Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 9h35
Commission des affaires économiques

Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance en charge de l'industrie :

Le Président de la République avait fait de la reconquête industrielle une des priorités de son quinquennat. Les chiffres sont au rendez-vous. Comme en 2017, 2018 et 2019, nous avons recréé des emplois industriels nets dans les territoires. Cela n'était pas arrivé depuis 2000. En 2021, malgré la crise la plus forte enregistrée depuis près d'un siècle, le chômage, notamment des jeunes, est à son plus bas depuis quinze ans. Pour la troisième année consécutive, la France est le pays européen le plus attractif pour accueillir des investissements étrangers dans l'industrie. Elle s'est hissée à la onzième place de l'indice mondial de l'innovation – elle était dix-huitième en 2016. Pour la première fois en trois décennies, nous avons créé deux fois plus d'usines que nous n'en avons fermées. Lors de la cinquième édition du sommet Choose France, vingt et une entreprises étrangères ont annoncé plus de quatre milliards d'euros d'investissements et la création de plus de dix mille emplois dans les territoires de l'Eure, du Haut-Rhin et du Loiret.

« Morceau avalé n'a plus de goût », dit-on, mais ces réussites n'allaient pas de soi après trente années de capitulation industrielle, d'hémorragie de fermetures d'usines, fondée sur le mythe d'une industrie sans usines (fabless) et de la disparition de l'industrie au profit des services. Entre 2000 et 2016, un million d'emplois industriels nets ont été détruits ; des pans entiers de l'industrie ont été délocalisés et des territoires abandonnés. Au début des années 2000, 70 000 emplois nets disparaissaient chaque année, et jusqu'à 130 000 lors de la crise de 2008‑2009. Notre industrie a lentement décroché par rapport à nos voisins européens. Son poids dans notre PIB est passé d'un peu moins de 17 % à 11 % en 2018, contre 23 % en Allemagne, 14 % en Espagne et près de 18 % en Italie.

Cette capitulation industrielle a eu plusieurs conséquences. La première est le retard technologique, un handicap majeur pour relever le défi climatique, car c'est dans l'industrie que seront mises au point les solutions de décarbonation des activités humaines – se loger, se nourrir, se déplacer. C'est là que se concentrent plus des deux tiers des brevets, la recherche et le développement (R&D), et l'innovation.

En découle la deuxième conséquence, qui est l'échec environnemental. L'empreinte carbone de la France a augmenté de 17 % alors que celle de l'industrie a baissé de 40 % entre 1995 et 2015, tout simplement du fait des importations. On a substitué à une production modestement productrice de carbone des importations très fortement émettrices.

La troisième conséquence est la fragilisation du marché du travail, polarisé entre des emplois très qualifiés et des emplois très peu qualifiés. La polarisation est également territoriale, avec des espaces qui concentrent les richesses et d'autres qui perdent de la substance. Pourtant, le niveau de rémunération de l'emploi industriel est supérieur de 25 % à celui des autres secteurs et 70 % des emplois industriels sont situés dans des communes de moins de vingt mille habitants.

De tout cela résulte la quatrième conséquence : la fragilisation de la cohésion nationale. Les territoires périurbains et ruraux sont les principales victimes de la désindustrialisation, ce qui alimente à juste titre un sentiment d'abandon, le vote abstentionniste et la défiance vis-à-vis des élites.

Sous l'impulsion du Président de la République, le Gouvernement s'est d'abord attelé à redonner confiance aux investisseurs, français ou étrangers, au travers d'une stratégie en trois axes. Premièrement, nous avons donné de la prévisibilité aux acteurs économiques par la définition de trajectoires : baisse de l'impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % ; transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi en baisse de charges pérenne ; suppression de 10 milliards d'euros d'impôts de production, dont 60 % ont bénéficié à l'industrie.

Deuxièmement, nous avons initié un profond mouvement de simplification de nos procédures administratives, trop longues et complexes. Vous avez ainsi voté la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « PACTE », la loi ASAP, qui vise notamment à accélérer l'implantation de lignes de production industrielles dans le respect de standards environnementaux élevés, ou encore la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dite loi « ESSOC ». Ces lois ont fondamentalement changé l'action du service public : nous sommes là pour faciliter le développement et l'emploi et non pas pour assurer l'inspection des travaux finis.

Troisièmement, nous avons fortement investi dans les compétences et dans la fluidification du marché du travail, avec les ordonnances « travail », mais aussi avec la refonte de la formation professionnelle et la revitalisation de l'apprentissage. Les résultats sont là : un taux de chômage au plus bas depuis quinze ans ; 700 000 apprentis, soit deux fois plus qu'au début de notre mandat ; l'emploi des jeunes, point noir de la France, en voie de redressement.

Ces mesures cadres visent à nous aider à produire tout en préservant nos exigences environnementales et sociales – elles les confortent même. Elles apportent une flexibilité qui, loin de fragiliser notre modèle social et environnemental, l'a au contraire conforté. Il faut continuer. Au regard de la fiscalité, elles nous replacent dans le haut de la fourchette de la taxation européenne des pays qui ont un modèle social et environnemental à peu près de même exigence que le nôtre, c'est-à-dire ceux d'Europe de l'Ouest. Il ne s'agit pas de faire des cadeaux, mais simplement de reprendre pied dans la compétition en ayant une fiscalité qui soit compatible avec une activité économique.

Nous ne nous en sommes pas tenus là. Avec « France Relance », plan de relance de plus de 100 milliards d'euros initié à l'été 2020, nous avons poursuivi quatre objectifs majeurs pour notre industrie : l'innovation, la modernisation, la décarbonation et la relocalisation. Je ne reviens pas sur la baisse des impôts de production, qui représente 20 milliards d'euros sur ces 100 milliards, pour m'intéresser aux dispositifs qui ont ciblé les entreprises industrielles. Une entreprise industrielle de plus de cinq salariés sur trois a été accompagnée, soit plus de dix mille entreprises. C'est absolument inédit. Non seulement nous sommes le seul pays d'Europe à avoir fini de déployer notre plan de relance, mais nous sommes également le seul à afficher ce taux d'accès aux entreprises, parmi lesquelles beaucoup d'entreprises petites et moyennes (PME), très petites (TPE) et de taille intermédiaire (ETI).

Cela a donné des résultats en matière de relocalisation, entendue comme toute activité industrielle permettant de réduire les importations et d'augmenter notre capacité à produire en France. Depuis septembre 2020, grâce au plan de relance, 700 projets de relocalisation ont ainsi été rendus possibles – sept fois ce qui a été réalisé sous le mandat de Nicolas Sarkozy entre 2008 et 2011. Tous dispositifs confondus, ce sont 2,3 milliards d'euros d'investissement qui ont été accompagnés, permettant un investissement industriel total de l'ordre de 10 milliards d'euros et la modernisation des chaînes de production pour 80 % des entreprises accompagnées vers l'automatisation et vers des dispositifs de décarbonation. Le tout a déjà permis d'économiser 2,8 millions de tonnes de CO2 et 3,6 millions de tonnes devraient l'être d'ici à la fin du premier semestre. C'est l'équivalent de dix-huit mois d'économies de tonnes de CO2 dans le secteur industriel, ce qui nous permet de prendre de l'avance sur notre feuille de route de décarbonation de l'industrie.

Nous avons soutenu les filières d'excellence, l'automobile, l'aéronautique, mais également la santé. Alors que la part de production des produits de santé en France avait été divisée par deux entre 2005 et 2017 et que seulement 3 500 essais cliniques y avaient été conduits contre 10 000 en Allemagne, nous avons accompagné plus de 150 projets de production nouvelle en France, sur toutes les aires thérapeutiques et tous les types de produits de santé.

Enfin, à la différence du plan de relance qui a vocation à stabiliser et à relancer les filières industrielles existantes, le plan « France 2030 » vise la constitution de nouvelles filières qui formeront une industrie puissante à l'horizon 2030. Ce sont les filières de l'hydrogène bas‑carbone, qui participeront à la mise au point de « l'avion vert », à l'accompagnement du développement des compétences de demain, à l'électrification de notre parc automobile, aux innovations de rupture en général. Ce sont 30 milliards d'euros d'argent nouveau, uniquement sous forme de subventions ; ce ne sont ni des prêts ni des avances remboursables comme dans beaucoup de plans qu'on a pu voir par le passé. Ils commencent à être déployés. D'ici à la fin du mois de mars, des fonds devraient être engagés sur chacun des dix chantiers prioritaires et fondamentaux – se nourrir, se soigner, se déplacer… – pour lesquels nous créons des filières spécifiques, les filières de demain. Un appel à projets sera lancé pour démarrer ce projet de transformation.

Si ces cinq années ont permis d'arrêter la saignée industrielle, il y a encore beaucoup à faire. Avec un taux d'industrie qui est toujours de l'ordre de 11 %, il n'est pas question de dire que nous avons réindustrialisé la France, mais nous avons arrêté l'hémorragie d'emplois et redéveloppé des usines en France, avec plus de constructions que de fermetures. Ce travail doit être approfondi. C'est l'ambition de « France 2030 » et de la politique que nous menons de poursuivre ce travail, pour que la France retrouve sa stature de grande nation industrielle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.