J'ai l'honneur de soumettre à la commission des affaires économiques une nouvelle proposition de loi visant à interdire le glyphosate en France.
Mon propos n'est pas ici de mettre en cause une profession, celle des agriculteurs, qui a payé – et paye encore – le lourd tribut d'un modèle à bout de souffle, le modèle productiviste. Il s'agit de donner à l'État les moyens de prendre sans délai les mesures de santé publique et environnementale qu'exige une menace sanitaire et écologique réelle pour la population. Sortons des postures et des éléments de langage ! Nul ne peut aujourd'hui contester que la lutte contre le glyphosate marque le pas. J'en veux pour preuve la remontée assez spectaculaire des ventes de cet herbicide : après une baisse de 37 % constatée en 2019, elles progressent de 23 % en 2020, année au cours de laquelle les quantités vendues en France se sont élevées à 8 644 tonnes – soit un niveau proche de celui constaté en 2013. La France, dont la consommation représente 19 % du glyphosate pulvérisé dans l'Union européenne, s'impose comme la principale utilisatrice du glyphosate, alors que, à bien des égards, les dangers de ce pesticide ne sont plus à démontrer.
Dans un rapport publié en juin 2021 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), un groupe pluridisciplinaire d'experts a analysé 5 300 documents de la littérature scientifique internationale publiée depuis 2013. Cette relecture critique établit l'existence de multiples corrélations ou liens de causalité entre l'exposition au glyphosate et le développement de pathologies cancéreuses. Elle confirme en particulier le lien, déjà avéré par le rapport de l'INSERM de 2013, entre le glyphosate et le lymphome non hodgkinien. Il n'est donc plus temps de débattre stérilement mais d'agir !
Voici plus de quatre ans, le Président de la République avait demandé au Gouvernement de « prendre les dispositions nécessaires pour que l'utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ». Le chiffre des ventes que j'évoquais tout à l'heure en atteste : une telle démarche, placée sous les auspices d'une transition vers l'agroécologie, montre ses limites car les résultats obtenus s'avèrent sans rapport avec les engagements pris. Je le répète : je n'incrimine pas les agriculteurs car, en réalité, la persistance de l'usage du glyphosate révèle la dépendance à un système qui nuit à leurs intérêts fondamentaux. En revanche, nous, parlementaires, devons[TA1]-nous interroger sur l'efficacité de la stratégie de sortie du glyphosate que mène l'État.
Depuis trois ans, les pouvoirs publics ont édicté quelques restrictions à l'usage des produits phytosanitaires. En revanche, pour ce qui concerne le glyphosate, la politique de l'État se résume en un mot : procrastination !
Les travaux réalisés par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) depuis 2018 et ceux de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) révèlent qu'il existe des produits non chimiques ou des pratiques agronomiques susceptibles de remplacer le glyphosate pour ses quatre principaux usages : la viticulture, l'arboriculture fruitière, les grandes cultures et la forêt. Je ne fais ici que me référer aux travaux dont faisait état, en décembre 2020, le rapport de la mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate. À sa lecture, il apparaît que les conclusions de l'ANSES ne relèvent pas de l'acte militant puisqu'elles résultent de la prise en compte de deux éléments : d'une part, l'évaluation des procédés et produits permettant d'atteindre des résultats comparables à ceux obtenus avec les produits phytosanitaires comportant du glyphosate ; d'autre part, la mesure des inconvénients économiques et pratiques des alternatives, en ce qui concerne les besoins agronomiques, d'équipement, de disponibilité de main-d'œuvre, de temps de travail, d'efficacité ou encore de risque.
Dans ces conditions, l'interdiction du glyphosate ne saurait être considérée comme une perspective peu crédible ! Je rappelle que 55 000 agriculteurs bio se passent complètement de ce pesticide. La preuve par l'exemple est irréfutable et ceux qui n'ont que le mot compétitivité à la bouche doivent se rendre à l'évidence de l'efficacité économique des alternatives au glyphosate. Par ailleurs, d'autres États européens prennent des mesures qui concourent de manière concrète à la réalisation de cet objectif d'intérêt commun. Il en va ainsi du Luxembourg qui, depuis le 1er janvier 2021, a interdit toute utilisation de produits phytosanitaires sur son sol. L'usage du glyphosate fait l'objet d'interdictions partielles dans d'autres États membres de l'Union européenne à l'instar de la République tchèque, depuis 2019, ou de l'Italie, depuis 2016. Je tiens à rappeler qu'à l'automne 2019, l'Allemagne avait annoncé un plan de protection des insectes, dont un volet impliquait la sortie complète du glyphosate d'ici à 2023.
Les termes du problème sont donc connus. À présent, il appartient aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités en joignant le geste à la parole. La protection de la santé publique et de l'environnement nous oblige tous. Qu'attendons-nous ?
En décembre 2022, l'Union européenne se prononcera à nouveau sur le maintien de l'approbation donnée à l'usage du glyphosate. En 2017, notre pays s'était opposé au renouvellement du règlement d'exécution présenté par la Commission européenne. Alors que la France va assumer, tout au long du premier semestre, la présidence du Conseil européen et du Conseil des ministres de l'Union, nul ne comprendrait que notre pays ne montre pas l'exemple en mettant son droit en conformité avec ses positions avant-gardistes.
Dans cette démarche de cohérence et de crédibilité, le Parlement doit prendre toute sa part. En trois ans, les assemblées ont été saisies de dispositifs qui, plus que bien des discours, pouvaient faire avancer ce dossier. Je pense bien évidemment à la proposition de loi de notre collègue Bénédicte Taurine, examinée en 2019 par l'Assemblée nationale. Mais il convient également de citer les amendements au projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (« loi EGALIM ») en 2018, défendus par les membres du groupe de La France insoumise, ainsi que par nos collègues Delphine Batho et François-Michel Lambert. L'ensemble de ces initiatives parlementaires a été rejeté par le Gouvernement et la majorité à l'Assemblée nationale. À l'époque, des observateurs ont parlé de renoncement.
En conclusion, j'aimerais rappeler une formule fameuse : « l'art de gouverner ne consiste pas à rendre souhaitable ce qui est possible. Il consiste à rendre possible ce qui est souhaitable ». Je vous invite donc à rendre possible la sortie du glyphosate en votant ce texte.