Intervention de Laurence Borie-Bancel

Réunion du mercredi 3 novembre 2021 à 15h00
Commission des affaires économiques

Laurence Borie-Bancel :

Les textes nous rappellent que si les infrastructures dont CNR est le concessionnaire contribuent au dynamisme de la vallée du Rhône, elles ont aussi un rôle dans les enjeux énergétiques nationaux. En tant qu'élus, vous œuvrez à concilier les enjeux de votre territoire avec ceux de la France. Vous êtes donc bien placés pour comprendre la pertinence du modèle d'entreprise particulier de CNR.

Au cœur de la vallée du Rhône, CNR a trois missions : l'hydroélectricité, le transport et l'agriculture. Sa relation aux territoires en fait une entreprise unique. C'est ce que CNR, sous l'impulsion de Mme Elisabeth Ayrault, que je salue ici, a souhaité traduire au travers d'une raison d'être : « le Rhône pour origine, les territoires pour partenaires et les énergies renouvelables pour l'avenir ». J'espère vous convaincre que ma personnalité, mon parcours et ma compréhension des enjeux de cette belle entreprise me permettront de la diriger pour qu'elle continue à assurer les missions capitales pour la vie économique de la vallée du Rhône donc de la Nation. Dans la première partie de mon propos, je présenterai mon parcours et les raisons qui m'ont conduite devant vous aujourd'hui. Dans une deuxième partie, je vous ferai part de mes premiers constats depuis mon arrivée au sein du directoire il y a cinq semaines, avant d'évoquer les défis à relever. Si je m'inscris dans les objectifs de la stratégie CNR 2030, je compte apporter un regard neuf et riche de mes expériences passées.

Ingénieure de formation, j'ai un parcours industriel de trente ans dans le secteur de l'énergie. J'ai travaillé en France et à l'international au sein de Gaz de France, devenu le groupe Engie. Mon parcours peut se décomposer en trois étapes : une première étape dans le secteur du gaz, où j'ai été responsable de projets d'infrastructures, et je suis notamment fière d'avoir contribué au premier terminal d'importation de gaz en Inde ou, plus près de chez nous, d'avoir copiloté le projet de terminal d'importation de gaz de Fos-Cavaou, situé dans l'emprise du port de Marseille ; la seconde partie de mon parcours s'est déroulée dans la production d'électricité, d'abord thermique, puis renouvelable. J'ai été notamment responsable du projet de développement d'une des premières centrales à gaz en France, en Loire-Atlantique, dans le périmètre du port autonome de Nantes Saint-Nazaire avant de découvrir les énergies renouvelables, notamment en tant que directrice générale adjointe de la Compagnie du vent, entreprise pionnière du développement de l'énergie éolienne terrestre, offshore et photovoltaïque. Ces expériences de terrain, ces aventures humaines ainsi que mes responsabilités opérationnelles dans des domaines variés m'ont préparée à la troisième partie de mon parcours, au cours de laquelle j'ai assumé des postes de direction. J'ai notamment été directrice des opérations des centrales thermiques à gaz du groupe Engie dans le sud de l'Europe. J'ai été directrice générale de la société Elengy, qui gère les terminaux d'importation de gaz naturel liquéfié en France. J'ai enfin été directrice de la filière thermique d'Engie, responsable des actifs de production d'électricité dans le monde.

Je me présente aujourd'hui devant vous car j'ai une passion pour le monde industriel. Je suis issue d'un territoire industriel au sein d'un département rural, le Lot-et-Garonne. Depuis toujours, l'usine sidérurgique, qui est restée longtemps la plus grosse entreprise de la région, m'a fascinée et cette fascination n'est pas étrangère à ma décision de devenir ingénieure et de travailler ensuite dans le secteur industriel. J'ai choisi l'industrie, mais la campagne fait partie de moi. Si CNR est une entreprise industrielle presque centenaire et gestionnaire de dix-neuf aménagements qui maillent le Rhône, ses missions en faveur du monde agricole sont l'un des aspects fondamentaux de sa contribution à la transition écologique.

Je suis aussi une femme de terrain avec une appétence pour les défis. Or, les mondes de l'énergie, des transports et de l'agriculture sont en pleine mutation. Pour relever les défis, il faut savoir écouter, comprendre, anticiper, s'adapter et se mobiliser. C'est ce que l'on attend d'un dirigeant et mes expériences m'ont armée pour cela. Tout au long de mon parcours, j'ai attaché une grande importance au travail en équipe ainsi qu'à l'inclusion et je continuerai à le faire.

La troisième raison qui m'amène devant vous, c'est le modèle CNR, un modèle qui, comme à de nombreux Rhodaniens, me fait briller les yeux. CNR est le premier producteur d'énergies exclusivement renouvelables avec son triptyque magique : eau, vent et soleil. 23 % de l'hydroélectricité en France est produite par le Rhône. L'État a confié à CNR la gestion globale de l'aménagement du Rhône – aucun fleuve dans le monde ne dispose d'un mode de gestion comparable. Autre particularité du modèle CNR, l'actionnariat : 183 collectivités et établissements publics sont présents au capital de CNR, garantissant l'équilibre entre intérêt économique et intérêt général. Enfin, le modèle de redistribution de CNR permet notamment aux territoires bordant le Rhône de bénéficier de la richesse produite par le bien commun qu'est le fleuve. Tous ces éléments font de CNR une entreprise unique en son genre dont le modèle est vertueux, j'en suis convaincue.

J'ai identifié cinq enjeux essentiels pour CNR.

La compagnie étant le concessionnaire historique du fleuve Rhône, le premier enjeu est d'obtenir la prolongation de la concession. Les discussions, qui ont commencé il y a sept ans, se poursuivent. Depuis le début, les élus des territoires sont à nos côtés. Nous continuons à collaborer étroitement avec l'État, mais c'est au concédant que revient la décision finale dans ce dossier éminemment structurant pour nous. La prolongation est en effet indispensable pour relever l'ensemble des autres défis de l'entreprise.

Deuxième enjeu, CNR doit optimiser les usages du fleuve en tenant compte des paramètres climatiques. Les scientifiques prévoient ainsi une baisse du débit du Rhône de 10 % à 40 % à l'horizon 2050, mais l'impact du changement climatique se fait déjà sentir : les fluctuations intra-annuelles du débit sont de plus en plus importantes. Face à l'évolution sensible de la ressource en eau, des discussions et de nouveaux arbitrages seront nécessaires pour limiter les conflits d'usage. Je souhaite que CNR prenne toute sa place aux côtés de l'État et de l'ensemble des parties prenantes dans ces discussions et qu'elle formule des propositions concrètes pour continuer à mener l'ensemble de ses missions.

Nos actions aux côtés des agriculteurs de la vallée doivent soutenir le développement d'un modèle innovant d'agriculture conjuguant performance économique et respect de l'environnement. C'est le sens de notre engagement dans l'irrigation durable, l'efficacité énergétique et l'accompagnement de la transition agroécologique.

CNR joue un rôle important en matière de navigation à la fois pour l'attractivité économique des territoires et pour le verdissement du transport de marchandises et de passagers. Elle doit absolument accompagner la croissance de ce mode de transport, quatre fois moins polluant que le transport routier. Les infrastructures du Rhône sont capables dès aujourd'hui d'absorber quatre fois plus de trafic sans un euro d'investissement supplémentaire.

Quant à la production d'hydroélectricité, elle est la colonne vertébrale de l'entreprise. Dans le modèle d'aménagement du territoire imaginé par les fondateurs de CNR, elle permet de soutenir économiquement le déploiement de la navigation et de l'irrigation. Ce modèle reste valable et finance désormais des actions de préservation de l'environnement et dans d'autres secteurs économiques tels que le tourisme ou la mobilité. Cela correspond aux missions d'intérêt général de CNR qui deviendront des « plans5Rhône » quinquennaux dotés de 165 millions d'euros. Nous engagerons également 500 millions d'euros de travaux, dont la majorité pour accroître la production hydroélectrique du Rhône en installant de nouvelles petites centrales hydrauliques, en augmentant la capacité de notre aménagement de Montélimar et en étudiant un possible nouvel aménagement en amont de la confluence de l'Ain. L'activité hydroélectrique doit s'adapter au changement climatique en améliorant sa flexibilité, sa disponibilité et sa capacité à turbiner tout le débit fourni par le Rhône une fois les autres usages pratiqués.

Le troisième enjeu est l'accélération du développement de nos actifs renouvelables. Pour respecter les accords de Paris et faire baisser nos émissions de CO2 d'ici 2050, une électrification rapide de nombreux usages est indispensable. Les énergies renouvelables, notamment l'éolien et le solaire, joueront un rôle majeur dans ce processus. Le récent rapport de RTE que vous avez évoqué le confirme : même dans le scénario le plus nucléarisé, le développement du renouvelable devra être massif et CNR aura à cœur d'y contribuer. Nous accélérerons nos investissements dans le solaire et l'éolien terrestre afin d'accompagner les objectifs nationaux des programmations pluriannuelles de l'énergie. L'objectif est de porter notre mix eau, vent et soleil à 7 000 mégawatts de puissance installée en 2030 contre 4 000 aujourd'hui – 3 000 mégawatts d'hydroélectricité, 1 000 mégawatts d'éolien et de photovoltaïque et 3 000 mégawatts pour le seul vent soleil. C'est un sacré défi !

Le développement d'actifs renouvelables pose nécessairement la question de l'acceptabilité des citoyens et des territoires. À cet égard, le modèle de CNR et son expertise en matière de concertation et de conciliation sont précieux. Notre développement dans l'éolien et le solaire repose sur les principes qui ont été appliqués pour le Rhône : chacun des parcs est coconstruit avec le territoire concerné à partir de ses besoins ; l'entreprise apporte des solutions, elle ne les impose pas. Si la transition énergétique est un besoin planétaire, ce sont les territoires et les collectivités qui sont en première ligne – c'est d'ailleurs la logique de la loi « climat et résilience » que vous avez adoptée. Je souhaite que CNR soit le partenaire des collectivités dans la transition dans une logique de contrat équilibré entre deux parties. C'est à mes yeux la principale condition de l'acceptabilité des énergies renouvelables par nos concitoyens.

Le quatrième enjeu est l'innovation, indispensable à la transition énergétique et à la stabilité de notre modèle. Celle-ci concerne d'abord le stockage et la flexibilité afin de gérer au mieux la variabilité de la production électrique. Nous travaillons ainsi sur quatre démonstrateurs autour de l'hydrogène, mais aussi sur d'autres formes de flexibilité pour notre mix énergétique. Nous développons également de nombreux projets d'énergies renouvelables non matures, comme le photovoltaïque linéaire, flottant ou bifacial. L'innovation ne s'arrête toutefois pas pour nous aux nouvelles technologies, elle inspire également notre action en faveur de l'environnement. Le site industriel de Donzère-Mondragon, à côté de Bollène, est ainsi le seul espace abritant une activité industrielle inscrit sur la liste verte des aires protégées de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Notre programme de restauration du fleuve Rhône est le plus important projet à l'échelle mondiale. Nous innovons également dans nos pratiques d'exploitation et de maintenance d'actifs, vieux de cinquante ans en moyenne. Je me suis récemment rendue sur le site de Donzère-Mondragon. Le responsable de chantier de maintenance m'a montré un échafaudage circulaire installé à l'intérieur d'une turbine permettant – et c'est une première – de diminuer le temps d'indisponibilité dû à la maintenance et d'augmenter la sécurité.

Le dernier enjeu consiste à améliorer la performance, c'est-à-dire, pour une entreprise comme la CNR, à concilier l'économie, l'environnement et l'humain. CNR dispose de compétences et de métiers incroyablement divers et qualifiés – les 1 400 collaborateurs exercent 185 métiers différents. La formation des personnels ainsi que le maintien d'une culture de dialogue social positif contribuent à la performance. Enfin, en tant que femme, je suis particulièrement sensible à la diversité ainsi qu'à la parité et je veillerai à ce que les efforts déjà réalisés par CNR s'intensifient pour en faire une entreprise exemplaire dans ce domaine.

Je tiens à vous redire toute ma motivation à présider cette formidable entreprise au modèle industriel et redistributif unique.

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