Intervention de Ugo Bernalicis

Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis, rapporteur :

Le taux de pauvreté en France est passé de 14,1 % en 2017 à 14,6 % en 2019. En deux ans, 300 000 personnes ont basculé dans la pauvreté et, en 2020, notre pays comptait 10 millions d'habitants vivant sous le seuil de pauvreté. En 2020 et 2021, plus de 8 millions de personnes ont eu recours à l'aide alimentaire, contre 5 millions en 2018.

Cette situation a eu pour corollaire l'augmentation des prix de nombreux produits de première nécessité, en particulier l'énergie. Le prix du gaz a augmenté de 57 % de janvier à octobre 2021, accusant des hausses spectaculaires depuis l'été 2021 – 10 % en juillet puis 5 % en août. Le tarif réglementé de l'électricité s'est accru de 12 % au 1er octobre 2021. Par voie de conséquence, un Français sur quatre a rencontré, en 2021, des difficultés à payer ses factures de gaz ou d'électricité, contre 18 % en 2020. En vingt ans, du fait de leur libéralisation, les prix du marché de l'électricité ont augmenté de 70 %.

Dans ces conditions, la question du prix des carburants continue d'occuper sinon l'esprit, du moins le portefeuille des Français. Le prix moyen du litre d'essence était de 1,65 euro en juillet et août 2021, soit un niveau supérieur à celui en vigueur lors de la mobilisation des gilets jaunes, en 2019.

En cette période de fêtes où le beurre est un peu plus consommé qu'à l'accoutumée, notamment pour la confection des galettes, le prix de cette denrée atteint presque 10 euros le kilo.

Ajoutons qu'en matière énergétique, notre pays compte 4,8 millions de passoires thermiques.

Comment répondre à cette situation ? On ne peut manifestement pas compter sur le marché, où les prix sont fixés en fonction de l'offre et de la demande. L'augmentation du prix du beurre doit d'ailleurs bien davantage à un effet de marché qu'à des difficultés de production, puisque nous produisons cette année, bon an, mal an, la même quantité de lait que nous en avons produit l'année dernière et que nous en produirons sans doute l'année prochaine.

Nous avons regardé ce qu'il était déjà possible de faire en l'état actuel de la loi. L'article L. 410-2 du code de commerce permet de bloquer les prix, mais à titre temporaire, notamment face à des situations de monopole. Nous proposons de le modifier en introduisant un critère d'urgence sociale.

Plutôt que de blocage, nous devrions parler d'administration des prix. L'article 2 de notre proposition de loi vise à modifier les articles L. 410-3, L. 410-4 et L. 410-5 du code de commerce, actuellement applicables aux seuls outre-mer et permettant aux pouvoirs publics – en l'occurrence, aux préfets – de fixer les prix d'un certain nombre de produits. À La Réunion, 153 produits sont placés sous le bouclier qualité-prix, et il est question de porter leur nombre à 250. Une fois n'est pas coutume, au lieu de prévoir des dispositions spécifiques aux outre-mer, nous proposons d'étendre celles qui y existent déjà à la France entière.

Nous demandons ainsi que les prix de cinq fruits et légumes de saison locaux – et, pourquoi pas, bio – soient administrés ou bloqués. Nous rejoignons ainsi la proposition de loi relative à l'interdiction du glyphosate précédemment examinée, mais je laisse ceux qui nous regardent faire le lien entre les deux textes et se forger leur propre avis.

Cette proposition de loi peut être mise en œuvre, puisqu'elle l'est déjà dans plusieurs territoires de la République. Il est souhaitable de le faire dans des périodes de turbulences telles que celles que nous connaissons, lesquelles créent des effets de marché de nature à déstabiliser du jour au lendemain non seulement le portefeuille des consommateurs, mais aussi celui des producteurs.

Au cours de nos auditions, le Médiateur national de l'énergie a indiqué que 200 000 à 300 000 foyers voyaient chaque année leur électricité coupée, alors que cette ressource est considérée, non seulement par La France insoumise, mais aussi par la loi, comme un produit de première nécessité. Des représentants de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) nous ont expliqué que les interconnexions des marchés de l'électricité et du gaz pouvaient entraîner les hausses que nous connaissons aujourd'hui, sans corrélation avec la capacité productive du pays. Des membres de la Confédération paysanne ont eux-mêmes jugé souhaitable le blocage des prix de cinq fruits et légumes de saison, en précisant qu'il conviendrait parallèlement d'évoquer la rémunération des producteurs.

Le dispositif en vigueur à La Réunion comporte deux aspects. L'observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) est une instance de discussions, de réflexions et d'échanges permettant d'observer, produit par produit, le coût de production, les marges et la rémunération des uns et des autres ainsi que le coût final pour le consommateur. Quant au bouclier qualité-prix, il résulte de décisions prises les pouvoirs publics et s'accompagne d'un affichage particulier dans les commerces concernés.

De nombreux Réunionnais ont exprimé leur mécontentement après la mise en place du dispositif, qui ne date que de la fin de l'année 2012. Il n'est évidemment pas exempt de reproches, mais il a au moins le mérite d'exister. La mobilisation des gilets jaunes a entraîné une évolution majeure : le nombre et la qualité des produits concernés ont augmenté, et il a été demandé aux citoyens de faire irruption dans le dispositif. On a décidé de tirer au sort quelques dizaines de citoyens qui, au sein de l'OPMR, s'assoient autour de la table aux côtés des producteurs, des intermédiaires et des représentants de l'État, ce qui leur a permis de faire passer directement des messages à ces différents acteurs.

Les 153 produits présents dans le panier, qui en comptera bientôt 250, ne doivent pas dépasser un montant global de 348 euros. Il peut y avoir un peu de souplesse ou de liberté de marché dans le dispositif, les uns facturant, par exemple, le beurre un peu plus cher, en contrepartie d'une réduction du prix d'un autre produit. Quoi qu'il en soit, on a constaté une baisse des prix ainsi encadrés par le bouclier qualité-prix.

Ce qui était bon et faisable à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe ou en Guyane peut être reproduit dans l'Hexagone, en essayant de ne pas retomber dans les mêmes travers. Le tirage au sort des citoyens effectué La Réunion n'est pas prévu par la loi : il s'agit d'une initiative locale, consécutive à la mobilisation des gilets jaunes, qu'on ne retrouve pas en Guyane mais qu'il est souhaitable d'élargir. D'où les quelques amendements que je vous propose.

Le marché ne peut pas tout – encore heureux ! – et il n'est pas toujours conforme à l'intérêt général. La nécessité du dispositif apparaît clairement pour les territoires insulaires, en raison de leurs caractéristiques particulières, mais il est duplicable dans l'Hexagone.

J'aurai un mot particulier pour les citoyennes de notre pays. Le bilan des Restaurants du cœur montre que les personnes ayant bénéficié de l'aide alimentaire lors des campagnes d'été et d'hiver 2020-2021 sont majoritairement des femmes responsables de familles monoparentales. S'il est bien un enjeu, c'est celui de l'égalité et de la dignité de toutes celles dont le Président de la République a découvert l'existence et la grande difficulté à l'occasion de la mobilisation des gilets jaunes. Elles méritent que l'on porte un regard particulier sur leurs conditions matérielles.

Notre proposition de loi vise à contribuer à faire en sorte que la vie digne soit une réalité en République et que la devise Liberté, égalité, fraternité – j'ajouterai « solidarité » – soit incarnée.

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