Intervention de Olivier Dupont

Réunion du mardi 10 décembre 2019 à 18h05
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Olivier Dupont, directeur du secteur public au sein du cabinet Sémaphores :

Nous sommes ravis de pouvoir partager nos retours d'expériences sur la concrétisation et la mise en œuvre des projets de transformation publique que nous accompagnons en tant que cabinet de conseil en management et en transformation à dominante « ressources humaines » (RH).

Notre présence presque quotidienne auprès tant des ministères et des services déconcentrés que des collectivités territoriales dans la conduite de projets de modernisation de l'action publique nous permet d'appréhender sa chaîne de valeur avec une vision à la fois interne et externe. C'est ce qui nous permet de porter un regard un peu différent sur la concrétisation des réformes.

Le cabinet Sémaphores emploie 350 consultants qui œuvrent à concrétiser les transformations, notamment publiques, par l'exercice de trois métiers principaux. Les deux premiers sont l'accompagnement des acteurs publics en matière de stratégie et d'élaboration des politiques publiques et en matière d'organisation et de ressources humaines liées à ces politiques ; le troisième porte sur la performance et l'évaluation.

Je centrerai mon propos sur la mise en œuvre très concrète des projets de réformes et des lois dans les administrations, laquelle peut être assurée à condition d'anticiper plusieurs facteurs, en abordant donc la question de l'alerte d'une autre manière.

L'idée est de changer de paradigme en travaillant à combiner des approches émergentes avec de réelles impulsions stratégiques. Il convient donc de s'interroger au préalable sur les problématiques et usages propres au terrain concerné. Alors que cette étape peut avoir une très forte incidence au moment de la mise en œuvre, elle est bien souvent escamotée.

Les approches émergentes peuvent prendre la forme de dispositifs de concertation et d'écoute sur le terrain, tels que ceux mis au point récemment par la DITP. La direction est parvenue à simplifier la mise en œuvre de la réforme de la fonction publique en s'appuyant sur des idées très concrètes formulées par les agents publics sur les moyens d'améliorer leur quotidien.

On prête encore trop peu attention aujourd'hui aux conditions de mise en œuvre de la loi. Bien souvent, les textes d'application transmis aux administrations, qu'elles soient centrales, déconcentrées ou territoriales, sont difficiles à interpréter, ont une portée opérationnelle limitée, contredisent des dispositions en vigueur ou remettent en cause des pratiques appliquées depuis plusieurs années, désormais jugées insuffisantes ou insatisfaisantes. Ces caractéristiques génèrent nécessairement une forme d'opposition tacite.

Il paraît donc indispensable d'établir un plan de communication fort dans lequel l'agent est considéré tout autant comme le premier usager d'une politique publique que comme un acteur de sa mise en œuvre.

La même logique doit valoir pour les formations. Rarement pensées, elles sont souvent organisées à un moment peu opportun, soit bien avant la mise en œuvre de la loi, donc oubliées une fois que celle-ci intervient, soit trop tardivement, c'est-à-dire après la promulgation de la loi.

L'accompagnement de la ligne d'encadrement, c'est-à-dire des managers, dans la concrétisation de la loi est à notre sens insuffisamment mis en avant. Le postulat est en effet que, par essence, un cadre de la fonction publique, un encadrant, se reconnaîtrait totalement dans tout dispositif de modernisation et le défendrait. Or, dans un certain nombre de cas, ces cadres sont à la fois objet et vecteur de la transformation : instaurer des secrétariats généraux communs dans les préfectures ou opérer des mutualisations au sein d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) implique concrètement la disparition d'un certain nombre de postes de cadres.

Dans ces cas de figure, les agents s'interrogent assez légitimement sur leur place dans la nouvelle organisation, et peuvent n'être guère enclins à défendre le changement auprès de leurs collaborateurs s'ils estiment que celui-ci ne leur sera pas favorable.

Cette donnée est très généralement un impensé de la mise en œuvre, alors qu'il paraît important de prévoir un accompagnement individuel et collectif relativement souple qui clarifie le sens de la réforme visée et son intérêt partagé.

J'ai bien compris que l'évaluation elle-même n'était pas l'objet de la mission d'information. Permettez-moi néanmoins d'insister sur la notion d'évaluation in itinere évoquée par mon collègue qui, avec l'analyse d'impact ex ante, sont insuffisamment mobilisées, tant par l'administration que par le législateur ou le Gouvernement, alors même qu'elles sont des facteurs importants de réussite de la mise en œuvre concrète d'une loi.

Le pilotage des réformes et des projets de transformation s'est considérablement amélioré ces dernières années grâce à des dispositifs de plus en plus pointus et modernes notamment grâce au numérique, et de mieux en mieux calibrés, ce qui en fait un atout fort. Le secteur public s'est ainsi aligné sur le secteur privé. Le pilotage reste toutefois très utilitariste, très quantitatif et largement commandé par une logique de la contrainte : les délais impartis doivent être respectés, y compris lorsque les conditions de mise en œuvre sont complexes.

En tant que cabinet de conseil en ressources humaines, nous constatons que la dimension de l'acceptation et la dimension humaine sont insuffisamment prises en considération dans la mise en œuvre des réformes, alors que leur pilotage et leur accompagnement sont un élément important pour la concrétisation des lois.

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