Intervention de Julien Denormandie

Réunion du mercredi 26 janvier 2022 à 9h30
Commission des affaires économiques

Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Je salue le travail de fond accompli au sein de la mission d'information par Barbara Bessot Ballot, Michèle Crouzet et Richard Ramos, dont l'engagement au service de l'alimentation des Français, de la lutte contre les inégalités nutritionnelles et de l'éducation à l'alimentation est sans faille. Je salue également la mémoire d'Axel Kahn, avec lequel j'ai eu la chance d'échanger à de nombreuses reprises, notamment au sujet de ces additifs nitrés.

Le sujet qui nous réunit est absolument majeur car il touche à l'alimentation de nos concitoyens, à la nutrition et plus largement à la demande sociétale d'une alimentation de qualité à laquelle le Gouvernement comme le Parlement doivent répondre. Il est aussi complexe, en témoignent les nombreux rapports et avis dont il a fait l'objet, dont certains ont été cités par le rapporteur. Il doit donc être appréhendé avec méthode.

Les quantités maximales d'additifs nitrés ont été encadrées au fil des années. Tout d'abord, par la Commission européenne, notamment sur la base des travaux scientifiques de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA,) qui a fixé des quantités de consommation s'agissant des produits de viande transformée traditionnels et non traditionnels. Son dernier avis de 2017 ne les remet d'ailleurs pas en cause.

Les connaissances scientifiques évoluent, et l'impact de ces additifs nitrés et les risques associés sont de plus en plus étudiés. Ainsi, une étude du CIRC émettait, en 2018, l'hypothèse de potentiels effets de ces composés nitrés utilisés dans les viandes sur la formation de cancers colorectaux, du fait d'interactions avec certains composants de l'intestin, suite à l'oxydation des nitrites. Parallèlement, les professionnels du secteur ont de plus en plus répondu à la demande des consommateurs – je tiens à le souligner – en développant des produits, notamment des jambons, sans ajout de nitrite. Une dynamique a été créée depuis lors qu'illustrent les chiffres de consommation rappelés par le rapporteur.

Tous ces éléments font la complexité du sujet, sur lequel trois positions peuvent être prises : la première voie est celle de l'interdiction, immédiate ou différée de quelques années, soutenue par ceux qui sont convaincus de la dangerosité des additifs nitrés, point de vue parfaitement légitime ; la deuxième voie possible est le statu quo, défendu par ceux qui pensent, avec ou sans support scientifique, qu'il n'existe aucun danger pour la santé humaine ou que l'interdiction des additifs nitrés ferait courir un plus grand risque sanitaire, y compris par rapport à d'autres impacts ou à d'autres pathologies ; la troisième voie – qui est la mienne et que je défends –, est l'attente humblement d'un avis scientifique indépendant pour éclairer les choix.

Il ne s'agit en aucun cas d'éluder le sujet – M. le rapporteur peut témoigner que nous avons eu de nombreux échanges pendant de longs mois. Ma méthode repose sur la science et la raison, et j'aborde tous les sujets avec beaucoup de pragmatisme, sans exception. Cette méthode, l'ANSES nous permet de l'appliquer, grâce à son statut d'autorité scientifique indépendante de très haut niveau et à son mode de fonctionnement solide. Je veux ici saluer son directeur.

Dès juin 2020, à la suite des nouvelles études menées par le CIRC, nous l'avons saisie, avec mes collègues de la santé et de l'économie, afin de statuer sur quatre questions :

– quels sont les moyens d'établir les situations dans lesquelles une diminution des taux de nitrite et de nitrate présents dans les denrées est susceptible d'accroître de manière significative les risques liés à la prolifération de bactéries pathogènes dans certains aliments ?

– quels leviers d'action permettant de diminuer l'exposition globale par ingestion des consommateurs aux nitrites et aux nitrates, quelle que soit leur origine, peut-on recenser ?

– de nouvelles connaissances scientifiques sont-elles susceptibles de lever les incertitudes sur les mécanismes de transformation des nitrates et des nitrites dans l'organisme et dans les denrées alimentaires ?

– les connaissances scientifiques sont-elles susceptibles de mieux caractériser le lien entre cancérogenèse chez les hommes et chez les femmes et apport de fer héminique associé aux nitrites au travers de la consommation de produits carnés ?

Ces questions sont très claires et de nature à éclairer la décision publique, qu'elle soit législative ou réglementaire.

Vous avez raison Monsieur le rapporteur : notre position aurait été beaucoup plus confortable ce matin si cet avis avait été rendu selon le calendrier fixé initialement. Force est de constater que cela n'a pas été possible. L'ANSES l'a annoncé pour la fin du premier semestre 2022. Je souhaite que cela aille le plus vite possible et que les délais soient respectés.

Notre responsabilité politique est de nous positionner avec l'éclairage des enseignements scientifiques. Il ne s'agit en aucun cas de se défausser : si l'avis de l'ANSES démontre qu'il faut revoir la consommation d'additifs nitrés dans la charcuterie, nous n'hésiterons pas. Nous mobiliserons tous les outils à notre disposition – sur le plan réglementaire, au niveau national comme européen – pour prendre les mesures qui s'imposent, comme nous avons su le faire sur l'additif E171, le diméthoate, utilisé, par exemple, pour traiter des cerises importées. Nous veillerons à accompagner la filière pour que nulle entreprise ne soit laissée au bord du chemin et pour que nos produits, qui font la fierté de nos terroirs, continuent de pouvoir se développer.

Il s'agit de ne rien exclure ni préempter, mais d'avancer avec détermination en suivant cette méthode de prendre des décisions fondées sur la science. J'ai donc l'honneur de présenter, au nom du Gouvernement, quatre amendements de fond.

Le premier est une mesure de transparence vis-à-vis du Parlement, avec la présentation des conclusions tirées du rapport attendu de l'ANSES, dès lors que celui-ci aura été rendu.

Le deuxième permettra de fixer un cadre très clair afin de pouvoir avancer rapidement une fois ce rapport rendu. Il prévoit des dispositions relatives à l'utilisation, à la consommation mais aussi à la commercialisation des produits contenant des additifs nitrés que le Gouvernement pourra mettre en œuvre dès lors qu'il disposera de l'avis de l'ANSES.

Le troisième amendement est une mesure d'engagement vis-à-vis du rapporteur sur la question de l'étiquetage.

Enfin, un dernier amendement portera sur le titre de la proposition de loi, en conformité avec la philosophie de ce que je viens de vous présenter.

Le rapporteur a déposé des sous-amendements à ces amendements du Gouvernement, auxquels je donnerai quasi systématiquement un avis favorable, en gage de la collaboration réalisée entre nous et d'une confiance partagée après de longs mois de travaux.

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