Les débats ardus sur le glyphosate ne sont que le cas le plus visible du sujet bien plus vaste des procédures d'évaluation des pesticides par les agences internationales. Régulièrement sur la sellette, ces procédures engendrent toujours d'intenses suspicions sur les pratiques des grandes entreprises et sur l'indépendance des agences. Après tout, l'OMS a reconnu en 2000, dans un volumineux rapport, avoir été flouée des décennies durant par l'action cynique et coordonnée des marchands de cigarettes. On ne peut donc exclure de telles actions de la part d'autres puissants secteurs industriels. La colossale méta-analyse indépendante de l'INSERM, fondée sur plus de 5 000 études, conclut à la présomption forte d'un lien entre l'exposition aux pesticides et plusieurs lourdes pathologies. Pour le cas particulier du glyphosate, elle réévalue de faible à moyenne la présomption de risque accru de lymphome non-hodgkinien.
Dans un rapport transpartisan de 2019, dont notre collègue Philippe Bolo était l'un des rapporteurs, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) émettait des recommandations pour augmenter la confiance dans les agences européennes, telles que la mise à jour régulière des lignes directrices d'évaluation. Cela vaut pour les risques sanitaires mais aussi environnementaux – à plus forte raison dans le contexte actuel d'effondrement cataclysmique de la biodiversité qui touche les abeilles – mais aussi tous les insectes. Les chiffres sont terribles : jusqu'à deux tiers de biomasse perdue en seulement une douzaine d'années dans certains territoires voisins. C'est le thème d'une note très documentée de l'OPECST, présentée récemment par la sénatrice de l'Union centriste Annick Jacquemet, qui rappelait, entre autres causes, le rôle majeur des pesticides dans ce déclin effrayant pour l'avenir de la planète.
Dans cette situation de crise, l'EFSA a proposé dès 2012 une réévaluation très soignée de ses procédures, en particulier pour évaluer l'effet chronique des pesticides. Or, voilà dix ans que les États membres bloquent cette mise à jour. Un rapport de 2017 signé d'ingénieurs travaillant pour tous les plus grands groupes mondiaux de pesticides nous éclaire sur cet immobilisme. Il conclut que rien que pour les abeilles, ces règles mèneraient à bannir quelque 80 % des usages actuels de pesticides et en déduit que les nouvelles règles seraient inappropriées. J'en conclus que ce sont les produits qui sont inappropriés !
Pour toutes ces raisons, la proposition de loi de notre collègue Prud'homme, que je soutiendrai à titre personnel, doit être considérée comme un appel vers des mesures bien plus fortes : révision des règles d'évaluation européennes et interdiction d'une grande majorité des pesticides actuellement utilisés. Certes, ce bouleversement de l'agriculture sera extraordinairement difficile à réaliser, mais nous ne pouvons continuer à détourner le regard de la catastrophe qui se rapproche de nous.