Intervention de Loïc Prud'homme

Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Prud'homme, rapporteur :

Monsieur Moreau, vous avez parlé des lourdes conséquences qu'entraînerait l'interdiction du glyphosate, mais vous ne les avez pas détaillées. Je me permets de citer vos propos. Ceux que vous avez tenus en séance publique le 21 février 2019 : « Au nom du principe de précaution, il faut interdire le glyphosate, et nous le ferons, tous ensemble, de manière coordonnée et en bonne intelligence. Ce sont les paysans qui sont les principaux exposés […]. Madame la rapporteure, vous jugez vous-même dans votre rapport que le délai de trois ans est suffisant pour accompagner les agriculteurs dans la transition agroécologique et trouver des alternatives au glyphosate pour les 10 % d'usage restants. Nous aussi, députés de la majorité, en sommes persuadés. Dans trois ans, nous aurons trouvé des solutions pour la très grande majorité des cultures. Dans trois ans, nous interdirons le glyphosate […]. » Cher Jean-Baptiste Moreau, je vous propose donc de mettre vos actes en cohérence avec vos propos et de soutenir cette proposition de loi.

Certains d'entre vous ont répété qu'il n'y aurait pas d'alternatives et que la question économique devrait prendre le pas sur tout le reste. Les alternatives existent, vous les connaissez, vous les avez parfois même citées. Des rapports de l'INRAE démontrent que la modification des pratiques culturales permet de se passer de ces pesticides et 55 000 agriculteurs bio s'en passent, parfois depuis toujours, tout en atteignant une performance agronomique et financière à la hauteur. Les revenus dégagés par ces pratiques sont aujourd'hui supérieurs au revenu paysan. L'arbitrage que vous proposez entre santé, environnement et revenu paysan aboutit à n'avoir ni protection de l'environnement, ni santé pour nos concitoyens, ni amélioration du revenu paysan.

Monsieur Dive, vous avez évoqué la mission commune sur le glyphosate qui a auditionné toutes les parties prenantes et a réalisé un travail exhaustif. Je me rappelle très bien – puisque j'ai assisté à l'ensemble des travaux – de l'audition du président de la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB), qui avait démontré de manière à la fois claire et technique que les pratiques agronomiques offraient des alternatives fiables dans la majorité des usages. Faire croire qu'il n'existe pas d'alternatives relève donc de la malhonnêteté intellectuelle.

Nous ne remplacerons pas le glyphosate par une autre molécule car ce n'est pas souhaitable. Nous le remplacerons par des pratiques agronomiques déjà existantes, pratiques qui font appel à l'intelligence des agriculteurs, à leur savoir-faire et à leur savoir académique.

Sur la question de la surtransposition, je vous rappelle que les prérogatives des États membres de l'Union européenne sont bien de statuer sur les autorisations de mise sur le marché des formulations commerciales.

Monsieur Herth, j'ai bien compris que c'était la forme qui vous empêchait d'être insoumis. Comme elle est corrigée, vous vous rallierez à nos positions. J'en suis ravi car cela nous permettra d'avancer sur la sortie du glyphosate.

Certains d'entre vous ont reproché à notre proposition de loi de ne pas prévoir de dispositifs d'accompagnement mais ceux-ci existent déjà et la proposition de loi ne prévoit pas de les supprimer ou de les réduire. Cet argument est donc nul et non avenu.

En ce qui concerne la nécessité d'une sortie rapide du glyphosate, je reprendrai les arguments de Delphine Batho. Monsieur Potier, vous nous dites que cette sortie est possible dans trente ans, mais cela fait trente ans qu'on nous annonce une sortie dans trente ans ! Vous soutenez par ailleurs que ce n'est pas au législateur de décider et qu'il faut s'en remettre aux autorités sanitaires. La décision de sortie est pourtant éminemment politique. Cher Dominique, que faisons-nous ici ? N'appartient-il pas aux décideurs politiques de définir la trajectoire de la production alimentaire de notre pays ? Si vous renoncez, nous ne nous renonçons pas et je vous invite à vous libérer de ce carcan qui vous est insupportable en ne vous représentant pas en 2022.

Monsieur Falorni, le glyphosate contribue massivement à la pollution des eaux – sujet sur lequel la France est régulièrement épinglée. J'ajoute que la détection de ses métabolites n'est pas suffisamment prise en compte par les systèmes de surveillance et que la qualité de l'eau peut s'en trouver surévaluée.

Cher Président Chassaigne, le décret prévu par cette proposition de loi permettra de mener des discussions avec les parties prenantes afin de définir les modalités fines de sortie. Je suis d'accord avec vous sur les verrouillages sociotechniques qui nous bloquent depuis de nombreuses années. Ils empêchent les professionnels –qui sont tous de bonnes volontés – de changer leurs pratiques. Pour faire sauter ces verrous, il nous faut un levier le plus long possible : c'est l'objet de cette proposition de loi. Pour juguler les adventices, il faut effectivement plus de travail du sol qui entraîne une augmentation de la consommation de carburant et donc des émissions de CO2. Je me souviens d'une audition menée dans le cadre de la mission d'information commune auprès de viticulteurs. Je les avais interrogés sur le bilan carbone de la production des pesticides. L'un d'eux avait levé les bras au ciel en s'exclamant : « Si on doit tout compter, on ne va pas y arriver ! ». Oui, il faut tout compter, et notamment les importantes émissions de CO2 de la production de pesticides, afin de pouvoir peser les deux côtés de la balance. L'argument de la consommation de carburants est fallacieux et un peu facile.

Monsieur Villani, il y a effectivement un souci concernant l'évaluation des pesticides. Au niveau européen, les dossiers d'évaluation de demande d'autorisation de substances actives sont soumis uniquement par les pétitionnaires, c'est-à-dire les industriels qui veulent commercialiser des molécules sur le marché. On comprend donc pourquoi, comme l'a rappelé Mme Delphine Batho, 99 % des études sont mises sous le tapis pour ne présenter que le 1 % les plus favorables. Il y a là un réel problème de conflit d'intérêts et de neutralité. Cela a été relevé. L'EFSA a essayé de corriger ces pratiques mais nous sommes encore bien loin d'un système parfait. Ce problème de neutralité et de conflit d'intérêts se retrouve au niveau des agences nationales, puisqu'elles se basent sur les mêmes dossiers et qu'elles n'ont pas les moyens de réaliser des études de toxicité de long terme des formulations commerciales. Pour sortir de cette impasse, il faut donc armer la recherche publique pour qu'elle puisse mener des contre-expertises et des études indépendantes, en imposant aux industriels de l'agrochimie de joindre à leur dossier un gros chèque pour financer les études nécessaires à l'évaluation à court, moyen et long terme.

Monsieur Vigier, le dumping social et environnemental est aussi une de mes préoccupations et l'Assemblée nationale doit légiférer pour que le grand déménagement du monde ne se fasse pas au détriment de nos producteurs et de nos agriculteurs. J'ai assisté récemment à une conférence de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. Son président y avait fait état de ses positions en faveur du protectionnisme. Le ministre de l'agriculture, ne voulant pas prononcer le mot de protectionnisme, qui est sans doute un gros mot dans sa bouche, avait parlé de « clause miroir ». Il ne faut pas nous prendre pour des lapins de six semaines : nous ne mangerons pas les lentilles canadiennes au glyphosate et nous protégerons les lentilles françaises. Nous sommes d'accord, Monsieur Vigier, là-dessus. Le protectionnisme ne doit pas être un sujet tabou, pas plus que notre capacité à légiférer sur des sujets tels que ceux-là.

Monsieur Turquois, je ne suis pas surpris par votre position. Nous avons fréquenté les mêmes commissions où nous avons discuté de l'approche multifactorielle. Vous reconnaissez que la protection de la biodiversité est nécessaire. J'attends que vous nous présentiez une proposition de lois qui permettent d'embrasser la complexité de ces questions avec votre regard et votre expertise particulière. Amendez ! Sous-amendez ! Vous ne pouvez pas vous contenter d'invalider une proposition de loi au prétexte qu'elle n'a pas la même approche initiale que la vôtre. L'amour, c'est bien, les preuves d'amour, c'est mieux ! Si vous aimez la biodiversité, donnez-en des preuves. Proposez des textes qui correspondent à votre approche. Je ne prétends pas détenir la vérité et je sais aussi amender les choses sur la forme et sur le fond.

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