améliorer dans ce domaine qui n'a pas toujours été son point fort ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite interroger le candidat à la présidence du conseil d'administration du CNES au sujet de sa vision des liens entre le CNES et l'éducation de nos jeunes, savoir ce qu'il a pensé de l'expérience qui a associé des classes de l'académie de Toulouse à une expérience originale d'étude du comportement du Physarum polycephalum envoyé pour six mois à bord de la Station spatiale internationale, et quelle contribution il pense pouvoir apporter à ce type de projet et à son enrichissement.

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Philippe Baptiste

Je vous remercie pour le nombre et la qualité de vos questions.

Plusieurs d'entre elles concernaient l'articulation entre la France et l'Europe. Il faut savoir qu'il y a presque un ordre de grandeur entre l'Europe et les États-Unis si l'on compare leur budget spatial consolidé par habitant : pour un euro investi en Europe, les États-Unis en mettent dix. Le budget spatial consolidé de la Chine semble lui aussi dépasser celui de l'Europe : une course budgétaire est lancée. Le différentiel entre l'Europe et les États-Unis n'est pas nouveau, il a toujours existé. De la même manière, l'Europe et les États-Unis n'ont pas toujours fait les mêmes choix en matière de politique spatiale. Le vol habité, par exemple, a suscité d'importants investissements aux États-Unis, alors qu'il n'a jamais été une priorité des politiques spatiales européennes.

Compte tenu de l'importance des budgets et des questions technologiques en jeu, il est évident que nous ne pouvons plus nous contenter de travailler à l'échelon national : il est absolument indispensable de construire des synergies au sein de l'Union européenne. Il existe une articulation entre le monde de la défense et les autres champs de la recherche spatiale, puisque nombre de programmes sont duaux. Mais, même en matière de défense, nous travaillons rarement seuls : le plus souvent, nous le faisons en partenariat, pas forcément avec tous les pays de l'Union européenne, mais avec des sous-ensembles de pays qui font face aux mêmes questions et aux mêmes défis que nous. C'est une pratique déjà très développée.

Quelle est la situation au niveau européen ? Nous avons une agence spatiale, l'ESA, qui coordonne les efforts, qui fait de grands choix et qui a de grands succès. On critique parfois ses délais de décision et le coût de certains de ses projets, mais il n'est pas aisé de mettre un grand nombre de nations autour de la table : cette coordination prend du temps et a un coût, qui sont aussi le gage du succès des différents programmes de l'ESA.

La question à laquelle il faut absolument réfléchir, c'est celle du retour géographique – qui prend en compte le niveau d'investissement de chaque État. Elle complique parfois la réalisation de certains programmes industriels, sur lesquels nous devons être très compétitifs. Nous parlions d'Elon Musk : j'exagère à peine en disant que, pour créer une fusée, il n'a qu'à faire entrer du minerai de fer dans son usine. Nous, lorsque nous voulons produire un lanceur, nous dépendons de fournisseurs répartis sur un espace très large, ce qui n'est pas sans poser des problèmes d'optimisation industrielle. À cet égard, la règle du retour géographique peut être un frein : nous devrons y réfléchir, si nous voulons produire des lanceurs très compétitifs. Autant cette règle fait parfaitement sens sur de grandes missions, relatives par exemple aux télécommunications, autant, sur des projets intégrés extrêmement compétitifs, comme ceux qui concernent les lanceurs, il faut faire évoluer les choses. Nous pourrions par exemple assouplir la règle ou l'appliquer, non pas à l'échelle d'un seul, mais de plusieurs programmes. Pour avancer sur ce sujet, il faut un consensus de l'ensemble des acteurs. C'est une question difficile, mais centrale.

La dernière dimension dont il faut tenir compte, à l'échelle européenne, c'est le rôle joué par la Commission. L'ESA a un rôle technologique de coordination, tandis que la Commission joue le rôle de décideur et d'acheteur et donne l'impulsion sur un certain nombre de grands sujets économiques. Il faut absolument que nous ayons une constellation européenne. Le commissaire Thierry Breton en est convaincu et il a un rôle moteur sur ce sujet, mais tout un travail de conviction est encore à faire. Cette constellation sera l'un des grands projets fédérateurs pour notre industrie spatiale européenne.

La France est-elle un leader au sein de l'Union européenne ? La réponse est évidemment oui, même si nos projets sont très intégrés, soit au sein de l'ESA, soit avec nos partenaires internationaux. Les projets du CNES se font soit au sein de l'ESA, soit dans le cadre d'accords bilatéraux, qui naissent souvent d'une opportunité : parce que tel partenaire maîtrise une technologie qui lui est utile à un moment donné, le CNES travaille avec lui. Seuls quelques projets du CNES sont à 100 % français.

Vous m'avez également interrogé sur l'articulation entre le CNES, la météorologie et les questions liées au dérèglement climatique. Pour comprendre l'évolution du climat, la météorologie de demain, l'évolution des ressources en eau, il faut construire des modèles numériques qui associent des mathématiques et de l'informatique. Ces modèles, il faut les mettre au point, les tester, les calibrer et, surtout, il faut les nourrir avec des données. Or l'un des rôles fondamentaux du spatial, c'est de fournir ces données. Sur les questions climatiques, nos capacités spatiales ne visent pas seulement à mesurer le niveau des eaux ou la production de CO2 ; elles doivent surtout nous permettre de comprendre les évolutions en cours et de nous projeter dans le futur. Il existe une bonne – voire une excellente – coordination entre les scientifiques qui travaillent sur ces modèles et ceux qui, au CNES, imaginent les instruments d'observation de demain, qui permettront d'obtenir de bonnes données.

Le New Space va aussi bénéficier aux communautés scientifiques. Autrefois, il fallait de très gros satellites pour faire certains types de mesures. Désormais, avec la miniaturisation et l'apparition de lanceurs à bas coût, certains laboratoires sont presque capables, sans même consulter le CNES – je ne sais si c'est une bonne chose – de conclure des accords avec des industriels et d'envoyer un satellite à tel endroit pour obtenir des données.

S'agissant de la science, on a mentionné la mission Planck : elle m'a fait vibrer, moi aussi. Je suis résolument optimiste : sur les grandes questions, sur la science, l'observation, je crois que nous sommes encore dans une position très favorable. Les grands enjeux du moment, ce sont effectivement la question des lanceurs, autour desquels il y a une vraie compétition, et l'enjeu narratif. Elon Musk, quoi qu'on en pense, nous a à nouveau fait rêver de l'espace, alors qu'on en parlait moins dans les médias il y a quelques années : on ne peut que s'en féliciter. Tout ce que je veux, c'est que l'Europe contribue à ce récit sur le spatial, pas seulement pour le plaisir de raconter une histoire, mais aussi parce que cela pose des questions éthiques tout à fait importantes. Nous pouvons nous féliciter d'avoir un ambassadeur fantastique du spatial en la personne de Thomas Pesquet.

Je suis convaincu de l'intérêt qu'il y a à faire travailler ensemble des chercheurs de l'industrie et du public – avec mon parcours, j'aurais du mal à dire le contraire... J'y crois profondément et je suis convaincu que c'est une façon de créer de la valeur, pour tout le monde. Loin de moi l'idée d'imposer ces partenariats à qui que ce soit, mais les gens qui en ont envie trouveront une oreille attentive au CNES, en particulier à Toulouse. Nous y avons un écosystème fabuleux, puisque le savoir-faire et l'expertise du CNES s'allient à un riche tissu industriel.

Vous m'avez demandé s'il ne faudrait pas diversifier nos implantations. Il existe effectivement bien d'autres lieux, en France ou en Europe, où nous aurions intérêt à avoir des équipes. Le CNES est un organisme très important, mais ses effectifs sont incomparables avec ceux du CNRS, par exemple. Avec 2 500 personnes, il semble donc difficile de se projeter à de très nombreux endroits en même temps. Cela étant, sur des nouvelles technologies qui ne sont pas totalement maîtrisées par les centres de Toulouse, de Guyane ou de Paris, nous pouvons avoir intérêt à créer des partenariats avec certaines équipes, le temps de monter en compétence : soit avec des partenaires académiques – le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, le CNRS, l'université –, soit avec des industriels, et même des start-up. Je suis plutôt favorable à ces formes de diversification, qui n'impliquent pas de créer de nouveaux centres de grande taille.

S'agissant de l'emploi, la situation au sein du spatial est variable, selon les secteurs : elle n'est pas la même dans celui des lanceurs et dans celui des satellites. Ma conviction, c'est que la question de l'emploi est profondément liée à la compétitivité de notre filière, c'est-à-dire à nos compétences technologiques et à notre capacité à innover. Je travaillerai tout particulièrement sur cette question, en écoutant les industriels du secteur, afin de comprendre précisément leurs besoins. Toute la difficulté, c'est de trouver un équilibre entre des objectifs industriels à très court terme – certains d'entre eux seraient ravis d'avoir un peu d'aide à un tarif raisonnable – et des projets à un peu plus long terme, que le CNES a vocation à soutenir.

Je voudrais terminer mon propos en évoquant la question des déchets spatiaux, qui est un enjeu majeur – même si les collisions restent rarissimes. Avec la multiplication des constellations regroupant plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de satellites, ce sujet va prendre de plus en plus d'importance. Cela pose trois questions. Premièrement, il faut introduire une régulation en amont : avant de lancer un objet, il faut s'assurer qu'au moment où il va se désorbiter, il ne produira pas trop de débris – tout cela a été encadré par la loi relative aux opérations spatiales (LOS). Deuxièmement, il faut réfléchir à la manière de désorbiter certains objets de manière plus active – des techniques diverses sont actuellement à l'étude. Enfin, il faut absolument une coordination internationale ; si nous voulons que tout cela dure dans de bonnes conditions, il importe que les grands pays spatiaux s'entendent et fixent des règles communes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quand j'étais petit, l'espace me faisait rêver, et pas seulement parce que j'habitais à Toulouse : si j'avais vécu à Poitiers, il en aurait été de même. Tous les enfants du monde rêvent de l'espace. Je crois d'ailleurs que l'être humain rêve de l'espace depuis son origine, car c'est pour regarder le ciel qu'il s'est mis debout sur ses deux jambes. L'espace nous fait rêver et il nous rend très fiers. Et je suis fier qu'en dépit des contraintes sanitaires, nous soyons très nombreux aujourd'hui pour vous auditionner.

La commission procède au vote.

Après le départ de M. Philippe Baptiste, il est procédé au vote sur la nomination par appel à la tribune et à bulletins secrets. Les résultats du vote sont les suivants :

Nombre de votants

Bulletins blancs ou nuls

Abstention

Suffrages exprimés

Pour

Contre