Je souhaitais, au nom de la CFE-CGC, traiter de la cession de STX France en trois points : le contexte de la construction navale civile et en particulier des paquebots ; l'historique de la cession de STX France par STX Europe ; la position de la CFE-CGC sur l'entrée de Fincantieri au capital des Chantiers. Je ne referai pas l'historique, que vous venez de retracer.
Le contexte d'abord. La construction navale civile est en crise mondiale, exception faite de la construction de paquebots de croisière, presque exclusivement construits en Europe par trois acteurs : Fincantieri, groupe italien de capitaux principalement publics, implanté dans le monde entier pour ses activités de construction militaire, offshore et services, la construction de paquebots, plus quelques sites spécifiquement dédiés au militaire en Italie ; ses cales ne permettent pas la construction de paquebots géants ; Meyer Werft, groupe allemand dont le capital est familial, qui dispose d'un outil de production très moderne mais limité en taille de navires jusqu'à ce qu'il rachète STX Turku, en Finlande, alors en faillite mais équipé d'une grande cale ; STX France enfin, qui appartient pour 33,34 % à l'État, le reste étant la propriété de STX Europe, elle-même filiale de STX Corée, dont l'outil, modernisé ces dernières années, permet la construction de très grands navires.
Par deux fois, le constructeur japonais Mitsubishi a tenté une percée sur le marché des gros paquebots ; à chaque fois l'aventure s'est terminée en catastrophe industrielle et financière. La dernière en date s'est soldée par un retard de plus d'un an et une perte supérieure à 2 milliards de dollars pour une commande de 1,4 milliard de dollars !
Cet épisode illustre les particularités trop peu citées de cette activité. Elle est très concurrentielle ; des clients puissants imposent des prix bas et donc des marges très faibles ; les risques technologiques, industriels, de tenue des délais et de qualité sont énormes. Le savoir-faire de ces acteurs, au-delà de la technologie, est d'abord un « savoir-faire faire », pour coordonner des activités totalement différentes dans une coactivité dense au coeur de processus complexes, de manière à livrer au jour prévu trois ou quatre ans auparavant, et au coût prévu, une commande représentant des centaines de millions d'euros.
La faible rentabilité, les risques importants dépendant exclusivement de l'aptitude à maîtriser les contrats, des besoins de financements énormes, voilà trois facteurs qui expliquent trois phénomènes. Premièrement, cette activité n'attire pas les investisseurs – on l'a vu pour STX France. Deuxièmement, peu de candidats sont disposés à entrer sur le marché – on sait ce qu'il en est pour les Japonais, et les Coréens ont officiellement renoncé ; quant aux Chinois, ils sont très intéressés par le développement des croisières en Mer de Chine et dans le Pacifique, mais n'ont pas à ce jour l'aptitude à construire des navires – cela étant, la vigilance s'impose. Troisièmement, le paradoxe du risque assez peu rentable constitue finalement une protection contre les prédateurs. Mais pour stabiliser et sécuriser le modèle économique, il est vital de diversifier les activités et de parvenir à un « mix produits » avec des activités à meilleure marge : énergies marines, la construction militaire et les services. C'est ce que fait Fincantieri et ce que tente de faire STX France.
J'en viens à la position de la CFE-CGC sur l'entrée de Fincantieri au capital des Chantiers. Nous déclarons depuis de nombreuses années que l'important n'est pas l'identité de l'actionnaire ni sa nationalité mais sa stratégie, les moyens qu'il y consacre et les conséquences sociales et économiques de sa politique. Par ailleurs, la CFE-CGC considère qu'un actionnaire industriel est le mieux placé pour développer les Chantiers. Force est de constater que le rachat des titres de STX France n'a intéressé aucun investisseur français, qu'il soit industriel, financier ou institutionnel, ni aucune association de citoyens. Les seuls autres investisseurs ayant manifesté de l'intérêt ont été des groupes asiatiques et un consortium formé de clients ainsi qu'un chantier néerlandais qui n'a finalement pas remis d'offre.
Dès l'automne 2016, la CFE-CGC, réunie en intersyndicale avec la CFDT et la CGT, avait posé auprès des pouvoirs publics les exigences suivantes : maintien de l'activité à Saint-Nazaire, y compris la diversification et le « mix produit » assurant la marge ; maintien à Saint-Nazaire de toutes les compétences, sans chasse aux doublons ; maintien et développement du plan d'embauches ; maintien à autour de Saint-Nazaire du réseau de sous-traitance ; pas de transfert d'activité pour les contrats signés par Saint-Nazaire ; garanties sur les salaires et le statut des salariés ; protection de la propriété industrielle et intellectuelle et, au-delà, de notre savoir-faire ; garantie sur les investissements ; garantie que les résultats seront réinvestis sur le site et dans la politique de ressources humaines ; séparation du financement des navires entre Saint-Nazaire et l'acheteur. Tous ces points devaient être inscrits soit dans le pacte d'actionnaires, soit dans les accords d'engagements entre les actionnaires.
Étaient également exigées des garanties de transparence : l'accès des élus à ces documents ; des garanties relatives à la représentation des salariés et des syndicats au conseil d'administration ; l'accès de l'expert du comité d'entreprise au pacte d'actionnaires ; le maintien de l'équipe dirigeante. La CFE-CGC demandait également que l'État s'engage à faire construire des grands bâtiments de la Marine nationale à Saint-Nazaire et que le chantier puisse continuer de présenter des offres militaires à l'exportation.
Au cours de cette période de négociation entre l'État, STX et Fincantieri, les syndicats ont été régulièrement reçus et tenus informé par M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État à l'industrie, et ses équipes et par celles de l'Agence des participations de l'État (APE).
La CFE-CGC considère que, pendant cette période, les exigences formulées ont été correctement intégrées dans les négociations. Les représentants du personnel ont également pu rencontrer les dirigeants de Fincantieri, et ils ont demandé l'accès aux accords de cession ; cette demande a été acceptée.
En avril, un accord a été signé entre Fincantieri et l'État ; le texte reprenait la majeure partie des exigences de l'intersyndicale. À cette occasion, l'expert du comité d'entreprise a eu accès à la plupart des clauses de l'accord et aux premiers éléments du pacte d'actionnaires. Cet effort de transparence, assez rare, mérite d'être souligné. Après analyse de ces documents, la CFE-CGC a considéré que la majeure partie de ses exigences étaient remplie et garantie par les droits de véto et de préemption figurant dans les accords. Toutefois, la Fondation de Trieste étant jugée trop proche de Fincantieri, ce qui donnait de fait la majorité absolue à ce nouvel entrant, et le pacte d'actionnaires n'étant alors qu'un projet, la CFE-CGC s'est contentée de prendre acte lors de l'avis rendu par le comité d'entreprise du 18 mai 2017.
Après les élections présidentielles et législatives, de nouvelles négociations ont été ouvertes. L'accord du 27 septembre a ouvert une nouvelle période d'investigation à l'expert du comité d'entreprise qui a, à nouveau, eu accès aux informations sinon à tous les documents, et Naval Group a communiqué sur sa stratégie, ce qui n'était pas le cas auparavant. Il est apparu que la nouvelle répartition des titres faisait disparaître la Fondation de Trieste ; l'accord permettait l'entrée au capital des salariés et des sous-traitants locaux et prévoyait le prêt par l'État de 1 % à Fincantieri, et donc la possibilité de les reprendre, ce qui apportait ainsi une plus grande sécurité que l'accord précédent.
En conséquence, considérant que le nouvel accord renforçait les garanties du précédent et donnait la possibilité à l'État de reprendre la majorité, que les représentants du personnel ont été correctement informés, que cette situation garantissait la stabilité actionnariale dont les chantiers ont besoin, et tout en affirmant sa vigilance quant à l'exercice par l'État des droits de levier dont il dispose, la CFE-CGC a rendu un avis favorable lors du comité d'entreprise du 17 novembre 2017.