Je vous présente un texte essentiel qui refond le système de couverture des risques climatiques en agriculture. Le changement climatique est une réalité dont les agriculteurs sont les premiers à subir les conséquences – le terrible épisode de gel du printemps dernier a constitué la plus grande catastrophe agronomique de ce début de siècle. Il constitue un frein majeur à l'installation des jeunes agriculteurs, qui doivent s'endetter massivement sans savoir s'ils pourront tirer des revenus de leur exploitation, en raison des crises à répétition. Pour les agriculteurs déjà installés, il représente également une contrainte très forte.
Le régime actuel d'indemnisation des pertes de récolte ne fonctionne pas, car il n'est pas assez accessible et pas assez avantageux pour les agriculteurs. Il est, de surcroît incroyablement complexe du fait de la coexistence de deux systèmes. D'un côté, le système d'assurance récolte est géré par les assureurs privés, de l'autre, le régime d'indemnisation des calamités agricoles, est mis en œuvre parfois au bout de douze, quinze ou seize mois – vous avez tous eu l'occasion de vous étonner auprès du Gouvernement qu'un an ou deux après un épisode de sécheresse, les agriculteurs n'aient toujours pas été indemnisés.
Le statu quo n'est pas possible, il nous faut absolument refonder le système. Voilà des années qu'on en parle, sans jamais trouver la solution. Longtemps, on a pensé qu'il fallait rendre l'assurance récolte obligatoire, mais les nombreux travaux menés en ce sens ont montré que ce n'est pas la voie à suivre : la mutualisation des risques n'est pas l'alpha et l'oméga et ne renforce pas l'accessibilité du système. Pour trouver la solution, il fallait démontrer que le monde agricole n'a pas la capacité de faire face seul aux aléas climatiques et que la solidarité nationale doit venir plus encore à son aide. Le Président de la République l'a annoncé devant les Jeunes agriculteurs, le 10 septembre dernier, nous allons refonder le système et y apporter de la solidarité nationale. L'engagement a été pris de porter le dispositif de financement à 600 millions d'euros par an dès le projet de loi de finances (PLF) pour 2023.
Le principe de la solidarité nationale, essentiel, s'applique à tous les secteurs d'activité. Dans le domaine du logement, par exemple, on paie sur l'assurance habitation une surprime qui couvre les risques de dégradation en cas d'inondation, même si, comme moi, on habite au cinquième étage. Cette solidarité nationale n'existe pas dans le monde agricole et nous allons l'y introduire.
La refonte consiste à créer un régime universel accessible à tout agriculteur, quand le système actuel laisse sans réponse des pans entiers de l'agriculture française. Elle vise également à rendre plus accessible l'assurance multirisque climatique, qui ne couvre en moyenne que 18 % de la surface agricole utile, en raison des conditions d'assurance proposées, qui doivent être plus justes. Finalement, il s'agit de proposer aux agriculteurs une sorte de ceinture de sécurité face aux accidents climatiques.
Cette réforme, que le Président de la République et le Gouvernement ont pris l'engagement très fort de mener à bien, opère un vrai changement de paradigme avec l'introduction de la solidarité nationale. Le dispositif est le fruit de nombreuses concertations. Je remercie chaleureusement M. Frédéric Descrozaille pour ses travaux substantiels et le rapport qu'il m'a remis l'année dernière. C'est ensemble que nous avons réfléchi à la refonte du système.
Le nouveau mécanisme repose sur une structure à trois étages. Au premier étage, les pertes d'exploitation seront assumées par l'agriculteur jusqu'à la franchise, comme dans tout système assurantiel. Au deuxième étage, entre le montant de la franchise et un seuil dit « exceptionnel », les pertes seront de la responsabilité de l'assureur, si tant est que l'agriculteur ait choisi de contribuer à une assurance. Au-dessus de ce seuil, au troisième étage, il en ira de la responsabilité de l'État.
Cette architecture a plusieurs conséquences essentielles. En premier lieu, le système est universel. Pour chaque culture, un seuil sera défini, ce qui signifie que chacune d'elles sera éligible au troisième étage, c'est-à-dire à la solidarité nationale. À l'heure actuelle, des pans entiers de l'agriculture ne peuvent pas prétendre à l'indemnisation des calamités agricoles. En deuxième lieu, la prise en charge par l'État a pour effet de borner le deuxième étage, qui relève des assureurs, et donc de déterminer précisément le risque pris par ceux-ci. Le risque étant borné et la prime étant fonction du risque, le coût de l'assurance pour les agriculteurs s'en trouvera réduit et donc plus accessible qu'il ne l'est aujourd'hui. En troisième lieu, ce système permettra une régulation actuarielle. On évitera ainsi que certains assureurs couvrent uniquement les bons risques, laissant aux autres la prise en charge des activités plus risquées, avec les divergences entre compagnies d'assurances et les surcoûts que cela implique pour les agriculteurs.
Le projet de loi comporte seulement douze articles. Les six premiers fondent l'architecture à trois étages. Le septième vous propose de légiférer par ordonnances pour permettre l'élaboration de la régulation actuarielle, qui présente un haut niveau de technicité.
Le projet de loi pose les fondations de la nouvelle maison de la couverture des risques : le système à trois étages, la régulation actuarielle, les responsabilités de chacun. Il définit également l'institution de seuils, constitutifs du dispositif, mais n'en fixe pas le niveau, qui relève plutôt de la décoration intérieure de la maison ou de la taille des pièces. Une fois la loi votée, une large concertation devra être conduite avec les professionnels pour déterminer à la fois le niveau des seuils pour chaque culture et l'intervention de l'État dans le subventionnement des primes. Je suis très favorable à ce qu'on utilise, au maximum des possibilités offertes, la réglementation européenne dite « omnibus ». Je souhaite que les seuils soient les plus attractifs possible pour nos différentes cultures. Il me paraît essentiel que tout cela soit fixé au niveau réglementaire, car ces éléments évolueront, notamment en fonction des événements que l'on constatera année après année. L'intervention du législateur figerait les choses et nous priverait d'outils de pilotage dynamiques de cette politique.
Pour élaborer ce système, nous nous sommes beaucoup inspirés, avec M. Frédéric Descrozaille, de ce qui existe en Espagne. Un des seuls éléments de politique publique dont dispose mon homologue espagnol est le système assurantiel créé il y a vingt-cinq ans – la politique agricole de l'Espagne repose dessus. Nous nous sommes efforcés d'en reprendre tous les éléments positifs, en améliorant certains aspects.
La réforme dont nous allons discuter sera sans doute la plus structurelle pour le monde agricole depuis la politique agricole commune (PAC). Elle a vocation à devenir un élément de la politique d'accompagnement de nos agriculteurs, la loi posant le cadre et le règlement fixant les seuils de façon à forger un véritable outil de politique publique, en concertation avec les professionnels.
Je remercie M. Frédéric Descrozaille, les groupes d'experts qui se sont réunis pendant plus de dix-huit mois ainsi que mes prédécesseurs, notamment M. Didier Guillaume, qui s'est beaucoup impliqué sur ce sujet, et M. Stéphane Travert.