Intervention de François de Dorlodot

Réunion du mardi 10 décembre 2019 à 18h05
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

François de Dorlodot, associé, directeur du secteur public au sein du cabinet KPMG :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation.

L'entreprise KPMG emploie en France 10 000 personnes et intervient au travers de quatre métiers : l'audit, le conseil, l'expertise-comptable et, le plus récent, le conseil juridique.

Trois caractéristiques de notre cabinet me paraissent présenter un intérêt au regard de l'objet de la mission d'information. La première est notre implantation territoriale, historiquement assez forte : nous sommes présents dans 250 villes et agissons de ce fait au plus près des territoires. La deuxième, qui découle de la première, est que nous intervenons à la fois auprès de grandes entreprises et de TPE-PME. La troisième est le fort investissement du cabinet dans les activités du secteur public, de la santé et de l'économie sociale et solidaire. Un événement organisé sur l'un de ces secteurs voilà une dizaine de jours et auquel j'ai participé a ainsi rassemblé près de 500 personnes.

Étant responsable du secteur public, je centrerai mon propos sur ce domaine d'intervention, sans toutefois m'interdire quelques observations sur les entreprises, qui représentent une part importante de notre activité. L'application de la loi pour les particuliers est en revanche plus éloignée de notre cœur de métier.

Les questions que vous nous avez transmises partaient du constat suivant : sur le terrain, le contrôle de la volonté du législateur serait mal assuré. C'est aussi ce que nous observons, à condition d'élargir la notion au contrôle et à l'évaluation des politiques publiques, car il s'agit davantage dans notre esprit d'évaluer comment ces objets complexes, au travers de mesures ou de réformes, s'appliquent aux entreprises, aux administrations publiques et aux particuliers.

La création du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) à la suite de la révision constitutionnelle de 2008 avait donné une première impulsion, suivie de nombreux travaux d'évaluation et de contrôle conduits par l'Assemblée nationale. Si l'objectif de placer l'évaluation au cœur de l'activité du Parlement est désormais plus largement partagé, ces travaux restent insuffisamment utilisés par les parlementaires.

En France, la mission d'évaluation et de contrôle est assurée par de nombreux organismes : la Cour des comptes, les corps d'inspection, les directions statistiques ou d'évaluation au sein des ministères, ou encore les cabinets de conseil. Pour autant, le législateur et le pouvoir exécutif continuent de porter leur effort davantage sur la conception de mesures nouvelles plutôt que sur l'évaluation des politiques publiques existantes, alors même que l'une et l'autre sont étroitement liées.

La réponse à la question de savoir qui doit assurer le rôle d'évaluation et de contrôle a varié dans le temps. Alors que l'exécutif a tenu le premier rôle au moment de la modernisation de l'action publique (MAP) lancée à la fin de l'année 2012, il semblerait que sous la législature actuelle ce soit au tour du Parlement de fournir un tel effort. Appliquant un prisme légèrement différent, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) a quant à elle progressé dans la mesure des résultats et des impacts sur la vie quotidienne.

Selon nous, l'effort doit être partagé entre l'exécutif et le législatif, et le Parlement doit prendre sa part à la fois dans la mesure des résultats, dans la production de connaissances et de données relatives aux politiques publiques et dans l'évaluation de celles-ci, en y portant un jugement.

La temporalité est souvent au cœur des questions d'évaluation. En l'espèce, il faut considérer le cycle d'élaboration de la loi et tenir compte de la désynchronisation entre l'urgence de l'agenda politique et le temps long de l'évaluation, qui ne peut être menée à court terme.

Dans le paradigme dominant, de l'étude d'impact à la mise en œuvre des décrets d'application, une ou deux années sont nécessaires avant de pouvoir observer les effets d'une loi, et il faut attendre ce même laps de temps avant de procéder à une évaluation ex post. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'on dispose d'une réelle visibilité sur les politiques publiques mises en œuvre.

Parce que ces dernières sont des objets complexes, il nous paraît plus judicieux de procéder à une évaluation continue, une mesure des résultats in itinere. On évite ainsi l'écueil d'une évaluation ex post qui, intervenant après plusieurs années d'application d'une politique, peut être perçue comme une sanction alors même que, dans certains cas, on ne dispose pas d'une quantité de données suffisante pour la mener à bien.

Une critique récurrente au sujet des travaux d'évaluation et de contrôle est qu'un grand nombre de rapports resteraient lettre morte. Cela ne correspond pas tout à fait à ce que nous avons pu observer.

Après le lancement de la MAP, dans le cadre d'une mission d'accompagnement de la démarche d'évaluation des politiques publiques, nous avons pu constater que les rapports publiés avaient un effet réel sur la décision publique, même s'il était difficile d'établir un lien strict entre ceux-ci et celle-là.

De manière générale, nous sommes convaincus que l'élévation du niveau de connaissance et l'augmentation du nombre de données produites sur les politiques publiques sont de nature, directement ou indirectement, à en perfectionner l'étude et à en améliorer le fonctionnement.

J'en viens aux difficultés propres à la concrétisation de la loi. Comment rendre la loi concrète pour ses différents bénéficiaires ? Il faut tout d'abord différencier les publics visés – entreprises, secteur public, particuliers – car les problématiques propres à chacun de ces champs ne se recoupent pas tout à fait.

S'agissant des entreprises, car nous sommes en tant que praticiens en contact avec un très grand nombre d'entre elles, elles se plaignent assez peu de la concrétisation de la loi. En revanche, elles incriminent parfois sa complexité, en particulier les TPE-PME, les grandes entreprises étant généralement mieux armées pour y faire face. Les entreprises ont par ailleurs souvent besoin de temps pour s'adapter à l'entrée en vigueur d'une nouvelle législation ou à l'application d'une réforme.

Il en va différemment au sein du secteur public, car une loi nouvelle peut avoir pour effet de modifier substantiellement l'organisation interne d'une administration ou les relations entre les différents acteurs concernés. Nous sommes confrontés à des difficultés lorsque l'intention du législateur n'est pas suffisamment explicite, y compris à la lecture du compte rendu des débats parlementaires, par exemple dans le cas d'une disposition résultant de l'adoption d'un amendement. Ce dernier fait alors l'objet de débats interministériels qui donnent parfois lieu à des interprétations divergentes entre ministères.

Une autre difficulté peut surgir du défaut d'adhésion des agents publics à la réforme qu'ils sont chargés de mettre en œuvre, ce qui se traduit parfois par un allongement des délais de publication des décrets d'application et rend plus délicate la réalisation. Je rejoins sur ce point les observations qui ont été faites lors de précédentes auditions : la réussite d'une réforme repose en grande partie sur l'adhésion des agents à ses objectifs. Et cela vaut tant pour les entreprises que pour le secteur public. Dans les deux cas, la concrétisation d'une réforme repose sur la gouvernance, l'association des parties prenantes, la conduite du changement et la gestion des ressources humaines, laquelle a pris une importance croissante ces dernières années dans les projets menés au sein des entreprises et du secteur public.

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