Intervention de Yves Surel

Réunion du mardi 17 décembre 2019 à 18h05
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Yves Surel :

Effectivement, le dilemme habituel est « traduction/trahison ». L'idée de trahison est qu'il y a toujours un écart entre les objectifs initialement annoncés et les résultats constatés. Un certain nombre de travaux ont essayé de montrer quelles étaient les dimensions qui expliquent cet écart. Deux sont souvent mises en avant : c'est d'abord le degré d'ambiguïté de la loi et de la décision initiale et, en second lieu, le degré de conflictualité des dispositifs. Plus la loi est ambiguë, plus la mise en œuvre sera difficile. Plus elle est claire, à la fois dans ses intentions, les moyens et les compétences à anticiper, moins la mise en œuvre sera problématique. La deuxième dimension est le degré de conflictualité, c'est-à-dire : la loi paraît-elle consensuelle d'un point de vue politique et avait-elle l'assentiment des personnes directement concernées, des parties prenantes éventuelles à sa mise en œuvre, voire des clientèles du dispositif ? Là encore, c'est très clair, plus la loi est conflictuelle dès le début, plus la mise en œuvre sera contestée, puisque toutes les résistances qui n'ont pas été résolues au moment des décisions vont nécessairement resurgir au moment de la mise en œuvre. On rejoue le jeu de la négociation et de l'altercation qui accompagne l'élaboration initiale du dispositif.

Il y a une multiplicité d'exemples possibles. La totalité des travaux de sociologie ou de sciences politiques sur la mise en œuvre atteste de cet écart entre la mise en œuvre telle qu'elle est constatée sur le terrain et les intentions initiales. J'ai travaillé il y a quelques années sur la politique du livre, et notamment la loi « Lang » du 10 août 1981 sur le prix unique. Il était clair qu'en dépit de la simplicité apparente de la loi, il avait été extrêmement compliqué de mettre en œuvre le dispositif en raison des résistances des centres Leclerc, de la FNAC, mais aussi des mobilisations assez ambiguës des petits libraires, qui devaient normalement bénéficier de la loi, mais qui n'y étaient pas nécessairement favorables. Il y a tout un travail de pédagogie, d'accompagnement et de suivi, pas simplement de la loi, mais de l'ensemble des dispositifs qui lui sont attachés, y compris un travail de conviction à l'égard des acteurs collectifs ou individuels qui sont concernés.

Le GAO est une institution qui a été structurée avec cette idée de séparation des pouvoirs. C'est une agence qui est indépendante, mais au sens américain, c'est-à-dire indépendante des partis politiques. Son directeur, le contrôleur général, a un mandat de 15 ans, ce qui lui garantit une indépendance à l'égard, à la fois, du Président et des parlementaires. Elle a été formatée pour délivrer une expertise autonome au Congrès, pour faire des recommandations aux congressmen avant même l'élaboration d'un texte de loi, pour qu'il y ait une vraie capacité d'expertise et de contrôle de l'action gouvernementale qui ne dépende pas des autres agences gouvernementales.

Une agence à peu près équivalente, qui est rattachée à la présidence, est l' Office of Management and Budget (OMB). Les parlementaires se sont donné la capacité de produire une expertise autonome. C'est une agence très puissante. Elle a des capacités d'investigation extrêmement importantes. Elle doit pouvoir se faire livrer toutes les pièces à sa demande. Si elle ne les obtient pas, elle va en justice contre l'administration concernée. Il y a une vraie volonté d'assurer la séparation des pouvoirs, y compris du point de vue de la capacité d'expertise et de production de diagnostic autour des politiques publiques et de la loi. Si j'avais une préconisation à faire, modestement, ce serait de créer un office parlementaire qui aurait cette capacité autonome d'expertise, avec au départ des moyens limités et des focus sur un certain nombre de lois qui paraissent importantes et en tout cas avec l'idée de ne pas dépendre, du point de vue du diagnostic et des solutions avancées, d'autres acteurs vis-à-vis des informations divulguées et des propositions qui sont faites.

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