Intervention de Djellil Bouzidi

Réunion du mardi 14 janvier 2020 à 18h10
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Djellil Bouzidi, co-responsable du pôle économie et finances de Terra Nova :

Je vous remercie pour cette invitation. Je suis très heureux de représenter Terra Nova et de m'exprimer sur le sujet stratégique de l'exécution et de la concrétisation des lois. Dès le mois de juin 2017, dans la foulée de l'élection présidentielle, nous avions plaidé pour la création d'une delivery unit à la française : un outil visant à démontrer que la politique a bel et bien des résultats et qu'elle est aussi un art d'exécution, dont l'objectif est de créer un mode de gouvernance nouveau pour bâtir des passerelles entre les usagers et les administrations et consolider le respect et la confiance mutuels.

Partant du triple constat de l'urgence de franchir un cap dans la maturité de nos politiques publiques, du sentiment que les promesses ne sont souvent pas tenues et que les responsables politiques ne sont pas comptables des résultats de leurs actions, nous avions perçu que les déceptions et les colères, coûteuses pour la vie démocratique et la cohésion nationale, risquaient d'être alimentées par ce manque de concrétisation des réformes pour les citoyens.

Loin d'être le produit d'un emballement simpliste ou un projet gadget, la delivery unit bénéficie d'atouts essentiels s'agissant d'une proposition de politique publique : le recul du temps – la toute première delivery unit a vu le jour en 2001 au Royaume-Uni – ; l'analyse critique – la littérature concernant la performance de l'action publique est abondante, alimentant à la fois notre modestie et notre rigueur, afin de ne pas tomber dans un fanatisme de la donnée – ; la dimension comparative – une trentaine de pays ont adopté différentes architectures organisationnelles en fonction de leur contexte politique –, qui permet de tirer les leçons de ce qui fonctionne et de ce qui ne marche pas. Plusieurs unités ont été fermées à la suite de transitions politiques – au Chili, aux Pays-Bas – ou à une perte d'efficacité ou d'utilité – en Australie ou en Tanzanie –, et parfois rouvertes, ce qui démontre une forme de résilience.

Quels sont les facteurs clés pour concrétiser les réformes et les lois qui en sont la traduction ? Alain Ducasse, célèbre chef français, résume son succès en trois principes : « savoir faire », « faire faire » et « faire savoir ». Dans le cas d'une delivery unit, le « savoir faire » consiste à décliner des objectifs quantifiables. Certes, tout n'est pas quantifiable, mais je suis économiste – je m'en excuse – et j'aime les chiffres ! Lorsque l'exercice s'y prête, il faut donner une dimension quantitative aux lois car elles sont la traduction de réformes visant au progrès et il peut difficilement y avoir progrès sans mesures chiffrées. Le simple fait de suivre des indications chiffrées augmente la probabilité que les changements soient positifs.

Le « savoir faire » réside également dans la capacité à prioriser les actions. Il ne s'agit pas de faire plus, mais mieux. Il faut répondre à une question qui peut paraître basique : par où et par quoi commencer ? En effet, savoir prioriser indique que l'on est capable d'appréhender finement les éventuelles difficultés de mise en œuvre et donc de séquencer les différentes actions à réaliser. À ce stade, on a déjà parcouru la moitié du chemin !

Ensuite, il faut « faire faire », c'est-à-dire recruter à la fois des profils venant du privé et des fonctionnaires capables de résoudre les problèmes out of the box – en dehors du cadre connu – en utilisant des méthodes souvent issues du privé et des pratiques du marché. Ces profils doivent combiner des capacités analytiques, statistiques, juridiques avec des connaissances économiques. D'ailleurs, vous avez débattu du potentiel recrutement d'économistes au sein de votre assemblée.

Enfin, il faut « faire savoir », car la capacité à communiquer en interne et en externe est stratégique, a fortiori à l'ère de la surcharge informationnelle, de l'épuisement attentionnel et de la multiplication des colères individuelles. En outre, la fixation d'objectifs chiffrés ne dispense pas de l'effort de narration autour des objectifs qu'une delivery unit doit remplir.

Vous nous interrogez sur les mesures prises récemment par le Gouvernement pour améliorer la concrétisation des lois. Dans la note de juin 2017 que vous citez, nous avions suggéré qu'un représentant soit nommé au sein de chaque cabinet ministériel – le fameux « onzième conseiller » – et devienne l'interlocuteur privilégié de la delivery unit. La mise en œuvre de cette proposition nous semble aller dans le bon sens. Nous saluons l'effort de rationalisation de l'action publique ainsi réalisé, avec la création institutionnelle de cette forme de delivery unit – des logiques plus culturelles étaient déjà à l'œuvre.

Nous pourrions toutefois débattre du choix des objets de la vie quotidienne (OVQ) retenus par le Gouvernement : sont-ils suffisamment axés sur l'usager consommateur de services publics ; ne le sont-ils pas davantage sur le producteur ? Les parlementaires ont-ils été associés ou pourraient-ils être plus ou mieux associés à leur définition ? On pourrait parfaitement imaginer que les députés soient un relais permettant, à terme, d'enrichir ces objets.

Pour conclure, s'il n'est pas la panacée, le concept de delivery unit semble être une piste intéressante pour replacer les citoyens au centre des politiques publiques – objectif prioritaire – et consolider la confiance entre administrations et usagers.

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