Ce projet de loi s'inscrit dans la longue histoire de la gestion des aléas dans l'agriculture. L'un des objectifs de la politique publique menée est de développer un rapport au risque qui ne correspond pas, historiquement, à la culture du monde agricole.
La loi du 4 juillet 1900 a rendu possible la création de caisses d'assurances mutuelles, qui sont aujourd'hui proposées par Groupama. À cette époque, les agriculteurs ont commencé par assurer leurs bêtes, leurs salariés et leur capital avant de s'assurer eux-mêmes. Pendant très longtemps, l'assurance n'a pas porté sur l'aléa inhérent au métier de l'agriculteur. Dans la culture agricole, on considère les aléas, notamment climatiques, comme des risques professionnels que l'exploitant assume par l'exercice même de son métier.
Les lois d'orientation agricole de 1960 et 1962 ont posé les trois piliers de l'agriculture – modèle de l'exploitation familiale, structuration des marchés et pouvoir économique des producteurs, et aide à la cessation d'activité –, mais c'est la loi du 10 juillet 1964 qui a institué le régime de garantie contre les calamités agricoles qui reconnaît l'existence de risques non professionnels comme relevant de la solidarité nationale. Le texte indiquait, car telle était déjà la volonté du législateur, que le fonds national de garantie des calamités agricoles – à l'époque le FNGCA, devenu FNGRA (Fonds national de gestion des risques en agriculture) – devait, au travers de l'une de ses sections, développer le recours à l'assurance. Le législateur voulait déjà établir une forme de complémentarité entre l'État et l'assurance privée. Mais cela n'a pas marché. Le monde agricole a continué dans la même logique : assumer l'aléa inhérent au métier et faire appel à la solidarité nationale lorsque survient une catastrophe.
Sous l'influence de l'approche américaine du soutien à l'agriculture, La loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole et la loi n° 2010-87 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche ont favorisé le développement de l'assurance par le biais de l'argent de la PAC, avec la création de l'assurance multirisque climatique subventionnée. Celle-ci s'est effectivement déployée, ce qui explique que les pouvoirs publics aient écarté des pans entiers de l'application du régime de garantie contre les calamités. De cette logique d'exclusion vient que des filières ont été réputées assurables ou non assurables, l'idée étant d'avoir un transfert.
Aujourd'hui, nous pensons les choses autrement, en nous appuyant sur deux principes fondamentaux. Premièrement, on ne prétend plus savoir exactement où passe la frontière entre ce qui est assurable et ce qui ne l'est pas. Les choses évoluent trop vite. Il faut un dispositif qui permette de suivre le déplacement de la frontière et rende possible l'adaptation au réchauffement climatique et à l'aggravation de l'adversité. Deuxièmement, il s'agit d'organiser la complémentarité entre la part de l'assureur et celle de l'État sur la base d'un recours universel. Il faut arrêter de penser que c'est l'un ou l'autre.
Le ministre l'a dit, le texte repose sur les principes de solidarité nationale et d'universalité, mais aussi d'adaptation. Le comité d'orientation et de développement de l'assurance récolte (CODAR) est créé pour faire fonctionner un mécanisme d'ajustement du pas de temps agricole, qui est long, et mener l'adaptation au changement climatique. De fait, le projet de loi s'inscrit dans le cadre du lancement du Varenne agricole de l'eau et du changement climatique. À cet égard, je salue l'action du ministre, qui a donné à cet énorme chantier de l'eau une dimension interministérielle. Nos travaux correspondent à la première séquence du Varenne, mais les phases suivantes, consacrées à l'adaptation des filières et à l'accès aux ressources en eau, seront centrales pour les vingt ans qui viennent. Le CODAR permettra d'ajuster, d'une part, le pas de temps agricole, les stratégies des filières, qui s'inscrivent sur la longue durée, et, d'autre part, la réactivité commerciale des assureurs, qui est beaucoup plus courte puisqu'ils renouvellent, résilient ou modifient les contrats à un rythme annuel.
Le projet de loi repose enfin sur le principe fondamental de la liberté. D'un côté, les exploitants ont le choix de s'assurer ou de ne pas s'assurer. S'ils le font, ils peuvent choisir de transférer le risque à l'exploitation ou à la culture. De l'autre côté, chacun des assureurs peut développer sa politique commerciale, son modèle d'assurance paramétrique indemnitaire et d'innovation. Cette liberté, qui doit permettre l'adaptation des acteurs et assurer le développement de celle-ci par l'esprit d'entreprise, l'innovation et la créativité, est limitée par la seule contrainte de la solidarité : entre les assureurs au sein du groupement, des assureurs vis-à-vis du monde agricole, et la solidarité de la Nation à travers le budget voté chaque année par le législateur.
Les dispositions du texte, peu nombreuses, modifient les articles du code rural et de la pêche maritime créés à partir de 1964 et modifiés, notamment en 2006 et en 2010, qui ont institué le régime de garantie contre les calamités et permis le développement des produits d'assurance subventionnés dans le cadre de la PAC. Le projet de loi affirme le principe de la solidarité nationale, fixe les conditions d'indemnisation par l'État et intègre les dispositions du règlement omnibus. Le texte se concentre sur l'agriculture hexagonale, mais plusieurs articles concernent les territoires ultramarins. Le dernier article prévoit l'entrée en vigueur du dispositif le 1er janvier 2023. Tout cela se fait tambour battant, et je remercie tous les acteurs, qui ne comptent pas leurs efforts depuis que le ministre a pris le chantier à bras-le-corps.