Un cadre de l'industrie sucrière, qui se définissait lui-même comme lobbyiste, m'a dressé ce tableau : « Dans les années 2000, on fait entrer le sucre, et donc la canne à sucre et la betterave, dans la mondialisation, avec la disparition des taxes douanières. Au même moment, l'Union européenne sort étude après étude pour montrer que la libéralisation, c'est la solution. On fait sauter les quotas ; ça amène à l'effondrement des prix et à une surproduction. Maintenant, c'est le Brésil qui fixe les prix au niveau mondial : quand le Brésil se met à faire du bioéthanol, ça fait monter les prix, parce qu'il y en a moins pour partir en sucre ailleurs ; quand il refuse le bioéthanol, ça fait baisser les prix. »
Cette histoire qu'on raconte sur le sucre, on pourrait entendre à peu près la même sur le lait, sur la viande, sur les céréales. Or, face à cette fixation des prix dans un grand marché mondial, on nous propose ici des sparadraps.
La loi EGALIM n'a pas servi à grand-chose. À l'époque, je me moquais déjà un peu de vous : je disais que vous nous construisiez une usine à gaz législative à base de contrats et d'accords-cadres qui, dans la détermination du prix, devraient désormais prendre en compte « un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à l'évolution de ces coûts, un ou plusieurs indicateurs relatifs aux prix des produits agricoles et alimentaires », à charge ensuite pour un médiateur de modifier ou supprimer des accords-cadres qu'il estimerait abusifs ou déséquilibrés, un juge pouvant être saisi pour arbitrage au cas où la mission de médiation n'aboutirait pas dans un délai d'un mois, etc.
De cette usine à gaz, à l'évidence, ne pouvait pas sortir une stabilité des prix agricoles, encore moins une augmentation de ces prix. Rien ne garantissait que la grande distribution ne continuerait pas à se gaver et c'est ce qui s'est produit : un an après EGALIM, le prix du fromage fondu en magasin avait augmenté de 4,5 %, celui du camembert, de 5 %, celui de l'emmental, de 5 % également, tandis que les prix du lait au producteur avaient baissé de 1 %.
Notre collègue Dominique Potier l'a dit : voici « EGALIM 2 » – ou plutôt EGALIM 1 « et demi ». Pour moi, c'est un bricolage de bricolages. Peut-être le texte prévoit-il des améliorations, mais ce n'est pas du tout à la hauteur de l'enjeu. Dans EGALIM 1, il y avait à mon avis un seul article à la hauteur de l'enjeu, offrant un point fort pour la revalorisation des prix agricoles : c'était l'article 44, qui garantissait que les produits importés devaient répondre aux mêmes normes économiques et, surtout, écologiques que les produits fabriqués sur le sol français. Nous avons demandé un rapport pour savoir ce qu'on en avait fait, mais notre amendement a été refusé.
J'entends dire : « Les acteurs économiques n'ont pas voulu… ». Mais pourquoi donc l'industrie et la grande distribution voudraient-elles autre chose que des prix agricoles bas si c'est là leur intérêt, lequel se chiffre en millions ou en milliards ? Il y a aucune raison qu'elles le veuillent !
Je suis donc heureux d'entendre – enfin ! – le mot « contrainte » dans la bouche de La République en marche ; c'est la première fois que je l'entends. Il est évident que l'on n'avancera pas sans contraintes imposées aux acteurs économiques. Et, pour moi, ces contraintes portent le nom de « régulation », de « prix minimum », de « quotas d'importation », de « quotas de production », de « coefficients multiplicateurs ». Ce n'est pas l'Union soviétique : c'est ce qui a existé pendant des décennies avec la politique agricole commune. Et cela n'a pas transformé la France en pays communiste !