Lorsqu'il décida, à la fin de la seconde guerre mondiale, de créer un commissariat à l'énergie atomique, le Gouvernement provisoire de la République française ambitionnait, d'après les termes de l'ordonnance du 30 octobre 1945, de faire rayonner « le génie de la France » dans le domaine de l'atome, appelé à se révéler « favorable au progrès humain ». Soixante-dix-sept ans plus tard, l'ambition du rayonnement de la recherche française reste la même, mais elle est résolument tournée vers les énergies décarbonées, dont l'énergie nucléaire est une composante. L'ajout, en 2010, des mots « et aux énergies alternatives » au nom du commissariat n'est pas, tant s'en faut, un simple changement sémantique.
De nos jours, la recherche sur les sources et les vecteurs d'énergie est plus que jamais au cœur des préoccupations des pouvoirs publics. Au demeurant, il ne s'agit pas du seul champ d'action du CEA, qui apporte aussi ses compétences de pointe aux secteurs de la défense et des transports, ainsi qu'aux sciences du vivant et du climat, par exemple.
Par ailleurs, le Commissariat occupe une place originale dans la recherche technologique française, au croisement de la recherche et du développement industriel. Ce positionnement est primordial dans notre pays, qui a parfois du mal à passer au stade du développement industriel et de la valorisation économique, et il est fructueux.
Pour ces raisons, le choix de celui qui incarne cette politique de recherche fait partie des décisions importantes pour notre pays. À cette fin, nous auditionnons M. François Jacq, qui est à la tête de l'établissement depuis le 20 avril 2018 et que le Président de la République envisage de reconduire dans ses fonctions d'administrateur général du CEA.
Monsieur Jacq, votre parcours témoigne d'un solide ancrage scientifique et d'une expérience diversifiée dans la direction d'organismes publics de recherche. Vous êtes ancien élève de l'École polytechnique, promotion 1986, et ingénieur des mines. Vous avez notamment dirigé l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), de 2000 à 2005, et l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), de 2013 à 2018. Votre profil justifiait parfaitement votre nomination en 2018 et le justifie toujours.
Comme vous l'avez indiqué dans les réponses très complètes et documentées que vous avez bien voulu apporter au questionnaire que je vous ai adressé jeudi dernier, votre premier mandat a été caractérisé par un double enjeu : parachever la mue du CEA en un centre de recherche d'excellence sur toutes les énergies, nucléaire ou non ; poursuivre la diversification de ses activités et son ouverture vers l'extérieur.
Lors de notre entretien d'avant-hier, j'ai relevé que vous aviez également réussi à mettre les équipes spécialisées dans la chimie nucléaire au service du recyclage des batteries, ce qui témoigne des nombreuses synergies qu'il est possible de créer dans le secteur de l'énergie. Vous avez également évoqué les projets de recherche moins connus, mais non moins essentiels, que le CEA a su mener à bien sous votre direction dans les domaines du numérique et de la santé. J'ai retenu l'exemple de la start-up Diabeloop, issue du CEA, qui a développé avec succès un dispositif médical innovant pour le diabète de type 1.
Pour le second mandat auquel vous aspirez, vous annoncez vouloir poursuivre les démarches engagées en 2018, notamment en vue de consolider le positionnement du CEA au cœur de la recherche française dans la transition énergétique. J'approuve ces orientations nécessaires. Encore faut-il que l'établissement ait des objectifs opérationnels et qu'il dispose des moyens de ses ambitions. Sur ces deux sujets, je souhaite obtenir des précisions complémentaires.
Vous avez indiqué vouloir tirer profit des moyens alloués par l'État dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA), du plan de relance et de France 2030 pour accélérer les programmes de recherche sur l'hydrogène décarboné, dans desquels le CEA joue un rôle central, aux côtés du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Vous avez mentionné, dans vos réponses, les initiatives mises en œuvre pour accélérer les transferts de technologie vers des acteurs industriels, notamment la coentreprise Genvia créée avec Schlumberger, Vinci et Vicat.
Cela fait des années que l'hydrogène suscite bien des espérances parmi nos concitoyens, soucieux des impacts du changement climatique. Or, vous le savez fort bien, la principale difficulté technique réside dans le différentiel de coût, de un à quatre, entre l'hydrogène « gris » et l'hydrogène produit à partir d'énergies décarbonées. Pensez-vous que les travaux du CEA permettront, à moyen terme, de faire baisser sensiblement le coût de production de ce vecteur d'énergie pour qu'il devienne une solution performante sur le plan économique ?
S'agissant des moyens financiers, vous m'avez fait part, lors de notre entretien, des incertitudes que fait peser sur les activités de recherche partenariale du CEA la suppression, au 1er janvier 2022, du dispositif de doublement d'assiette du crédit d'impôt recherche (CIR). Le crédit d'impôt en faveur de la recherche collaborative (CICO), instauré en remplacement, ne compense que partiellement le manque à gagner fiscal pour vos partenaires de recherche privés. Dans ce contexte, aurez-vous la capacité de maintenir l'écosystème de recherche partenariale patiemment construit par le CEA depuis de nombreuses années ?
J'en viens à un dernier sujet, que nous avons commencé à évoquer mardi dernier et qui me semble important : l'état du dialogue social au sein de votre établissement. Vous avez indiqué que la direction du CEA s'efforçait de rester constamment à l'écoute des attentes de ses personnels. Toutefois, un courrier récemment adressé par l'intersyndicale du CEA aux instances de direction et aux ministres de tutelle a appelé mon attention, dans la mesure où il évoque plus de dix années d'absence d'augmentation générale des salaires. Vous m'avez indiqué que, si la valeur du point de référence n'a pas augmenté, les rémunérations des personnels ont sensiblement progressé, en moyenne, grâce à la distribution de points supplémentaires.
Indépendamment des contraintes budgétaires qui s'imposent au CEA, vous êtes, comme moi, conscient qu'il importe de faire en sorte que les femmes et les hommes qui mettent leur savoir-faire au service de la politique énergétique et industrielle de notre pays soient rémunérés en conséquence et reconnus à leur juste valeur, en tenant compte de la pénibilité de leur mission, surtout dans le contexte d'un emballement de l'inflation. Comment vous efforcez-vous de maintenir l'adhésion et la motivation de vos collaborateurs ? Comment travaillez-vous, avec toutes les parties prenantes, pour répondre à ces attentes ?
Je vous remercie à nouveau de la clarté et de la qualité de vos réponses écrites, qui m'ont été transmises très rapidement, en dépit de délais contraints. Votre parcours, vos réponses au questionnaire et nos échanges en amont de cette audition m'amènent à émettre un avis favorable à votre reconduction au poste d'administrateur général du CEA.