Intervention de Frédéric Descrozaille

Réunion du mardi 10 décembre 2019 à 18h05
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Descrozaille :

Madame, messieurs, je vous remercie de prendre le temps de répondre à nos questions, même si sur de tels sujets, une heure paraît bien courte.

J'insisterai, à l'instar du rapporteur, sur l'importance à nos yeux de disposer d'exemples précis. Après la phase d'audition, qui permet de comprendre les principes généraux et les enjeux, il nous faudra en effet passer à l'action, ce en quoi les cas concrets nous seront particulièrement utiles.

Après avoir entendu vos interventions, je souhaite revenir sur deux points qui m'ont paru particulièrement intéressants.

Au cours de ma carrière, j'ai travaillé au sein d'un cabinet de conseil en recrutement et en évaluation d'équipes dirigeantes. Je disais souvent au client que la différence entre un conseil et un fournisseur, c'était que le premier pouvait se permettre parfois de dire non à son client, de le challenger dans l'expression de ses besoins. Dans le cadre de vos missions auprès des administrations, jusqu'où vous permettez-vous d'aller dans la remise en cause de vos interlocuteurs ?

Monsieur Dorlodot, vous avez évoqué les difficultés posées par la complexité de la loi au niveau interministériel, une critique qui revient constamment lors des auditions que nous menons. Le renouvellement intervenu au début du quinquennat a fait entrer à l'Assemblée de nombreux députés qui n'avaient pas l'esprit tordu et qui n'étaient pas a priori disposés à rédiger des lois compliquées. La complexité de la loi est le fait de l'État lui-même : la main qui tient la plume est celle de la haute fonction publique.

L'expression de la volonté du Gouvernement, du politique, est assez simple. Prenons l'exemple de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite EGALIM. Le titre Ier tend à inverser la construction du prix en prenant en compte les coûts de production : les producteurs peuvent proposer le prix en fonction de leurs coûts de revient. Le principe est donc compréhensible par tous, mais difficile à mettre en œuvre concrètement. Un an après sa promulgation, on constate que la loi ne peut être appliquée. L'Autorité de la concurrence et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) estiment en effet que cette disposition n'est applicable que tant qu'elle n'a pas d'effet utile ; en d'autres termes, tant qu'elle ne sert à rien.

Concrètement, les interprofessions qui se sont vu attribuer la charge de la mise en œuvre craignent de le faire et ne peuvent pas le faire. Dans le cas présent, il y a donc un défaut d'instruction, lié à la décision du législateur, et un défaut au niveau interministériel. Et ce qui vaut pour cet exemple s'observe constamment.

Puisque vous avez évoqué le niveau interministériel, avez-vous fait le même constat ? Comment agissez-vous pour remettre en cause le fonctionnement en silos de l'appareil d'État ?

Le second point que je souhaitais aborder est celui des ressources humaines. Je vous ai senti prudent sur le sujet, monsieur Dupont, mais exprimez-vous librement : les ressources humaines sont le point aveugle de la fonction publique, où, disons-le, le mal-être est très présent.

Je m'appuierai à nouveau sur un exemple : nous avons voté la loi pour une école de la confiance, dont l'objet est de donner une marge de manœuvre plus importante à la périphérie de l'appareil d'État, en particulier autour du collège. Concernant le cycle 3, qui relie CM1, CM2 et sixième, les témoignages sont accablants : la liaison entre le CM2 et la sixième serait imparfaite et dépendrait complètement des personnalités des enseignants. Sur le papier, la loi est bien écrite, mais concrètement, les professeurs des écoles sont la plupart du temps méprisés par les titulaires du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES), ces derniers étant eux-mêmes méprisés par les agrégés.

Or, ces éléments relèvent de l'application de la loi : si on se heurte à des réalités humaines complexes qui empêchent la concrétisation des mesures voulues, nous devons nous en emparer, et c'est l'objet de cette mission d'information. Nous devons pouvoir dire, via le Gouvernement et l'appareil d'État, qu'il faut fonctionner autrement. À défaut, nous perdons notre temps, et nous votons des textes qui, tout en complexifiant la loi, ne produisent aucun effet concret.

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