Lors de la présentation devant cette commission de l'excellent rapport de nos collègues Bessot Ballot, Crouzet et Ramos sur les sels nitrités dans l'industrie agroalimentaire, j'avais salué le volet technique de leur travail pour sa rigueur dans le maniement des probabilités et des risques, pour sa prise en compte de résultats récents dans le domaine de la recherche biomédicale, et pour la façon dont il interrogeait sans complaisance les pratiques économiques, et conciliait les préoccupations sanitaires, sociales, artisanales et gastronomiques.
En prévision de cette réunion, en accord avec le président Lescure, j'ai demandé au secrétariat scientifique de l'OPECST d'effectuer une recension critique des éléments techniques de ce dossier. Je tiens cette synthèse à votre disposition. Je me contenterai ici de rappeler quelques-uns de ses éléments majeurs.
Les sels nitrités sont utilisés dans plusieurs buts en charcuterie. Ils accélèrent la dessiccation, renforcent la conservation, neutralisent des toxines dangereuses comme la toxine botulique. Ils transforment aussi l'aspect de la viande dite rouge, colorant par exemple en rose le jambon, lequel est naturellement blanc. L'intérêt économique de tous ces effets n'est pas contesté. Il est également avéré que de nombreuses marques de charcuterie, comme Herta ou Fleury Michon et bien d'autres aujourd'hui, proposent des gammes dites sans nitrite, vocable qui regroupe toute une panoplie de recettes sans sels nitrités et visant plutôt une clientèle aisée.
Restent deux interrogations de nature scientifique. Premièrement, ces additifs ont-ils un effet cancérigène ? La question ici n'est pas l'effet cancérigène des sels nitrités purs, comme le nitrate de sodium, mais bien des composés qui en sont issus, à savoir les nitrosamines, obtenues soit par la transformation ou la préparation des aliments, soit au cours de la digestion, ou encore l'hème nitrosylé, obtenu à partir de l'hème de la viande, contenant du fer. L'effet cancérigène de la viande transformée – en particulier le cancer colorectal – est établi depuis 2015. Plus précisément, le Centre international de recherche sur le cancer a classé la viande transformée comme cancérigène à coup sûr et la viande rouge comme probablement cancérigène. Le CIRC écrit que la consommation de 50 grammes de viande transformée ou de 100 grammes de viande rouge augmente le risque relatif de cancer du côlon de 18 %. Bien sûr, c'est affaire de risque et de dose, comme le rappelait notre collègue Antoine Herth qui a travaillé sur la question dans le cadre d'une note de l'OPECST. L'incertitude demeurant sur la mesure du risque associé à la viande rouge en général ne change rien à l'impact avéré de la viande transformée, ce qui a mené des cancérologues respectés, entendus par la commission, à prendre résolument parti contre l'usage des sels nitrités.
La deuxième question est de savoir si l'on peut se passer des sels nitrités sans pour autant courir des risques sanitaires. Force est de reconnaître que la littérature scientifique est difficile à analyser, du fait de la difficulté intrinsèque d'analyse du sujet, mais aussi des conflits d'intérêts, du manque de transparence des recettes et de la diversité des produits. Si pour le jambon de Parme, par exemple, la recette est claire et bien établie, pour d'autres produits c'est plus controversé. Nous en sommes réduits à nous tourner vers les industriels eux-mêmes, qui garantissent la sûreté de leurs gammes dites sans nitrite. Une chose est sûre, et le rapport le disait clairement : les gammes sans nitrite n'ont pas causé d'intoxications notables. Aucun effet n'a été observé, par exemple, sur le botulisme.
Ces gammes représenteraient 3 % à 5 % du marché. C'est peu et beaucoup : peu en proportion, ce qui rend difficile d'apprécier une éventuelle variation des cas de cancer en rapport avec ce régime, mais beaucoup en nombre de produits vendus, qui se comptent en milliers de tonnes par an rien qu'en France, sans qu'on ait recensé de cas de toxine botulique liés à la consommation de ces produits. Pour rappel, la toxine botulique est aujourd'hui rarissime : on parle de dix à vingt intoxications par an en France, essentiellement liées à des préparations artisanales, et d'un décès tous les trois ans en moyenne.
Sur ces différents aspects, il n'y a rien à redire ni à ajouter au rapport de nos collègues. Pour affiner les connaissances sur ce sujet hautement technique et biaisé par de multiples conflits d'intérêts, l'étude promise par l'ANSES, tant attendue, sera attentivement scrutée. Les préconisations de l'OPECST relatives au renforcement de l'indépendance et des moyens des agences d'évaluation, formulées dans un rapport cosigné par notre collègue Philippe Bolo, s'appliquent pleinement ici.
Pour l'heure, les éléments déjà établis m'apparaissent suffisants pour que, en tant que simple député et non en tant que président de l'OPECST, je soutienne résolument la proposition de loi de Richard Ramos, tant pour son volet scientifique que pour son volet social.