La séance est ouverte à dix heures cinquante-cinq.
La commission d'enquête auditionne, sous forme de table ronde, les représentants des organisations syndicales représentatives de STX : Mme Frédérique Journe, représentant syndical CFDT au comité d'entreprise (CE), M. Jean-Pierre Guellec, élu titulaire CFDT au CE, M. Christophe Morel, élu titulaire CE, représentant du CE au conseil d'administration, délégué syndical CFDT ; M. François Janvier, secrétaire de la section CFE-CGC, M. Gérard Mardiné, secrétaire national (économieindustrie) CFE-CGC, M. Renan Francastel, chargé d'études économiques à la confédération CFE-CGC, MM. Sébastien Hupin et Sébastien Benoit, de la section CGT, Mme Nathalie Durand-Prinborgne et M. Pierre Habibis de la section FO.
Nous recevons, à présent, les représentants des organisations syndicales de l'entreprise STX France. Cette entreprise a une longue histoire. Elle est l'héritière des Chantiers de l'Atlantique. Alstom a été son actionnaire principal jusqu'à son rachat, en 2006, par le chantier norvégien Aker Yards. Mais, en 2008, le conglomérat coréen STX, pour lequel la construction navale n'est qu'une partie des activités, a racheté Aker Yards.
Courant 2016, le groupe STX s'est déclaré en quasi-faillite, plus précisément pour ses activités autres que ses activités navales françaises, et a mis en vente sa branche française. Depuis lors, la question de l'actionnariat de STX France est posée.
L'entreprise se porte bien : son carnet de commandes est rempli, elle emploie directement plus de 2 600 personnes et elle continue d'embaucher. Elle est au coeur d'un écosystème qui allie savoir-faire traditionnels et hautes technologies, en fédérant autour de ses réalisations de très nombreux sous-traitants. Son chiffre d'affaires est principalement lié à la conception et à la réalisation de paquebots de grand luxe, mais elle vise aussi une position de leader dans le secteur des énergies marines renouvelables.
Au terme du quinquennat précédent, le gouvernement Cazeneuve avait conçu un schéma de reprise majoritaire de STX France par l'entreprise Fincantieri – détenue à 70 % par l'État italien – qui aurait acquis 55 % du capital. Or Fincantieri est le principal concurrent de STX France, au moins pour les paquebots. Ce groupe est plus important que STX, en raison de son implication historique dans le militaire, d'abord au bénéfice de la marine italienne. Il est, en outre, assez fortement exportateur depuis son redressement amorcé au cours des dernières années.
Au schéma initial, l'actuel Gouvernement a souhaité substituer une autre architecture d'adossement de STX à Fincantieri. Sur la base d'un accord de principe conclu en septembre dernier, les gouvernements français et italien poursuivent des négociations visant à trouver une solution équilibrée avant l'été 2018. Dans l'intervalle, le gouvernement français a estimé devoir recourir à une nationalisation temporaire du chantier STX. En outre, l'entrée au capital, pour une part minoritaire, du français DCNS, devenu Naval Group, est envisagée.
Nos échanges permettront de préciser les caractéristiques d'un schéma de rapprochement présenté comme équilibré. Le comité d'entreprise extraordinaire du 17 novembre dernier s'est prononcé contre le rapprochement avec Fincantieri. Cette opposition majoritaire des organisations syndicales fait suite à une autre position défavorable de vos organisations, déjà exprimée en comité d'entreprise, en mai dernier. Vous nous direz ce que vos organisations pensent des schémas de reprise qui leur ont été successivement soumis. En l'absence d'unanimité syndicale, il est important que nous recueillions l'analyse de chaque organisation.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d'enquête, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Frédérique Journe, M. Jean-Pierre Guellec, M. Christophe Morel, M. François Janvier, M. Gérard Mardiné, M. Renan Francastel, M. Sébastien Hupin, M. Sébastien Benoit, Mme Nathalie Durand-Prinborgne et M. Pierre Habibis prêtent successivement serment.)
Je souhaitais, au nom de la CFE-CGC, traiter de la cession de STX France en trois points : le contexte de la construction navale civile et en particulier des paquebots ; l'historique de la cession de STX France par STX Europe ; la position de la CFE-CGC sur l'entrée de Fincantieri au capital des Chantiers. Je ne referai pas l'historique, que vous venez de retracer.
Le contexte d'abord. La construction navale civile est en crise mondiale, exception faite de la construction de paquebots de croisière, presque exclusivement construits en Europe par trois acteurs : Fincantieri, groupe italien de capitaux principalement publics, implanté dans le monde entier pour ses activités de construction militaire, offshore et services, la construction de paquebots, plus quelques sites spécifiquement dédiés au militaire en Italie ; ses cales ne permettent pas la construction de paquebots géants ; Meyer Werft, groupe allemand dont le capital est familial, qui dispose d'un outil de production très moderne mais limité en taille de navires jusqu'à ce qu'il rachète STX Turku, en Finlande, alors en faillite mais équipé d'une grande cale ; STX France enfin, qui appartient pour 33,34 % à l'État, le reste étant la propriété de STX Europe, elle-même filiale de STX Corée, dont l'outil, modernisé ces dernières années, permet la construction de très grands navires.
Par deux fois, le constructeur japonais Mitsubishi a tenté une percée sur le marché des gros paquebots ; à chaque fois l'aventure s'est terminée en catastrophe industrielle et financière. La dernière en date s'est soldée par un retard de plus d'un an et une perte supérieure à 2 milliards de dollars pour une commande de 1,4 milliard de dollars !
Cet épisode illustre les particularités trop peu citées de cette activité. Elle est très concurrentielle ; des clients puissants imposent des prix bas et donc des marges très faibles ; les risques technologiques, industriels, de tenue des délais et de qualité sont énormes. Le savoir-faire de ces acteurs, au-delà de la technologie, est d'abord un « savoir-faire faire », pour coordonner des activités totalement différentes dans une coactivité dense au coeur de processus complexes, de manière à livrer au jour prévu trois ou quatre ans auparavant, et au coût prévu, une commande représentant des centaines de millions d'euros.
La faible rentabilité, les risques importants dépendant exclusivement de l'aptitude à maîtriser les contrats, des besoins de financements énormes, voilà trois facteurs qui expliquent trois phénomènes. Premièrement, cette activité n'attire pas les investisseurs – on l'a vu pour STX France. Deuxièmement, peu de candidats sont disposés à entrer sur le marché – on sait ce qu'il en est pour les Japonais, et les Coréens ont officiellement renoncé ; quant aux Chinois, ils sont très intéressés par le développement des croisières en Mer de Chine et dans le Pacifique, mais n'ont pas à ce jour l'aptitude à construire des navires – cela étant, la vigilance s'impose. Troisièmement, le paradoxe du risque assez peu rentable constitue finalement une protection contre les prédateurs. Mais pour stabiliser et sécuriser le modèle économique, il est vital de diversifier les activités et de parvenir à un « mix produits » avec des activités à meilleure marge : énergies marines, la construction militaire et les services. C'est ce que fait Fincantieri et ce que tente de faire STX France.
J'en viens à la position de la CFE-CGC sur l'entrée de Fincantieri au capital des Chantiers. Nous déclarons depuis de nombreuses années que l'important n'est pas l'identité de l'actionnaire ni sa nationalité mais sa stratégie, les moyens qu'il y consacre et les conséquences sociales et économiques de sa politique. Par ailleurs, la CFE-CGC considère qu'un actionnaire industriel est le mieux placé pour développer les Chantiers. Force est de constater que le rachat des titres de STX France n'a intéressé aucun investisseur français, qu'il soit industriel, financier ou institutionnel, ni aucune association de citoyens. Les seuls autres investisseurs ayant manifesté de l'intérêt ont été des groupes asiatiques et un consortium formé de clients ainsi qu'un chantier néerlandais qui n'a finalement pas remis d'offre.
Dès l'automne 2016, la CFE-CGC, réunie en intersyndicale avec la CFDT et la CGT, avait posé auprès des pouvoirs publics les exigences suivantes : maintien de l'activité à Saint-Nazaire, y compris la diversification et le « mix produit » assurant la marge ; maintien à Saint-Nazaire de toutes les compétences, sans chasse aux doublons ; maintien et développement du plan d'embauches ; maintien à autour de Saint-Nazaire du réseau de sous-traitance ; pas de transfert d'activité pour les contrats signés par Saint-Nazaire ; garanties sur les salaires et le statut des salariés ; protection de la propriété industrielle et intellectuelle et, au-delà, de notre savoir-faire ; garantie sur les investissements ; garantie que les résultats seront réinvestis sur le site et dans la politique de ressources humaines ; séparation du financement des navires entre Saint-Nazaire et l'acheteur. Tous ces points devaient être inscrits soit dans le pacte d'actionnaires, soit dans les accords d'engagements entre les actionnaires.
Étaient également exigées des garanties de transparence : l'accès des élus à ces documents ; des garanties relatives à la représentation des salariés et des syndicats au conseil d'administration ; l'accès de l'expert du comité d'entreprise au pacte d'actionnaires ; le maintien de l'équipe dirigeante. La CFE-CGC demandait également que l'État s'engage à faire construire des grands bâtiments de la Marine nationale à Saint-Nazaire et que le chantier puisse continuer de présenter des offres militaires à l'exportation.
Au cours de cette période de négociation entre l'État, STX et Fincantieri, les syndicats ont été régulièrement reçus et tenus informé par M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État à l'industrie, et ses équipes et par celles de l'Agence des participations de l'État (APE).
La CFE-CGC considère que, pendant cette période, les exigences formulées ont été correctement intégrées dans les négociations. Les représentants du personnel ont également pu rencontrer les dirigeants de Fincantieri, et ils ont demandé l'accès aux accords de cession ; cette demande a été acceptée.
En avril, un accord a été signé entre Fincantieri et l'État ; le texte reprenait la majeure partie des exigences de l'intersyndicale. À cette occasion, l'expert du comité d'entreprise a eu accès à la plupart des clauses de l'accord et aux premiers éléments du pacte d'actionnaires. Cet effort de transparence, assez rare, mérite d'être souligné. Après analyse de ces documents, la CFE-CGC a considéré que la majeure partie de ses exigences étaient remplie et garantie par les droits de véto et de préemption figurant dans les accords. Toutefois, la Fondation de Trieste étant jugée trop proche de Fincantieri, ce qui donnait de fait la majorité absolue à ce nouvel entrant, et le pacte d'actionnaires n'étant alors qu'un projet, la CFE-CGC s'est contentée de prendre acte lors de l'avis rendu par le comité d'entreprise du 18 mai 2017.
Après les élections présidentielles et législatives, de nouvelles négociations ont été ouvertes. L'accord du 27 septembre a ouvert une nouvelle période d'investigation à l'expert du comité d'entreprise qui a, à nouveau, eu accès aux informations sinon à tous les documents, et Naval Group a communiqué sur sa stratégie, ce qui n'était pas le cas auparavant. Il est apparu que la nouvelle répartition des titres faisait disparaître la Fondation de Trieste ; l'accord permettait l'entrée au capital des salariés et des sous-traitants locaux et prévoyait le prêt par l'État de 1 % à Fincantieri, et donc la possibilité de les reprendre, ce qui apportait ainsi une plus grande sécurité que l'accord précédent.
En conséquence, considérant que le nouvel accord renforçait les garanties du précédent et donnait la possibilité à l'État de reprendre la majorité, que les représentants du personnel ont été correctement informés, que cette situation garantissait la stabilité actionnariale dont les chantiers ont besoin, et tout en affirmant sa vigilance quant à l'exercice par l'État des droits de levier dont il dispose, la CFE-CGC a rendu un avis favorable lors du comité d'entreprise du 17 novembre 2017.
Nous vous remercions de cette convocation qui nous donne l'occasion de nous exprimer, au nom du syndicat CGT Navale, sur la vente du chantier naval de Saint-Nazaire et surtout sur ses conséquences pour les salariés, ce qui nous préoccupe en tant que premier syndicat représentatif du site. Nous tenons au préalable à présenter nos salutations fraternelles et solidaires à tous les salariés des entreprises protagonistes dans le rachat de STX France, tant les travailleurs de Naval Group que ceux de Fincantieri. Bien que certains cherchent à nous mettre en concurrence, la CGT des Chantiers est convaincue que la division entre salariés n'est artificiellement créée qu'à des fins contraires à leurs intérêts.
Nous avons coutume à la CGT Navale, de dire que l'on ne choisit pas son patron ; qu'importent sa nationalité ou son statut, seule compte la politique qu'il mène dans l'entreprise. De ce point de vue, l'instabilité actionnariale que nous vivons depuis le début des années 2000 est éclairante. D'Alstom, groupe industriel français, à Aker, groupe industriel européen jusqu'à STX groupe industriel coréen, avec une importante participation de l'État à l'actionnariat, c'est pourtant bien la même politique sociale qui a été appliquée par le comité de direction français des Chantiers de Saint-Nazaire.
Au passage, ce comité de direction n'a que très peu changé de visage, en dépit des bouleversements de l'actionnariat ; il est, semble-t-il, assuré de continuer de gérer le chantier naval de Saint-Nazaire après la vente des actions au groupe italien Fincantieri. Cela doit-il nous faire craindre que la même politique salariale et la casse des emplois et du statut social se poursuivent au rythme que nous avons connu ?
Dès l'ouverture du dossier de cette vente, il y a maintenant plus d'un an, la CGT Navale n'a cessé de poser la question : « Quelles conséquences pour les salariés des sites de Saint-Nazaire et Lanester, ex-STX Lorient ? ». Pour STX Lorient, les conséquences ont, malheureusement, été vite connues : 40 licenciements sur 88 salariés et vente du chantier, le 7 octobre 2016, soit un an plus tard, à Kership. Cette unité qui était pourtant capable de fabriquer entièrement un navire de petite taille, de sa conception à sa livraison, a perdu la moitié de ses effectifs et ceux qui restent sont menacés de chômage partiel. Tout cela se produit dans une période de pleine charge pour son ancienne maison-mère de Saint-Nazaire, dont les capacités de production sont dans le rouge.
Même si le site de Lanester ne fait plus partie du dossier puisqu'il a été vendu avant la cession à Fincantieri, cet épisode illustre l'irrationalité de cessions qui détruisent des capacités de production. Alors que le marché se porte bien, on licencie des travailleurs qualifiés à l'heure même où le patronat du secteur prétend ne trouver personne à embaucher.
Au chantier de Saint-Nazaire, les effectifs et les conditions sociales ont connu une dégringolade ininterrompue depuis les années 2000, freinée par la résistance des travailleurs du site. Au début des années 2000, le chantier proprement dit comptait 2 500 ouvriers sous contrats à durée indéterminée (CDI) ; nous sommes plus que 900. On compte 8 000 travailleurs sur le site, dont 2 600 en CDI STX, plus de trois cents entreprises sous-traitantes et 2 000 à 3 000 travailleurs dits « détachés » proviennent de plus de dix pays différents. En l'espace de quelques années, le chantier est devenu un véritable laboratoire de dérégulation sociale. Ce qui a parfois donné lieu à quelques échos médiatiques, et à l'intervention de certains services de l'État pour contrer cette situation.
Il faut dire qu'au début des années 2000, les affaires liées à une exploitation débridée de la sous-traitance défrayaient la chronique. C'était l'époque de la mise en place de ce que la direction, dans une note de service de 2001 dévoilée par Le Canard enchaîné, qualifiait de « montage exotique » prévoyant l'exploitation de milliers de travailleurs de pays où la vie est plus dure encore. Le 9 février 2006, une quarantaine d'inspecteurs et de contrôleurs du travail montaient à bord du paquebot MSC Musica, en construction aux Chantiers navals de Saint-Nazaire. Au cours de cette opération coup de poing, exceptionnelle par son ampleur, 127 entreprises et 645 salariés ont été contrôlés en trois heures, 16 procès-verbaux ont été dressés et 45 infractions relevées pour prêt illicite de main-d'oeuvre, marchandage, emploi d'étrangers sans titre de travail. En mars 2009, les Chantiers de l'Atlantique étaient mis en examen. La CGT et la CFDT s'étaient portées partie civile, mais la chambre d'instruction a prononcé un non-lieu. La CGT a fait appel, sans résultat.
Nous revivons cette période, mais dans des proportions aggravées.
On entend dire que cette exploitation accrue des travailleurs permet d'obtenir des marchés et donc de continuer à avoir de l'emploi. C'est une façon de voir les choses, mais seuls ceux qui tirent leur épingle du jeu sont capables de défendre de tels discours. Ce sont souvent les mêmes qui mettent en avant les contrats les plus précaires, tel le CDI de chantier, et, en experts, ils disent qu'il faut s'y résoudre.
Étant donné l'importance du carnet de commandes pour les dix ans à venir, on voit pourtant que ce ne sont pas les sacrifices – accord compétitivité, flexibilité, précarité – demandés aux salariés qui font les commandes, mais le fait que le marché de la croisière est en expansion, ou plus précisément dont les armateurs spéculent l'expansion, notamment en Asie.
Pour ce qui nous concerne, outre les garanties industrielles demandées en intersyndicale, nous avons revendiqué un changement de politique et exigé que les futurs acquéreurs du Chantier se prononcent sur les investissements sociaux et industriels nécessaires pour le présent et l'avenir. Le taux de chômage étant de 8,4 % à Saint-Nazaire au début de l'année 2017 avec un recours à l'intérim massif tout au long de l'année, on peut dès maintenant créer un plan massif d'embauches en CDI de plusieurs centaines de salariés, ouvriers et techniciens, parallèlement à un plan massif de formation permettant de transmettre les compétences. La pyramide des âges catastrophique, notamment dans les catégories ouvrières où l'âge moyen est de quarante-trois ans, ne permet plus d'hésiter.
Mais pour cela il faut aussi de l'attractivité, et il n'est pas acceptable de voir de jeunes embauchés quitter l'entreprise après quelques mois faute d'un salaire leur permettant de vivre. Dois-je rappeler que l'on trouve sur le site des travailleurs dont le taux horaire du salaire de base est inférieur au SMIC horaire ? Ce phénomène, qui n'est pas marginal, illustre l'état des salaires de l'ensemble des professions sur le site.
Aucun des protagonistes de la vente des chantiers, pas même l'État, ne s'est prononcé sur ces revendications qui sont pourtant au coeur de la vie des salariés du site. Pour notre part, nous avons tout de suite ressenti que les préoccupations des actionnaires, celles de l'État français compris, n'étaient pas là.
Alors que les capacités de production navale permettent de construire des navires de toutes tailles et de tous types, cette vente illustre le fait que le système économique actuel ne s'intéresse pas aux besoins de la population ni à la manière d'y faire face, mais à ce qui peut se vendre à court terme pour dégager de plus grands profits pour les actionnaires.
À ce jour, la production est orientée vers les paquebots de grandes tailles et les navires militaires de forts tonnages à Saint-Nazaire. Mais qu'en sera-t-il demain, et avec quelles conséquences sociales ? Aujourd'hui, cela se fait en détruisant ailleurs des capacités de production et les emplois correspondants. La CGT Navale réaffirme à ce propos que la destruction des emplois dans les arsenaux n'est pas acceptable.
Pour conclure, la vente des Chantiers a donné l'occasion aux protectionnistes et nationalistes de tout poil de faire de la mousse politicienne à bon compte, sur le dos des salariés. La situation que nous décrivons doit être prise en compte et il doit y avoir une réponse. Pour la CGT Navale, cette réponse ne se fera pas sans l'intervention des salariés eux-mêmes pour défendre leurs emplois et leur capacité à vivre dignement de leur travail.
J'ai entendu vos griefs, mais quelle est précisément la position de la CGT Navale sur le projet actuel du Gouvernement ?
Depuis l'ouverture du dossier de la cession de STX, nous avons mis délibérément l'accent sur l'aspect social de la question, c'est-à-dire les conséquences de cette vente sur le sort des salariés. Or aucun des protagonistes ne s'est prononcé sur l'état des lieux social que nous avons dressé, alors même que l'État, actionnaire de longue date, a sa part de responsabilité dans la situation qui est faite aux salariés sur le site. C'est ce qui a justifié l'avis négatif de la CGT lors du comité d'entreprise.
Lors du comité d'entreprise du 18 novembre dernier, la CFDT a rendu un avis favorable au projet de reprise de STX France par le groupe italien Fincantieri. Pour prendre sa décision, la CFDT s'est appuyée, avec l'aide de l'expert du comité d'entreprise, sur plusieurs conclusions.
Cet accord entre l'État, Fincantieri et Naval Group a été âprement négocié et discuté, jusqu'en très haut lieu, par de nombreux interlocuteurs ; mais n'oublions pas que l'accord est aussi le fruit de notre travail syndical. Nous avions souhaité un industriel et non pas un pur financier, et un industriel du secteur connaissant notre métier et ses spécificités et disposant d'une envergure financière qui permette d'accompagner nos projets et nos investissements.
Nous avons agi en rencontrant le ministère de l'économie à de nombreuses reprises, tant en intersyndicale qu'en bilatéral, pour porter nos revendications relatives à l'avenir de notre chantier et de ses salariés. Par le biais de la commission économique du comité d'entreprise et de son expert, SECAFI, nous avons eu accès à de nombreuses informations, dans une transparence permettant de créer un climat de confiance ; selon cet expert, ce n'est pas commun à tous les projets de reprise d'entreprise, tant s'en faut.
Nous avons obtenu le maintien des garanties qui figuraient dans le précédent montage, garanties qui sont même renforcées par les mécanismes de contrôle du respect des engagements à intervalles réguliers. Nous avons aussi obtenu la disparition de la Fondation de Trieste du dossier – et c'est pour partie parce que nous n'étions pas d'accord avec la répartition du capital que nous avions « pris acte » lors de la dernière consultation. Le nouveau montage, avec le prêt de 1 % par l'État français, est un levier important en cas de non-respect des engagements. Nous avons également obtenu l'arrivée des salariés et des entreprises locales au capital ; même si c'est peu, cela va au-delà du symbolique. Nous avions demandé qu'il en soit ainsi il y a deux ans au ministre de l'économie de l'époque, Emmanuel Macron, et nous avons continué de porter cette demande.
Pour ce qui est du naval militaire, nous regrettons le flou qui demeure sur la possibilité de nous positionner sur certains marchés, malgré un accord commercial avec Naval Group, de même que les incertitudes sur les prochains contrats de maintien en condition opérationnelle des bâtiments de la Marine nationale.
L'accord nous a paru équilibré et de nature à présenter de nombreuses garanties pour l'entreprise et ses salariés. C'est pourquoi la CFDT a rendu un avis favorable.
Mais la réflexion des élus CFDT sur la reprise est plus large ; elle porte sur le contexte industriel, la méthode et le dialogue social.
Pour ce qui est du contexte industriel, rappelons que pendant les deux années de mise en vente de STX France, les candidats à la reprise ne se sont pas bousculés, les candidats français moins encore que les autres. Seuls étaient en lice le groupe asiatique Genting, qui a vite compris qu'il n'était pas le bienvenu, le groupe Damen qui a jeté l'éponge au dernier moment faute d'entente avec ses associés potentiels, et nos clients armateurs qui ont finalement laissé Fincantieri être le seul à faire une proposition.
Cela démontre qu'il n'y a pas moyen de trouver en France un ou des acteurs capables de s'interroger sur l'avenir d'un de ses fleurons industriels et de s'unir pour le préserver. Nous manquons d'une structuration par filière de nos industries – une filière regroupant les grands donneurs d'ordres, leurs entreprises coréalisatrices ou sous-traitantes, l'État, les collectivités territoriales où les sites industriels sont implantés et qui, elles aussi, ont leur mot à dire, les organisations syndicales pour y représenter les salariés mais aussi les citoyens qu'ils sont. La CFDT y est prête ; elle a déjà mis en place des comités de filière pour fonctionner au-delà des branches et des fédérations.
Mais une filière doit avoir de véritables moyens, y compris par un accès à des financements, parce que le nouvel enjeu, en France et en Europe, est devenu la compétitivité financière de nos industries, confrontées à des conglomérats asiatiques, pour ne pas dire chinois, aux crédits quasi illimités. Un exemple criant, même si l'aspect réglementaire y est certainement pour beaucoup : les énergies marines renouvelables, dont les acteurs sont dispersés, certains ayant déjà disparu alors qu'à ce jour, aucune éolienne n'est installée en mer, loin s'en faut ! Heureusement, notre entreprise est allée chercher ses relais d'activité dans ce domaine à l'exportation; en aurait-il été autrement que nous aurions un bel atelier tout neuf, mais rien à y construire.
Mais ce doit aussi être une filière installée dans le temps, dont la perspective n'est pas la prochaine échéance électorale. Un calendrier industriel ne peut être calé sur un calendrier électoral : le rythme n'est pas le même. Sans recréer un Commissariat au Plan, il est essentiel de donner une vision à long terme à ces filières. Il suffit de regarder, une nouvelle fois, du côté de la Chine pour voir qu'avec leur Plan à eux, ils parviennent à monter une filière complète et largement compétitive en quelques dizaines d'années seulement… Nous avons donc toute raison de craindre pour notre avenir sur le marché des paquebots.
Pour ce qui est de la méthode, l'État étant déjà actionnaire, même minoritaire, depuis 2008, il a pu peser de l'intérieur dans les négociations en utilisant les moyens à sa disposition dont le droit de préemption dont il a su faire usage en dernier recours. Nous reconnaissons aussi la compétence de ses acteurs, leur connaissance de notre industrie, et en particulier du dossier STX. Nous reconnaissons aussi une écoute des organisations syndicales lorsque celles-ci apportent des éléments factuels à prendre en compte.
Enfin, le montage final, avec le prêt de 1 % à Fincantieri pour lui donner une courte majorité de gouvernance peut être qualifié d'astucieux : cette gouvernance reste soumise à l'éventualité de nombreuses possibilités de véto de l'État, et surtout au contrôle régulier du respect des engagements pris. Nous avons d'ailleurs obtenu d'être partie à ces audits, puisque nous, organisations syndicales, sommes des relais du terrain. Mais, en cas de manquement, l'État devra remplir son rôle et activer les leviers à sa disposition dans le pacte d'actionnaires. Dans notre dossier, l'État a choisi l'interventionnisme ; il a décidé d'être acteur plutôt que spectateur. Nous nous en félicitons. Cessons, en France et en Europe, de faire preuve d'angélisme vis-à-vis du reste du monde en matière économique et industrielle !
Enfin, le dialogue social a été un élément déterminant de la conclusion de cet accord, certaines garanties transcrites dans le pacte d'actionnaires étant issues de remarques, voire de revendications de notre part : maintien de l'activité sur site, de certains secteurs-clés de l'entreprise, de l'emploi et des compétences ; garanties en matière de propriété intellectuelle, d'investissements, de diversification – autant de revendications que nous avons portées à tous les niveaux de l'État.
Ajoutons qu'il existe dans notre entreprise une véritable culture du dialogue social qui nous permet de travailler en confiance et d'avoir accès à un très haut niveau d'informations économiques et sociales, en comité d'entreprise comme en conseil d'administration. De plus, un accord de méthode signé avec la direction, nous donne des moyens, dont la possibilité d'être accompagnés durant tout le processus de cession par un expert économique. Cette loyauté et cette transparence ont permis à cet expert d'avoir accès à l'intégralité du contenu du futur pacte d'actionnaires, abstraction faite des éléments relevant du « Secret défense ». C'est aussi sur ses conclusions que nous nous sommes appuyés pour rendre notre avis final.
Cette confiance réciproque est un élément déterminant pour la CFDT. Elle doit se construire entre des partenaires sociaux qui se respectent et ont la volonté de travailler ensemble, même s'ils ne sont pas toujours d'accord, parce qu'une entreprise compétitive est aussi une entreprise où les salariés sont reconnus, non comme un coût mais comme une richesse – bien que cela soit peut-être difficile à entendre pour certains patrons. Ils devront effectivement nous entendre, mais les salariés doivent aussi s'emparer des moyens qui leur sont donnés. C'est pourquoi la présence des salariés au capital et d'un administrateur salarié au conseil d'administration, même si nous regrettons qu'il n'ait pas les mêmes droits que les autres administrateurs, est un premier pas vers la codétermination, voire la codécision que nous appelons de nos voeux.
La CFDT considère que les salariés doivent être acteurs de leur avenir et que les organisations syndicales sont bien leurs représentants dans l'entreprise, quelles que soient les instances demain.
La position de la section Force Ouvrière est la même depuis 2006, année de la première mise en vente de STX France par Alstom : nous appelons à la nationalisation de l'entreprise, qu'elle soit temporaire ou transitoire.
Nous considérons que STX est une entreprise stratégique pour la France, qui dispose de plus de 5 000 kilomètres de côtes, et dont la surface maritime la classe au deuxième rang mondial après les États-Unis. Il nous paraîtrait donc paradoxal qu'un pays comme le nôtre ne soit pas à même de conserver dans son patrimoine un tel établissement.
Cela serait d'autant plus curieux que nous savons qu'à terme il faudra remplacer le Charles de Gaulle et le seul chantier capable de le construire appartient à STX, même s'il ne s'agit pas de produire uniquement du matériel militaire.
Si l'État n'a pas vocation à être directement un industriel, nous avons toutefois constaté que, lorsqu'il était actionnaire, fût-ce minoritaire, de STX, c'est grâce à lui que toutes les commandes ont été obtenues : l'État a joué un rôle déterminant, bien plus que STX, pourtant actionnaire majoritaire. Voilà pourquoi nous revendiquons cette nationalisation, fût-elle temporaire ou transitoire.
Lors du dernier comité d'entreprise, FO a donné un avis positif à la prise en main de la direction de STX par l'État, mais un avis négatif à l'entrée de Fincantieri dans le capital : comme nous l'expliquons depuis un certain nombre d'années, cette entreprise est positionnée sur le même type de marchés que nous : le secteur militaire, les paquebots et énergies maritimes renouvelables. Elle est d'ailleurs plus avancée que nous dans certains domaines. Il y a donc tout lieu d'être inquiet pour les salariés de STX, mais aussi des entreprises sous-traitantes, car Fincantieri emploie dans ses sites de la main-d'oeuvre détachée à très bas coût : on peut craindre que ces ouvriers ne soient transférés sur le chantier de Saint-Nazaire. Par ailleurs, même si le pacte d'actionnaires comporte des garanties concernant l'emploi, Fincantieri étant positionné sur les mêmes types de contrats que nous, il y aura fatalement des postes en doublons.
Il y a également tout lieu de s'inquiéter des possibles transferts de technologie, sachant que Fincantieri a signé un accord dans ce sens avec le chinois CSSC (China State Shipbuilding Corporation). L'an dernier, lors de notre première rencontre, Fincantieri nous avait assuré qu'il ne s'agissait là que d'un transfert mineur, de plans donnés « à la va-vite ». Mais six mois après, Fincantieri a passé commande de deux paquebots à CSSC ! Je rappelle que nous avons connu la même mésaventure il y a plus de dix ans avec construction des méthaniers. Depuis que nous avons aidé les Chinois à en faire, nous n'avons plus jamais construit un méthanier sur le site de Saint-Nazaire…
L'entrée de Naval Group dans le montage financier nous inquiète également. Nous avons déjà travaillé avec cette entreprise par le passé, mais elle est aussi notre concurrente pour certains types de projets. Dernièrement nous avons obtenu une commande pour le maintien en condition opérationnelle (MCO) de frégates ; Naval Group était également en lice, derrière d'autres candidats mieux positionnés. Reste qu'on a bien vu que la décision finale n'avait pas satisfait tout le monde… Dans la mesure où Naval Group travaille déjà avec Fincantieri dans ce domaine, nous craignons de ne plus avoir de commande militaire sur le site de Saint-Nazaire. Or il faut savoir que c'est le seul type de contrat qui nous permette de dégager de la marge ; et qui dit marge dit possibilité de mener une politique salariale répondant aux attentes des salariés.
À travers le pacte d'actionnaires, l'État a certes obtenu des garanties, mais ce sont les mêmes que celles qui avaient été négociées lors de la vente de la branche « Énergie »' d'Alstom à General Electric (GE) ou, à présent, d'Alstom Transport à Siemens. Dans les deux cas, le Gouvernement a assuré avoir obtenu des garanties sur l'emploi et le maintien des sites. Cela n'a pas empêché pour autant GE d'annoncer la suppression de 6 500 emplois en Europe, dont 765 en France, au mépris des engagements pris dans l'accord signé en 2014…
La même garantie avait été donnée à Alcatel-Lucent, vendue en avril 2015 au finlandais Nokia : celui-ci a annoncé en septembre dernier 597 suppressions d'emploi qui viennent s'ajouter aux 394 suppressions de postes de l'année 2016…
De son côté, Siemens vient d'annoncer 6 900 suppressions d'emplois, en Allemagne certes, mais on peut aisément imaginer que quelques-unes finiront par se produire en France… Vraiment, les garanties n'engagent que ceux qui veulent y croire ! Pour Force Ouvrière, cela ne sera jamais suffisant pour sauvegarder le site de Saint-Nazaire et les emplois qu'il génère, qu'ils soient directs ou indirects.
Il y a quelques semaines, devant les commissions de l'économie et des finances, le ministre de l'économie, Bruno Lemaire, a justifié l'intervention appuyée de l'État dans les dossiers STX et Alstom par l'aspect stratégique que revêtent ces entreprises aux termes du décret du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable, dit décret Montebourg – il n'a d'ailleurs pas évoqué le cas d'Alstom Transport. L'État, actionnaire de STX, s'est donc engagé dans une démarche un peu plus hardie en décidant une nationalisation temporaire de votre établissement puis le droit de retour du 1 % de parts de la société prêté, un dispositif négocié pour douze ans – période au demeurant assez courte pour une entreprise industrielle comme la vôtre.
À votre connaissance le Gouvernement a-t-il essayé, en application du décret Montebourg, de négocier d'autres garanties que cette clause de retour ? Vous avez indiqué que le contenu du dossier était très accessible, et que vos experts avaient eu accès à tous les documents. S'il souhaite obtenir l'accord final au titre des investissements étrangers, Fincantieri devra communiquer au Gouvernement un certain nombre d'engagements écrits ; peut-on espérer que ces engagements iront au-delà de cette seule clause de retour ?
Et des clauses de revoyure, qui constituent tout de même un élément déterminant : je ne connais pas beaucoup d'entreprises où le respect des engagements pris par l'actionnaire principal est revisité à échéances régulières. Qui plus est, le pacte d'actionnaires comporte de nombreux droits de véto, de sorte que l'État aura son mot à dire : il devra donc donner son aval à toutes les décisions qui pourront être prises.
Je ne peux pas dévoiler la totalité du contenu du pacte d'actionnaires… J'ignore si vous avez accès aux documents par le truchement de l'Agence des participations de l'État (APE). Au demeurant, nous n'y avons nous-mêmes pas directement accès : seul notre expert, SECAFI, en a eu connaissance et nous en a remis une synthèse, mais nous ne disposons pas dans le détail du contenu. Je sais seulement, par exemple, que la nomination du directeur général est soumise à droit de véto, de même que les décisions en matière d'investissements, dans les énergies marines renouvelables, par exemple, ou la diversification ; ces droits de véto sont donc nombreux, mais je n'en ai pas la liste exhaustive.
Cette question est importante, car c'est le législateur qui a confié au ministre la responsabilité de conditionner l'investissement étranger à un certain nombre de droits de véto. Il est donc indispensable que nous en ayons connaissance. Nous les réclamerons à qui de droit, mais les informations que vous êtes susceptibles de nous apporter nous sont, d'ores et déjà, utiles.
Des droits de véto sont également prévus sur la propriété intellectuelle ainsi que sur la politique de réinvestissement des dividendes. Il n'y a jamais eu de distribution de dividendes sur les Chantiers ; mais s'il devait y en avoir, l'État pourrait exercer son droit de veto passé un certain montant.
Comme l'a dit Christophe Morel, il ne nous appartient pas de divulguer le contenu d'un accord sur lequel nous nous sommes engagés à être loyaux et à respecter son caractère confidentiel. J'imagine que le ministère pourra vous apporter les informations nécessaires.
Il ne faudrait tout de même pas idéaliser le dialogue social dans l'entreprise ! Les documents ne nous ont pas été directement communiqués ; et notre expert, SECAFI, lui-même n'a pas eu accès à l'ensemble des éléments du dossier, puisqu'une partie est classée « Secret-défense », du fait de la participation prévue de Naval Group. Ajoutons que le pacte d'actionnaires prévoit que l'administrateur salarié imposé par les dispositions de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, dite « loi Rebsamen », ne participera pas aux diverses commissions du conseil d'administration. Nous demanderons aussi à l'APE de pouvoir disposer d'un mandat identique à celui de n'importe quel administrateur siégeant au conseil d'administration.
Merci, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir nous éclairer au sujet de cet accord et de nous faire part de la perception que vous en avez ainsi que de son contexte de marché.
Monsieur Janvier, vous avez rappelé que STX évoluait dans un secteur très concurrentiel caractérisé par des risques considérables, une faible rentabilité et la nécessité d'un mix-produits important. Comme Monsieur Morel l'a relevé, les candidats au rachat ne se sont pas bousculés par le passé ; enfin, la stratégie industrielle d'une entreprise se mesure aussi avec le recul historique qui s'impose, et ne saurait s'apprécier à un instant T ou avec seulement quelques mois de recul.
Je veux encore vous remercier pour les points de convergence qui émaillent vos propos. Ils montrent ainsi combien cet accord comporte des aspects positifs. J'ai ainsi, à plusieurs reprises, entendu que les revendications exprimées avaient correctement été intégrées, ou que dans d'autres cas, l'État avait a minima obtenu des garanties.
J'ai encore entendu de votre part à plusieurs reprises que la méthode avait été transparente, ce qui n'est pas le cas dans tous les projets de rachat de sociétés, et notamment que l'expert du comité d'entreprise a eu accès à tous les documents.
Vous avez par ailleurs considéré que l'État avait pris ses responsabilités, utilisant tous les ressorts disponibles, y compris la préemption, pour protéger et faire valoir les intérêts industriels de la France. Vous avez répondu au président de la commission d'enquête que l'État avait des outils en sa possession, comme le droit de véto, pour influer sur les décisions – distribution de dividendes, nomination du directeur général, etc. Autrement dit, l'État n'est donc pas démuni ; il pourra jouer pleinement son rôle comme il l'a fait au moment de l'accord.
Je tiens donc à saluer ces points de convergence qu'il m'a été donné d'entendre, et qui me paraissent très positifs.
Certains d'entre vous n'en ont pas moins émis des doutes sur cet accord. Mais quelles auraient pu être, selon vous, les autres options ? Je comprends les craintes exprimées, je cherche simplement à voir si d'autres solutions satisfaisantes étaient possibles ? J'ai entendu parler de nationalisation définitive ; pourquoi pas ? Mais un tel choix vous paraît-il de nature à constituer une garantie de compétitivité, de performance économique et de carnets de commandes pleins dans les années à venir ? La nationalisation définitive garantit-elle à l'avenir l'activité ?
On entend dire de beaucoup de secteurs de l'économie qu'ils relèvent d'une activité stratégique : d'après vous, sur quels éléments se fonde le caractère stratégique de votre entreprise ? Inversement, quelles entreprises, à votre avis, ne le seraient pas ? À entendre les gens, finalement est stratégique ; le plus difficile est de déterminer ce qui ne l'est pas et de le nommer. Vous avez un regard de marché, sur l'économie en général ; j'aimerais connaître votre appréciation là-dessus.
On ne choisit pas son patron, peu importe la nationalité, c'est la stratégie qui compte, ont dit, en des termes très similaires, Messieurs Benoit et Janvier. Cette phrase m'a marqué. Je serais donc intéressé d'entendre votre point de vue sur le poids de la nationalité dans la stratégie industrielle d'une entreprise, la vôtre en particulier et les autres en général.
L'autre solution aurait peut-être été de constituer une société coopérative de production (SCOP) … Nous avions appelé à un montage financier associant les collectivités territoriales, les salariés, les citoyens et des groupes industriels. Certes, quelques entreprises locales vont entrer dans le capital, mais on aurait pu faire quelque chose de beaucoup plus large, qui s'inscrive dans une réelle logique de filière, en considérant qu'il y avait là une opportunité à ne pas laisser passer.
Une autre option était sur la table : le rachat par Damen. Cela pouvait présenter un intérêt sur le plan industriel ; mais nous aurions alors été prisonniers de ses clients, ce qui n'aurait peut-être pas été heureux.
C'est pourquoi nous considérons que la solution Fincantieri n'est pas mauvaise, car la question, je le répète, n'était pas celle de la nationalité, mais bien celle du choix et de la stratégie. Après tout, nous avons été coréens, et auparavant « norvégo-finlandais »… Ce qui compte c'est ce que l'on veut faire.
Avec un peu d'ironie, je rappelle parfois que nous avons été rachetés par Alstom, qui a pratiquement disparu, puis par Aker Yards, lui aussi disparu, par STX enfin qui n'existe plus ; je ne souhaite pas le même sort à Fincantieri … C'est donc bien la stratégie qui compte ; et si nous sommes toujours là, ne rêvons pas, c'est à cause de la grande cale qui intéresse autant l'État que Fincantieri, car elle seule permet de construire des porte-avions, des bâtiments de projection et de commandement (BPC) et des gros navires. C'est un argument qui peut être entendu.
Si nous défendons la nationalisation de STX, c'est que, outre le fait qu'ils ont un peu facilement tendance à licencier, les industriels français du secteur privé n'étaient visiblement pas tentés de se présenter. L'activité de Saint-Nazaire présente un intérêt pour l'État en termes d'emplois, mais aussi pour ses retombées dans les caisses publiques, estimées à 400 millions d'euros. Il n'en sera évidemment pas de même avec un repreneur qui décide de licencier, en dépit d'un pacte d'actionnaires jugé « protecteur » des emplois : mieux vaut avoir 2 700 salariés STX en train de travailler qu'un effectif réduit par un actionnaire déterminé à dégraisser.
Il faut être précis au sujet de la nationalisation que nous revendiquons : elle peut être temporaire ou transitoire, et ne consister qu'en une prise de participation de l'État de 51 % ; en tout état de cause, ce que nous souhaitons, c'est que l'État reste l'actionnaire majoritaire.
Du fait de la taille de notre cale, sans oublier celle de notre portique, le plus grand d'Europe, notre entreprise est incontestablement stratégique. Nous sommes en concurrence avec les deux autres grands constructeurs européens, Fincantieri et Meyer Werft, mais seul le site de Saint-Nazaire est capable de construire un nouveau porte-avions ; il serait paradoxal qu'un pays comme le nôtre soit obligé d'aller le fabriquer ailleurs que chez lui… Les Allemands font autrement plus d'efforts pour conserver leurs chantiers navals alors qu'ils ont dix fois moins de kilomètres de côtes que nous et une surface maritime infiniment moindre.
Permettez-moi de finir par un exemple. Lorsque STX est devenu notre actionnaire majoritaire, la situation sur le site de Saint-Nazaire était assez tendue, et il en était de même sur celui de Turku en Finlande, également détenu par STX. En 2016, lorsqu'est arrivée la commande du Harmony of the Seas passée par l'armateur Royal Caribbean Cruises (RCCL), notre actionnaire majoritaire STX n'a rien trouvé de mieux que de mettre en concurrence ses sites de Turku et Saint-Nazaire, avec menace de licenciements secs pour le perdant ! Ce n'est clairement pas ce genre d'attitude que nous attendons de la part d'un actionnaire majoritaire ; c'est pourtant ce que nous pourrions craindre de la part de Fincantieri.
Y avait-il d'autres solutions ? Nous vous avons clairement présenté notre point de vue : il en a été recherché, il n'en a pas été trouvé. Rappelons d'ailleurs que la première chose qu'avait faite Alstom lorsqu'ils ont eu des difficultés en 2006 a été de dire qu'on nous vendrait, ne serait-ce que pour faire remonter un tout petit peu le cours de l'action…
La construction navale a très mauvaise presse, elle est peu connue des économistes, il n'existe que très peu de modèles fiables de ce secteur ; on est vraiment sur un aspect « filière » assez particulier, et très industriel. Faible rentabilité, risque élevé, nous ne nous sentions pas endosser la responsabilité de lancer des programmes de participation de citoyens, de personnes privées ou de salariés, qui aurait pu mettre en péril tant l'emploi des salariés que leurs avoirs et leurs économies. Qu'ils soient dedans, c'est une excellente chose ; qu'ils en soient le pivot, ce n'était pas notre option.
Quant au terme de stratégie, il doit s'entendre dans ses deux acceptions. La première renvoie à l'aspect « défense ». Saint-Nazaire est effectivement le seul site où il est possible de construire de très grands navires comme les porte-avions. Brest n'a plus toutes les capacités industrielles et ses cales, trop petites, obligent à construire des bâtiments un peu courts. Le Charles de Gaulle exige une très grande technicité pour remplir sa mission, dès sa conception puis en opérations.
La capacité de notre cale doit donc être à tout prix maintenue ; et qui dit cale dit les gens qui sont autour. On y trouve un authentique savoir-faire non écrit, non diffusé, particulier à tous les salariés sur l'ensemble de la chaîne de construction navale. Et cela doit être maintenu en état comme en fonctionnement.
La deuxième acception renvoie à l'aspect industriel. Nos pays industrialisés un peu anciens arrivent à un moment charnière : on redécouvre le rôle structurant, économique et social, d'une industrie. Je fais partie des gens formés il y a déjà longtemps, auxquels on répétait que l'industrie, cela ne ferait plus de copeaux, cela ne serait plus que du numérique et à l'ingénierie ; or on découvre que l'industrie, ce n'est pas que cela, et que si nous voulons dynamiser notre pays, développer nos savoir-faire et créer de l'emploi, il faut aussi besoin de l'industrie. Or une industrie doit se structurer en filières, comme l'a souligné mon collègue de la CFDT ; et qui dit filière dit leader de filière, un pôle, un pilier. Mais ce pilier qui ne doit pas se résumer à un donneur d'ordres qui fait sa marge sur le dos de ses sous-traitants, comme cela a été le cas ces dernières années ; aux Chantiers de Saint-Nazaire, ce n'est pas possible.
Nous sommes en train de transformer notre modèle économique, notre écosystème économique de la construction navale autour d'une filière ; c'est ce que nous avons commencé à faire avec le comité stratégique de filière (CSF) auquel je participe, et qui doit impérativement être relancé. Les chantiers navals ont un rôle à jouer dans cette évolution. En cela, ils sont véritablement stratégiques pour notre pays, bien au-delà de la taille de la cale.
Monsieur le rapporteur, il est entendu pour nous que la nationalité ne compte qu'assez peu, ce qui répond à votre question sur les autres options possibles. Le débat n'est pas là. Mon exposé, qui a pu vous paraître à côté du sujet, prend tout son sens ici : ce qui fonde le caractère stratégique d'une entreprise, c'est sa capacité à répondre aux besoins des populations. Pour l'industrie navale, il s'agit de besoins civils aussi bien que militaires.
Le dossier de la vente des Chantiers de l'Atlantique a fait apparaître que les capacités de production avaient littéralement fondu et avec elles, les emplois. Des chantiers navals sont en train de disparaître alors que, de la conception jusqu'à la livraison – ce que mes collègues appellent la filière –, ils sont capables de produire des navires répondant aux besoins de la population, qu'il s'agisse de ferries, de méthaniers ou de paquebots pour ne parler que du civil. Or cette dimension n'a intéressé ni les actionnaires ni, malheureusement, l'État. En réalité, l'État se borne à défendre des intérêts économiques particuliers, ceux de Naval Group et de Thales, dans le domaine de la défense. Les actionnaires, détenteurs de capitaux, voient dans leur achat des sources d'économies à court terme dans l'objectif de dégager des profits. Ce qui n'a rien à voir avec la satisfaction des besoins de la population.
Lorsqu'on veut acheter un appartement, on commence par en faire le tour ; or le tour social n'a pas été fait pour les chantiers navals.
L'alimentation est un besoin de la population, et ce n'est pas pour autant que l'État a nationalisé toutes les entreprises agroalimentaires… Je ne suis pas persuadée que ce soit le critère dirimant pour définir le caractère stratégique d'une industrie.
J'aimerais que vous reveniez sur la façon dont s'est déroulée la coopération avec les Coréens. Le retour d'un industriel européen, en l'occurrence italien, dans le capital de STX ne peut-il être l'occasion de créer un champion européen, notamment grâce aux coopérations militaires entre la France et l'Italie ? Avez-vous eu connaissance de projets allant en ce sens ? Cette perspective peut-elle vous ouvrir de nouveaux marchés ?
Merci à tous pour vos présentations très éclairantes.
Monsieur Morel, vous avez souligné un manque de structuration des filières industrielles. Selon vous, quelles sont les étapes d'une telle structuration ? Pourquoi y a-t-il des déficiences ? L'accès aux financements traditionnels en fait-il partie ? Le financement de l'économie à travers les pools bancaires vaut-il pour des structures comme la vôtre ? Ces considérations financières n'entraînent-elles pas une certaine frilosité chez les industriels français susceptibles de s'intéresser à ce genre d'activités ?
Vous avez évoqué la propriété intellectuelle. Avez-vous une idée de la valeur des actifs immatériels. N'y aurait-il pas là motif à renforcer les exigences dans le contrôle du pacte d'actionnaires ?
J'aimerais aborder la question de la sous-traitance, dont on sait l'importance pour les grands donneurs d'ordres dont vous êtes. C'est une question à laquelle je suis, bien sûr, particulièrement sensible en tant que député breton, compte tenu de nombre d'emplois générés dans le grand bassin de Rennes, de Nantes, de Saint-Nazaire et du Morbihan.
Pensez-vous que le donneur d'ordres reprendra à son compte les activités autrefois assurées par les sous-traitants ou, au contraire, multipliera-t-il leur nombre afin de s'en séparer plus facilement à terme ?
S'agissant des perspectives pour Fincantieri, il est indéniable que M. Bono, le président-directeur général de ce groupe, rêve depuis de nombreuses années de mettre la main sur Saint-Nazaire pour construire un futur champion de la construction navale. Nous verrons qui tirera le mieux son épingle du jeu au sein du groupe : nous avons déjà été mis en concurrence, dans le passé, avec nos collègues finlandais au sein du groupe STX …
Et ça, c'est pour le civil ; dans le domaine militaire, nous savons qu'il existe un projet de participations croisées, dit « Projet Magellan », entre Fincantieri et Naval Group. Même si cela ne concerne que de quelques pourcents, il s'agit peut-être des prémices d'une reconfiguration.
Cela étant, ce rachat pourrait nous remettre en position de force face à nos clients : ces dernières années, nous avons tiré la langue parce que c'étaient eux qui tenaient le manche. Quatre grands fabricants de paquebots se sont livrés une concurrence effrénée dans un contexte de baisse de commandes. Les armateurs ont passé le cap en continuant à réaliser des marges qu'ils ont depuis un peu écrasées, les ramenant de 20 % ou 25 % à 10 %. Sans ces commandes, il est clair que nous serions morts. C'est la raison pour laquelle nous avons pris celle de l'Oasis 3 dans des conditions un peu difficiles pour notre chantier, et nous le payons encore aujourd'hui.
Il est évident que nos clients ne sont pas très contents : ils auraient préféré être aux commandes de l'entreprise avec le groupe Damen Shipyards. Il faudra qu'ils revoient peut-être le prix de leurs navires et qu'ils acceptent de réduire un peu leurs marges.
Pour répondre à votre question sur la structuration de la filière, je soulignerai d'abord que notre organisation syndicale elle-même s'est structurée en filières : construction navale, construction automobile, construction ferroviaire, énergies marines renouvelables, etc. L'important est de mettre autour de la table tous les acteurs concernés. Pour cela, il faut que l'État donne des pouvoirs et des moyens au comité stratégique de filière Naval, qui pour l'heure manque de moyens et ne regroupe pas assez de monde. Le but n'est pas de créer un énième « comité Théodule », ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre.
Je commencerai par la question relative à la création d'un champion européen. La construction d'un « Airbus de la navale » a beaucoup été évoquée ces derniers temps. Je voudrais vous mettre en garde contre une comparaison un peu rapide.
Dans l'industrie aéronautique, au moment du lancement d'une série d'avions, le coût principal repose sur la mise au point des prototypes et des démonstrateurs, qui se cassent parfois, et du processus de construction, appelé à être répété de nombreuses fois sur de longues années. Le coût de l'outil industriel proprement dit est relativement faible.
Dans la construction navale, c'est quasiment l'inverse : la valeur, c'est ce qu'on fait. Chaque chantier a une infrastructure, un processus de construction, des outils intellectuels d'ingénierie et de fabrication qui lui sont propres. Tout cela structure la manière dont il va construire les navires et même concevoir l'offre. Il est extrêmement difficile de dupliquer le processus de construction d'un bateau. Le paquebot Oasis avait déjà été construit en deux exemplaires sur des chantiers finlandais, mais les plans que nous avons récupérés étaient pratiquement impossibles à transposer – nous avions déjà vécu cette expérience pour la construction d'un ferry. C'est encore plus compliqué dans le domaine militaire : chaque marine a ses propres besoins, ses propres modes de fonctionnement, ses propres outils et produits – moteurs, pompes – et ses propres systèmes.
Soyons donc très prudents sur l'idée de copier ce qui a été fait avec Airbus pour l'industrie navale. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'il faille renoncer à construire un champion européen.
Pour la structuration, M. Girardin nous a demandé quel modèle il fallait prendre. Pour la CFE-CGC, il ne s'agit pas de s'inspirer d'une autre filière industrielle en France, mais de la filière navale allemande qui fonctionne magnifiquement. Ce n'est pas un fait nouveau : l'industrie allemande exporte beaucoup et chasse en meute. C'est dans leur mode de fonctionnement… En 2006, j'ai assisté aux Assises européennes de la construction navale alors que les Allemands avaient la présidence du Conseil de l'Union européenne : ils les avaient organisées au beau milieu du pays, en Franconie, pour bien montrer que toute l'industrie allemande était au service de la navale. Je crois que nous en sommes loin en France.
Quant aux comités stratégiques de filière, ils sont une excellente chose, mais ce sont des comités d'industriels.
Pour les financements, encore faut-il savoir duquel on parle. Un projet de navire suppose trois types de financement. Premièrement, il faut aider le client à trouver un financement dans les meilleures conditions. Deuxièmement, il faut que le chantier naval soit à même de financer ses besoins de construction, sachant que la quasi-totalité du paiement du bateau intervient à la livraison, et dans des conditions de négociation parfois difficiles. La troisième est ce qu'on appelle la garantie de restitution d'acomptes : il faut trouver quelqu'un qui garantisse que les acomptes reçus par le chantier seront remboursés.
Ces dernières années, l'État a beaucoup travaillé à nos côtés pour nous aider à monter des financements performants ; il faut poursuivre cette action. Parmi les exigences que j'ai énumérées, il y a la nécessité de ne pas partager avec Fincantieri les modes de financement, car nous sommes devenus plus performants qu'eux – c'était le contraire autrefois.
L'une des clés du financement est la confiance. Nous avons signé avec la CFDT un pacte de compétitivité qui a contribué, pour partie, à la reprise des commandes. Cela a donné confiance aux clients, aux pouvoirs publics, aux milieux financiers. Pour la construction de l'Oasis 3 – qui représentait 5 milliards d'euros –, nous avions dû réuni un pool bancaire français, ce qui n'a pas été évident, loin de là. Pour son sistership, nous avons trouvé le financement beaucoup plus facilement sur le marché international.
La construction navale a souvent été considérée comme une activité à risque, extrêmement complexe. Il faut que nous puissions dire, collectivement, que tous les acteurs peuvent avoir confiance dans notre capacité de construction.
Sur la propriété intellectuelle, je ne suis pas compétent pour vous répondre. L'actif immatériel est en grande partie non écrit. Il repose sur le savoir-faire, le fonctionnement en réseau de l'entreprise et des sous-traitants. Il m'apparaît difficilement valorisable.
Pour ce qui est de la sous-traitance, notre chantier doit fonctionner comme pilote de filière et non comme donneur d'ordres. C'est ce qui se fait de plus en plus. L'idée de réintégrer certaines activités ne me semble pas d'actualité aujourd'hui dans la stratégie de la direction de STX – vous pourrez lui poser la question directement. Cela étant, Fincantieri a commencé à réintégrer certaines activités. Cela s'est déjà fait par le passé : autrefois, la réalisation des cabines de paquebot était presque intégralement sous-traitée ; désormais, elle est assurée par le chantier, via une filiale.
« L'Airbus de la navale » n'est pas une référence pour nous. Du reste, Airbus France n'est pas la branche d'Airbus qui se porte le mieux… Si c'est pour que les branches de tous les pays ne soient pas sur un pied d'égalité, nous ne voulons pas d'un Airbus de la navale.
En ce qui concerne le financement, si nous avons obtenu nos dernières commandes – en particulier celle de l'Oasis of the Seas –, c'est parce que l'État actionnaire a su imposer aux banques françaises de jouer le jeu et de nous trouver les garanties pour faire les montages financiers nécessaires. Si les banques françaises accompagnaient davantage les industriels, on peut supposer que ces derniers auraient montré plus d'intérêt pour STX.
Nous avons effectivement un bassin de sous-traitants assez considérable à Saint-Nazaire. La phase finale de construction du Harmony of the Seas commandé par RCCL (Royal Carribean Cruise Line) a mobilisé quelque 3 200 ouvriers, mais seuls 10 % des effectifs étaient des salariés de STX ; près de 3 000 salariés étaient extérieurs à l'entreprise. Pour ce qui est de la proportion entre les salariés détachés et la sous-traitance française, il existait dans l'entreprise une instance qui permettait de connaître la répartition chiffrée des salariés par entreprise et par pays d'origine ; elle avait quelque peu disparu quand nous étions en sous-activité, nous avons demandé sa réactivation.
En dix ans, la population active sur le site de Saint-Nazaire a beaucoup changé. On est passé de plus de 2 000 à moins de 1 000 ouvriers. Le nombre de techniciens a baissé aussi, mais ce sont les ouvriers qui ont le plus trinqué : la grande proportion de travailleurs des sous-traitants permet clairement à la direction de l'entreprise de jouer sur la flexibilité de l'emploi, ce qui explique qu'elle n'ait aucune volonté à proprement parler d'embaucher. Les embauches en cours concernent bien plus les cadres – je dirais même les jeunes cadres dynamiques, fraîchement émoulus et qu'on paie moins cher qu'un technicien ayant quinze ou vingt ans d'ancienneté dans l'entreprise ! Autre évolution importante de la population au sein de STX : la moyenne d'âge va croissant chez les ouvriers occupant des postes à haut degré de pénibilité. C'est surtout pour le bassin de sous-traitants locaux que nous craignons en cas d'entrée de Fincantieri au capital de STX France. Ces sous-traitants ont déjà subi très fortement la crise que nous avons connue il y a quelques années quand nous étions en sous-activité : de nombreuses entreprises ont alors dû licencier ou déposer le bilan. Il nous paraît donc important de sauvegarder les savoir-faire que nous avons en France. Si jamais Fincantieri – qui emploie sur son site italien des travailleurs détachés payés entre 3 et 6 euros de l'heure – entre dans le capital de STX, il y aura de quoi s'inquiéter. À Saint-Nazaire, nous avons déjà constaté que certains travailleurs détachés étrangers pouvaient entrer à dix ou quinze sur le site avec un seul et même badge d'accès… Nous avons déjà des problèmes avec la sous-traitance délocalisée et payée à bas coût; on peut craindre que la situation ne s'aggrave avec l'arrivée de Fincantieri.
Monsieur Morel, vous venez de dire que les comités de filière n'étaient composés que d'industriels. Monsieur Janvier a également abordé la question de la composition de ces comités. Cela étant, aucun de vous deux n'a précisé quelles étaient les parties prenantes manquantes.
Comme je l'ai dit en préambule, il faut que ces comités regroupent tous les acteurs : les grands donneurs d'ordres, leurs entreprises coréalisatrices et sous-traitantes, l'État mais aussi les collectivités territoriales où elles sont implantées et les organisations syndicales pour que soient représentés tout à la fois les salariés et les citoyens. Il faut que ces comités de filière soient les plus larges possible et réunissent tous les acteurs, sans pour autant devenir des usines à gaz. Une entreprise est implantée dans un territoire et le territoire lui-même a un effet important. Nous l'avons vu sur le chantier naval : les entreprises locales vont entrer au capital de STX France : c'était une revendication de leurs représentants et ils ont obtenu satisfaction de l'État.
Il faut aussi que ces comités de filière aient des moyens – si ce n'est de financement, du moins d'accès au financement. Pour un bateau qui coûte 1 milliard d'euros, 20 % de la somme est versée à la commande, ce qui veut dire qu'il faut en financer 800 millions d'euros. Et quand vous négociez un prêt, selon qu'il y ait confiance ou pas, votre taux d'intérêt passe de 1 à 6 %… Imaginez ce que cela représente en termes de marges quand vous faites le calcul à la fin ! Nous sommes dans un métier où on ne gagne pas d'argent. Regardez les résultats de l'entreprise depuis de nombreuses années : sur un chiffre d'affaires d'1,4 ou 1,5 milliard d'euros cette année, on dégagera peut-être 1 ou 2 millions d'euros de bénéfices… Ce n'est même pas l'épaisseur du trait. L'aspect financier est donc devenu un aspect de compétitivité essentiel. STX France a dû aller se faire financer par des pools bancaires en faisant le tour du monde parce que certaines banques en France ne voulaient pas jouer le jeu.
Notre volant de trésorerie doit varier entre 50 et 150 millions d'euros ; il ne doit pas descendre en dessous des 50 millions. Parfois, nous sommes à la limite… Nous avons parfois des hauts et des bas qui peuvent faire peur : notre directeur financier ne doit pas toujours bien dormir la nuit !
Je me suis peut-être mal exprimé concernant les comités stratégiques de filière. Leur composition n'est pas en cause : on y trouve l'État, les collectivités locales, les industriels du secteur et des secteurs connexes ainsi que des représentants des organisations syndicales. Ce que je voulais dire, c'est qu'un comité stratégique de filière n'est rien sans une dynamique des industriels eux-mêmes : il faut que les acteurs économiques partagent une volonté de faire vivre cette filière. C'est en cela que je citais l'exemple allemand. Le comité stratégique de filière (CSF) est là pour brancher les bons tuyaux, si je puis dire, mettre de l'huile dans les rouages, faire circuler l'information et permettre à l'État de dire clairement quelle est sa stratégie. Vient ensuite la mise en réseau des différentes filières dans le cadre du Conseil national de l'industrie, ce qui est déjà le cas. En revanche, le comité stratégique de la filière navale, qui avait été très dynamique à une époque, a vu son rythme d'activité baisser ces derniers temps : il est urgent de le relancer.
Je ne sais pas. Vous devriez poser la question au président du Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN), qui préside le CSF naval. Peut-être est-ce parce que le secteur naval va mieux. Mais il ne faut pas tomber dans ce travers et baisser la garde sitôt que cela va tout seul – façon de parler : je confirme ce qu'a dit Christophe Morel sur les difficultés économiques de ce métier, en France comme ailleurs.
La séance est levée à douze heures quinze.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 30 novembre 2017 à 10 h 30
Présents. - M. Damien Adam, Mme Dominique David, M. Éric Girardin, M. Guillaume Kasbarian, Mme Stéphanie Kerbarh, M. Olivier Marleix, M. Hervé Pellois, Mme Natalia Pouzyreff, M. Frédéric Reiss, M. Jean-Bernard Sempastous
Excusés. - Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Laure de La Raudière