Intervention de Jean-Denis Combrexelle

Réunion du mardi 10 décembre 2019 à 19h05
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Jean-Denis Combrexelle, président de la section du contentieux du Conseil d'État :

S'agissant de la possibilité d'instituer un recours en manquement, il me paraît d'abord nécessaire de rappeler qu'il existe une procédure permettant à une personne justifiant d'un intérêt à agir de contester le refus de l'administration de prendre un texte d'application d'une loi. Cela peut se traduire par une annulation, une condamnation à verser une indemnité et, dans certains cas, par une injonction de faire. Il existe une panoplie d'instruments contentieux permettant de contester une décision et d'obtenir une indemnisation dans des cas où l'absence de transposition d'une loi cause un préjudice.

J'en viens à votre réflexion sur le rôle du Parlement. Avant d'exercer les fonctions de président de la section du contentieux du Conseil d'État, j'ai été longtemps directeur d'administration centrale et ai également passé beaucoup de temps dans l'hémicycle de votre assemblée, au banc des commissaires du Gouvernement. Ma réponse sera le fruit de ces différentes expériences. Je vais vous dire une chose que je pense depuis longtemps, mais qui peut paraître paradoxale, compte tenu de mes fonctions actuelles. Le point de départ de ma réflexion est le constat que le juge est partout dans la société, dans la mesure où il est amené à investir des champs de plus en plus larges – sociétaux, économiques, sociaux – et devient en quelque sorte un arbitre dans des domaines qui, à mon sens, le concernent moins que le politique – j'emploie ici le terme « politique » au sens le plus noble. Or, les parlementaires, qui sont au centre du système démocratique, « utilisent » – j'emploie des guillemets – le juge pour aboutir à certains résultats. Le recours juridictionnel est fait pour les entreprises, les salariés, les citoyens qui justifient d'un intérêt à agir. En revanche, le Parlement n'a pas besoin de faire intervenir le juge, dans la mesure où il dispose d'un éventail de moyens.

Dans une démocratie moderne, me semble-t-il – ce propos n'engage que moi –, une des questions les plus sensibles et les plus importantes est la répartition des responsabilités et des pouvoirs entre le législateur et le juge. Ma conception, en tant que président de la section du contentieux – j'ai eu l'occasion de l'éprouver en particulier en matière sociale –, est que, dans certains cas, le juge doit savoir faire preuve de self-restraint ; autrement dit, il ne doit pas s'immiscer dans tous les domaines et doit savoir faire preuve d'une certaine retenue. Dans le rapport subtil liant le politique au juge, ce serait brouiller les choses, à mes yeux, que de confier aux parlementaires, qui disposent de nombreux moyens d'intervention, la faculté d'intenter un recours en manquement.

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