Intervention de Jean-Bernard Sempastous

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Bernard Sempastous, rapporteur pour avis :

Le secteur agricole français a souffert cette année de difficultés tant conjoncturelles – répercussions de la crise sanitaire, violence des aléas climatiques – que structurelles. Notre agriculture doit désormais s'engager sur le chemin des transitions pour garantir à tous l'accès à une alimentation saine, durable et de qualité, et reconquérir sa souveraineté alimentaire. Ces défis ne seront pas relevés sans les hommes et les femmes qui contribuent quotidiennement à nourrir les Français. C'est pourquoi nous devons veiller à assurer des revenus décents à nos agriculteurs et à actionner les leviers nécessaires pour le renouvellement des générations.

Le projet de budget pour 2022 me paraît globalement offrir des moyens financiers à la hauteur des enjeux actuels. Les crédits de la mission sont consolidés par rapport à l'année dernière, atteignant 3,03 milliards d'euros en autorisation d'engagement (AE) – en augmentation de 0,18 % – et 3,01 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) – en baisse d'environ 1 %.

Aux crédits de la mission, il faut ajouter : les crédits du plan de relance à destination de l'agriculture, soit 1,3 milliard d'euros sur deux ans ; les programmes 142 et 143, qui financent l'enseignement et la recherche agricole, et représentent à eux deux environ 1,9 milliard d'euros ; 126 millions prévus au titre du compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural (CASDAR) ; les financements du programme d'investissements d'avenir (PIA) 4 ; des dispositifs fiscaux et sociaux pour 7,5 milliards d'euros et enfin, des financements européens à hauteur de 10 milliards d'euros. L'effort global est donc considérable.

Les crédits du programme 149, Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture, connaissent une légère baisse. Cette relative stabilité masque néanmoins d'importantes évolutions au niveau des actions.

Les crédits de l'action n° 21, Adaptation des filières à l'évolution des marchés, qui s'élèvent à plus de 222 millions d'euros, augmentent d'environ 5 millions.

Les crédits de l'action n° 22, destinés à soutenir les producteurs en difficulté, connaissent une très nette hausse de 73 % par rapport à l'an dernier en raison de l'augmentation de l'enveloppe allouée à l'aide au redressement des exploitations en difficulté (AGRIDIFF).

Avec 96,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 110 millions en crédits de paiement, l'action n° 23, Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles, est en baisse de 12,8 % en AE et de 17,3 % en CP.

L'État apporte un soutien accru à la politique forestière avec des crédits en forte hausse, de l'ordre de 12 %, pour l'action n° 26, Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois. L'accent mis sur la politique forestière se retrouve dans la mission Plan de relance. Parallèlement, des efforts budgétaires importants sont demandés à l'Office national des forêts (ONF) dans le cadre du schéma d'emploi de l'établissement.

Le programme 206, Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation, dispose d'un budget de 614,3 millions d'euros en AE, soit une hausse de 2,4 %, traduisant l'application de dispositions européennes renforçant les politiques de contrôle.

Les crédits du programme 215, Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture, s'élèvent quant à eux à 641,6 millions d'euros en AE et 630,9 millions en CP. Ils sont en légère hausse.

Enfin, comme l'année dernière, le CASDAR est plafonné à 126 millions d'euros. Des crédits supplémentaires pourraient être débloqués dans la loi de finances rectificative de fin d'année et une mission de l'inspection générale des finances (IGF) est en cours. Je profite de l'occasion pour souligner mon attachement au CASDAR et son utilité pour le monde agricole.

Après ce panorama budgétaire, je souhaite vous présenter la partie thématique de mon avis, qui porte sur le travail à façon. J'ai réalisé une dizaine d'auditions et un déplacement sur le terrain, dans l'objectif de dresser un état des lieux de ce phénomène et de dégager des pistes d'action pour les pouvoirs publics.

Le travail à façon consiste à faire appel à un prestataire de services pour réaliser tout ou partie des travaux agricoles. Jusqu'à une période récente, il concernait surtout des petites ou moyennes exploitations, qui y avaient recours pour réaliser des tâches précises. Depuis le milieu des années 1990, le travail délégué se développe fortement et change de nature. Le travail à façon intégral, qui consiste à déléguer la gestion d'une exploitation agricole de A à Z, prend de l'ampleur : environ 60 % des exploitations agricoles françaises ont recours au travail à façon et un peu plus de 7 % de manière intégrale ; pour les grandes cultures, le taux de délégation intégrale atteint plus de 12 %. Cette tendance s'illustre également par la progression du nombre d'entreprises de travaux agricoles, qui sont aujourd'hui près de 14 000.

L'expansion du travail délégué reflète les mutations qui traversent le monde agricole. Le recul du modèle de l'agriculture familiale, les difficultés de main-d'œuvre, les exigences croissantes sur le plan technique et environnemental, la hausse du prix des équipements, le défi du renouvellement des générations et les problématiques de transmission sont autant d'évolutions qui éclairent les dynamiques à l'œuvre.

Si le travail à façon peut être une réponse face aux exigences croissantes de technicité et au déficit de main-d'œuvre, permettre des économies d'échelle pour l'utilisation de matériels, ou encore, apparaître comme une solution pour certains agriculteurs souhaitant se recentrer sur le cœur de leur activité, son développement peut aussi s'expliquer par un certain manque d'attractivité du fermage. Il est utilisé comme une stratégie de transmission, voire de rente, pour certains exploitants. Ces stratégies peuvent en outre être alimentées par les pratiques de certaines coopératives, qui proposent au futur retraité dans certains territoires une prise en charge clé en main.

Ce développement suscite des craintes légitimes. Le travail à façon peut être utilisé comme un outil de contournement des règles du droit rural, comme le statut du fermage ou le contrôle des structures. C'est donc un défi supplémentaire pour la problématique du foncier agricole, avec un risque accru de concentration des terres et de difficultés de renouvellement des générations. Le travail à façon fait naître la crainte d'une agriculture sans agriculteur, en permettant à l'exploitant de conserver son statut et ses droits, tout en abandonnant son métier et en vivant dans un lieu éloigné. C'est une menace forte pour notre modèle agricole et pour la vitalité des territoires ruraux.

Le travail à façon ne doit pas être condamné en tant que tel. C'est un mode d'organisation du travail nécessaire à l'activité agricole et son développement n'est souvent que le symptôme des mutations et des difficultés du monde agricole. Néanmoins, le recours au travail à façon, surtout lorsqu'il est intégral, fait naître des dérives qui nécessitent un encadrement.

Je propose dans mon rapport quatre grandes pistes d'action.

Premièrement, une nécessité s'impose : améliorer la transparence et le suivi du phénomène, tout particulièrement pour le travail délégué intégral. L'ensemble des personnes auditionnées ont souligné le manque de données disponibles. Une évolution souhaitable serait d'instaurer un système de déclaration obligatoire, mais seulement à partir d'un certain seuil de délégation, pour ne pas contraindre à l'excès les agriculteurs.

Deuxièmement, un cadre légal spécifique pourrait être créé, avec l'institution d'un contrat de prestation de services agricoles, qui détaillerait la nature et les modalités des actes de délégation. Cette proposition avait déjà été émise dans le rapport de la mission d'information sur le foncier agricole.

Troisièmement, il faut faire avancer la réflexion sur la définition de l'agriculteur actif, même si la diversification actuelle du métier d'agriculteur rend l'exercice périlleux. C'est un enjeu important dans le contexte actuel des discussions sur la nouvelle politique agricole commune (PAC). Je souhaite également qu'à court terme, le registre des actifs agricoles soit utilisé pour attribuer une carte d'agriculteur aux actifs, afin qu'ils puissent faire reconnaître leur statut, notamment sur les marchés.

Quatrièmement, il faut mener une réflexion sur le statut du fermage tout en protégeant ses fondements légitimes. De nouvelles incitations fiscales, des durées de contrat plus souples et une redéfinition des critères de calcul des loyers pourraient être envisagées avec la profession agricole. Je crois aussi à la force de l'expérimentation locale : une expérimentation d'un nouveau format de bail pourrait être pertinente. Avec l'ensemble des parties prenantes, nous devons approfondir cette question difficile, mais essentielle. Cela pourrait être un beau programme pour la prochaine législature.

Je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales.

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