La présente proposition de loi est le prolongement d'une mission d'information sénatoriale remarquée sur cette question. Adoptée par le Sénat en première lecture le 12 janvier dernier, elle constitue à mes yeux un véhicule utile pour mieux tenir compte des impacts environnementaux du numérique. Elle doit également permettre au débat démocratique à ce sujet de se poursuivre, dans le prolongement des échanges qui ont eu lieu dans le cadre du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
À titre liminaire, je salue le travail effectué au Sénat sur ce texte et formule le vœu que nos échanges soient aussi riches et stimulants. En tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, j'ai entrepris d'expertiser les articles précités, en gardant à l'esprit la grande complexité de ces sujets, la nécessité de disposer d'une méthodologie solide et une volonté intacte d'objectiver les débats, pour défendre une approche efficace et pragmatique de ces enjeux. Je me propose de dresser un rapide état des lieux de ce que nous savons et des points qui restent à trancher s'agissant des impacts environnementaux du numérique, avant de présenter mes observations sur plusieurs articles de la proposition de loi.
Nous serons tous d'accord pour plaider en faveur d'une action résolue pour réduire l'empreinte environnementale du numérique. La question est de savoir comment être le plus efficace possible.
Il me semble que la prise de conscience de l'importance de ce sujet par les citoyens, les entreprises et les pouvoirs publics est réelle, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Au cours des dernières années, nous avons assisté à un foisonnement d'initiatives dans ce domaine – cette phase n'est d'ailleurs pas terminée. L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) se sont largement emparées du sujet, et mènent des travaux pour établir des méthodologies robustes. Le Conseil national du numérique et le Haut conseil pour le climat, de leur côté, ont largement contribué à l'élaboration de la feuille de route « Numérique et environnement » du Gouvernement.
En matière législative, plusieurs initiatives d'ampleur ont été adoptées au cours des derniers mois, notamment la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) et le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. L'Europe est active sur ce sujet, dans le cadre du Green New Deal, de l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques ( Body of European Regulators for Electronic Communications, BEREC) et des initiatives de la Commission européenne. Que plusieurs des articles de la présente proposition de loi visent à transposer des directives européennes en fait la démonstration. Il nous incombe à présent de trouver les meilleurs équilibres et articulations entre les modifications à effectuer et les initiatives en cours, dont certaines sont prévues dans le cadre d'ordonnances ayant fait l'objet d'une habilitation par le Parlement. Il faut assurer une visibilité et une sécurité juridique maximales aux dispositions adoptées.
Ma deuxième observation porte sur le diagnostic, qui me semble également partagé, pour ces éléments fondamentaux, par tous les acteurs concernés. Il existe un consensus pour dire que l'accroissement des usages du numérique présente le risque de faire augmenter les émissions de gaz à effet de serre aux échelles française, européenne et mondiale. Pour rendre les choses concrètes, en France, les internautes passent en moyenne plus de cinq heures par jour à naviguer sur internet, dont près de deux sur mobile. Les données de l'étude commandée par la mission d'information du Sénat indiquent que, si la tendance actuelle se maintient et en l'absence d'action proactive, les émissions de gaz à effet de serre augmenteront de plus de 60 % d'ici à 2040. Cette évolution porterait la part du secteur numérique dans nos émissions nationales de 2 % à 6,7 %, en dépit des gains d'efficience obtenus.
Deux chiffres illustrent la situation. De 2010 à 2018, la quantité de calculs opérés par les data centers a augmenté de 550 %, et la consommation d'énergie de 6 %, soit un ratio proche de 1 à 100. Sur la période 2013-2017, les émissions des opérateurs de communications électroniques sont restées globalement stables, alors que la croissance de la consommation de données mobiles en 4G était de l'ordre de 30 % par an. À l'échelle mondiale, le numérique, qui représente actuellement de 5 % à 7 % de la consommation d'électricité, compte pour 2 % des émissions de gaz à effet de serre. La Commission européenne considère que cette proportion pourrait atteindre 14 % en 2040, en l'absence d'action spécifique visant à freiner cette dynamique.
Par-delà ce premier constat en grande tendance, la distribution des causes de l'empreinte environnementale du numérique fait aussi consensus, même si les chiffres varient en fonction des études et des périmètres retenus. Les terminaux en sont les principaux responsables, notamment dans leur phase de production. D'après les chiffres de la mission d'information du Sénat, ils représentent 81 % de nos émissions nationales, et sont suivis par les centres de données (14 %) et les réseaux (5 %). Au sein de la part des terminaux, les téléviseurs représentent près du quart des émissions totales, contre 13 % pour les smartphones – cette précision importe, car il est assez courant de réduire les terminaux à ces derniers.
Ce double diagnostic partagé, sur la tendance à l'accroissement des émissions de gaz à effet de serre et sur leur distribution, ne doit pas faire oublier que plusieurs débats restent à trancher, s'agissant notamment de l'évaluation de l'effet rebond, qui se produit au moment où l'accroissement des usages dépasse les gains d'efficience énergétique, et de la quantification des externalités positives du numérique. Ces deux questions sont indispensables à une approche objectivée du sujet.
Soyons clairs : le numérique, comme les autres secteurs d'activité, doit faire des efforts de sobriété. Toutefois, il n'est pas acceptable qu'il soit systématiquement pointé du doigt, alors même qu'il présente de nombreuses externalités positives, qui restent à évaluer. Il doit contribuer à sa juste mesure. Il faut tenir compte des gains environnementaux qu'il offre, qui ne sont pas suffisamment mis en avant faute d'études. Tel sera l'objet de l'observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique, prévu à l'article 3 de la proposition de loi, auquel je suis très favorable.
J'en viens au contenu de la proposition de loi, qui est construite sur une approche globale de l'impact environnemental du numérique – ce qu'il convient de saluer – et comporte cinq chapitres, respectivement consacrés à la sensibilisation des utilisateurs, à la limitation du renouvellement des terminaux, à la promotion d'usages du numérique écologiquement vertueux, à la promotion de centres de données et de réseaux plus écologiques et à la mobilisation des collectivités locales dans le cadre de cet effort.
L'article 6 prévoit de renforcer l'effectivité du délit d'obsolescence programmée, en simplifiant sa définition au sein du code de la consommation. Sa rédaction est issue des débats menés au Sénat, avec l'appui de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Elle fait consensus auprès des acteurs administratifs et économiques consultés. J'y suis donc favorable en l'état.
Il en est de même de l'article 7, qui intègre l'obsolescence logicielle au sein du délit d'obsolescence programmée. Je regrette néanmoins, comme nos collègues sénateurs, que le Gouvernement n'ait toujours pas remis le rapport prévu à l'article 27 de la loi AGEC.
Les articles 8 à 10 portent sur les mises à jour logicielles. L'article 8 prévoit de dissocier les mises à jour nécessaires au maintien de la conformité du bien de celles qui ne le sont pas, « de façon à permettre au consommateur, s'il le souhaite, de n'installer que les mises à jour nécessaires à la conformité du bien ». L'article 9 étend de deux à cinq ans la durée pendant laquelle le consommateur est en droit de recevoir les mises à jour nécessaires au maintien de la conformité de son bien numérique. L'article 10 prévoit un droit à la réversibilité s'agissant des mises à jour non nécessaires à la conformité du bien, dans un délai qui ne peut être inférieur à deux ans.
En tant que rapporteur pour avis de la proposition de loi et député attentif aux questions de sécurité – avec Mme Christine Hennion et d'autres –, je signale un point de vigilance ferme pour la suite de nos débats. La sécurité de nos terminaux ne doit pas être compromise par la recherche d'une limitation de leur obsolescence logicielle. En outre, les auditions que j'ai menées ont démontré que la dissociation entre les mises à jour, selon qu'elles sont nécessaires ou non au maintien de la conformité du bien, peut s'avérer complexe, même si cette distinction est plus pertinente que celle envisagée dans la rédaction initiale de l'article 8 par le Sénat. Par ailleurs, le droit européen, notamment la directive UE 2019/770 relative à certains aspects concernant les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques, ménage à l'utilisateur la liberté d'installer ou non certaines mises à jour.
Je défendrai plusieurs amendements à ces articles, en vue d'assurer l'équilibre entre sécurité et environnement. À l'article 8, je proposerai ainsi de supprimer la fin du deuxième alinéa, afin de ne pas envoyer un mauvais message aux utilisateurs. Par les temps qui courent, il faut, autant que faire se peut, installer les mises à jour proposées par les fabricants de logiciels. Par ailleurs, le premier alinéa de l'article L. 217-22 du code de la consommation prévoit d'ores et déjà la possibilité, pour l'utilisateur, de refuser d'installer des mises à jour proposées. À l'article 10, je proposerai un amendement de suppression, en raison des risques trop importants induits par le délai de deux ans proposé à l'utilisateur pour revenir sur des mises à jour effectuées, fussent-elles considérées comme non nécessaires au maintien de la conformité du bien. Je ne proposerai aucune modification de l'article 9, car je suis favorable à son principe.
L'article 11 étend la garantie légale de conformité à cinq ans pour les biens comportant des éléments numériques. L'article 11 bis vise à compléter le décret prévu à l'article L. 122‑21‑1 du code de la consommation par une phrase ainsi rédigée : « Pour les biens comportant des éléments numériques, ce décret prévoit notamment des règles en matière de qualité et de traçabilité du produit, incluant un affichage des pays de provenance et de reconditionnement ». Je proposerai la suppression de ces deux articles par amendement : je considère en effet qu'il n'est pas pertinent de créer deux régimes de garantie distincts, selon que le bien comporte ou non des éléments numériques, afin d'assurer la lisibilité pour le consommateur.
L'article 14 bis porte sur le renouvellement des terminaux dans le cadre d'offres dites « subventionnées ». Un important travail de réflexion à ce sujet reste à mener. Pour l'heure, il me semble souhaitable de laisser les choses en l'état, en attendant de trouver un point d'équilibre.
S'agissant de l'article 15, j'en proposerai la suppression par amendement, compte tenu des difficultés juridiques et techniques qu'il soulève, et pour ne pas préempter les travaux en cours.
Je suis favorable à l'article 16 visant à introduire un référentiel général d'écoconception des services numériques, sous réserve du respect du principe de neutralité du net, ainsi qu'à l'article 16 bis relatif à l'information des usagers des services de médias audiovisuels à la demande sur l'impact environnemental de leur usage. Je proposerai néanmoins de décaler par amendement son entrée en vigueur à 2024, pour laisser le temps aux travaux de méthodologie de se dérouler dans la sérénité. Ces informations sont indispensables pour que l'usager puisse matérialiser le coût environnemental du numérique, qui n'est pas aussi immatériel qu'il y paraît. Par exemple, une heure de vidéo Netflix équivaudrait à moins de 100 grammes de CO2 ou 1 kilomètre effectué en voiture. La valeur de ces comparatifs, qui permettent de jauger et d'adapter ses usages et de dépassionner les débats, saute aux yeux.
Les articles 21 à 24 bis portent sur les data centers et sur les réseaux de communications électroniques. Je suis favorable à l'article 21, qui vise à renforcer l'écoconditionnalité à l'octroi d'un tarif réduit sur la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), en tenant compte des questions essentielles de la « chaleur fatale » et de la consommation d'eau. Je rappelle que l'entreprise Google a été critiquée en raison de la voracité de ses data centers, qui, en 2019, ont consommé, dans trois États américains seulement, 8,8 milliards de litres d'eau. S'agissant de l'article 21 bis, je considère qu'un travail reste à effectuer et souhaite nous laisser une chance d'aboutir à des dispositions satisfaisantes.
Je suis favorable à l'article 23, qui impose des engagements environnementaux contraignants aux opérateurs de réseaux, ainsi qu'à l'article 24 relatif à la compétence environnementale de l'ARCEP et à l'article 24 bis relatif aux enjeux de la spéculation foncière, qui sont importants. Sur ce dernier article, je présenterai deux amendements, visant respectivement à améliorer sa rédaction, en faisant évoluer de concert le code des postes et des communications électroniques et le code de l'urbanisme, et à améliorer l'information du maire.
Je proposerai la suppression de l'article 23 bis, qui est redondant avec l'article 5 ter du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Enfin, j'aimerais évoquer l'article 14 bis B, qui n'est pas dans le champ de notre saisine, mais qui sera largement débattu. Tel qu'il est rédigé, il prévoit de ne pas assujettir les terminaux reconditionnés à la rémunération pour copie privée (RCP). Compte tenu de la nature des usages numériques contemporains, qui fonctionnent sur des flux et non des stocks, il me semble indispensable de préserver l'équilibre trouvé au Sénat pour soutenir la filière des produits numériques reconditionnés. Il s'agit aussi – je présenterai d'ailleurs un amendement en ce sens, prévoyant la remise d'un rapport au Parlement, devant la commission saisie au fond – de nous interroger sur le sens de l'extension continue du domaine de la RCP et sur un certain défaut de transparence de ce système, dont je dis clairement qu'il n'est pas acceptable.