La commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi de visant à interdire le glyphosate (n° 4745) (M. Loïc Prud'homme, rapporteur).
Je profite de ce jour de reprise des travaux de la commission des affaires économiques pour vous souhaiter une excellente année 2022. Je vous souhaite du plaisir, du bonheur, du succès – même si nos intérêts électoraux ne sont pas alignés – et, je le dis en réaction aux propos d'un collègue à ma droite, même si je ne sais pas à quoi il faisait référence – pas trop d'emmerdements (Rires). Nous poursuivrons, j'en suis persuadé, notre travail avec bienveillance, compétence et efficacité. L'agenda de notre commission est encore très chargé en janvier et février et la fin de la législature mobilisera nos énergies. Nous aurons l'occasion d'en parler avec les membres du bureau lors d'une réunion prévue le mercredi 19 janvier.
Le président Richard Ferrand – auquel nous souhaitons un prompt rétablissement – et les questeurs nous ont demandé d'exercer une vigilance accrue en raison du contexte sanitaire. Nos réunions du mois de janvier auront lieu en présentiel car elles portent sur l'examen de textes législatifs et les procédures de vote requièrent notre présence. Seule l'audition de M. Thierry Breton, prévue le 11 janvier prochain conjointement avec la commission des affaires européennes, est prévue en visioconférence. Pour ces réunions, la jauge des présents n'a pas été rétablie. Il nous est demandé de respecter des distances adéquates entre les députés. Je vous demande donc de vous répartir dans l'ensemble de la salle.
Nous avons le plaisir d'accueillir deux membres du groupe La France insoumise, qui ne sont pas membres de notre commission, mais qui viennent rapporter deux propositions de loi inscrites dans la niche de leur groupe : M. Loïc Prud'homme pour la proposition de loi n° 4745 visant à interdire le glyphosate en France et M. Ugo Bernalicis pour la proposition de loi n° 4743 visant au blocage des prix. Elles seront discutées en séance le jeudi 13 janvier prochain.
J'ai l'honneur de soumettre à la commission des affaires économiques une nouvelle proposition de loi visant à interdire le glyphosate en France.
Mon propos n'est pas ici de mettre en cause une profession, celle des agriculteurs, qui a payé – et paye encore – le lourd tribut d'un modèle à bout de souffle, le modèle productiviste. Il s'agit de donner à l'État les moyens de prendre sans délai les mesures de santé publique et environnementale qu'exige une menace sanitaire et écologique réelle pour la population. Sortons des postures et des éléments de langage ! Nul ne peut aujourd'hui contester que la lutte contre le glyphosate marque le pas. J'en veux pour preuve la remontée assez spectaculaire des ventes de cet herbicide : après une baisse de 37 % constatée en 2019, elles progressent de 23 % en 2020, année au cours de laquelle les quantités vendues en France se sont élevées à 8 644 tonnes – soit un niveau proche de celui constaté en 2013. La France, dont la consommation représente 19 % du glyphosate pulvérisé dans l'Union européenne, s'impose comme la principale utilisatrice du glyphosate, alors que, à bien des égards, les dangers de ce pesticide ne sont plus à démontrer.
Dans un rapport publié en juin 2021 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), un groupe pluridisciplinaire d'experts a analysé 5 300 documents de la littérature scientifique internationale publiée depuis 2013. Cette relecture critique établit l'existence de multiples corrélations ou liens de causalité entre l'exposition au glyphosate et le développement de pathologies cancéreuses. Elle confirme en particulier le lien, déjà avéré par le rapport de l'INSERM de 2013, entre le glyphosate et le lymphome non hodgkinien. Il n'est donc plus temps de débattre stérilement mais d'agir !
Voici plus de quatre ans, le Président de la République avait demandé au Gouvernement de « prendre les dispositions nécessaires pour que l'utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ». Le chiffre des ventes que j'évoquais tout à l'heure en atteste : une telle démarche, placée sous les auspices d'une transition vers l'agroécologie, montre ses limites car les résultats obtenus s'avèrent sans rapport avec les engagements pris. Je le répète : je n'incrimine pas les agriculteurs car, en réalité, la persistance de l'usage du glyphosate révèle la dépendance à un système qui nuit à leurs intérêts fondamentaux. En revanche, nous, parlementaires, devons[TA1]-nous interroger sur l'efficacité de la stratégie de sortie du glyphosate que mène l'État.
Depuis trois ans, les pouvoirs publics ont édicté quelques restrictions à l'usage des produits phytosanitaires. En revanche, pour ce qui concerne le glyphosate, la politique de l'État se résume en un mot : procrastination !
Les travaux réalisés par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) depuis 2018 et ceux de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) révèlent qu'il existe des produits non chimiques ou des pratiques agronomiques susceptibles de remplacer le glyphosate pour ses quatre principaux usages : la viticulture, l'arboriculture fruitière, les grandes cultures et la forêt. Je ne fais ici que me référer aux travaux dont faisait état, en décembre 2020, le rapport de la mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate. À sa lecture, il apparaît que les conclusions de l'ANSES ne relèvent pas de l'acte militant puisqu'elles résultent de la prise en compte de deux éléments : d'une part, l'évaluation des procédés et produits permettant d'atteindre des résultats comparables à ceux obtenus avec les produits phytosanitaires comportant du glyphosate ; d'autre part, la mesure des inconvénients économiques et pratiques des alternatives, en ce qui concerne les besoins agronomiques, d'équipement, de disponibilité de main-d'œuvre, de temps de travail, d'efficacité ou encore de risque.
Dans ces conditions, l'interdiction du glyphosate ne saurait être considérée comme une perspective peu crédible ! Je rappelle que 55 000 agriculteurs bio se passent complètement de ce pesticide. La preuve par l'exemple est irréfutable et ceux qui n'ont que le mot compétitivité à la bouche doivent se rendre à l'évidence de l'efficacité économique des alternatives au glyphosate. Par ailleurs, d'autres États européens prennent des mesures qui concourent de manière concrète à la réalisation de cet objectif d'intérêt commun. Il en va ainsi du Luxembourg qui, depuis le 1er janvier 2021, a interdit toute utilisation de produits phytosanitaires sur son sol. L'usage du glyphosate fait l'objet d'interdictions partielles dans d'autres États membres de l'Union européenne à l'instar de la République tchèque, depuis 2019, ou de l'Italie, depuis 2016. Je tiens à rappeler qu'à l'automne 2019, l'Allemagne avait annoncé un plan de protection des insectes, dont un volet impliquait la sortie complète du glyphosate d'ici à 2023.
Les termes du problème sont donc connus. À présent, il appartient aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités en joignant le geste à la parole. La protection de la santé publique et de l'environnement nous oblige tous. Qu'attendons-nous ?
En décembre 2022, l'Union européenne se prononcera à nouveau sur le maintien de l'approbation donnée à l'usage du glyphosate. En 2017, notre pays s'était opposé au renouvellement du règlement d'exécution présenté par la Commission européenne. Alors que la France va assumer, tout au long du premier semestre, la présidence du Conseil européen et du Conseil des ministres de l'Union, nul ne comprendrait que notre pays ne montre pas l'exemple en mettant son droit en conformité avec ses positions avant-gardistes.
Dans cette démarche de cohérence et de crédibilité, le Parlement doit prendre toute sa part. En trois ans, les assemblées ont été saisies de dispositifs qui, plus que bien des discours, pouvaient faire avancer ce dossier. Je pense bien évidemment à la proposition de loi de notre collègue Bénédicte Taurine, examinée en 2019 par l'Assemblée nationale. Mais il convient également de citer les amendements au projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (« loi EGALIM ») en 2018, défendus par les membres du groupe de La France insoumise, ainsi que par nos collègues Delphine Batho et François-Michel Lambert. L'ensemble de ces initiatives parlementaires a été rejeté par le Gouvernement et la majorité à l'Assemblée nationale. À l'époque, des observateurs ont parlé de renoncement.
En conclusion, j'aimerais rappeler une formule fameuse : « l'art de gouverner ne consiste pas à rendre souhaitable ce qui est possible. Il consiste à rendre possible ce qui est souhaitable ». Je vous invite donc à rendre possible la sortie du glyphosate en votant ce texte.
La France insoumise remet encore une fois sur le tapis le sujet de la suppression du glyphosate. Elle risque d'être déçue. La ligne de la majorité, qui a été réaffirmée hier par le Président de la République dans une interview dans Le Parisien, est claire et n'a pas bougé : pas d'interdiction sans solution. Le groupe La République en marche présentera donc un amendement de suppression de l'article unique de cette proposition de loi.
Si nous ne pouvons que partager l'ambition en faveur de la réduction de l'usage des produits phytosanitaires, nous nous opposons à une suppression pure et simple du glyphosate qui entraînerait de facto de lourdes conséquences pour le monde agricole. Notre position n'a pas changé mais les choses ont évolué. Les ventes de substances les plus préoccupantes – cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR 1) –, ont été réduites de 93 % par rapport à 2017. Les ventes cumulées des produits CMR 1 et 2, les deux classes de molécules les plus toxiques, ont baissé de 37 % entre 2017 et 2020. J'ai mené pendant deux ans, notamment avec mes collègues Julien Dive et Jean-Luc Fugit, un travail parlementaire de fond sur la stratégie de sortie du glyphosate – travail auquel vous avez, monsieur Prud'homme, assidûment participé. La conclusion que nous portions était claire : pas d'interdiction de l'utilisation en l'absence d'une alternative à la fois économiquement viable et techniquement efficace.
La proposition de loi ne prévoit aucun accompagnement, ni aucune solution ou précision sur la manière de financer les conséquences de l'interdiction du glyphosate, qui ne manquera pas – comme nous l'avions déjà souligné dans notre rapport publié l'an dernier – d'entraîner des surcoûts variables mais certains, en fonction des filières et des pratiques culturales. Elle se traduira par le besoin de recourir à une main d'œuvre supplémentaire et par la nécessité d'acquérir de nouveaux équipements. Les différents textes que cette commission a examinés depuis le début de la législature montrent à quel point la question du financement est complexe dans le secteur agricole. Votre proposition de loi conduirait de nombreux agriculteurs dans une impasse financière, alors même que leur situation économique reste une des plus fragiles de notre pays.
Si certains usages peuvent faire l'objet d'alternatives – comme dans le cas de l'arboriculture, pour laquelle l'ANSES a conclu que le traitement en inter-rang était possible sans glyphosate et a donc interdit son usage –, d'autres cultures, comme la vigne, ne permettent pas le remplacement du glyphosate sous le rang. Ainsi, promouvoir une directive unique comme le fait cette proposition de loi apparaît clairement comme une méconnaissance de la complexité et de l'hétérogénéité de l'agronomie et de ses particularismes. Quand on sait que la moitié des agriculteurs partiront à la retraite d'ici quatre ans et que la souveraineté alimentaire et agricole demeure un enjeu central, une interdiction pure et dure n'entraînera que davantage de difficultés pour les agriculteurs et pour tout un secteur en proie à la fois aux conséquences dramatiques du changement climatique et aux injonctions idéologiques contradictoires permanentes.
Vous ne prenez pas un instant en considération les efforts consentis par les agriculteurs, grâce auxquels les ventes de produits phytosanitaires en 2019 et 2020 ont été les plus faibles enregistrées au cours des dix dernières années. La sortie des produits les plus dangereux a été largement encouragée par notre majorité, notamment grâce à la séparation de la vente et du conseil sur les produits phytosanitaires – une mesure permise par la loi EGALIM, dont j'ai été le rapporteur –, grâce à la mise en place en 2020 d'une stratégie de déploiement du biocontrôle pour faciliter l'accès aux marchés et grâce à un soutien massif aux investissements pour le déploiement des solutions alternatives aux produits phytosanitaires. Sur ce dernier point, je rappelle que France Relance a consacré 245 millions d'euros au renouvellement des équipements ou à l'achat d'équipements de substitution – crédits qui ont été épuisés en trois semaines en janvier dernier. Le plan France 2030 prévoit 600 millions d'euros sur le volet troisième révolution agricole, pour financer la recherche et le développement des entreprises créant des solutions favorisant la transition agroécologique. Enfin, un crédit d'impôt d'un montant de 2 500 euros a été mis en place pour toutes les entreprises agricoles de cultures permanentes qui n'ont pas utilisé de produit phytosanitaire à base de glyphosate au cours de l'année. N'oublions pas que c'est sous cette législature que les surfaces en bio ont doublé et que le nombre d'exploitations certifiées haute valeur environnementale (HVE) est en forte hausse, passé de 789 en 2017 à de plus de 14 000 au 1er janvier 2021.
Notre majorité fait le choix de l'accompagnement plutôt que celui de l'interdiction sans solution. Nous faisons également le choix des alternatives, en sachant que l'agronomie et la recherche s'inscrivent dans le temps long – l'ingénieur agronome que je suis le sait parfaitement. Il serait irresponsable d'interdire le glyphosate au regard des fortes disparités européennes que cela pourrait entraîner. Il est temps d'arrêter notre folie de la surtransposition permanente. À l'heure actuelle, dans l'Union européenne, seul le Luxembourg – qui n'est pas une grande puissance agricole – interdit le glyphosate. Le Sri Lanka, qui a interdit tous les produits phytosanitaires, a dû rétropédaler car il n'arrivait plus à garantir son autosuffisance alimentaire. Je souhaite que notre pays continue à jouer le rôle de locomotive et de repère pour la transition agroécologique européenne, notamment grâce à l'engagement du Président de la République et du ministre de l'agriculture.
Tout est parti d'un tweet du Président de la République en novembre 2017 annonçant l'interdiction du glyphosate en France au plus tard en 2021. Faire le buzz par des déclarations hâtives, sans recul sans doute semble être une habitude fâcheuse du Président. Qu'est-ce qui a suivi ? Depuis 2017, l' agribashing s'est accentué, avec l'idée pour certains que les agriculteurs sont des pollueurs. Certains citoyens et militants considèrent que les agriculteurs ne font pas assez d'efforts. Ceux qui, ici ou ailleurs, les côtoient au quotidien, savent qu'ils sont engagés depuis de nombreuses années dans la voie de la transition agricole, que ce soit par des actions, par des avancées législatives, par la conscience collective ou par les moyens techniques mis en œuvre. Tous les agriculteurs, sans exception, ont bien conscience que leur outil de travail, c'est la terre et qu'ils sont la réponse aussi aux enjeux environnementaux. Les agriculteurs, qui ont à nouveau été pointés du doigt, s'en sont émus, d'autant plus que nous connaissons leur difficulté à obtenir une juste rémunération de leur travail – les débats lors de l'examen du projet de loi EGALIM et de la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs nous l'ont rappelé.
Le glyphosate a fait l'objet de plusieurs travaux parlementaires : les débats autour d'amendements sur le glyphosate lors de la proposition de loi précitée, une proposition de loi de Mme Taurine et une mission d'information menée pendant deux ans par Jean-Baptiste Moreau, Jean-Luc Fugit et moi-même. Cette mission a réalisé un travail de fond objectif, dans le respect des différentes opinions, et tous les acteurs concernés ont été reçus – scientifiques, représentants de filières, acteurs de la transition agroécologique et ministères avec d'ailleurs à leur tête des ministres différents.
Le groupe Les Républicains a toujours été opposé à toute surtransposition de normes et force est de constater que ce sujet reste d'actualité, comme le montrent les zones de non-traitement. Nous sommes également opposés à toute interdiction sans alternative. C'était d'ailleurs une des conclusions du rapport de la mission parlementaire menée entre 2018 et 2020. Enfin, nous sommes opposés à toute distorsion de concurrence au sein de l'Union européenne, et l'interdiction du glyphosate accentuera ces distorsions.
Depuis 2017, la profession a réalisé des avancées – comme vient de le rappeler notre collègue Jean-Baptiste Moreau – : de nombreux agriculteurs se sont engagés dans la certification haute valeur environnementale ; le nombre de surfaces agricoles en bio a doublé et l'usage du glyphosate a été réduit dans certaines situations, grandes parcelles et inter-rang par exemple, ainsi que le recommandait l'ANSES et le rapport de notre mission parlementaire. Il n'en reste pas moins que des situations d'impasse demeurent : vignes en coteaux ou agriculture de conservation des sols, dont les techniques particulières demandent un couvert végétal et un traitement avant de semer. Tout cela, nous l'avons indiqué dans le cadre de nos travaux.
Je regrette, monsieur le rapporteur, que votre proposition ne comporte qu'un seul article visant à interdire le glyphosate et ne prévoie aucune solution pour nos agriculteurs, aucun moyen d'accompagnement, aucune étude d'impact ni aucune référence au travail parlementaire mené sur ce sujet. En conséquence, les députés du groupe Les Républicains voteront contre cette proposition de loi.
Notre volonté commune de préparer la sortie du glyphosate ne fait pas débat et le groupe Mouvement démocrate (MoDem) et démocrates apparentés partage l'objectif de réduire progressivement l'utilisation du glyphosate avant d'y mettre fin. Néanmoins, nous considérons que l'interdiction immédiate prise dans un cadre purement national, comme le propose ce texte, n'est pas une solution adéquate pour répondre à ce défi sanitaire, agricole, environnemental et économique. Au contraire, il est nécessaire d'avancer avec pragmatisme mais aussi avec honnêteté vis-à-vis des citoyens et des agriculteurs. Être honnête, c'est reconnaître que pour l'instant, nous ne disposons pas d'alternatives pérennes et satisfaisantes au glyphosate qui permettraient de répondre aux nombreux enjeux auxquels est confronté le secteur agricole en France. En effet, les impacts de cette interdiction immédiate seraient nombreux sur la productivité de notre modèle agricole, et donc sur la souveraineté alimentaire, ainsi que sur la viabilité des exploitations agricoles. L'interdiction du glyphosate engendrerait des coûts considérables, entre 50 et 150 euros supplémentaires par hectare. S'y ajoute, comme l'a souligné le Président de la République, l'enjeu de la concurrence équitable, qui serait remise en question pour nos agriculteurs vis-à-vis des autres producteurs européens en cas de sortie immédiate et unilatérale du glyphosate. Ce sont aussi les raisons pour lesquelles l'objectif formulé par le Président de la République de mettre fin à l'utilisation du glyphosate en 2021 n'a pu être tenu. Mais nous y travaillons à l'échelle nationale et européenne.
Les nombreuses difficultés ne nous ont pas empêché de limiter l'utilisation du glyphosate en France, faisant de notre pays l'un des États les plus ambitieux en la matière. Depuis janvier 2017, le glyphosate est interdit dans les espaces publics et son utilisation par les particuliers l'est aussi depuis 2019. À l'échelle européenne, n'oublions pas que c'est la France qui s'est mobilisée pour que l'autorisation du glyphosate soit renouvelée pour une durée de cinq ans, et non de dix comme le prévoyait initialement la Commission européenne.
En outre, concernant la consommation de produits phytosanitaires en général, nos actions portent leurs fruits. Leur utilisation a diminué de 20 % en 2020 par rapport à la période 2012-2017. Par ailleurs, l'utilisation des substances les plus préoccupantes, relevant de la catégorie CMR 1, a baissé de 93 % entre 2016 et 2020. Les plans France Relance et France 2030 viennent également s'ajouter à nos efforts en prévoyant des investissements massifs afin de soutenir le déploiement d'alternatives au glyphosate, de développer davantage la transition agro-écologique et de réduire les autorisations de mise sur le marché (AMM) de nombreux produits utilisant du glyphosate.
Nous ne nions pas l'ampleur du défi : les quantités de glyphosate vendues ont augmenté entre 2019 et 2020, malgré une baisse significative l'année précédente. Nous avons aussi décidé l'an dernier de limiter l'utilisation du glyphosate aux seuls cas où il n'y aurait aucune alternative. Toutefois, les effets chiffrés de cette décision ne pourront être observés qu'en 2022. Par conséquent, au lieu de voter une interdiction immédiate et sans concertation avec nos partenaires, nous souhaitons intensifier les efforts de développement et de recherche afin de développer des alternatives fiables permettant le remplacement du glyphosate. De plus, il est nécessaire de trouver une solution européenne, et ce, avant la fin de l'année, lorsqu'une nouvelle décision devra être prise à l'échelle de l'Union sur l'éventuelle prolongation de la licence autorisant l'utilisation du glyphosate. La France devra peser de tout son poids pendant sa présidence du Conseil de l'Union européenne pour trouver une solution permettant de respecter l'équilibre entre, d'une part, la protection de l'environnement et de la santé et, d'autre part, la préservation de la compétitivité de notre modèle agricole.
Cette proposition de loi est bienvenue car elle rappelle que le Président de la République n'a pas traduit ses annonces en mesures concrètes. En effet, le 27 novembre 2017, à la suite du renouvellement de l'autorisation de commercialisation du glyphosate par l'Union européenne, M. Emmanuel Macron s'exprimait publiquement à ce sujet. Je cite : « J'ai demandé au Gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l'utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans. » Nous sommes le 5 janvier 2022, soit plus de trois ans plus tard, et l'interdiction du glyphosate n'a toujours pas eu lieu. C'est pour cette raison que le groupe parlementaire La France insoumise a déposé cette proposition de loi visant à interdire la vente comme l'usage du glyphosate.
L'absence d'interdiction du glyphosate, pourtant promise par M. Emmanuel Macron, n'est qu'un exemple qui témoigne de son inaction. Rien que sur les questions agricoles et alimentaires, la liste des échecs et des renoncements du Président de la République et de son gouvernement est longue. On peut notamment citer la réintroduction des néonicotinoïdes tueurs d'abeilles, le refus d'interdire les fermes usines ou encore la création de la cellule Déméter de la gendarmerie, chargée de lutter contre les militants dénonçant l' agribashing et la maltraitance des animaux.
Cette proposition de loi est également bienvenue car elle permettra à la France d'être exemplaire à l'échelle européenne. En effet, la France pourra soutenir une position ambitieuse alors qu'elle préside le Conseil de l'Union européenne depuis le 1er janvier 2022 et que d'ici la fin de cette année, l'Union européenne doit de nouveau statuer sur la prolongation pour cinq ans de l'autorisation du glyphosate.
Surtout, cette proposition de loi permettra de mettre fin à l'utilisation du glyphosate, dont le risque est avéré pour la santé et l'environnement. Depuis 2015, le glyphosate est reconnu comme cancérogène probable par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), par le biais du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Pourtant, le glyphosate n'est toujours pas interdit par l'Union européenne ou par la France.
Nous refusons qu'il rejoigne la sinistre liste des scandales d'État, à l'instar du chlordécone, pesticide utilisé massivement dans les bananeraies des Antilles de 1972 à 1993. Bien que parfaitement averti des conséquences terribles de ce produit, puisque l'OMS l'avait classé comme pesticide hautement toxique dès 1979, l'État français a privilégié l'économie sur la santé. Pendant des décennies, le chlordécone a infiltré les sols et a pollué durablement l'eau. Il continue de rendre malades les populations antillaises, puisqu'il est la cause de nombreux problèmes sanitaires, comme les cancers de la prostate – dont les Antillais détiennent le record.
Enfin, cette proposition de loi est bienvenue car nous savons qu'il existe des alternatives aux pesticides et à ce modèle agroindustriel à bout de souffle, dont le glyphosate est le symbole. Dans un rapport publié en décembre 2017, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), devenu INRAe, a confirmé la performance économique de l'agriculture biologique. Elle est davantage rémunératrice pour les paysans et permettra de créer des milliers d'emplois, tout en protégeant la biodiversité.
Pour l'ensemble de ces raisons, je soutiendrai cette proposition de loi.
Depuis trente ans, je mène un combat politique pour une sortie effective des pesticides. Je l'ai commencée comme militant associatif et paysan, et je l'ai poursuivi comme élu local, en tant que président de communauté de communes puis de pays, et, finalement, à l'Assemblée nationale. Cela pourra paraître paradoxal mais ma position et celle du groupe socialiste sera – du moins au stade de la Commission – de s'abstenir. Je veux expliquer ici que l'on peut être engagé dans le combat contre les pesticides sans nécessairement emprunter la voie que propose M. Loïc Prud'homme.
D'abord, il nous faut un horizon. Cet horizon, c'est d'abord celui de l'étude Agrimonde-Terra, menée par une vingtaine d'organisations à l'échelle mondiale, qui conclut que l'agroécologie est la solution pour nourrir le monde. C'est aussi celui fixé par l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), qui montre que l'Europe peut sortir des pesticides en trente ans et se nourrir avec des modes de consommation adaptés, tout en continuant à avoir des échanges équilibrés avec la Méditerranée, et notamment avec le Maghreb. C'est enfin l'engagement de l'INRAE vers l'objectif zéro pesticide. Ce programme de recherche, ouvert il y a maintenant deux ans, mené par un institut scientifique majeur et fierté de la France, montre que cet objectif est crédible et accessible.
À la suite de ma nomination par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault comme parlementaire en mission, j'ai émis des recommandations pour le plan Écophyto II. La critique principale que j'adresse au gouvernement actuel, c'est que ce plan n'a pas été mis en œuvre. Il a été planté, en le maintenant au stade léthargique pendant cinq ans. L'exemple le plus patent est celui des néonicotinoïdes. J'ai demandé au ministre de l'agriculture les procès-verbaux des réunions organisées dans le cadre du plan Écophyto, qui montrent qu'il existe des moyens pour sortir des néonicotinoïdes. On n'a pas travaillé sur ce sujet, ni sur celui de l'agroécologie, ce qui a conduit il y a quelques mois au rétablissement en séance publique, de façon honteuse, de l'autorisation de pesticides néonicotinoïdes. Autre exemple, celui du renforcement des certificats d'économie de produits phytosanitaires. Dans le cadre de la loi EGALIM, le Gouvernement est revenu sur les sanctions attachées à ces certificats, de façon insidieuse et avec un manque de respect total pour le Parlement, alors que tous les instituts de recherche et toutes les filières professionnelles admettent qu'il s'agit d'une des modalités les plus efficaces de sortie des pesticides.
En matière de sortie des pesticides, cette législature n'a été qu'une législature de la parole ! Je le regrette profondément. Les voies que nous devons suivre sont celles qui associent le privé et le public, la recherche et l'action, le monde professionnel, la démocratie et la science. Ainsi, l'amendement que nous avions présenté il y a quatre ans, prévoyant des moyens pour la phytopharmacovigilance, a permis d'organiser la sortie du métam-sodium et de trente autres produits.
Nous nous abstiendrons aujourd'hui sur cette proposition de loi parce que je pense profondément que ce n'est pas au Parlement de statuer sur les questions de molécules et de produits. Le faire serait une profonde régression démocratique. Je refuse la dictature du marché tout autant que je refuse celle de l'opinion. Le Parlement doit fixer aux institutions qu'il a créées pour cela – je pense à l'ANSES ou à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) – des objectifs clairs en matière de santé publique et leur garantir les moyens de leur indépendance totale par rapport à tout lobbying, tout en s'assurant de leur capacité à accompagner publiquement la mise en œuvre des alternatives sur le terrain. C'est cela la voient démocratique que nous devons suivre ! J'en veux pour preuve la question des néonicotinoïdes. Suivre la voie démagogique d'une interdiction brutale du glyphosate aboutirait à le remplacer par trois molécules plus cancérigènes. Nous nous abstiendrons donc au nom de la santé publique, de l'agroécologie et de notre vision d'une alimentation saine pour tous et de la santé des sols et des hommes.
Monsieur Prud'homme, j'ai décortiqué votre rapport. Il m'a surpris puisque vous avez choisi d'abandonner la rhétorique habituelle de La France insoumise : pas de dénonciation de Monsanto – qui d'ailleurs n'existe plus –, des OGM ou des affres du capitalisme sauvage. Je n'y ai pas trouvé non plus de remise en question de l'économie de marché ou de l'Union européenne, en particulier de l'EFSA, ni de critique de l'organisation du service de l'État, en particulier de l'ANSES. Votre rapport n'a donc rien de révolutionnaire, ni de décroissant et m'en deviendrait presque sympathique.
J'ai surtout trouvé votre rapport, et les explications qu'il contient, très clair et je vous en félicite. Vous y présentez de façon pédagogique le cadre législatif existant sur l'autorisation et la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. J'ai essayé pendant des années dans l'hémicycle de vous convaincre. J'ai l'impression donc d'avoir servi un peu à quelque chose, au moins sur ce point-là.
Quelques points pourraient en revanche être améliorés.
Vous écrivez qu'aucune mesure nationale n'a été prise, tout en rappelant – et c'est contradictoire – que sur 201 produits contenant du glyphosate, 69 détiennent encore aujourd'hui une AMM. En réalité, le processus de sortie du glyphosate est donc déjà largement engagé puisque deux tiers des autorisations de mise sur le marché ont été retirés. Vous critiquez entre les lignes le délai de grâce accordé aux industriels. Nous avons déjà eu ce débat lors du vote sur la loi « climat et résilience », en particulier sur les produits réfrigérants utilisés par les fabricants de réfrigérateurs. Autre regret, vous faites référence aux travaux de votre collègue Bénédicte Taurine et à ceux de nos collègues sur la mission d'information sur la sortie du glyphosate. En revanche, rien sur la mission d'information commune sur le glyphosate qui avait été présidée en début de législature par notre collègue Élisabeth Toutut-Picard. Son travail a posé les bases d'une meilleure compréhension des problèmes auxquels nous devons faire face, tels que l'impact sur les systèmes de production, notamment sur les techniques culturales simplifiées, ou la réduction des gaz à effet de serre. Il aurait été intéressant d'avoir les chiffres les plus récents des ventes de glyphosate en France en 2021 mais peut-être les obtiendrons nous avant le débat en séance publique.
Votre rapport contient une inexactitude. Vous affirmez que le Luxembourg a interdit l'ensemble des produits phytopharmaceutiques sur son territoire. C'est faux : l'interdiction ne concerne que le glyphosate.
Enfin, le titre de votre proposition de loi vise à interdire le glyphosate, alors que vous savez très bien que la France n'a pas la compétence juridique d'interdire la molécule du glyphosate. Elle ne peut que légiférer sur les usages qui en sont faits sur son territoire, en raison des particularités locales et sectorielles.
Vous comprendrez donc qu'il y a encore de la marge avant que je ne vote une proposition de loi présentée par La France insoumise.
Les regards sont aujourd'hui tournés principalement vers le glyphosate et les néonicotinoïdes, mais cette affaire du glyphosate est l'arbre qui cache la forêt car le débat, à l'échelle de la France et de l'Union européenne, doit porter sur la transition de l'agriculture vers des pratiques plus responsables. Et ce débat vaut pour tous les herbicides, tous les désherbants, tous les fongicides et tous les insecticides, c'est-à-dire tous les produits composés de molécules de synthèse ayant des effets connus ou inconnus sur la santé humaine, animale et végétale. Dans ce débat, la déclaration malencontreuse du Président de la République a fait du mal – c'est assez répétitif... Si, lors de l'examen du projet de loi EGALIM, on avait demandé au ministre de l'agriculture sa position sur l'interdiction de ces substances, il n'aurait certainement pas annoncé une échéance de trois ans.
Les meilleures alternatives aux produits de synthèse sont celles de l'agroécologie, qui est défendue depuis une dizaine d'années dans notre dans notre pays, avec la certification de haute valeur environnementale, l'agriculture de conservation des sols ou l'agriculture biologique.
Il faut être très attentifs à notre agriculture et à nos agriculteurs et au devenir des 28 millions d'hectares de surface agricole utile. On constate en effet actuellement une diminution de certaines productions, je pense particulièrement à l'élevage, et à une inflation du prix de certaines matières premières. Comment expliquer que le prix du beurre augmente alors que la production laitière est un domaine d'excellence de la France ?
Il est facile de proposer dans un article unique la suppression d'un produit classé comme probablement cancérigène, sans proposer d'alternative. Hier soir, le restaurant de l'Assemblée nationale proposait du raisin, qui ne venait certainement pas d'Agen, mais plus probablement du Chili ou du Venezuela. Personne ne s'est demandé si ce raisin contenait des produits dangereux.
Je siège sur les bancs de cette assemblée depuis un certain nombre d'années et je ne peux pas m'empêcher de penser à Mme Barbara Pompili. Je la crois sincère dans son engagement et je me souviens de ses déclarations répétées contre le glyphosate, contre les néonicotinoïdes ou contre le nucléaire. Maintenant qu'elle est aux responsabilités, elle a dû ravaler son chapeau, sa cravate et le reste en déclarant qu'il faut donner le temps nécessaire à la transition.
Il nous faut avoir en ligne de mire les efforts faits par l'agriculture française et la réflexion qui doit être menée à l'échelle de l'Union européenne. Le groupe UDI-I ne soutiendra donc pas cette proposition de loi.
Le Gouvernement aura profité des fêtes de fin d'année pour remettre à l'honneur les produits phytopharmaceutiques. Le 27 décembre dernier, le ministère de l'agriculture a présenté un projet d'arrêté autorisant à nouveau l'utilisation de semences de betteraves sucrières traitées avec des néonicotinoïdes. Pourtant, on nous avait juré que ceux-ci ne seraient réutilisés qu'en ultime recours. Ainsi, ce qui devait être une exception redevient la règle, et les promesses présidentielles de réduire notre dépendance aux produits phytosanitaires sont de nouveau oubliées. Nous ne sommes pas vraiment surpris puisque nous avons tous en tête le précédent du glyphosate.
Souvenez-vous : le 27 novembre 2017, le chef de l'État demandait au Gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l'utilisation du glyphosate soit interdite en France au plus tard dans les trois années suivantes. Prenant le Président au mot, j'avais déposé avec des collègues, en 2018, une proposition de loi visant à interdire l'usage des produits phytopharmaceutiques à base de glyphosate. À l'époque, nous nous alarmions de la hausse continue de l'usage de ce pesticide et nous souhaitions accélérer le calendrier de la majorité. Je n'imaginais pas pour autant que, moins de deux ans après la déclaration du Président, le Gouvernement renoncerait à cette mesure.
Certes, des avancées ont eu lieu. En 2020, les ventes de ces substances ont reculé de 20 % par rapport à la moyenne de 2012-2017, mais cette dynamique à première vue encourageante camoufle une réalité beaucoup plus inquiétante. La consommation globale de glyphosate reste stable. Elle est ainsi remontée à 8 644 tonnes en 2020, quantité similaire à celle utilisée dans les années 2015, 2016 et 2017. On nous promet aujourd'hui une diminution à la suite des nouvelles restrictions d'usage mises en place par l'ANSES, mais les résultats tardent à se concrétiser et pendant ce temps, le glyphosate continue d'empoisonner ses utilisateurs. Faut-il le rappeler, les agriculteurs sont les premières victimes de cet herbicide, qui est un cancérigène probable selon le CIRC qui est une agence de l'Organisation mondiale de la Santé. La nature est l'autre victime de ce produit. La pollution des produits phytopharmaceutiques et celle du glyphosate en particulier appauvrit les sols et la biodiversité. Quant aux cours d'eau, ils sont massivement contaminés depuis de nombreuses années.
Il y a urgence à mettre fin aux effets délétères de cette molécule. C'était la promesse du président Emmanuel Macron mais il y a renoncé. Je suis, à titre personnel, convaincu que seule une interdiction stricte y parviendra. Les alternatives techniques existent, à condition que l'on ait la réelle volonté, et tout l'enjeu aujourd'hui est d'accompagner les exploitants agricoles dans leur transition. Je souscris donc au principe développé par cette proposition de loi.
Les députés communistes sont engagés sans ambiguïté dans la transformation agroécologique de notre agriculture, qui exige une réduction très importante de l'usage des intrants et des produits phytosanitaires pour l'ensemble des productions agricoles – en commençant par les molécules qui se révèlent les plus dangereuses ou ayant le plus d'impact pour la santé, la biodiversité et l'environnement, comme le sont les herbicides à base de glyphosate, qui sont au cœur de notre système de production.
Pour autant, nous aurions tort de laisser croire que nous réglerions à bon compte le problème global de l'utilisation des produits phytosanitaires en interdisant simplement par la loi l'utilisation de cette molécule. L'ampleur du défi agronomique est d'un tout autre niveau. Cette proposition de loi visant à interdire l'utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant du glyphosate renvoie d'ailleurs au décret les modalités d'application de cette interdiction, ce qui démontre toute la difficulté de vouloir légiférer en une phrase sur un débat complexe, qui doit prendre en compte tous les facteurs et toutes les difficultés qu'une telle interdiction va poser.
Après les envolées présidentielles de 2017, le Gouvernement a dû miser sur une stratégie de sortie progressive du glyphosate, assortie de dispositifs d'aides – qui demeurent très insuffisants – en direction des agriculteurs. On ne peut cependant pas légiférer pour faire de l'affichage en simple réaction aux tergiversations et insuffisances de la majorité sur ce sujet. Il faudrait légiférer sur les effets de verrouillage sociotechnique qui maintiennent les agriculteurs dans une relation de dépendance à l'égard des industriels, sur les moyens et outils pour sortir de systèmes spécialisés et territorialisés, et sur les conditions économiques et techniques nécessaires à chaque producteur pour accompagner dans la durée la transformation globale de son système de production.
Le résultat peu probant, voire l'échec, des politiques de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires invitent ainsi à une certaine circonspection dans un contexte d'aggravation des conditions de la concurrence, de dégradation du revenu et d'absence d'une volonté européenne d'accélérer la transition agroécologique dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) comme dans celui des plans stratégiques nationaux.
Les travaux d'expertise, notamment ceux confiés à l'INRAe, visant à fournir à l'ANSES des éléments pour arbitrer sur la liste des retraits du glyphosate pour chaque type de culture, démontrent que des impasses techniques subsistent. Le lien extrêmement étroit entre travail du sol et recours au glyphosate pour les grandes cultures est un sujet particulièrement sensible. Moins travailler le sol entraîne un recours au glyphosate, même minime, en interculture. Or, moins travailler le sol participe à la conservation de ses qualités agronomiques et au stockage de matière organique et de carbone.
Les principales alternatives techniques identifiées par l'INRAe pour limiter drastiquement ou se passer totalement du glyphosate en grandes cultures passent par un travail du sol renforcé ou des labours plus fréquents. Le problème central, c'est la difficulté à concilier stockage de carbone et régénération des sols agricoles sur les surfaces de grandes cultures, puisqu'il faut labourer plus pour se passer des outils chimiques. Plus de passages mécaniques, c'est plus de charges de mécanisation et plus de carburant, et donc globalement, plus d'émissions de CO2.
Comme le soulignent de nombreuses études scientifiques, la problématique est plus complexe et évidemment beaucoup moins populaire qu'une simple inscription immédiate d'une interdiction d'usage dans le code rural. Tout en soutenant l'objectif – que nous partageons tous – d'arriver le plus rapidement possible à l'interdiction du glyphosate au niveau européen, le groupe GDR s'abstiendra de façon responsable sur ce texte.
Le renoncement à l'interdiction du glyphosate est évidemment un symbole important de l'échec du quinquennat d'Emmanuel Macron en matière d'écologie, ainsi que de ses renoncements. On apprend ce matin dans Le Parisien que l'erreur aurait été d'avoir annoncé la sortie du glyphosate, et non de ne pas avoir mis en œuvre cette sortie.
Nos collègues de la majorité disent que des avancées ont été réalisées. C'est totalement faux ! La quantité de glyphosate utilisée en 2020 est la même qu'en 2017. Vous nous dîtes qu'il n'y a pas d'alternative au glyphosate. C'est faux ! Vous nous dîtes qu'il n'y a pas urgence pour le vivant et pour la santé. Je le dis avec respect pour MM. André Chassaigne ou Dominique Potier, qui nous parlent d'une sortie lente sur plusieurs années : nous sommes dans une situation d'urgence absolue d'extinction du vivant aujourd'hui, alors que le glyphosate détruit massivement la faune et la flore. On nous dit encore que l'interdiction doit se faire au niveau européen et non au niveau français. C'est faux ! La France était un des pays rapporteurs chargés de nourrir le dossier sur le renouvellement de l'autorisation du glyphosate, qui va être examiné en 2022. Qu'a fait la France ? Des manœuvres, caractérisées par des conflits d'intérêts et par le non-respect des règles de déontologie, ont eu lieu au sein de l'ANSES, au point que le CIRC a été mis en demeure par l'ANSES de collaborer avec Bayer Monsanto. Dans un tel contexte, le CIRC s'est retiré de la procédure et a refusé de mener les travaux scientifiques qui lui ont été demandés.
Si je vous disais que 99 % des études scientifiques indépendantes faites sur la covid-19 sont écartées du processus des décisions publiques, vous crieriez au scandale démocratique et scientifique. C'est pourtant ce qui se passe pour le glyphosate. Je voterai donc cette proposition de loi.
Malheureusement, il n'y a pas de séance de rattrapage du débat autour de l'amendement que j'avais présenté dans l'hémicycle au moment du vote de la loi EGALIM lequel, je le rappelle, n'a été rejetée qu'à une poignée de voix. Je me réjouis que cette proposition de loi soit mise à l'ordre du jour car elle a au moins pour vertu pédagogique de montrer les véritables clivages autour de l'écologie.
Nous voulons tous un pays plus vert, plus sain et plus écologique. Malheureusement, tout n'est pas toujours aussi simple et la bonne volonté et les bons sentiments ne suffisent pas pour protéger les cultures agricoles. En matière de produits phytosanitaires, la France va bien au-delà des normes européennes. Pourtant, nos supermarchés sont inondés de produits qui ne respectent pas les exigences auxquelles les producteurs français sont soumis. Les consommateurs ne sont donc pas mieux protégés. L'accord économique et commercial global (AECG) n'est malheureusement qu'un exemple parmi d'autres.
Il convient de trouver un juste équilibre, car tous les agriculteurs, quelle que soit la taille de leurs exploitations et leur mode de production, doivent lutter contre les parasites et les mauvaises herbes et encadrer les espèces invasives. Ils doivent assurer la rentabilité de leur exploitation dans un contexte de forts aléas climatiques. Le département de la Loire a ainsi connu des épisodes de sécheresse et de grêle au cours des derniers mois. Les agriculteurs ont besoin de solutions techniques, de stabilité réglementaire et de conditions de production comparables à celles des autres producteurs européens.
Oui à la protection de l'environnement, mais pas au détriment de nos agriculteurs ! C'est pourquoi j'estime que la trajectoire de sortie du glyphosate doit s'accompagner d'une harmonisation européenne des normes et de solutions de substitution financière accessibles.
Les débats ardus sur le glyphosate ne sont que le cas le plus visible du sujet bien plus vaste des procédures d'évaluation des pesticides par les agences internationales. Régulièrement sur la sellette, ces procédures engendrent toujours d'intenses suspicions sur les pratiques des grandes entreprises et sur l'indépendance des agences. Après tout, l'OMS a reconnu en 2000, dans un volumineux rapport, avoir été flouée des décennies durant par l'action cynique et coordonnée des marchands de cigarettes. On ne peut donc exclure de telles actions de la part d'autres puissants secteurs industriels. La colossale méta-analyse indépendante de l'INSERM, fondée sur plus de 5 000 études, conclut à la présomption forte d'un lien entre l'exposition aux pesticides et plusieurs lourdes pathologies. Pour le cas particulier du glyphosate, elle réévalue de faible à moyenne la présomption de risque accru de lymphome non-hodgkinien.
Dans un rapport transpartisan de 2019, dont notre collègue Philippe Bolo était l'un des rapporteurs, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) émettait des recommandations pour augmenter la confiance dans les agences européennes, telles que la mise à jour régulière des lignes directrices d'évaluation. Cela vaut pour les risques sanitaires mais aussi environnementaux – à plus forte raison dans le contexte actuel d'effondrement cataclysmique de la biodiversité qui touche les abeilles – mais aussi tous les insectes. Les chiffres sont terribles : jusqu'à deux tiers de biomasse perdue en seulement une douzaine d'années dans certains territoires voisins. C'est le thème d'une note très documentée de l'OPECST, présentée récemment par la sénatrice de l'Union centriste Annick Jacquemet, qui rappelait, entre autres causes, le rôle majeur des pesticides dans ce déclin effrayant pour l'avenir de la planète.
Dans cette situation de crise, l'EFSA a proposé dès 2012 une réévaluation très soignée de ses procédures, en particulier pour évaluer l'effet chronique des pesticides. Or, voilà dix ans que les États membres bloquent cette mise à jour. Un rapport de 2017 signé d'ingénieurs travaillant pour tous les plus grands groupes mondiaux de pesticides nous éclaire sur cet immobilisme. Il conclut que rien que pour les abeilles, ces règles mèneraient à bannir quelque 80 % des usages actuels de pesticides et en déduit que les nouvelles règles seraient inappropriées. J'en conclus que ce sont les produits qui sont inappropriés !
Pour toutes ces raisons, la proposition de loi de notre collègue Prud'homme, que je soutiendrai à titre personnel, doit être considérée comme un appel vers des mesures bien plus fortes : révision des règles d'évaluation européennes et interdiction d'une grande majorité des pesticides actuellement utilisés. Certes, ce bouleversement de l'agriculture sera extraordinairement difficile à réaliser, mais nous ne pouvons continuer à détourner le regard de la catastrophe qui se rapproche de nous.
Sur un sujet aussi sensible, il convient d'être clair. L'agriculture française est une richesse et elle respecte globalement notre environnement. De nombreux agriculteurs sont à l'origine de procédés innovants et d'initiatives s'inscrivant dans le cadre de la transition écologique. Plutôt que d'adopter une position de principe déconnectée des réalités du terrain, il faut réfléchir aux conditions de sortie progressive du glyphosate, en termes de produits de substitution et en termes de coûts, pour ne pas pénaliser encore davantage les agriculteurs.
Il faudrait adopter le même raisonnement pour tous les produits importés en France qui ne respectent pas nos normes. Je prendrais l'exemple de la lentille du Canada, qui est vendue en France alors que d'énormes quantités de glyphosate sont utilisées pour sa culture. Dans un contexte tendu, la France ne peut imposer de nouvelles exigences normatives susceptibles de mettre ses agriculteurs dans une situation de désavantage comparatif. Qu'en pensez-vous et que proposez-vous, monsieur le rapporteur ?
Nous nous focalisons aujourd'hui sur le glyphosate, puisque le Président de la République avait lui-même centré le débat sur ce produit et qu'il s'agit bien ici de mettre le pied dans la porte. Mais notre réflexion sur la question de l'usage des produits phytosanitaires est bien plus large.
Notre collègue de la majorité a parlé d'injonctions idéologiques contradictoires. Parlait-il du Président de la République et de son fameux « en même temps » en la matière ? En même temps, sortir du glyphosate et en même temps y rester. En même temps, dire que nous ne pourrons en sortir que si des solutions alternatives existent et en même temps ne travailler à aucune solution alternative…
Lors du débat sur le projet de loi autorisant de nouveau les néonicotinoïdes, nous avons vu que la baisse de production de betterave a surtout eu un impact sur la capacité à exporter du sucre et non sur notre autosuffisance – ce qui invalide les discours de la majorité sur la souveraineté alimentaire. Dans l'intervalle, nous avons constaté que la production des petites parcelles qui avaient fait leur conversion en bio avait moins souffert que les grandes parcelles utilisant des phytosanitaires.
J'ai entendu nos collègues de la majorité dire que c'est sous cette législature que les surfaces en bio ont doublé. C'est vrai, mais rappelons que nous sommes passés de 5 % à 10 % des surfaces agricoles utiles. Bravo ! Est-ce vraiment grâce à vous ? Non. C'est grâce au choix des consommateurs, qui a rendu les productions bio plus rentables.
Oui, nous pouvons faire différemment. Notre collègue Prud'homme en fera la démonstration dans les réponses qu'il vous apportera.
Monsieur le rapporteur, je ne partage pas du tout votre approche, ni sur le fond, ni sur la forme. Sur la forme, c'est dévaloriser le travail de l'Assemblée nationale que de penser qu'on peut apporter une réponse à des questions complexes, telles que l'écroulement de la biodiversité ou la rémunération des agriculteurs, par une proposition de loi à article unique. Ces sujets doivent être abordés de façon multifactorielle et non symbolique.
La méthode à suivre doit s'appuyer sur une approche européenne, pour éviter les distorsions de concurrence – je sais que ce n'est pas un sujet qui vous fait vibrer – mais aussi pour garantir l'efficacité de l'action des États à l'échelle d'un continent, qui sera peut-être un précurseur en la matière.
J'ai lu dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi un plaidoyer à charge contre l'agriculture française, alors que les agriculteurs ont besoin d'être accompagnés et non stigmatisés. Je récuse votre méthode. Le Gouvernement, malgré ce qu'a pu dire Mme Delphine Batho, a pris des mesures qui ont permis la diminution de l'utilisation de glyphosate et de l'ensemble des produits phytosanitaires et l'augmentation des surfaces en agriculture biologique. Il faut accompagner et non pas stigmatiser !
Monsieur Moreau, vous avez parlé des lourdes conséquences qu'entraînerait l'interdiction du glyphosate, mais vous ne les avez pas détaillées. Je me permets de citer vos propos. Ceux que vous avez tenus en séance publique le 21 février 2019 : « Au nom du principe de précaution, il faut interdire le glyphosate, et nous le ferons, tous ensemble, de manière coordonnée et en bonne intelligence. Ce sont les paysans qui sont les principaux exposés […]. Madame la rapporteure, vous jugez vous-même dans votre rapport que le délai de trois ans est suffisant pour accompagner les agriculteurs dans la transition agroécologique et trouver des alternatives au glyphosate pour les 10 % d'usage restants. Nous aussi, députés de la majorité, en sommes persuadés. Dans trois ans, nous aurons trouvé des solutions pour la très grande majorité des cultures. Dans trois ans, nous interdirons le glyphosate […]. » Cher Jean-Baptiste Moreau, je vous propose donc de mettre vos actes en cohérence avec vos propos et de soutenir cette proposition de loi.
Certains d'entre vous ont répété qu'il n'y aurait pas d'alternatives et que la question économique devrait prendre le pas sur tout le reste. Les alternatives existent, vous les connaissez, vous les avez parfois même citées. Des rapports de l'INRAE démontrent que la modification des pratiques culturales permet de se passer de ces pesticides et 55 000 agriculteurs bio s'en passent, parfois depuis toujours, tout en atteignant une performance agronomique et financière à la hauteur. Les revenus dégagés par ces pratiques sont aujourd'hui supérieurs au revenu paysan. L'arbitrage que vous proposez entre santé, environnement et revenu paysan aboutit à n'avoir ni protection de l'environnement, ni santé pour nos concitoyens, ni amélioration du revenu paysan.
Monsieur Dive, vous avez évoqué la mission commune sur le glyphosate qui a auditionné toutes les parties prenantes et a réalisé un travail exhaustif. Je me rappelle très bien – puisque j'ai assisté à l'ensemble des travaux – de l'audition du président de la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB), qui avait démontré de manière à la fois claire et technique que les pratiques agronomiques offraient des alternatives fiables dans la majorité des usages. Faire croire qu'il n'existe pas d'alternatives relève donc de la malhonnêteté intellectuelle.
Nous ne remplacerons pas le glyphosate par une autre molécule car ce n'est pas souhaitable. Nous le remplacerons par des pratiques agronomiques déjà existantes, pratiques qui font appel à l'intelligence des agriculteurs, à leur savoir-faire et à leur savoir académique.
Sur la question de la surtransposition, je vous rappelle que les prérogatives des États membres de l'Union européenne sont bien de statuer sur les autorisations de mise sur le marché des formulations commerciales.
Monsieur Herth, j'ai bien compris que c'était la forme qui vous empêchait d'être insoumis. Comme elle est corrigée, vous vous rallierez à nos positions. J'en suis ravi car cela nous permettra d'avancer sur la sortie du glyphosate.
Certains d'entre vous ont reproché à notre proposition de loi de ne pas prévoir de dispositifs d'accompagnement mais ceux-ci existent déjà et la proposition de loi ne prévoit pas de les supprimer ou de les réduire. Cet argument est donc nul et non avenu.
En ce qui concerne la nécessité d'une sortie rapide du glyphosate, je reprendrai les arguments de Delphine Batho. Monsieur Potier, vous nous dites que cette sortie est possible dans trente ans, mais cela fait trente ans qu'on nous annonce une sortie dans trente ans ! Vous soutenez par ailleurs que ce n'est pas au législateur de décider et qu'il faut s'en remettre aux autorités sanitaires. La décision de sortie est pourtant éminemment politique. Cher Dominique, que faisons-nous ici ? N'appartient-il pas aux décideurs politiques de définir la trajectoire de la production alimentaire de notre pays ? Si vous renoncez, nous ne nous renonçons pas et je vous invite à vous libérer de ce carcan qui vous est insupportable en ne vous représentant pas en 2022.
Monsieur Falorni, le glyphosate contribue massivement à la pollution des eaux – sujet sur lequel la France est régulièrement épinglée. J'ajoute que la détection de ses métabolites n'est pas suffisamment prise en compte par les systèmes de surveillance et que la qualité de l'eau peut s'en trouver surévaluée.
Cher Président Chassaigne, le décret prévu par cette proposition de loi permettra de mener des discussions avec les parties prenantes afin de définir les modalités fines de sortie. Je suis d'accord avec vous sur les verrouillages sociotechniques qui nous bloquent depuis de nombreuses années. Ils empêchent les professionnels –qui sont tous de bonnes volontés – de changer leurs pratiques. Pour faire sauter ces verrous, il nous faut un levier le plus long possible : c'est l'objet de cette proposition de loi. Pour juguler les adventices, il faut effectivement plus de travail du sol qui entraîne une augmentation de la consommation de carburant et donc des émissions de CO2. Je me souviens d'une audition menée dans le cadre de la mission d'information commune auprès de viticulteurs. Je les avais interrogés sur le bilan carbone de la production des pesticides. L'un d'eux avait levé les bras au ciel en s'exclamant : « Si on doit tout compter, on ne va pas y arriver ! ». Oui, il faut tout compter, et notamment les importantes émissions de CO2 de la production de pesticides, afin de pouvoir peser les deux côtés de la balance. L'argument de la consommation de carburants est fallacieux et un peu facile.
Monsieur Villani, il y a effectivement un souci concernant l'évaluation des pesticides. Au niveau européen, les dossiers d'évaluation de demande d'autorisation de substances actives sont soumis uniquement par les pétitionnaires, c'est-à-dire les industriels qui veulent commercialiser des molécules sur le marché. On comprend donc pourquoi, comme l'a rappelé Mme Delphine Batho, 99 % des études sont mises sous le tapis pour ne présenter que le 1 % les plus favorables. Il y a là un réel problème de conflit d'intérêts et de neutralité. Cela a été relevé. L'EFSA a essayé de corriger ces pratiques mais nous sommes encore bien loin d'un système parfait. Ce problème de neutralité et de conflit d'intérêts se retrouve au niveau des agences nationales, puisqu'elles se basent sur les mêmes dossiers et qu'elles n'ont pas les moyens de réaliser des études de toxicité de long terme des formulations commerciales. Pour sortir de cette impasse, il faut donc armer la recherche publique pour qu'elle puisse mener des contre-expertises et des études indépendantes, en imposant aux industriels de l'agrochimie de joindre à leur dossier un gros chèque pour financer les études nécessaires à l'évaluation à court, moyen et long terme.
Monsieur Vigier, le dumping social et environnemental est aussi une de mes préoccupations et l'Assemblée nationale doit légiférer pour que le grand déménagement du monde ne se fasse pas au détriment de nos producteurs et de nos agriculteurs. J'ai assisté récemment à une conférence de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. Son président y avait fait état de ses positions en faveur du protectionnisme. Le ministre de l'agriculture, ne voulant pas prononcer le mot de protectionnisme, qui est sans doute un gros mot dans sa bouche, avait parlé de « clause miroir ». Il ne faut pas nous prendre pour des lapins de six semaines : nous ne mangerons pas les lentilles canadiennes au glyphosate et nous protégerons les lentilles françaises. Nous sommes d'accord, Monsieur Vigier, là-dessus. Le protectionnisme ne doit pas être un sujet tabou, pas plus que notre capacité à légiférer sur des sujets tels que ceux-là.
Monsieur Turquois, je ne suis pas surpris par votre position. Nous avons fréquenté les mêmes commissions où nous avons discuté de l'approche multifactorielle. Vous reconnaissez que la protection de la biodiversité est nécessaire. J'attends que vous nous présentiez une proposition de lois qui permettent d'embrasser la complexité de ces questions avec votre regard et votre expertise particulière. Amendez ! Sous-amendez ! Vous ne pouvez pas vous contenter d'invalider une proposition de loi au prétexte qu'elle n'a pas la même approche initiale que la vôtre. L'amour, c'est bien, les preuves d'amour, c'est mieux ! Si vous aimez la biodiversité, donnez-en des preuves. Proposez des textes qui correspondent à votre approche. Je ne prétends pas détenir la vérité et je sais aussi amender les choses sur la forme et sur le fond.
Article unique
La commission examine l'amendement CE1 de M. Jean-Baptiste Moreau et de plusieurs des membres du groupe La République en marche.
Le présent amendement, que j'ai déposé au nom du groupe La République en Marche, vise à supprimer l'article unique de la proposition de loi.
M. le rapporteur m'a fait l'honneur de citer mes propos. Je ne renie absolument rien de ce que j'ai dit mais, contrairement à lui, je ne suis pas un dogme absolu et je sais écouter les gens concernés par les sujets, faire face au réel et adapter ma position à la réalité du terrain, au lieu de rester dans un « y a qu'à, faut qu'on » difficilement conciliable avec cette science excessivement complexe qu'est l'agronomie.
Notre majorité assume le choix qu'elle a fait du pragmatisme, c'est-à-dire de ne pas interdire sans solution de remplacement. Vous m'expliquerez par exemple comment vous éliminez une plante vivace comme le liseron, qui se multiplie au fur et à mesure des interventions mécaniques et qu'aucun herbicide hormis le glyphosate n'est capable de détruire. Le président Chassaigne a bien expliqué combien l'agronomie est complexe. On peut dire certaines choses ici mais, quand on est sur le terrain, il en va tout autrement.
Depuis cinq ans, en effet, la France est la locomotive européenne sur le sujet. Elle s'est opposée au renouvellement pour dix ans du glyphosate, entraînant certains pays. La stratégie de sortie du glyphosate ne peut s'envisager qu'au niveau européen : la mener uniquement au niveau français aurait pour conséquence de faire disparaître l'agriculture française, tout simplement ! Si elle mourrait, nous n'aurions pas beaucoup amélioré l'environnement puisque nous serions obligés d'importer des produits cultivés selon des normes que nous ne maîtrisons pas.
Pour toutes ces raisons, il faut supprimer l'article unique.
Dogme pour dogme – chacun le sien, cher collègue Moreau –, mon avis est évidemment défavorable car l'amendement vise à supprimer l'article unique, donc la proposition de loi. Ses auteurs tirent argument d'une prétendue absence de solutions de remplacement, ce qui aurait des effets désastreux sur notre agriculture. Or, certains travaux de l'ANSES et de l'INRAe démontrent qu'il existe des pratiques et des produits non chimiques susceptibles de remplacer le glyphosate dans ses usages.
Dès lors, on ne peut plus – comme le font le Gouvernement et la majorité à l'Assemblée nationale depuis trois ans – se retrancher derrière des obstacles techniques ou économiques afin de justifier le maintien d'une substance dont les dangers ne font plus aucun doute parmi les scientifiques. Les parlementaires qui ont signé l'amendement ne peuvent pas davantage contester les limites que rencontre une politique consistant à ne pas renouveler les AMM ou d'en restreindre le champ. Comme l'indique l'état des travaux sur la proposition de loi, les ventes de glyphosate sont à nouveau en hausse. Le niveau de consommation moyenne n'a pas faibli en trois ans et demeure comparable à celui de 2013. Dans ces conditions, les pouvoirs publics ne peuvent s'en tenir aux avancées très lentes d'une transition remise aux calendes grecques.
La position dogmatique sur laquelle vous vous arc-boutez et que vous ressassez ne tient compte ni des risques sanitaires et environnementaux que comporte l'usage du glyphosate, ni des perspectives qu'ouvrent les avancées de l'agronomie, qui n'est certes pas une science facile. L'expertise des agriculteurs est à la hauteur de ces défis.
Cette position se révèle d'autant plus incompréhensible qu'elle ne correspond ni aux engagements pris par le Président de la République, ni à la voie que défendait la France en 2017 face à la Commission européenne. Le refus de l'interdiction du glyphosate confine à de l'attentisme – j'ai parlé de procrastination. Il faudra que l'on nous explique pourquoi d'autres États européens s'engagent résolument pour en bannir l'usage. Je souhaiterais aussi comprendre pourquoi certains membres éminents de cette assemblée semblent repousser aux calendes grecques cette échéance, alors que la mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate se montrait nettement moins pessimiste. Son rapport suggérait en effet une possibilité de sortie dans des délais bien plus raisonnables.
Adopter l'amendement serait un nouveau renoncement, voire une faute. Mon avis est donc défavorable.
Je veux redire à M. Loïc Prud'homme et à Mme Delphine Batho, notamment, que je ne suis pas fondé à recevoir des leçons de radicalité sur les questions relatives aux pesticides. Depuis trente ans, comme praticien, je fais partie de ces paysans bios qui se passent du glyphosate, ce qui signifie beaucoup de sueur, de poussière, de mécanique, de travail, et je veux leur rendre hommage. Comme élu, je représente un territoire où nous avons fait en sorte que près d'un quart des exploitations et 80 % du vignoble soient bios. Pas de leçon de radicalité !
L'IDDRI indique que trente ans sont nécessaires pour sortir de l'ensemble des pesticides – et non du seul totem du glyphosate –, défendre le revenu des paysans et nourrir l'Europe, et qu'il ne faut pas tarder une seconde. Je suis de ce combat, avec responsabilité, et mon boulot de réformiste est d'y arriver.
Enfin, je répète cet argument, qui n'est pas entendu : dans les démocraties modernes, le Parlement ne légifère pas sur l'émotion, ni sur les médicaments ou la phytopharmacie. Il confie à des agences les moyens éthiques, scientifiques et humains d'accomplir leur œuvre, au nom de la démocratie.
Je m'oppose à l'amendement. Il ne s'agit pas d'une question d'émotion, ni d'un débat sur la radicalité. Le sujet est plutôt celui du film Don't look up : Déni cosmique : doit-on prendre des décisions sur une base obscurantiste, en faisant fi des réalités, des constats scientifiques sur la santé ou de l'effondrement du vivant, quand 80 % des insectes et un tiers des oiseaux des champs ont disparu ? Peut-on faire semblant que tout cela n'existe pas et que le débat ne concerne que les activités humaines, indépendamment de la terre, dont dépendent pourtant nos conditions d'existence ?
Peut-on continuer à scier la branche sur laquelle on est assis ? La réponse est non ! Peut-on changer de modèle agricole ? La réponse est oui ! Tous les jours, dans ma circonscription, des conversions à l'agriculture biologique sont décidées. Elles se font en trois ou cinq ans, en améliorant le revenu des agricultrices et des agriculteurs. C'est donc possible ! Arrêtons de dire que c'est impossible et qu'il faut trente ans !
J'assume parfaitement d'avoir rejoint le combat des écologistes et d'avoir quitté le groupe socialiste, lorsque ses membres ont refusé de signer mon amendement visant à interdire le glyphosate.
Depuis une trentaine d'années, les plus gros efforts consentis ont été réalisés par les agriculteurs, mais pas sous la contrainte ! Aujourd'hui, dans une exploitation, tout est mesuré, tracé – les produits phytosanitaires sont chers, les agriculteurs ne les utilisent pas par plaisir. Les efforts qu'ils ont réalisés sont vraiment impressionnants.
Par ailleurs, une interdiction franco-française n'a aucun intérêt car elle n'aurait aucun impact. Notre production a tendance à laisser la place à davantage d'importations. S'agissant des produits agricoles de base, la balance commerciale se réduit, ce qui est inquiétant. Plus vous adoptez une démarche contraignante, sans concertation avec les agriculteurs, plus vous provoquez l'augmentation des importations de produits cultivés dans des conditions sanitaires bien plus dégradées. Vous pénalisez donc le consommateur français, et perdez la maîtrise de la qualité de ce que nous mangeons. Cela semble vraiment contre-productif.
Certaines caricatures sont extrêmement désagréables, voire blessantes. Je connais des agriculteurs attachés à l'agriculture de conservation des sols avec semis direct sous couvert, qui sont très attentifs aux questions environnementales, ils considèrent que la biodiversité passe aussi par les organismes du sol. Avec leurs techniques, le sol revit : ils le montrent concrètement, lorsqu'on les accompagne sur le terrain. Ce ne sont pas des assassins ! Je le dis clairement.
Pourtant, avec cette conscience des exigences environnementales, ils nous disent que, pour conduire une telle culture, où le sol est déterminant, ils sont obligés d'ajouter une petite dose de glyphosate, dans l'attente de produits de substitution. Sans elle, ils devraient abandonner leurs pratiques et, de nouveau, labourer, assécher le sol et le faire mourir, alors que ce n'est bien entendu pas leur objectif.
Il ne faut donc pas être caricatural : soyons prudents, circonspects et respectons ceux qui font des efforts de culture !
J'ai écouté ce débat, qui est de très bonne qualité : même si nos avis divergent, ils sont exprimés de façon construite et argumentée. Le groupe Agir ensemble votera l'amendement du groupe La République en marche. Nous avons mis quatre ans pour trouver la bonne trajectoire afin de traiter la question du glyphosate, au bon rythme, avec la bonne méthode, avec un partenariat et une discussion avec les parties prenantes, comme vous le souhaitez. Le moment n'est pas venu d'en dévier.
En cohérence avec notre intervention liminaire, le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés votera l'amendement de suppression. Nous sommes dans une démarche responsable et globale de transition et de construction, non dans une démarche radicale. Si la France doit être proactive, la solution n'est pas nationale : elle est européenne.
L'agriculture de conservation des sols ne peut servir de cache-sexe à la masse des usages du glyphosate. Sans refaire le débat passé, nous étions prêts à envisager un calendrier différent pour cette pratique.
Personne n'a traité qui que ce soit d'assassin – et surtout pas les agriculteurs et agricultrices. L'Assemblée nationale discute des règles que les pouvoirs publics prévoient : ce ne sont pas les agricultrices et les agriculteurs, mais l'Assemblée et l'Europe, qui décident si le glyphosate, qui est un produit dangereux, est autorisé ou non. Il ne doit pas y avoir de faux débats sur ce sujet.
Je ne comprends pas pourquoi toute discussion doit être portée à des paroxysmes tels que l'on ne peut plus se parler. Si des gens en traitent d'autres d'assassins, c'est fini, on ne peut plus rien faire. Tel n'est pas le sujet.
Le Parlement incarne la tierce partie de toutes les discussions de la Nation. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours pensé que des accords, même signés entre des syndicats de patrons et de salariés ou acceptés par des syndicats d'ouvriers, ne suffisent pas à forcer ma décision, parce que nous représentons la société, le peuple dans son ensemble. Que les paysans soient capables de dire ce qui est bon pour eux voire ce qui est bon pour tous, est une chose. Mais c'est à nous, et à personne d'autre, de dire ce qui est bon pour tous. L'empoisonnement des sols est un fait ; celui de toutes les eaux du pays, aussi. Nous avons tenu les mêmes raisonnements absurdes avec le chlordécone, jusqu'à ce que 90 % de la population concernée soit affectée.
Enfin, l'agriculture a toujours été une pratique en évolution. Certains modèles agricoles, que l'on croyait très performants, se sont pourtant condamnés. L'agriculture de l'Égypte antique, par exemple, est morte du système de canalisations qui était l'objet de sa réussite – cela est expliqué très clairement dans le livre de M. Dufumier.
Le moment est venu de rectifier les pratiques agricoles. Ne faisons pas un procès en sorcellerie à ceux qui veulent changer cette attitude, d'autant que nous sommes certains de la responsabilité de l'alimentation dans des maladies récurrentes et des facteurs de comorbidité aggravant d'autres maladies. Telle est la situation ! On essaye de la corriger ; ce n'est pas la peine de monter dans les tours et d'en faire une immense guerre civile. Ce n'est pas le sujet.
En effet, la guerre civile n'est pas dans les habitudes de la commission des affaires économiques…
Les usages où des solutions de remplacement existent ont déjà été supprimés par la majorité et le Gouvernement. L'ANSES a ainsi retiré plusieurs AMM, interdisant certains usages, parce qu'il existe des solutions de remplacement économiquement et techniquement viables. Les moyennes d'utilisation sont à appréhender sur plusieurs années : une moyenne sur une année ne veut en effet rien dire car il existe des différences d'usage d'une année à l'autre, selon les conditions climatiques et agronomiques.
Les usages des produits phytosanitaires les plus dangereux sont en baisse, grâce à l'action des agriculteurs. Conscients des demandes des consommateurs, ceux-ci s'y adaptent mais il faut leur en laisser le temps. Je le redis, l'agronomie ne se marie pas avec les « y a qu'à, faut qu'on ».
La commission adopte l'amendement CE1. En conséquence, l'article unique est supprimé.
La commission ayant supprimé l'article unique de la proposition de loi, l'ensemble du texte est rejeté.
Le texte qui sera soumis à l'Assemblée lors de l'examen en séance publique sera donc le texte initial de la proposition de loi du groupe La France insoumise.
Puis la commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi de visant au blocage des prix (n° 4743) (M. Ugo Bernalicis, rapporteur).
Le taux de pauvreté en France est passé de 14,1 % en 2017 à 14,6 % en 2019. En deux ans, 300 000 personnes ont basculé dans la pauvreté et, en 2020, notre pays comptait 10 millions d'habitants vivant sous le seuil de pauvreté. En 2020 et 2021, plus de 8 millions de personnes ont eu recours à l'aide alimentaire, contre 5 millions en 2018.
Cette situation a eu pour corollaire l'augmentation des prix de nombreux produits de première nécessité, en particulier l'énergie. Le prix du gaz a augmenté de 57 % de janvier à octobre 2021, accusant des hausses spectaculaires depuis l'été 2021 – 10 % en juillet puis 5 % en août. Le tarif réglementé de l'électricité s'est accru de 12 % au 1er octobre 2021. Par voie de conséquence, un Français sur quatre a rencontré, en 2021, des difficultés à payer ses factures de gaz ou d'électricité, contre 18 % en 2020. En vingt ans, du fait de leur libéralisation, les prix du marché de l'électricité ont augmenté de 70 %.
Dans ces conditions, la question du prix des carburants continue d'occuper sinon l'esprit, du moins le portefeuille des Français. Le prix moyen du litre d'essence était de 1,65 euro en juillet et août 2021, soit un niveau supérieur à celui en vigueur lors de la mobilisation des gilets jaunes, en 2019.
En cette période de fêtes où le beurre est un peu plus consommé qu'à l'accoutumée, notamment pour la confection des galettes, le prix de cette denrée atteint presque 10 euros le kilo.
Ajoutons qu'en matière énergétique, notre pays compte 4,8 millions de passoires thermiques.
Comment répondre à cette situation ? On ne peut manifestement pas compter sur le marché, où les prix sont fixés en fonction de l'offre et de la demande. L'augmentation du prix du beurre doit d'ailleurs bien davantage à un effet de marché qu'à des difficultés de production, puisque nous produisons cette année, bon an, mal an, la même quantité de lait que nous en avons produit l'année dernière et que nous en produirons sans doute l'année prochaine.
Nous avons regardé ce qu'il était déjà possible de faire en l'état actuel de la loi. L'article L. 410-2 du code de commerce permet de bloquer les prix, mais à titre temporaire, notamment face à des situations de monopole. Nous proposons de le modifier en introduisant un critère d'urgence sociale.
Plutôt que de blocage, nous devrions parler d'administration des prix. L'article 2 de notre proposition de loi vise à modifier les articles L. 410-3, L. 410-4 et L. 410-5 du code de commerce, actuellement applicables aux seuls outre-mer et permettant aux pouvoirs publics – en l'occurrence, aux préfets – de fixer les prix d'un certain nombre de produits. À La Réunion, 153 produits sont placés sous le bouclier qualité-prix, et il est question de porter leur nombre à 250. Une fois n'est pas coutume, au lieu de prévoir des dispositions spécifiques aux outre-mer, nous proposons d'étendre celles qui y existent déjà à la France entière.
Nous demandons ainsi que les prix de cinq fruits et légumes de saison locaux – et, pourquoi pas, bio – soient administrés ou bloqués. Nous rejoignons ainsi la proposition de loi relative à l'interdiction du glyphosate précédemment examinée, mais je laisse ceux qui nous regardent faire le lien entre les deux textes et se forger leur propre avis.
Cette proposition de loi peut être mise en œuvre, puisqu'elle l'est déjà dans plusieurs territoires de la République. Il est souhaitable de le faire dans des périodes de turbulences telles que celles que nous connaissons, lesquelles créent des effets de marché de nature à déstabiliser du jour au lendemain non seulement le portefeuille des consommateurs, mais aussi celui des producteurs.
Au cours de nos auditions, le Médiateur national de l'énergie a indiqué que 200 000 à 300 000 foyers voyaient chaque année leur électricité coupée, alors que cette ressource est considérée, non seulement par La France insoumise, mais aussi par la loi, comme un produit de première nécessité. Des représentants de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) nous ont expliqué que les interconnexions des marchés de l'électricité et du gaz pouvaient entraîner les hausses que nous connaissons aujourd'hui, sans corrélation avec la capacité productive du pays. Des membres de la Confédération paysanne ont eux-mêmes jugé souhaitable le blocage des prix de cinq fruits et légumes de saison, en précisant qu'il conviendrait parallèlement d'évoquer la rémunération des producteurs.
Le dispositif en vigueur à La Réunion comporte deux aspects. L'observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) est une instance de discussions, de réflexions et d'échanges permettant d'observer, produit par produit, le coût de production, les marges et la rémunération des uns et des autres ainsi que le coût final pour le consommateur. Quant au bouclier qualité-prix, il résulte de décisions prises les pouvoirs publics et s'accompagne d'un affichage particulier dans les commerces concernés.
De nombreux Réunionnais ont exprimé leur mécontentement après la mise en place du dispositif, qui ne date que de la fin de l'année 2012. Il n'est évidemment pas exempt de reproches, mais il a au moins le mérite d'exister. La mobilisation des gilets jaunes a entraîné une évolution majeure : le nombre et la qualité des produits concernés ont augmenté, et il a été demandé aux citoyens de faire irruption dans le dispositif. On a décidé de tirer au sort quelques dizaines de citoyens qui, au sein de l'OPMR, s'assoient autour de la table aux côtés des producteurs, des intermédiaires et des représentants de l'État, ce qui leur a permis de faire passer directement des messages à ces différents acteurs.
Les 153 produits présents dans le panier, qui en comptera bientôt 250, ne doivent pas dépasser un montant global de 348 euros. Il peut y avoir un peu de souplesse ou de liberté de marché dans le dispositif, les uns facturant, par exemple, le beurre un peu plus cher, en contrepartie d'une réduction du prix d'un autre produit. Quoi qu'il en soit, on a constaté une baisse des prix ainsi encadrés par le bouclier qualité-prix.
Ce qui était bon et faisable à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe ou en Guyane peut être reproduit dans l'Hexagone, en essayant de ne pas retomber dans les mêmes travers. Le tirage au sort des citoyens effectué La Réunion n'est pas prévu par la loi : il s'agit d'une initiative locale, consécutive à la mobilisation des gilets jaunes, qu'on ne retrouve pas en Guyane mais qu'il est souhaitable d'élargir. D'où les quelques amendements que je vous propose.
Le marché ne peut pas tout – encore heureux ! – et il n'est pas toujours conforme à l'intérêt général. La nécessité du dispositif apparaît clairement pour les territoires insulaires, en raison de leurs caractéristiques particulières, mais il est duplicable dans l'Hexagone.
J'aurai un mot particulier pour les citoyennes de notre pays. Le bilan des Restaurants du cœur montre que les personnes ayant bénéficié de l'aide alimentaire lors des campagnes d'été et d'hiver 2020-2021 sont majoritairement des femmes responsables de familles monoparentales. S'il est bien un enjeu, c'est celui de l'égalité et de la dignité de toutes celles dont le Président de la République a découvert l'existence et la grande difficulté à l'occasion de la mobilisation des gilets jaunes. Elles méritent que l'on porte un regard particulier sur leurs conditions matérielles.
Notre proposition de loi vise à contribuer à faire en sorte que la vie digne soit une réalité en République et que la devise Liberté, égalité, fraternité – j'ajouterai « solidarité » – soit incarnée.
Pour nous, communistes, le marché libre ne saurait être la norme : aussi nous paraît-il nécessaire de sortir de la logique de marché un ensemble de biens et des services. Dans cette perspective, cette proposition de loi visant à une administration des prix, dans certaines conditions, est bienvenue. Je rappelle cependant que les services publics constituent déjà la principale possibilité de fournir un ensemble de biens ou de services en dehors de la logique de marché.
Jusqu'en 1987, l'administration des prix était une modalité très fréquente, mais la libre fixation des prix s'est progressivement développée. Ces dernières années, l'ouverture à la concurrence des marchés du gaz, de l'électricité et de l'eau a représenté un pas supplémentaire, puisque ces produits étaient les derniers administrés par l'État et que les tarifs dits réglementés s'éteindront prochainement et ne seront plus qu'indicatifs.
La France se caractérise aujourd'hui par une économie de marché où la libre fixation des prix est la norme, comme le prévoit l'article L. 410-2 du code de commerce. Il y a quelques exceptions : je pense notamment au coefficient multiplicateur entre le prix d'achat et le prix de vente des fruits et légumes, qui n'est d'ailleurs jamais mis en œuvre mais qui pourrait l'être, et à l'encadrement des produits en promotion, très limité, sauf dans les outre-mer où existent des dispositifs liés aux spécificités économiques de ces collectivités.
L'article 1er de cette proposition de loi nous satisfait, puisqu'il prévoit de supprimer l'alinéa faisant de la libre fixation des prix la norme et d'ajouter aux cas dans lesquels le Gouvernement peut agir sur les prix une situation d'urgence sociale.
L'article 2, beaucoup plus opérationnel, vise à étendre les mesures précédemment citées relatives à l'administration des prix en outre-mer à l'ensemble du territoire national, au moyen de dispositions prises par décret ou par arrêté.
Les produits énergétiques se prêtent parfaitement à l'administration des prix. La fixation des prix peut être considérée comme temporaire puisqu'elle est, pour nous, un préalable à la nationalisation de ces secteurs en vue de la création d'un pôle public de l'énergie.
Pour les autres biens et services de première nécessité, l'administration des prix peut constituer une mesure temporaire en cas de fortes tensions, même si la fixation de ces prix peut se révéler fastidieuse. Si nous considérons qu'il faut commencer par donner des moyens aux consommateurs, la question du prix des biens alimentaires ne peut être séparée de celle des conditions matérielles des ménages et des salaires – le pouvoir d'achat reste avant tout une question de salaires et de partage des valeurs. Toutefois, ces perspectives de long terme n'excluent pas le recours plus fréquent à une administration des prix dans des conditions précises, c'est-à-dire pour un nombre limité de produits en cas de flambée des prix. Tel est l'objectif de cette proposition de loi, que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera.
Cette proposition de loi comporte deux articles. Le premier vise à élargir la possibilité donnée au Gouvernement de réglementer les prix en supprimant le principe de la libre détermination de ces derniers par le jeu de la concurrence ainsi que la nécessité de consulter l'Autorité de la concurrence et le Conseil national de la consommation (CNC), et en autorisant le Gouvernement à bloquer les prix en cas d'urgence sociale, sans aucune limitation législative de durée. Le second article vise à étendre à la métropole la réglementation des prix de vente en vigueur dans les outre-mer.
Vous avez choisi de consacrer la moitié de votre rapport à un réquisitoire dénonçant « une explosion de la pauvreté durant le quinquennat Macron ». En réalité, la majorité a répondu aux attentes des Français en matière de pouvoir d'achat. Pas avec vos solutions, pas par le blocage des prix, mais en favorisant le travail, en baissant de façon inédite la fiscalité – 50 milliards d'euros d'impôts en moins sur cinq ans –, en revalorisant les salaires de nombreuses professions – je pense au Ségur de la santé – et en aidant ceux qui en ont le plus besoin par la revalorisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et du minimum vieillesse. Je ne ferai pas la liste de tout ce que nous avons fait en faveur du pouvoir d'achat au cours du quinquennat.
Nous nous opposerons à votre proposition de loi, d'abord parce que la législation permet déjà au Gouvernement de réglementer certains marchés. Il existe des autorités régulatrices de marchés spécifiques, telles que l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) et la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Le Gouvernement dispose aussi d'outils pour agir en cas d'urgence. C'est ainsi qu'il a temporairement régulé le prix de vente des gels hydroalcooliques et des masques, au début de la crise, et mis en place un bouclier tarifaire pour bloquer les tarifs réglementés de vente du gaz naturel.
La législation existe, fonctionne et s'applique en harmonie avec les règles européennes. Mais vous souhaitez aller plus moins en autorisant tout gouvernement à bloquer tous les prix dans tous les secteurs, sans consultation ni limite dans le temps. Vous affirmez que c'est une solution efficace, alors que les économistes ont bien documenté au cours de notre histoire tous les effets pervers d'un blocage prolongé et généralisé des prix à tous secteurs.
Un tel blocage comporte toujours cinq étapes. À la première, l'État bloque les prix sur un marché en inflation et prétend protéger les consommateurs. À la deuxième, nombre de producteurs qui vendent ou produisent à perte arrêtent de produire. À la troisième, la pénurie sur le marché provoque soit des files d'attente à rallonge, soit un rationnement de la consommation. À la quatrième, on assiste au développement d'un marché noir où l'on vend sous le manteau des biens et services à des prix exorbitants. À la cinquième étape, qui finit toujours par arriver, on arrête le contrôle des prix, ce qui entraîne un violent effet de rattrapage.
Sous cette idée en apparence séduisante se cache toujours une perversité qui, in fine, ne répond jamais à la détresse des consommateurs. Je pourrais citer l'exemple du Venezuela, pays qui ne vous est pas inconnu, où le blocage des prix dans un contexte d'inflation s'est traduit par des files d'attente monstrueuses devant les supermarchés, où les rayons étaient quasiment vides. Au marché noir, le litre de lait coûtait 3,90 dollars à Caracas, beaucoup plus cher qu'à côté.
La douzaine d'œufs valait 3 dollars et le litre d'huile 17 dollars. Voilà l'effet du blocage des prix ! Je pourrais citer d'autres exemples de blocage des prix dans des économies de marché européennes, qui ont eu exactement les mêmes effets.
Ce texte présente un volet positif, qui est la mise en lumière de la pauvreté encore trop présente dans notre pays. Les chiffres avancés dans le rapport sont terribles : 8 millions de Français ont besoin d'une aide alimentaire quotidienne. C'est l'occasion de souligner le rôle essentiel des associations et des bénévoles qui, dans nos territoires, soutiennent à bout de bras nombre de familles. Je pense à la Croix-Rouge, au Secours populaire, au Secours catholique, aux Restos du cœur et aux centres communaux d'action sociale (CCAS).
La pauvreté, la vraie, ne se voit pas toujours. Je ne suis pas certain que tout le monde prenne la mesure de sa progression en France, notamment au cours des deux dernières années, durant lesquelles plus de 300 000 personnes sont tombées sous ce seuil fatidique.
Ce texte a pour autre vertu de mettre en avant les difficultés rencontrées non seulement par les Français dits pauvres, mais également par ceux des classes moyennes, à cause de la montée en flèche des prix de produits et de services indispensables au quotidien. Cette augmentation du coût de la vie et cette perte de pouvoir d'achat frappent nombre de nos concitoyens qui travaillent et ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Ils subissent la hausse du prix des courses quotidiennes, mais aussi et surtout celle des carburants et des énergies, le diesel atteignant près de 1,60 euro et le fioul plus de 1 euro le litre. Ces augmentations touchent particulièrement les habitants des territoires ruraux, qui n'ont souvent pas le choix de leur mode de chauffage domestique et sont obligés d'avoir des véhicules personnels pour leur mobilité quotidienne.
J'en viens aux solutions. Nous ne croyons pas au blocage des prix proposé dans ce texte. L'histoire du XXe siècle enseigne que ces solutions, expérimentées par les Soviétiques et leurs alliés, se sont soldées par des échecs cuisants qui ont plongé une grande partie de la population dans la pauvreté et le marasme. De plus, nous sommes dans une économie de marché, certes encadrée par l'État, mais qui reste une économie libre. Par le biais de la fiscalité et d'un taux de TVA différencié sur les produits de première nécessité, l'État accompagne déjà les Français les plus modestes.
Un blocage des prix ne manquerait pas de paralyser celles et ceux qui travaillent dans toute la chaîne, du producteur au consommateur, du transporteur au vendeur. Plutôt qu'un tel système démagogique et passéiste, mieux vaudrait envisager la mise en place d'une fiscalité encore plus différenciée sur des produits de consommation courante. Je pense notamment aux énergies, aujourd'hui doublement imposées par la TVA et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Cela est profondément injuste pour nombre de nos concitoyens, notamment dans les campagnes, à l'heure où ces énergies voient leur prix augmenter terriblement, ce que le Gouvernement compense par un petit chèque de 100 euros qui ne permet nullement de faire face aux surcoûts.
Vous comprendrez donc que nous ne pouvons pas soutenir ce texte.
J'indiquerai d'emblée l'opposition du groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés à cette proposition de loi. Aux maux de la pauvreté, vous proposez de remédier par une superpuissance de l'État via un blocage des prix, alors que vous ne cessez de dénoncer cette superpuissance depuis le début de la crise sanitaire. Vous pointez du doigt la pauvreté en France, mais nous la combattons également. Vous n'êtes pas sans savoir qu'une pandémie frappe notre pays et le monde depuis maintenant deux ans. Vous ne pouvez nier les efforts massifs déployés par le Gouvernement pour préserver le niveau de vie des Français.
Je tiens à rappeler que le pouvoir d'achat des Français a progressé de 8 % depuis 2017. Toutefois, tenant compte du sentiment de hausse du coût de la vie exprimé par certaines parties de la population, nous avons mis en place un bouclier tarifaire énergétique, une indemnisation face à l'inflation et le chèque énergie.
À aucun moment votre proposition de loi ne mentionne la conjoncture internationale qui s'est imposée à la France. À vous croire, tout aurait pu être évité par la remise en cause de la libéralisation du marché de l'énergie ainsi que de celui des fruits et légumes.
L'article 2 prévoit de donner une portée très générale à des dispositions conçues comme exceptionnelles et particulières. Ces dispositifs se reporteraient, in fine, automatiquement sur le consommateur, soit par un mécanisme de rattrapage du manque à gagner des producteurs, soit par une indemnisation des producteurs par l'État et une hausse de la dette laissée à nos enfants. Si les maux que vous identifiez sont réels, le remède envisagé ne ferait que les empirer.
Je m'exprime au conditionnel car, même si la commission adoptait ce texte, je ne crois pas qu'il serait appliqué. Que ce soit en matière économique ou juridique, la France n'est pas seule sur Terre. Au sein de l'Union européenne, la mise en œuvre de l'obligation de service public sur un marché en cours d'ouverture à la concurrence peut conduire à l'application d'un tarif régulé si – et seulement si – cela est temporaire et proportionnel à l'objectif d'intérêt général poursuivi. Or vous prévoyez le blocage des prix du gaz pour une durée indéterminée. De même, bloquer le prix de cinq fruits et légumes de saison entraînerait une distorsion des règles de la concurrence, ce qui est radicalement contraire aux traités européens.
En conclusion, cette proposition de loi veut donner à l'État des pouvoirs trop étendus et dangereux, et elle est inapplicable. Vous affirmez que c'est pour des raisons électorales que le Gouvernement vient en aide aux Français en instaurant l'indemnité inflation. Ces Français jugeront dans quelques mois si les aides créées par la majorité visaient à les séduire malhonnêtement ou s'il s'agissait de nouveaux soutiens solidaires face à une situation globale difficile. Quoi qu'il en soit, ils peuvent aujourd'hui voir la nature des propositions émises par votre courant politique.
Nous débattons d'un sujet qui inquiète de nombreux Français car il affecte leur vie quotidienne, à savoir la hausse des prix des matières premières, de l'énergie et des produits du quotidien. La crise sanitaire que notre pays traverse depuis deux ans a entraîné une crise économique dont certains pensaient que nos concitoyens et nos entreprises seraient incapables de se relever. Or nous attendons une croissance record de 6 % pour 2021 et un chômage en forte baisse. Ces chiffres sont le résultat de la politique menée depuis le début du quinquennat.
Face à la hausse des prix provoquée notamment par la surchauffe de l'appareil de production, des décisions conjoncturelles ont été prises. Le gel temporaire du prix du gaz et le tarif réglementé de l'électricité pallieront l'augmentation de la consommation de ces énergies durant la période hivernale. En outre, une indemnité inflation de 100 euros a été accordée à 39 millions de nos concitoyens gagnant moins de 2 000 euros net par mois. En s'adressant aux Français peinant à faire face à la hausse des prix, cette mesure répond à un impératif social.
Nous ne pensons pas que la solution réside purement et simplement dans le blocage des prix, sans tenir compte des conséquences à long terme qui en résulteraient pour les consommateurs et les entreprises. Cette politique favoriserait le développement d'un marché noir pour que, d'une façon ou d'une autre, les entreprises retrouvent le prix réel du marché, et porterait atteinte à l'indispensable politique de régulation des activités assurée depuis des années par l'Autorité de la concurrence.
La majorité a fait beaucoup pour le pouvoir d'achat des Français depuis le début du quinquennat, qu'il s'agisse de la suppression de la taxe d'habitation, de la baisse des cotisations sociales sur les revenus des travailleurs, de la défiscalisation des heures supplémentaires ou de la revalorisation du SMIC.
Si le blocage des prix des fruits, des légumes et de l'énergie peut paraître intéressant de prime abord, tous les exemples récents montrent l'inefficacité de cette méthode. C'est pourquoi le groupe Agir ensemble votera contre cette proposition de loi.
Je remercie notre collègue Ugo Bernalicis de nous aider à réfléchir sur l'économie de marché et les possibilités offertes par une économie plus administrée dans des situations de crise. Cela nous a plongés dans de profondes réflexions historiques, qui ne sont pas totalement abouties. Par prudence, nous nous abstiendrons en commission en attendant de décider ce que nous ferons en séance.
Votre texte suscite chez nous un étonnement. Comme l'ont souligné plusieurs orateurs, la loi prévoit déjà certaines possibilités et vous ne proposez pas de véritable innovation législative. L'exécutif ne partageant visiblement pas vos convictions, il y a peu de chances qu'il explore cette voie. Il s'agit donc d'une proposition de loi d'appel, qui n'en est pas moins légitime – nous proposerons d'autres textes de ce genre dans le cadre de la niche parlementaire de notre groupe.
Par ailleurs, il y a dans votre démarche une certaine ambiguïté qui nous laisse dubitatifs. Tantôt vous parlez d'une procédure d'urgence, tantôt vous évoquez le besoin d'administrer et de contrôler certains prix sur le long cours.
Enfin, nous voulons souligner, dans une logique idéologique différente de celle des autres groupes mais avec pragmatisme, des risques objectifs et factuels de dérives. Lorsque les flux d'approvisionnement ne sont pas maîtrisés de façon souveraine, ce qui est le cas s'agissant du pétrole, les risques de saturation et de pénurie sont réels.
Rappelons les pistes que nous avons défendues tout au long du quinquennat et que nous défendrons encore dans le cadre de notre prochaine niche.
Nous militons pour un facteur 12 d'écart maximal entre les revenus au sein de chaque entreprise. À coût et compétitivité égaux pour l'entreprise, ce plafonnement permettrait de redistribuer près de 10 % des bénéfices aux salariés au revenu inférieur au niveau médian. Toutes les marges autour de la TVA, notamment sur les produits de première nécessité, n'ont pas été explorées. Des mesures de partage de la valeur et de transition permettraient de nous affranchir de la dépendance à ces produits et d'éviter leur pénurie en période de crise.
Nous pensons que c'est de manière systémique qu'il faut nous affranchir de la dépendance énergétique et qu'il convient de prendre des mesures d'urgence de manière ciblée. Il m'importe moins de garantir un prix du gazole ou de l'essence à des personnes gagnant une fortune que d'adopter des mesures ciblées, à court terme, au bénéfice de ceux qui rencontrent des difficultés de pouvoir d'achat. Nous avons critiqué les mesures prises par le Gouvernement non sur leur principe mais pour leur manque de puissance et leur absence de ciblage. Notre proposition nous semble plus adaptée qu'une baisse générale des prix profitant indifféremment aux ultrariches et aux très pauvres.
Plus que jamais, la crise nous invite à favoriser le développement d'une économie sociale permettant un véritable partage de la valeur et promouvant des valeurs coopératives. Avec ATD Quart Monde, nous expérimentons une nouvelle voie d'accès au droit à l'alimentation. Ce n'est pas la piste ouverte par l'un de nos collègues qui voulait instaurer un chèque « bonne alimentation » – une initiative qui me fait penser à celles des dames patronnesses et que j'ai critiquée en son temps. En revanche, nous réfléchissons à la création d'un chèque déjeuner universel permettant à chacun d'accéder à une meilleure alimentation, qu'il soit salarié d'une grande ou petite entreprise ou non salarié.
Je suis heureux de constater que chacun convient de la situation exceptionnelle de la France. À rebours des soixante-dix dernières années, notre pays vit un enfoncement progressif dans la pauvreté. Le gouvernement actuel n'est certainement pas le seul responsable : la volonté de faire entrer toute l'économie française dans un régime de concurrence libre et non faussée avec le reste de la planète, en détruisant les outils de production et les moyens de répartition de la richesse au profit de son accumulation dans quelques poches, a totalement déséquilibré notre pays.
La croissance des inégalités est si violente que beaucoup de nos concitoyens qui bénéficient d'une situation matérielle plus favorable ont du mal à admettre cette pauvreté. Beaucoup de gens n'arrivent pas à croire que 8 millions de personnes relèvent de l'aide alimentaire. Encore récemment, dans un débat à la télévision, quelqu'un censé rectifier mes chiffres disait que cela n'en concernait que 2 millions, parce qu'il se référait aux seules prestations des banques alimentaires. Mais si l'on tient compte de l'ensemble des intervenants, et le Secours catholique et le Secours populaire l'ont d'ailleurs rectifié, on arrive bien à 8 millions de personnes.
De manière tout aussi affligeante, beaucoup ne croient pas qu'entre 300 000 et 600 000 personnes subissent des coupures d'électricité. Le phénomène a atteint une telle ampleur qu'EDF a décidé d'y renoncer, après avoir constaté que ceux à qui l'on avait coupé l'électricité ne payaient pas mieux leurs factures après son rétablissement.
De même, beaucoup n'arrivent pas à croire que 12 millions de personnes ont froid dans leur appartement ou qu'un adulte sur quatre se prive de certains repas au profit de ses enfants ou faute de moyens de se procurer de la nourriture.
Bien que ces situations résultent de mécanismes structurels, nous ne pouvons nous réfugier derrière cette vision globale pour ne rien faire. La situation est celle d'un état d'urgence sociale. J'insiste sur ce mot car l'article 1er de notre proposition de loi vise à ajouter le critère d'urgence sociale, évalué par le législateur et non plus seulement par le gouvernant, à l'article L. 410-2 du code de commerce qui ouvre actuellement la possibilité de décider un blocage des prix par décret, c'est-à-dire par le seul exécutif. Dès lors que l'on serait en situation d'urgence sociale, le législateur aurait la possibilité d'intervenir.
Aujourd'hui, le blocage des prix est possible dans « une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ». Nous y sommes – c'est le cas, notamment, pour les carburants. À supposer même qu'un mécanisme de marché pur et parfait existe, il n'est pas opérant dans le secteur de l'énergie puisque le prix de marché y est établi à partir d'un prix de gros évalué sur le plus coûtant des producteurs. C'est le marché qui crée l'inflation, et non la réalité de la marchandise disponible. Vous redoutez la nouveauté, mais n'avons-nous pas vécu dans une économie administrée jusqu'en 1986, lorsqu'il y avait un contrôle des prix ? Dans l'histoire, ce mécanisme a toujours été lié à des circonstances exceptionnelles, puisqu'il a été décidé pendant la Révolution en 1789, par Léon Blum en 1936, par Michel Rocard en 1991 pour le carburant, et par Emmanuel Macron récemment pour les masques et les gels hydroalcooliques.
Entendez que cette proposition de loi s'inscrit dans un projet global incluant l'urgence sociale, lequel sera appliqué, je l'espère, dans trois mois. Le contrôle des prix de certains biens et services sera défini grâce à la participation populaire, comme c'est le cas à La Réunion où des citoyens sont tirés au sort.
J'ai été davantage gêné par le plaidoyer politique contenu dans le rapport que par le texte lui-même, qui me semble intéressant. Je suis fier d'appartenir à une majorité qui a donné du pouvoir d'achat aux Français.
Monsieur le rapporteur, merci de vos propos qui témoignent de votre souci de protéger les plus humbles. Quand vous proposez de défendre les plus pauvres, on ne peut que chercher avec vous des solutions.
En intervenant sur les prix de produits de première nécessité, vous voulez garantir que les gens ordinaires aient accès à des prix corrects pour se nourrir normalement. On ne peut pas laisser à la grande distribution, notamment à M. Michel-Édouard Leclerc, la possibilité de faire des prix bas en écrasant les marges de négociation avec nos paysans et nos PME. Cela signifierait que nous ne jouons pas notre rôle de parlementaires, qui consiste à protéger les Français.
Si un Français sur dix croisés dans la rue a besoin d'aide alimentaire, c'est qu'il y a un problème. Un classement scientifique international qui fait consensus répartit les produits alimentaires en quatre catégories : les produits de base, les produits non transformés, les produits légèrement transformés et les produits ultratransformés. Je pense qu'il faut appliquer une TVA très élevée aux produits ultratransformés et une TVA nulle aux produits de base. C'est le combat que je mène depuis des années.
Vous avez raison, mais si on n'agit pas en France, on ne peut être l'aiguillon de l'Europe.
J'étudierai votre proposition de loi et je verrai si je peux la voter. Que ce soit dans l'hémicycle ou en commission des affaires économiques, si un texte nous convient, nous devons pouvoir le voter, même s'il n'émane pas de notre bord politique.
Vous avez raison, Monsieur Chassaigne, la question des services publics mérite d'être soulevée à nouveau. Ces services publics doivent être une garantie d'accès à des droits fondamentaux. D'ailleurs, à l'article 1er, nous proposons de supprimer de l'article L. 410-2 du code de commerce la nécessité de demander l'avis de l'Autorité de la concurrence, considérant qu'elle ne répond pas à toutes les situations. La concurrence elle-même n'a pas abouti à une diminution des prix des produits de première nécessité garantissant l'accès à des droits fondamentaux, comme celui d'être fourni en électricité.
Je comprends que nos collègues de la majorité emploient, notamment sur les plateaux de télévision, des éléments de langage pour expliquer que le pouvoir d'achat augmente. J'espérais cependant que vous feriez preuve, dans notre discussion, d'une plus grande finesse d'analyse. Votre raisonnement procède de moyennes nationales, mais un examen des revenus par strate révèle que le pouvoir d'achat des 5 % des Français les plus pauvres a diminué ces cinq dernières années. C'est peut-être la raison pour laquelle il y a plus de gens ayant recours à l'aide alimentaire, plus de coupures d'électricité et plus de gens à la rue. Je ne vous ferai pas l'injure de rappeler la promesse faite par le Président de la République, au début du quinquennat, de ne plus voir personne dans la rue. Nous en sommes très loin. On ne peut se satisfaire de la situation actuelle en utilisant des éléments de langage visant à faire croire que le pouvoir d'achat a augmenté dans notre pays. La réalité nous oblige, et nous voulons y répondre par ce texte.
Monsieur Kasbarian, vous dites que la législation permet déjà d'agir – si rien n'est fait, c'est sans doute de votre responsabilité. Vous affirmez que cela se fait sans consultation. Or le dispositif mis en œuvre dans les outre-mer est tout sauf sans consultation ! Il fait appel aux OPMR, que vous pouvez évidemment critiquer mais qui réunissent tout le monde autour de la table. D'ailleurs, la loi n'est pas suffisamment précise sur ce point : on pourrait indiquer quels acteurs doivent se retrouver autour de la table, et c'est ce que nous faisons en proposant la participation de citoyens, comme cela se pratique à La Réunion. Contrairement à ce que j'ai pu entendre, notre objectif n'est pas de contraindre les producteurs à vendre à perte ou de spolier certaines personnes, mais de trouver un point d'équilibre où les taux de rémunération des producteurs et des intermédiaires n'aboutissent pas à un prix explosif et inconsidérément fluctuant, comme nous le constatons actuellement pour le beurre.
Pour avoir échangé avec des représentants de la Guyane au sujet des prix du carburant, je comprends pourquoi notre collègue Dominique Potier fait état d'un risque de carence. On m'a rapporté les discussions intervenues entre septembre et novembre 2012 et décrit le rapport de force qui s'était instauré entre les pétroliers et les responsables de la collectivité de Guyane, les premiers menaçant les seconds de ne plus fournir de pétrole en cas de réglementation des prix – il serait temps d'être souverains dans ce domaine et d'opérer la transition écologique et énergétique nécessaire ! Pourquoi cette menace n'a-t-elle pas été mise à exécution ? Parce que les OPMR demandent aux producteurs pétroliers de leur fournir leur comptabilité analytique, ce qui permet de garantir la transparence des prix ; or, une fois la lumière jaillie, il devient difficile de justifier les taux de marge qui étaient appliqués. Les socio-démocrates pourraient se rallier à cette idée, qui n'est pas la plus révolutionnaire du siècle.
C'est une loi de 2012 ! Les prix des carburants fixés pour la Guyane garantissent 9 % de rémunération des capitaux propres, ce qui représente une avancée pour les pétroliers. Avant, ils se gavaient davantage, mais dans l'Hexagone, c'est une situation que nous ne pourrions accepter. Si on me propose une rémunération de 9 % des capitaux propres, j'investis tout de suite !
La question n'est pas de savoir si on va spolier un opérateur ou obliger un producteur à vendre à perte, mais comment on organise, par un débat démocratique, la distribution de produits d'intérêt général et de première nécessité qui concernent tout le monde. Nous n'avons pas dressé de liste exhaustive. En cas de pandémie, par exemple, il faudrait bien nous laisser la possibilité de réglementer les prix des masques et des gels hydroalcooliques dont nous n'avions pas besoin auparavant.
La loi actuelle fixe à six mois la durée de validité d'un blocage des prix en situation d'urgence. Auriez-vous prédit que la pandémie ne durerait que six mois ? Nous proposons bien de prévoir une durée de validité, qui peut être renouvelée – tout cela pourra être contesté devant le Conseil d'État ou une autre instance –, car nous ne sommes pas favorables à un blocage permanent et illimité. Dans les outre-mer, d'ailleurs, le blocage des prix administrés est renégocié régulièrement. Comme tout le monde, nous savons que les prix et les conditions de production peuvent fluctuer, notamment dans le secteur agricole, et que la discussion doit toujours être remise sur le métier.
Il est vrai que les traités européens représentent une difficulté pour mettre en œuvre notre proposition de loi. Des exceptions sont probablement possibles, comme il en existe déjà dans les outre-mer. Nous en rediscuterons certainement au cours des mois à venir.
Sans doute certains produits sont-ils trop taxés. Cependant, je ne voudrais pas que la question des prix soit réglée prioritairement par une diminution des taxes, au risque d'amoindrir les recettes dans le budget de l'État. Si vous donnez un chèque de 100 euros à tous après avoir taxé tout le monde, c'est avec leur propre argent que vous redonnez aux gens du pouvoir d'achat. Les impôts et les taxes doivent être redistributifs, ce qui n'est pas le cas. C'est pourquoi nous proposons par ailleurs l'instauration de quatorze tranches d'impôt sur le revenu et une taxation à 90 % au-delà de 400 000 euros – je ne vous réciterai pas tout le programme de La France insoumise, que je connais par cœur. Nous n'avons pas voulu déposer une proposition de loi contenant soixante-dix articles, mais notre texte est substantiellement novateur. Il s'agit d'appliquer à la France entière des dispositions dont bénéficient déjà les outre-mer.
Article 1er (article L. 410-2 du code de commerce) : Ajout du motif « urgence sociale » au sein du dispositif d'encadrement des prix
Il est exact, Monsieur le rapporteur, que le Gouvernement n'utilise pas tous les outils à sa disposition pour contrôler les prix des biens et services sur l'ensemble des marchés. Il les emploie avec discernement. Nous avons fait le choix d'augmenter le pouvoir d'achat par d'autres canaux, tels que la baisse des impôts, la revalorisation des salaires, ainsi que le versement d'allocations et l'institution de services au profit des personnes qui en ont le plus besoin. C'est un choix assumé et un débat idéologique entre nous. Nous n'avons pas déposé d'amendement de suppression de l'article 1er car il nous a semblé intéressant d'avoir cette discussion avec vous.
La Suède a décidé de réguler les prix du marché immobilier locatif, ce qui a porté à vingt ans le délai d'attente pour louer un bien et entraîné une explosion des modes de location en dehors du cadre réglementaire. Lorsqu'on bloque un prix, quel que soit le secteur concerné, on provoque des phénomènes de pénurie, d'explosion du marché noir et d'hyperinflation sur ce dernier. Cette réaction a été vérifiée, dans notre histoire économique, aussi bien dans des économies fermées, soviétiques ou marxistes, que dans des systèmes ouverts et libéraux. Il convient donc d'agir secteur par secteur, avec discernement.
C'est ce que nous avons fait, par exemple, en matière agricole. Dans la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM) puis dans la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, nous avons agi sur la formation des prix, non pas en instituant un contrôle d'inspiration marxiste, arbitraire, de l'État sur les prix des denrées alimentaires, mais en concourant à la formation de prix justes, qui permettent de répondre aux attentes des consommateurs, d'améliorer la qualité des biens et des services et de mieux rémunérer les producteurs. La formation des prix est un sujet complexe qui ne se traite pas au travers d'un article modifiant de façon générale les outils de réglementation des prix, mais – ce qui est beaucoup plus efficace – par des législations sectorielles qui traitent les vrais problèmes, en allant au fond des choses.
Pour ces raisons, nous ne voterons pas l'article 1er.
Si la Suède rencontre des problèmes de logement, peut-être pourrait-elle investir dans la construction de logements sociaux, et si la France commence à subir ce genre de difficultés, c'est peut-être pour les mêmes raisons. On ne peut, j'en conviens avec vous, se reposer sur le marché et se contenter d'encadrer ce dernier. M. Chassaigne, pour sa part, a raison de rappeler que les services publics ont leur rôle à jouer pour garantir des droits. Les mécanismes de gestion du marché ont également leur importance. S'agissant du glyphosate, par exemple, on a soulevé, au cours du débat, la question du protectionnisme aux frontières et de la concurrence déloyale exercée par des pays qui n'appliquent pas les mêmes normes que nous. Nous proposons également une augmentation du SMIC pour que les gens puissent s'acheter une nourriture de bonne qualité, à un prix suffisamment élevé pour que les agriculteurs s'y retrouvent.
Contrairement à ce que vous avez dit, vous n'avez pas augmenté les salaires mais les compléments de salaires, dans le contexte de la mobilisation des gilets jaunes. Cet argent a été prélevé sur les cotisations des travailleurs pour leur être redonné. Les écarts de richesse se sont aggravés. Le pouvoir d'achat est inégalement réparti entre les catégories sociales : les 5 % les plus pauvres ont perdu du pouvoir d'achat. Cela explique qu'un plus grand nombre de personnes recourent à l'aide alimentaire, que le nombre de coupures d'eau et d'électricité s'accroisse, que les familles monoparentales et les femmes soient en butte à davantage de difficultés.
Non, l'article 1er ne prévoit pas de bloquer tous les prix du marché et de tout organiser. Il vise à répondre à des situations d'urgence bien définies, dont la réalité peut être contestée en justice. Il n'empêche en rien la tenue d'un marché libre, bien que ce soit, dans certains cas, difficile à admettre.
La commission rejette l'article 1er.
Après l'article 1er
Amendement CE1 de M. Ugo Bernalicis.
Cet amendement vise à étendre aux marchés de détail le champ d'application de l'article L. 410-3 du code de commerce, lequel prévoit la possibilité d'administrer les prix sur les marchés de gros. La disposition proposée, qui est le fruit de l'audition des représentants de la collectivité de Guyane, permettrait d'encadrer les prix d'un certain nombre de produits de première nécessité sur les marchés de détail, notamment lorsque la marge pratiquée par le revendeur qui s'approvisionne auprès de grossistes est excessive.
La commission rejette l'amendement.
Article 2 (articles L. 410-3, L. 410-4 et L. 410-5 du code de commerce) : Extension du « bouclier qualité prix » ultramarin à la France métropolitaine
Vous proposez d'étendre à la métropole une législation qui s'applique, depuis 2012, à l'outre-mer. Ces dispositions avaient été imaginées pour tenir compte des spécificités des marchés ultramarins, qui se distinguent structurellement de ceux de la métropole. L'accès des marchés, outre-mer, est souvent limité aux voies maritime et aérienne, ce qui gonfle les coûts de transport et peut avoir un effet sur le prix de vente des biens et des services. En outre, ce sont des économies de petite taille : les marchés n'atteignent souvent pas le seuil critique de rentabilité. Le faible nombre d'opérateurs économiques favorise les concentrations, les monopoles et la vie chère. Cela explique le vote d'une loi spécifique, en 2012, qui n'a certes pas résolu le problème de la vie chère outre-mer mais a tout de même fait du bien, comme l'ont montré Mme Bareigts et M. Fasquelle dans leur rapport d'application. À mon sens, l'extension de cette législation à la métropole n'est pas la bonne solution, car elle ne répondra pas à ses problèmes économiques structurels. Dans la mesure où ce dispositif n'a pas résolu tous les problèmes outre-mer, il y a peu de chances qu'on arrive à régler la question de la vie chère et à améliorer le pouvoir d'achat des Français, dans leur ensemble, par ce canal.
Tous les marchés ont leurs spécificités – le jeu de l'offre et de la demande fluctue en fonction d'un ensemble de paramètres –, mais l'outre-mer présente encore des particularités supplémentaires. Vous avez convenu que, si ce mode d'administration des prix n'avait pas tout réglé outre-mer, il avait néanmoins fait du bien. Je ne vous ai pas entendu dire qu'il avait eu des effets négatifs, qu'il avait entraîné la création de marchés parallèles. De fait, ce n'est pas le cas. Si cette législation est bénéfique, quelle raison justifierait qu'on ne l'applique pas à la France entière ? Je n'en vois aucune.
Peut-être la mesure est-elle limitée et conviendra-t-il d'aller plus loin. On a critiqué le fait que l'application de ce dispositif était entièrement à la main de l'exécutif, plus précisément des préfectures. Les gilets jaunes ont souhaité qu'il soit mis en œuvre différemment. À la suite de cela, des discussions ont eu lieu et des citoyens ont été tirés au sort. Par ailleurs, les modalités de calcul du bouclier qualité-prix ont été modifiées. Un panier global a été défini, qui permet tout de même la réalisation de marges. Des critères de qualité, contrôlables par les administrations, ont été ajoutés, à l'issue d'une contractualisation avec les producteurs et les distributeurs.
Si l'on relève des situations de concentration et de monopole en outre-mer, c'est également le cas, de manière croissante, dans l'Hexagone. Cela correspond à la tendance du marché.
Amendements CE2 et CE4 de M. Ugo Bernalicis.
L'amendement CE2 vise à ajouter les dispositions suivantes à l'article L. 410‑5 du code de commerce : « Cette liste comprend a minima le blocage des prix de cinq fruits et légumes de saison, qui ne peuvent être inférieurs aux coûts de production. Le résultat des négociations peut être soumis, pour avis, par le représentant de l'État, à un organe consultatif représentatif des intérêts des citoyens. La composition de cet organe est définie par arrêté préfectoral. » Cette structure serait constituée de citoyens tirés au sort, dont le nombre devrait être précisé ; par ailleurs, il faut tenir compte des modalités particulières de défraiement. Le représentant de l'État à La Réunion nous a confié que l'association des citoyens constituait un plus dans les discussions au sein des OPMR. Il a participé à des discussions avec les producteurs, les intermédiaires et les représentants des consommateurs, au cours desquelles les modalités concrètes du dispositif ont été examinées. Cela a permis d'ouvrir le débat et d'atteindre l'objectif assigné au dispositif.
L'amendement CE4 vise à sanctionner l'inapplication des règles d'encadrement des prix. Les représentants de la Guyane ont en effet relevé que l'absence de sanction était préjudiciable à la bonne application du bouclier qualité-prix. La sanction proposée demeure toutefois assez symbolique et proportionnée.
Par l'article 1er, vous souhaitez étendre le champ d'application d'une disposition en vigueur pour conférer au pouvoir exécutif des pouvoirs que nous jugeons démesurés et qui produiront un certain nombre d'effets pervers. En effet, ces attributions pourraient être utilisées par un gouvernement pour réglementer les prix de tous les biens et services, dans tous les secteurs. Par ailleurs, cela pourrait être fait sans limitation de durée, puisque vous faites sauter le verrou des six mois et renvoyez la fixation de la durée au décret.
L'article 2, quant à lui, ne résoudra pas tous les problèmes et ne pourra pas s'appliquer à un marché très différent des marchés ultramarins.
J'ai le sentiment que vous ne savez pas comment concrétiser, d'un point de vue législatif, votre idéologie sur le contrôle des prix et l'économie administrée. Vous vous raccrochez à des textes existants. Dans l'article 1er, vous octroyez à l'exécutif des pouvoirs étendus en termes de régulation des prix, mais sans aller au bout de votre logique. Dans l'article 2, vous étendez un dispositif applicable aux outre-mer, considérant que, puisqu'il a marché dans ces collectivités particulières, il fonctionnera aussi en métropole. C'est en contradiction totale avec les propos que vous tenez habituellement sur l'inflation et le pouvoir d'achat en outre-mer. Par ailleurs, vous entendez révolutionner le système tout en vous appuyant sur des dispositifs existants. De deux choses l'une : soit vous reconnaissez que ces mécanismes ont bien fonctionné dans le passé, soit vous révolutionnez les choses, ce qui implique de créer de nouveaux articles au lieu de vous fonder sur des textes en vigueur.
Le dispositif actuel n'a pas réglé les problèmes outre-mer ; pour autant, personne ne demande l'abrogation des OPMR ni ne revendique la suppression du bouclier qualité-prix. C'est même plutôt le contraire. La dernière mobilisation contre la vie chère dans les outre-mer a abouti, selon des modalités différentes, à des modifications substantielles des dispositifs existants. C'est à la main de l'exécutif. Si l'application des mesures ne donne pas pleine satisfaction et que personne ne conteste l'organisation du dispositif, la marge de progression réside peut-être dans le changement d'exécutif.
La loi n'impose pas l'encadrement des prix de cinq fruits et légumes de saison, mais cela a été intégré dans le bouclier qualité-prix à La Réunion, avec un seul distributeur – les autres se sont entendus et n'ont pas souhaité le faire. De ce fait, les producteurs locaux, qui étaient jusqu'à présent évincés de ce type de marchés, ont pu y revenir. Par ailleurs, comme la loi impose l'affichage relatif au bouclier qualité-prix, les produits locaux ont gagné en visibilité. Cela fonctionne ! Que voulez-vous de plus ?
La commission rejette successivement les amendements.
Elle rejette l'article 2.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n'est pas adoptée. Le texte qui sera soumis à l'Assemblée lors de l'examen en séance publique sera donc le texte initial de la proposition de loi du groupe La France insoumise.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 9 h 35
Présents. – M. Damien Adam, Mme Edith Audibert, Mme Delphine Batho, M. Thierry Benoit, M. Ugo Bernalicis, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Anne-Laure Blin, M. Philippe Bolo, M. Éric Bothorel, Mme Pascale Boyer, M. Jacques Cattin, M. Anthony Cellier, M. Dino Cinieri, Mme Michèle Crouzet, M. Yves Daniel, M. Nicolas Démoulin, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Fabien Di Filippo, M. Julien Dive, Mme Christelle Dubos, Mme Virginie Duby-Muller, M. Olivier Falorni, M. Yves Hemedinger, Mme Christine Hennion, M. Antoine Herth, M. Philippe Huppé, M. Guillaume Kasbarian, M. Luc Lamirault, Mme Célia de Lavergne, Mme Annaïg Le Meur, M. Roland Lescure, M. Richard Lioger, M. Mounir Mahjoubi, Mme Graziella Melchior, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Philippe Naillet, M. Mickaël Nogal, M. Jérôme Nury, Mme Anne-Laurence Petel, Mme Sylvia Pinel, M. Loïc Prud'homme, M. Richard Ramos, M. Vincent Rolland, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Robert Therry, Mme Huguette Tiegna, M. Stéphane Travert, M. Nicolas Turquois, M. Pierre Venteau, M. Jean-Pierre Vigier, Mme Corinne Vignon, M. Cédric Villani, M. André Villiers
Excusés. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Anne Blanc, M. Jean-Luc Bourgeaux, Mme Typhanie Degois, M. Christian Jacob, Mme Jacqueline Maquet, M. Patrick Mignola, M. Fabien Roussel, M. Denis Sommer
Assistaient également à la réunion. – M. André Chassaigne, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Dominique Potier, M. Jean-Hugues Ratenon